Les correcteurs de la Revue de Paris , de peur de la censure et du procès, vont procéder à des réécritures qui mettront Flaubert en colère à tel point qu'il exigera de publier un avertissement au lecteur. Même si de nombreux retraits concernaient la sensualité d'Emma et les références à sa sexualité, il fut également question du morceau de veau cuit au four que la mère de Charles lui faisait parvenir quand il était étudiant ainsi que la mention, lors de la scène du bal, du vieil aristocrate qui , incapable de manger proprement, laisse "tomber de sa bouche des gouttes de sauce". On voit donc ici que le personnage d'Emma ne peut être jugé coupable. D'autres lecteurs , au moment de la parution du roman,étaient allés dans ce sens en stigmatisant notamment la volonté du romancier d'enlaidir la réalité et de favoriser un réalisme cru; Sainte-Beuve, par exemple un célèbre critique littéraire, fait remarquer que la Normandie son pays natal, paraît totalement enlaidie dans le roman. " L'idéal a cessé; Le lyrique s'est tari "écrira-t-il dans un article de 1857.  Le même lecteur mettra en avant un autre point qu'il critique au sein de l'oeuvre : l'absence de personnages qui représentent le bien .

Il est pourtant vrai que si l'on reconstitue les échanges au tribunal, le procureur dans son réquisitoire a retenu 4 scènes dont il s'applique à démontrer l'obscénité et le caractère choquant. Il s'agit de la scène avec Rodolphe dans la forêt, celle avec le prêtre lorsqu'Emma pense qu'elle est sur le point de mourir, celle avec Léon dans le fiacre et celle de l'agonie du personnage principal. On remarquera que ces 4 épisodes se font écho. A chaque fois, l'accusation souligne le caractère dépravé du personnage, Emma est ici accusée directement car elle est considérée comme une incitation au vice de l'adultère. Lorsque Maître Ménard, le défenseur du roman, débute sa plaidoirie, il  reconnaît se fonder sur les mêmes valeurs que celles de son adversaire et notamment sur la morale chrétienne. Cependant, lorsqu'il évoque le cas du personnage d'Emma et sa part de responsabilités, il met en exergue son éducation au couvent; une éducation au-dessus de sa condition qui l'a donc empêchée, selon lui, de se résigner aux "devoirs de sa position" ;  Cet argument  put être considéré comme des circonstances atténuante pour l'héroïne . Peut-on toutefois sérieusement faire le procès d'un personnage littéraire, une créature de papier qui n'a d'autre existence que celle que l'auteur invente pour lui ? 

Accuser uniquement Emma Bovary, revient en fait à nier l'existence du projet de Flaubert ou plutôt, cela revient à considérer le personnage comme doué d'une vie propre; Le personnage n'est pas un élément isolé dans le récit ; bien au contraire, il fait partie d'un ensemble et participe , à sa manière , à  cette couleur lascive qui choquait tant Maître Pinard ; Flaubert reconnaissait aisément avoir cherché à fabriquer justement "un ton gris" de "cette couleur de moisissure d'existence des cloportes" ; toutefois, le personnage a sa part de responsabilités car Emma domine de sa présence  et de son rayonnement les autres caractères du roman, relégués, l plus souvent à des rôles secondaires, comme à celui de simples agents de la fatalité ou à des opposants. 

 Pour certains lecteurs, sa culpabilité est claire lorsqu'il s'agit de "chanter le cantique de l'adultère" : qu'une héroïne commette l'adultère paraît concevable mais qu'elle s'en vante et ne paraisse pas s'en repentir, voilà qui  heurte les consciences; Il est vrai qu'au retour de sa promenade en forêt, elle est décrite comme irradiant : elle caracole sur les pavés avec son cheval (p 228 , p 2, IX) et au dîner, son mari lui trouve "bonne mine"; Ce soir là, elle monte s'enfermer dans sa chambre pour y revivre ses émotions : " quelque chose de subtil étendu sur sa personne la transfigurait"; Elle aperçoit ses yeux plus noirs que d'habitude; elle regarde attentivement des changements dans son visage et elle se " délecte à cette idée comme à celle d'une autre puberté qui lui serait survenue." L'ironie du romancier n'épargne pas ici son personnage qu'il décrit comme une adolescente énamourée pour la première fois . De plus , Emma semble bafouer les valeurs défendues par le second Empire: elle néglige se devoirs d'épouse et de mère et plonge sa famille dans la ruine; dépensière, coquette, écervelée : elle contribue à donner de la femme de cette époque une image désastreuse.

Coupable oui mais pour mieux être punie en fait car l'héroïne se prépare à subir une fin tragique : dans l'esprit des lecteurs, cet argument doit prévaloir sur la peinture de sa licence et c'est de cette façon que Flaubert entend se défendre;  "sa peinture admirable du point de vue du talent mais exécrable du point de vue de la morale "  selon les termes même de l'accusation,ne trouvera grâce aux yeux des comités de censure de l'Empire que s'il est avéré que l'accusée est sévèrement châtiée:  Si à cette époque,l'adultère était puni et passible d'emprisonnement, Flaubert lui réserve un sort bien pire .En effet,  quel pire châtiment que la mort ? ! 

Il est donc bien difficile de nier totalement la culpabilité du personnage d'Emma car son aura est grande au sein de l'oeuvre et Flaubert la fabrique afin qu'elle représente les risques de cet ennui qui , sous une autre forme, rappelle le mal du siècle de la génération précédente . Cependant Emma n'est coupable que parce que le romancier la fait agir et exister pour servir ses desseins , pour lui servir de prête-nom et de faire -valoir .