GEORGE DANDIN.Puisqu’il faut parler catégoriquement, je vous dirai, Monsieur de Sotenville, que j’ai lieu de...

M. DE SOTENVILLE.Doucement, mon gendre. Apprenez qu’il n’est pas respectueux d’appeler les gens par leur nom, et qu’à ceux qui sont au-dessus de nous il faut dire Monsieur tout court.

GEORGE DANDIN.Hé bien, Monsieur tout court, et non plus Monsieur de Sotenville, j’ai à vous dire que ma femme me donne...

M. DE SOTENVILLE.Tout beau. Apprenez que vous ne devez pas dire ma femme, quand vous parlez de notre fille. GEORGE DANDIN.J’enrage. Comment, ma femme n’est pas ma femme?

MME DE SOTENVILLE.Oui, notre gendre, elle est votre femme, mais il ne vous est pas permis de l’appeler ainsi, et c’est tout ce que vous pourriez faire, si vous aviez épousé l’une de vos pareilles.

GEORGE DANDIN.Ah! George Dandin, où t’es-tu fourré? Et de grâce, mettez pour un moment votre gentilhommerie à côté et souffrez que je vous parle maintenant comme je pourrai. Au diantre soit la tyrannie de toutes ces histoires-là. Je vous dis donc que je suis mal satisfait de mon mariage.

M. DE SOTENVILLE.Et la raison, mon gendre?

MME DE SOTENVILLE.Quoi, parler ainsi d’une chose dont vous avez tiré si grand avantage?

GEORGE DANDIN.Et quels avantages, Madame, puisque Madame y a? L’aventure n’a pas été mauvaise pour vous, car sans moi, vos affaires, avec votre permission, étaient fort délabrées, et mon argent a servi à reboucher d’assez bons trous; mais moi de quoi y ai-je profité, que d’un allongement de nom, et au lieu de George Dandin, d’avoir reçu par vous le titre de Monsieur de la Dandinière?

MOLIÈRE, George Dandin ou le Mari confondu, acte I, scène 4, 1668

Question d’interprétation littéraire  : Selon vous, qui domine dans le dialogue ci-dessus?

Question de réflexion philosophique  La parole peut-elle être une arme sociale?

Pour construire votre réponse, vous vous référerez au texte ci-dessus, ainsi qu’aux lectures et connaissances, tant littéraires que philosophiques, acquises durant l’année.

  Le contenu complet du corrigé est publié sur eduscol « Selon vous, qui domine dans le dialogue ci-dessus ? »On distingue, dans les remarques suivantes, la réflexion du professeur, qui doit prendre en considération la variété des traitements possibles, et le travail de l’élève, qui trouve un fil, une intuition, et qui n’a évidemment pas à maîtriser l’ensemble du panorama.L’analyse du texte pourrait donner lieu à une réflexion essentiellement contextuelle : le public du XVIIème siècle, d’un divertissement joué à la Cour, ne pouvait guère hésiter quant au ridicule de Dandin, si bien que la supériorité sociale de ses beaux-parents et adversaires dans le dialogue ne fait alors aucun doute, quelque caricaturés que soient les Sotenville.Cependant, les ambiguïtés du texte sont réelles, et encore soulignées par le découpage : aussi bien n’attend-on pas ici des élèves des connaissances générales de l’œuvre, mais au contraire une lecture attentive de l’extrait choisi.La formule « Selon vous », qui ouvre la question d’interprétation, n’est pas un simple appui rhétorique et mérite d’être prise au sérieux. Comme l’ont rappelé les indications données dans l’introduction aux ressources, c’est bien une parole personnelle qui est attendue. La diversité des réponses ne constitue sur ce point aucun frein à l’évaluation. On peut en effet attendre, dans des développements eux-mêmes susceptibles d’adopter des formes et des progressions variées :a. soit que ce sont les nobles qui dominent (comme le montre l’empêchement de progression de la parole de Dandin, notable dès les premières répliques, qui ne peut faire entendre son discours, constamment contesté et réprimandé quant à ses formes et usages) ; l’argument d’histoire littéraire (et sociale) peut alors corroborer cette analyse, de même que d’autres éléments du texte également (le ridicule de son titre, la grossièreté de ses usages) ;b. soit que Dandin finalement domine : même s’il est au début malmené, il parvient non pas à se soumettre à l’ordre discursif des bienséances, mais à faire éclater une vérité économique de dépendance de ceux qui prétendent l’éduquer ; le découpage choisi et la fin de l’extrait rendent cette lecture très nette ; c. soit une réponse attentive aux effets de symétrie et finalement d’égalité dans la scène de querelle, renvoyant les deux camps dos à dos et niant même l’idée de domination discursive : la parole de l’un est inadéquate et ridicule ; la position des autres ruine l’impression de supériorité dans laquelle ils s’installent, mais pour laquelle ils ne sont finalement pas crédibles ; l’onomastique met aussi à égalité le ridicule entre « M. de la Dandinière » et de plus anciens aristocrates toutefois appelés « M. et Mme de Sotenville » La formule même d’ « arme sociale » pourra conduire les élèves à une certaine forme d’étonnement : il ne va pas de soi en effet, ni que la société soit un champ de bataille (de quelle bataille s’agit-il alors et quelles en sont les formes ?), ni que la parole puisse être une arme (le terme d’ « arme » doit-il être compris au sens propre ou en un sens figuré ? Et relativement à quel type d’affrontement ?). l’attention portée grâce au texte lui-même, à l’instabilité et à la mobilité des positions respectives des personnages : que serait une arme qui se retournerait sans cesse contre son utilisateur ? ne manquerait-elle pas d’efficacité ? qui domine en réalité dans ce passage ? On peut imaginer que certains élèves seront sensibles à l’orientation même du texte et à sa dynamique propre : Dandin se voit couper la parole ; mais il la reprend, et la tirade finale ajoute à l’affrontement une dimension de manifestation et de dévoilement qui pourrait participer, sinon d’un retournement, en tout cas d’un équilibrage des positions.–