Les hommes du Moyen-Age assimilent souvent les hommes sauvages à des créatures diaboliques et monstrueuses associées à l'animalité et au monde nocturne comme les loups-garous, les ogres cannibales , dévoreurs d'enfants et autres créatures infernales, mi- homme mi- animal,  à la force surhumaine menaçante. Les représentations de l'Homme sauvage varient suivant les époques , mais de manière constante il pose le problème de la société qui pense s'être éloignée d'une nature qui lui est devenue étrangère, et qui tente de rétablir un lien avec les puissances naturelles .Toutefois, cette figure de l'homme sauvage n'aurait pas survécu si elle n'avait pas été chargée d'un sens politique et religieux . En Europe ,on retrouve des peurs universelles sous certaines représentations  : l'homme craint l'épaisseur et le mystère des forêts qu'il peuple de figures sauvages comme les sauvageons , les hommes-arbres ou hommes souterrains (nains), les hommes -animaux comme les garous ou les centaures.

Dans l'iconographie française, du Moyen-Age on représente l'homme sauvage sous la forme d'un homme habillé de peaux de bêtes, voire lui-même velu. On s'entend généralement sur l'idée que cette figure est négative : elle représente politiquement et sociologiquement le regard méprisant, de l'aristocratie sur le paysan, proche de la nature, mi-homme, mi-bête, et quasiment encore païen.L'assimilation mythologique de l'Homme sauvage au Chasseur sauvage est possible dans certaines régions d'Europe du Nord où on y voit une survivance de la métamorphose du dieu germano-scandinave Wotan.

Le chasseur sauvage serait un homme qui a bravé un interdit ou un tabou, par exemple la chasse ou la consommation d'un animal tabou. Il reviendrait en esprit, traversant les airs comme Wotan, à la tête d'une armée de morts métamorphosés en bêtes sauvages. (voir illustration en tête du billet). D'autres interprétations religieuses sont en concurrence : dans l'Occident chrétien , lors du Carnaval, l'Homme Sauvage est parfois vêtu d'un pagne de peaux de bêtes, de feuilles, et porte un petit arbre, le " mai ".

A partir du début du XVIe siècle, l'Homme sauvage devient en Allemagne, notamment, la représentation symbolique et valorisante de l'Antiquité , faite d'une société aux moeurs simples et justes et pour laquelle le courage est une valeur essentielle : les tribus au fond de leurs forêts primitives, ont résisté à mains nues avec succès aux Romains bien armés mais de mœurs dissolues. On célèbre donc avec cette figure le culte des Ancêtres courageux et rustiques. La représentation de l'Homme Sauvage, vêtu d'un bout de peau de bête et armé d'une massue, reprend l'image d'Hercule et établit le mythe d'une Antiquité vraie, fondée sur la pureté des modes de vie ; Cette idéologie servira aux philosophes des Lumières pour opposer la sagesse naturelle des hommes sauvages et la dépravation, la corruption des sociétés occidentales qu'ils jugent décadentes et perverties . C'est ainsi que naît le mythe du bon sauvage.

La propagande des humanistes de la Renaissance explique la popularité (ou plus exactement la non-censure) du thème, dans les cortèges paysans, et le nom du " Sauvage " donné à des enseignes de tavernes, à des statues de fontaines, à des rues. Les hommes de la Renaissance , confrontés aux peuplades indigènes, durent renoncer à ces fantasmagories mais elles étaient très présentes dans leur imaginaire. L'homme sauvage peut donc incarner soit une menace car il est fort et réfrène difficilement ses instincts, soit l'idée d'un passé légendaire qui nous renvoie à nos origines.

Aujourd'hui on assiste à un renouvellement des sens du terme Sauvage et l'univers de la publicité, par exemple, exploite les connotations positives du mot avec l'image de Johnny Depp qui vante les mérites d'une eau de toilette, dans un désert, entouré de fauves, tatoué comme un chasseur d'une tribu primitive.

Dans l' Ingénu, un de ses contes philosophiques  Voltaire a construit son personnage principal  en reprenant certaines caractéristiques de l'homme sauvage : la force physique, la virilité et le goût du combat .  Mais ce personnage de guerrier intrépide  apprend à dompter sa nature sauvage pour devenir un homme accompli et raisonnable, un vrai philosophe qui a su contrôler ses instincts et devenir civilisé, en ne gardant que le meilleur des moeurs  curieuses qu'il observe chez les français ; Ce sauvage a été élevé par les Indiens Hurons mais il est en réalité le fils naturel de français dont le bateau a fait naufrage; Il se nomme Hercule ce qui fait directement référence à sa force exceptionnelle. Pour le romancier et le philosophe Voltaire, ce personnage représente le Bon Sauvage: celui dont le regard est droit et qui n'a pas de préjugés. Il peut ainsi exercer son jugement sans avoir l'esprit déformé par les conventions, les superstitions et la religion . A la fin de l'histoire, il perd sa fiancée mais il devient un militaire courageux et un sage.