janv.09
Décrire un quartier de Paris : l'Assommoir de Zola
dans la catégorie Seconde
Les écrivains réalistes motivent leurs descriptions en utilisant parfois le point de vue d'un personnage du roman, généralement le héros. Ce type de description impressionniste limite la perception du décor car le champ de vision n'excède pas celui du personnage et le décor est perçu à travers les sensations du personnage . En réalité , la description est toujours organisée selon un double point de vue. Le narrateur omniscient utilise une toponymie précise et donne de nombreux petit détails qui authentifient la scène et donnent l'illusion de sa dimension réaliste et parfois, il utilise la perception du personnage pour garantir une impression de subjectivité. Voyons comment fonctionne alors la description impressionniste avec Gervaise ...
Dans cet extrait de l'Assommoir, Gervaise attend, inquiète, son compagnon qui n'est pas rentré de la nuit; elle se poste à la fenêtre de leur logement afin de tenter de le repérer parmi la foule : comment Zola traduit-il l'inquiétude du personnage ? Tout d'abord, Gervaise est présentée dans l'action même de l'attente : "elle s'entêta encore à la fenêtre pendant deux mortelles heures" ; L'adjectif mortelle montre bien à quel point le temps peut lui sembler long; le spectacle de la foule ne parvient pas à la distraire et on devine qu'elle cherche à distinguer quelqu'un dans "le flot des blouses" . Ici la métaphore habituelle assimile la foule des travailleurs à une mer pour en révéler le caractère protéiforme et innombrable. De plus, la métonymie "blouse" qui réduit l'ouvrier à son vêtement de travail contribue à uniformiser ces travailleurs qui se ressemblent tous parce qu'ils portent la même tenue. Il devient donc particulièrement difficile de les différencier. De plus, la plupart marchent vite "à grandes enjambées " (l 4) et on peut imaginer que leur vitesse de déplacement gêne considérablement Gervaise dans ses repérages.
Lorsque les piétons se font plus rares et que les femmes ont remplacé les hommes, alors Gervaise craint de ne plus jamais revoir Lantier et elle commence à se sentir mal: "elle se sentit étouffer " à la ligne 17 et fut "saisie d'un vertige d'angoisse" ; Ces symptômes de souffrance physique sont la traduction de son inquiétude qui est passée au stade de l'angoisse; L'attente a donc aggravé son inquiétude car le mot angoisse signifie une peur très importante; L'idée de la mort fait alors son apparition dans le texte, introduite par cette expression " il lui semblait que tout était fini, que les temps étaient finis" ( l 18) La répétition du verbe finir ainsi que le pluriel biblique utilisé ici pour le mot temps nous rapproche d'une tonalité morbide ; le décor va alors prendre le relais pour diffuser les impressions du personnage .
En effet, les dernières lignes de la description montrent un paysage de mort et de désolation; Gervaise aperçoit les "vieux abattoirs noirs de leur massacre et de leur puanteur" (ligne 20); Cette vision contraste avec le spectacle des "rentiers du voisinage qui se promenaient au soleil " (ligne 14) Et ce détail morbide voisine avec la description de l'hôpital neuf certes mais "blafard" ; cette personnification peut sembler paradoxale car elle transforme ce lieu où l'on soigne pourtant, en lieu où la mort domine ; la description de l'hôpital incite sur son caractère morbide : les "salles sont nues " , les fenêtres forment des trous "béants "et la mort devait faucher" Cette dernière image clôt le panoramique du quartier sur cette tonalité macabre. En même temps, Gervaise ne sait plus où regarder : se regards sont désormais "perdus", un peu comme si elle-même , se sentait perdue.
Gervaise est bien morte d'inquiétude après cette nuit blanche passée à attendre; elle imagine le pire pour son compagnon qui en réalité , a passé la nuit chez sa maîtresse et la détresse de la jeune femme donnera, elle aussi , naissance à des paysages tristes où règnera la misère de ce quartier ouvrier de Paris. L'impression dominante de laideur et de pauvreté est en fait, en grande partie, aggravée par l'état d'âme du personnage qui décrit le milieu qui l'environne.