La rupture originelle est triple; Emma Rouault  change de nom pour devenir Emma Bovary, elle passe du statut de demoiselle à celui de Madame et de jeune fille à mère. Mais les ruptures interviennent également sur le plan géographique ; de la ferme située à 6 lieues de  Tostes  en Normandie, à Yonville, une région limitrophe "sur les confins de la Normandie, de la Picardie et de l'ile de France ,contrée batarde où le langage est sans accentuation comme le paysage sans caractère." Dans cette bourgade , Emma va très vite s'ennuyer et ne parvient pas à oublier ce qui est arrivé d'extraordinaire dans sa vie: ce bal à la Vaubyesseard un an et demi plus tôt: Cet événement avait creusé comme un "trou dans sa vie à la manière de ces grandes crevasses qu'un orage en une seule nuit creuse quelque fois dans les montagnes " Si la maternité ne représente un changement attendu chez le personnage, elle semble toutefois entraver son aventure avec Léon qui demeure platonique; Le départ de ce dernier à Paris marque pour la jeune femme une étape douloureuse : "le lendemain fut pour Emma une journée funèbre" En partant à Paris , Léon emporte avec lui une partie des rêves et des espoirs de cette dernière.

 Lorsqu'on évoque le motif de la rupture et sa place au iien de l'intrigue du roman, on pense bien sûr, avant tout,  à la rupture amoureuse  et  à l'adultère entre Emma et Rodolphe. Lorsque Rodolphe déclare son amour à Emma, celle-ci n’a pas le temps d’y répondre verbalement parce que Charles interrompt le processus des confessions en surgissant accidentellement dans le champ . Une fois de plus, Charles nous apparaît comme un homme inconvenant, auteur de gestes néfastes.  En étant mariée à Bovary, Emma ne peut ni atteindre sa juste place, ni s’affirmer dans l’univers. Ou alors elle ne le peut que très temporairement quand elle s’abandonne enfin à Rodolphe séduite par cette espèce de virilité sidérante de l’homme qui bombe le torse et qui débite des paroles séductrices. Emma est transfigurée , momentanément intégrée dans une ambiance pastorale où la nature se fait complice d’une perfection de sentiment. . Elle entre ainsi avec son amant dans une période d’amours clandestines, excitantes et palpitantes. Mais cette période se termine de manière tragique :alors qu'elle échafaude des plans pour s'enfuir avec son amant, ce dernier lui envoie une lettre cynique de rupture : " car je me punis par l'exil de tout le mal que je vous ai fait.  Je pars; Où ? Je n'en sais rien; Je suis fou. Adieu"  ; En découvrant la lettre et en voyant passer la voiture de Rodolphe, d'abord elle s'évanouit et contracte une fièvre cérébrale qui va durer 43 jours. En ayant commis l'adultère, elle a rompu ses voeux de mariage et trahi ses engagements; C'est une rupture importante qui sera renouvelée lorsqu'elle deviendra la maîtresse de Léon, son premier amour.Bien plus qu’une rupture, c’est une cassure essentielle qui s’empare d’Emma. De femme typiquement projective, elle se change en femme chosifiée, plongée dans un mysticisme incongru, objet d’un amour prétendument universel à défaut d’avoir été autrement aimée que par un amour insignifiant et balourd. Cette prostration prend d’ailleurs la suite d’une tentation pour le suicide , Emma ayant définitivement basculé dans une irréversible mélancolie.

 Une autre rupture  est intervenue peu de temps avant  dans sa vie conjugale cette fois,  rupture provoquée par l'échec de Charles lors de l'opération du pied-bot. Attiré par l’hypothèse d’une gloire qui redorerait son image auprès de son épouse dont il ressent le mépris, , Charles procède à l’intervention chirurgicale sur le pied d’Hippolyte Tautain, le valet d’écurie de l’auberge du Lion d’or. Dans la mesure où l’opération est un succès apparent, Emma réévalue immédiatement  les qualités de son époux La vitesse d’exécution de Charles a pu surprendre : «Charles piqua la peau; on entendit un craquement sec. Le tendon était coupé, l’opération était finie» . Sauf que le sectionnement du tendon constitue la traduction matérielle d’une rupture qui ne tarde pas à venir. Les effets secondaires de l’opération arrivent subitement. On rapporte que le valet d’écurie « se meurt ». Son état empire à mesure que la gangrène le gagne et Emma perd se dernières illusions sur les capacités de son mari: elle se sent humiliée d'avoir pu penser "qu'un pareil homme pût valoir quelque chose comme si vingt fois déjà, elle n'avait pas suffisamment aperçu sa médiocrité. Il l'agace prodigieusement et elle a l'impression d'avoir abîmé son existence en restant auprès de lui.Autrement dit Charles Bovary est progressivement dégradé dans la liste des personnages – on l’a découvert force de médiocrité dès l’incipit et il s’est écroulé dans une insupportable faiblesse de caractère. Donc si le roman a commencé par Charles, il se défait de lui par la suite. 

Ainsi le tendon coupé d’Hippolyte est la marque d’une rupture essentielle et définitive entre Charles et Emma. Cet échec parachève une série de catastrophiques désillusions. C’est un vrai docteur en médecine qui sauve Hippolyte de la mort, un certain M. Canivet . Ulcérée par son mari, à jamais dégoutée de lui, Emma le remet à sa place quand il est pris d’une déambulation comparable à celle d’un prisonnier qui fait les cent pas dans sa cellule. Charles est agité parce que le Dr. Canivet doit effectuer une amputation sur la jambe putride du valet d’écurie. Emma l’accable d’un «Assieds-toi !» qui n’est pas sans nous rappeler le «Reste à ta place» qu’elle lui avait lancé chez le marquis, mais avec cette fois une nuance supplémentaire d’agacement. Cette hiérarchie de l’exaspération parviendra à son sommet lorsque Charles emmènera Emma à l’opéra dans l’espoir de la distraire de son apathie. Pendant la représentation, alors qu’il se risque à un commentaire laconique, elle lui jette un «Tais-toi ! Tais-toi !» sans ambiguïté , ne supportant plus aucune des manifestations vivantes de cet homme.

Quant à l'avant dernière rupture, elle concerne Emma et Léon. Le prolongement de cette relation n’était de toute façon pas possible  et Emma es sentait lasse de cet  amour : "elle était aussi dégoûté de lui qu'il était fatigué d'elle"  . C’est Léon  qui se retire du jeu pour respecter les attentes sociales et prendre la place qui lui revient  Il déçoit Emma lorsqu'il refuse d'emprunter de l'argent pour elle et elle se dévalorise en danseuse de bal masqué; Nous sommes bien loin du bal de la Vaubyessard; lors de ce bal masqué à Rouen, l'aristocratie s'est transformée en "un clerc, deux carabins et un commis" ; Quant aux filles, elle sont toutes "du dernier rang.

La rupture finale sera constituée par l'empoisonnement : Emma a choisi de mettre fin à une existence qui la déçoit sur tous les plans : lorsque le réel lui devient insupportable, elle a pris l'habitude de s'absenter soit par le rêve, soit par l'évanouissement qui la rend provisoirement inaccessible ; cette fois, son agonie marquera une rupture définitive avec son existence; En s'empoisonnant, elle a le sentiment du devoir accompli: "elle en avait fini, songeait-elle , avec toutes les trahisons, les bassesses et les innombrables convoitises qui la torturaient. " Charles , veuf éploré , a du mal à réaliser la rupture avec celle qu'il aimait et il s'efforce d'imaginer "qu'elle était partie en voyage, bien loin, depuis longtemps" . Lors de l'enterrement d' Emma , la présence de son père rappelle son parcours jalonné de ruptures : fille Rouaut, femme de Charles Bovary, mère de Berthe; Emma ne laisse que du malheur derrière elle.Au delà de la mort, Charles continue à s'habiller pour lui plaire comme si elle vivait encore  et il se met également  à la désirer furieusement car son désir était maintenant irréalisable. Il ne se résigne pas à la rupture et la mort seule pourra mettre un terme à sa souffrance de ne plus être avec elle.