janv.11
La Fontaine : le roi des animaux ?
dans la catégorie EAF
Très souvent, lorsqu'on évoque l'univers des Fables, on pense tout naturellement aux animaux humanisés : le loup et sa cruauté, le renard qui déploie mille ruses, et le lion qui entend régner sans partage sur ses courtisans; on va parfois jusqu'à oublier qu'un tiers des fables environ, ne contient pas de figures animales. Bêtes de la ferme ou animaux plus sauvages, on trouve un bestiaire varié dans les Fables ; Les bêtes y sont les seules héroïnes ou partagent la vedette, parfois, avec des humains . Nous pouvons donc nous interroger sur les rôles que jouent les animaux dans la fable : sont-ils des éléments indispensables pour nous faire réfléchir ou de simples amusements pour charmer les enfants ? Pour répondre à cette question, nous montrerons tout d'abord la variété du monde animal et les caractéristiques de leurs portraits . Ensuite nous étudierons le fonctionnement de l'anthropomorphisme . Enfin nous nous pencherons sur la société formée par la gent animale .
Même si la plupart des animaux (une soixantaine ) sont connus des lecteurs, la présence de certains peut nous surprendre . En tant que maître des eaux et forets, La Fontaine a pu observer le comportement de nombreux animaux et ses remarques sont souvent conformes à ce qu'on imagine : ainsi le coq est orgueilleux et monte sur les toits pour chanter sa victoire ( Poule et 2 coqs ) ; le chien tente de rester fidèle à son maître et joue soit les gardiens comme dans Le loup et le chien soit le serviteur du maitre , par exemple comme dans le chien qui porte à son cou le diner de son maitre ; Il se laisse aussi guider sa conduite par la faim, celle qui pousse presque tous les animaux à s'affronter .
Si certains animaux sont des figurants épisodiques et font une ou deux apparitions dans les fables, comme le milan, la souris, les petits poissons, la perdrix, l'araignée , le serpent, l'huître, le léopard , certains semblent jouer un rôle plus important et deviennent des acteurs à part entière. On pense au lion et à ses courtisans : ours et tigres qui incarnent les puissants comme dans Les Animaux malades de la peste ; loups et renards sont comme des frères ennemis, le plus souvent en concurrence et remplissent chacun, aux côtés du roi, des rôles parallèles comme dans le lion, le loup et le renard ; Souvent le fabuliste se sert de différents membres d'une même espèce et il leur prête des caractéristiques semblables comme , par exemple, les oiseaux prédateurs avec le milan, le vautour, qui peut aussi devenir un faucon ou un héron ou un chat-huant ( variante du hibou ) à la recherche de son déjeuner : petits poissons , goujon ou limaçon pour le premier et souris ou belette ou petits lapins pour le second ; ces volatiles s'opposent aux poules, perdrix, canards et autres chapon le plus souvent condamnés à finir mangés .
Les petites bêtes ne sont pas oubliées avec une araignée, une mouche et quelques rats qui vivent en ermite ou même des souris qui subissent des métamorphoses et finissent par épouser des rats ; la Fontaine construit donc un univers animal vraisemblable en respectant le plus souvent la place des animaux cités dans la chaîne alimentaire : certains y sont d'ailleurs, tour à tour, prédateurs et victimes .
Les portraits des animaux sont, eux aussi, conformes à certains éléments naturels qui les rendent reconnaissables : l'éléphant est particulièrement lent et lourd : il est décrit comme une "pesante masse " , le héron possède "un long bec emmanché d'un long cou" et le coq porte une crête ; le loup est "quelque peu clerc " (Animaux malades ) ; le rat vit retiré dans un "fromage de Hollande " ; le lion , en bon prince " à ses sujets étalait sa puissance " ; le peuple vautour a un bec retors et une tranchante serre ; la mouche fait entendre son bourdonnement et le jeune lapin passe sa matinée à brouter et à trotter parmi le thym et la rosée ( chat, belette et petit lapin ) ; en quelques adjectifs, le fabuliste construit un portrait en actions de l'animal et ce dernier s'anime sous nos yeux .
Mais l'une des caractéristiques les plus intéressantes, c'est l' utilisation de l'anthropomorphisme . Les animaux parlent comme dans les modèles antiques des fables et ont des caractéristiques humaines et c'est ce qui contribue au plaisir que nous avons de les découvrir dans les fables : à qui vont-ils ressembler ? à quels types de personnages vont-ils être associés ? Certains sont savants et deviennent professeurs comme le singe qui est qualifié de "maître es arts" dans Le lion Le singe et les deux ânes , et qui va donner une leçon de gouvernement à son monarque ; le lion, lui aussi dans son rôle de monarque justement , écrit des lettres à ses vassaux ; il fait envoyer "une circulaire écriture avec son sceau " pour informer les animaux qu'il tient cour plénière ; certains tiennent de longs discours et se montrent fort convaincants comme le cochon dans la charrette qui l'emmène au marché pour y être vendu et mangé . ( Chèvre cochon mouton ) D'autres se montrent obséquieux comme de véritables courtisans à l'image, une fois de plus du singe dans La Cour du lion. En définitive, seuls leur habitat et leur nourriture les distinguent vraiment des humains que nous rencontrons dans les fables . Lorsqu'ils sont d'ailleurs associés aux hommes, comme par exemple dans Le loup et le chasseur ou dans la fable Le héron la fille , il leur arrive les mêmes mésaventures et la leçon à en tirer, pour les lecteurs, est identique : l'animal et l'humain se comportent de la même manière, commettent les mêmes erreurs . En effet, le fabuliste , non seulement les dote de caractéristiques humaines qu'il mélange avec les caractéristiques animales attendues et il les fait correspondre, ainsi, à des types humains facilement identifiables par le lecteur . L'ours se bouche la narine de dégoût ce qui est une attitude humaine; la lionne rugit de douleur à la perte de son lionceau comme une mère éplorée dans La lionne et l'ourse ; des coqs dans la basse-cour se montrent "incivils et peu galants " comme de jeunes hommes mal polis et mal éduqués dans La perdrix et les coqs. Le fabuliste montre ici avec humour , le jugement d'une princesse étrangère à la Cour qui s'étonne de voir ce peuple cependant fort souvent en furie . Le détour par l'animal permet ici à la satire politique d'être adoucie : on peut ainsi sourire ce ce qui paraît pourtant grave ; en effet, cette perdrix reçoit "d'horribles coups de becs " avant de réaliser que ces ennemis se battent également continuellement entre eux comme "une troupe enragée" ; le terme enragé s'applique, à la fois, à la dimension animale mais en même temps il désigne les humains ; le fabuliste joue ainsi avec la polyvalence de certains qualificatifs qu'il choisit avec soin . Ce procédé d'écriture contribue à renforcer les liens entre la dimension animale et le plan humain.
Ainsi , chaque animal ou chaque représentant d'une espèce animale sera plus ou moins associé au type humain dont le fabuliste dresse un portrait satirique dans les fables; Les courtisans, par exemple, apparaissent sous différents aspects: si les ours et les tigres reflètent simplement les grands seigneurs, puissants pour les uns grâce à leur force physique et pour les autres , grâce à leurs titres, les flatteurs sont représentés par, au moins, trois animaux différents : le renard bien sûr est le courtisan rusé et conscient des dangers de la Cour : il est celui qui se méfie et connaît les usages ; Il manie , pour sa survie, l'art du langage ou l'art du silence selon les cas et triomphe, le,plus souvent, de ses rivaux et de la plupart des animaux qu'il parvient à piéger ; Le loup symbolise l'arriviste prêt à écraser les autres pour se rapprocher du monarque: délateur , il maîtrise également l'éloquence mais son discours est, le plus souvent trompeur et haineux ; Dans Les Animaux malades, il est celui qui anime la foule contre l'âne et contribue à sa pendaison. Le singe est parfois plus habile mais lorsqu'il en fait trop, il subit lui aussi la colère du roi comme dans la Cour du lion. Le léopard représente l'arrogance des seigneurs qui se parent et s'enorgueillissent de leurs titres de noblesse mais ne songent pas à briller par leur esprit. Enfin on pourrait évoquer , également , le fonctionnement de l'ensemble de cette société animale, qui par bien des points, nous tend un miroir de nos sociétés humaines.
Si l'on raisonne maintenant à l'échelle collective, on se rend compte que La Fontaine fabrique un véritable monde animal avec ses forts et ses faibles, ses puissants et ses victimes ; Cette société animale nous permet de mieux comprendre celle des hommes et son fonctionnement ; Tout d'abord, le fabuliste montre l'importance de la nourriture chez les animaux , et de de l'intérêt en général : que ce soit pour avoir la meilleure part ou obtenir une proie que convoitent d'autres prédateurs ,certains animaux déploient toute leur habileté et mettent au point des stratégies , plus ou moins efficaces . Le vieux cormoran au ventre vide qui ne peut plus pêcher car il est devenu aveugle devient un grand démagogue et tient un discours trompeur aux poissons en prétendant "sauver leur République " ( cormoran et poissons ) . Il leur tend un piège pour pouvoir manger : où est le Mal ? Choisir des animaux permet également de nous faire réfléchir à la manière dont nous nous comportons face aux plus faibles. Lorsqu'on évoque les injustices, on pense aussi à la manière d'exercer la Justice dans cette société animale.
Il est fréquent, en effet, que la notion de justice ou de jugement soit convoquée : incapables de résoudre leurs conflits, certains animaux font appel à des juges pour les mettre d'accord . L'âne est sacrifié au terme d'une parodie de procès ; le lapin qui s'est fait voler son terrier se fait manger par le juge , un chat ; le loup qui voudrait être aimé fait le procès de la cruauté des bergers et la couleuvre qui risque d'être tuée par l'homme lui montre à quel point son espèce est cruelle ; A travers tous ces exemples, on mesure l'importance du thème de la justice, à la fois parce que La Fontaine veut dévoiler les injustices constitutives de son époque mais également parce qu'il fait le procès des hommes dont il souligne d'ailleurs, à plusieurs reprises, la cruauté, face au monde animal . L'homme parait , au final, comme la plus cruelle des espèces .
De plus, La Fontaine se sert des animaux, à la fois sur le plan individuel comme nous l'avons montré , mais également sur le plan collectif et philosophique comme d'un instrument puissant au service de son projet satirique d'une part, mais aussi au service de la morale ; Par le biais de l'animal, il dénonce plus facilement ce qu'il entend combattre ou simplement , mettre en lumière et notamment l'impuissance des plus faibles . Petits poissons mangés parce que c'est leur sort, espèces à la merci de leurs prédateurs naturels, comme l'araignée face à l'hirondelle ou la souris face au chat, ils craignent l'homme par dessus-tout; Et surtout, ils ne s'embarrassent pas de morale; En effet, choisir des animaux, c'est montrer la loi de l'instinct : manger ou être mangé ; aucune place pour la gratitude, les cas de conscience, les hésitations; L'animal semble, habituellement, au-dessus de la morale et des scrupules ; Il doit se nourrir et ne porte pas de jugement sur ce qu'il accomplit à l'exception justement du loup devenu philosophe dans Le loup et les bergers : " Un loup rempli d'humanité /(s'il en est de tels dans le monde )/ Fit un jour sur sa cruauté /quoiqu'il ne l'exerçat que par nécessité/, une réflexion profonde " On mesure ici l'écart qui sépare le monde animal du monde des hommes : et le fabuliste utilise justement cet écart pour nous permettre de réfléchir à la manière dont nous nous serions comportés , à la place des animaux ou si nous étions des animaux . Dans Les deux perroquets , le roi et son fils, il joue avec cette fausse ressemblance entre l'animal et l'humain : un roi tue le fils de son perroquet car ce dernier au cours d'un jeu, a blessé l'autre oiseau préféré du fils du monarque, un moineau; Pour venger la mort de son enfant, le père perroquet va crever les yeux du jeune prince provoquant le désespoir de son père, le Roi ; La notion de vengeance est totalement étrangère aux animaux et on voit pourtant ici que le poète l'utilise pour créer une situation d'enseignement moral ; Le vieux perroquet se réfugie alors dans un arbre et "goûte sa vengeance" Lorsque le roi tente de le faire revenir en prétendant oublier "la haine la vengeance et le deuil ", le perroquet se méfie de ce profane langage qui selon lui, sert d'appât et demeure perché dans son arbre car il sait que "la vengeance est un morceau de roi " et il ne croit pas à la sincérité des paroles du monarque.
Pour conclure , l'animal joue un rôle important dans les fables car il nous fait sourire de nos travers et le fabuliste joue beaucoup à nous rapprocher ou parfois à montrer ce qui peut nous séparer ; L'animal, au sein de la fable, est une sorte de médiateur pour que nous comprenions les différences entre nos deux mondes et que nous soyons en mesure de cerner notre humanité..En rendant les animaux humains , le fabuliste nous tend notre image et suscite le jugement moral : ce qui est excusable chez un fauve l'est-il également chez un monarque ? la cruauté est -elle une caractéristique spécifiquement humaine ? le monde des hommes est-il, tout simplement, gouverné par la loi du plus fort ? que peuvent les lois humaines face à nos instincts de prédateur ? et surtout comment se fait entendre la Voix de la Raison à travers ces ces deux mondes ?
Si vous voulez vous préparer efficacement pour l'épreuve de dissertation ou la présentation de l'oeuvre durant l'entretien oral, réalisez une fiche sur laquelle vous notez le plan détaillé de cette dissertation avec le titre des parties, des sous-parties et surtout les fables utilisées en guise d'illustrations; Vous pouvez d'ailleurs vous exercer à en trouver d'autres et à en ajouter à l'intérieur du plan. Pour l'introduction et la conclusion, ne notez que les mots-clés... vous pouvez aussi retenir la liste des animaux présents dans les fables étudiées et les classez en familles selon leurs emplois.