A Une scène de la vie ordinaire

1/ Des personnages ordinaires aux relations stéréotypées 

  • Personnages nombreux sur la scène.
  • Déterminant défini générique qui renvoie à un ensemble, à une catégorie que les personnages représentent : L’épicière…
  • Désignation des personnages fantaisiste : prénoms ou fonction ou désignation vague « Le vieux monsieur »
  • Des rapports de force marqués entre les personnages (sexe/social/ professionnel)

2/ Une dispute entre amis  

io3.jpg
 
  • Discussion autour de thèmes en apparence banals : la routine du travail « Tout le monde travaille […] tous les jours » ; les congés.
  • Ton véhément de Jean qui introduit un rapport agonistique dans la conversation : répétition de « moi aussi », répétition du marqueur d’opposition « pourtant », interjection « que diable !... » ; comparatif de supériorité « mieux que… » ; interrogation rhétorique « seriez-vous une nature supérieure ? » # Négations de Bérenger.
  • Jean est jaloux des relations sociales de Bérenger : ton ironique « Si vous vous en souvenez » et acrimonieux avec la répétition de « notre ami Auguste ? » + interrogations rhétoriques « Y suis-je allé moi ? » = mauvaise foi de Jean marquée par l’absence de logique de sa réfutation. 

 

3/ Une action routinière dans un cadre spatio-temporel réaliste

  • Un café ; une épicerie 
  • « Bonjour, Messieurs que désirez-vous boire ? » 
  • Une identification qui se fait par les lieux et le mode vestimentaire : chapeau mou, canne à pommeau d’ivoire ; petite moustache grise 
  • « La poussière soulevée par le fauve, se répand sur le plateau »➔Il n’y a plus rien à voir : scène peu importante…
  • Réduction de l’importance de la scène : « Il me semble, oui, c’était un rhinocéros »

 

ion1.jpg
ion1.jpg, mar. 2017

B Un événement fantastique

  1. Un événement préparé et prolongé par le hors-scène
  • « A ce moment on entend le bruit très éloigné, mais se rapprochant vite, d’un souffle de fauve et de sa course précipitée, ainsi qu’un long barrissement. » ➔L’action est soustraite aux yeux des spectateurs, seule une bande sonore capte notre attention annonçant un bruit insolite et animal qui reste indéterminé.
  • « Bruits devenus énormes ; bruits de galop d’un animal puissant et lourd ; tout proches ; très accélérés » ➔ maintien du suspens + accroissement de la tension du spectateur et du lecteur à mesure que les bruits se rapprochent.
  • « en provenance de la gauche des "oh ! des "ah des pas de gens qui fuient. La poussière, soulevée par le fauve, se répand sur le plateau » ➔ les didascalies externes indiquent encore que l’événement se résume aux conséquences du passage du rhinocéros. Les spectateurs ne semblent pas le voir, ils ne peuvent que se l’imaginer en entendant les cris d’effroi ou de surprise des personnages qui se trouvent maintenant dans le hors scène côté cour. Mais à la bande sonore s’ajoute ici l’élément visuel de la poussière qui explique sans doute pourquoi le rhinocéros ne paraît pas à nos yeux. Cela accentue le mystère qui entoure cette apparition fugace.

 

2 Un événement inexplicable

  • Onomatopées + Phrases nominales + Modalités interrogative et exclamative ➔ surprise des personnages qui ne s’attendait pas à voir un rhinocéros en liberté.
  • « Oh ! un rhinocéros ! » ➔ caractère insolite de la présence du pachyderme dans une petite ville de province, où il n’y a ni cirque ni zoo.
  • « Les bruits produits par l’animal s’éloigneront à la même vitesse » + « tomber » x2 + « une bouteille se brise » ➔ Un événement fugace et violent. Nous ne savons d’où vient le rhinocéros, il renverse tout sur son passage et d’ailleurs il disparaît aussi vite qu’il apparaît nous laissant dans l’incapacité d’expliquer quoi que ce soit. Rien ne justifie sa présence et sa course effrénée.

3 Un événement bouleversant

  • « Mais qu'est-ce que c'est ? » x2 ; « Oh ! », « ah ! » ; « il remue les lèvres ; on n'entend pas ce qu'il dit » ➔ Cet événement provoque l’incompréhension et le désordre dans les discours des personnages qui devient cacophonique et inaudible.
  • « fait tomber sa chaise » « laisse tomber son panier, ses provisions se répandent sur la scène » ➔ Les objets se renversent comme le laisse entendre les verbes tomber et répandre et manifestent sans doute, de façon symbolique, le bouleversement des personnages qui ne se maîtrisent plus et ne les maîtrisent plus.
  • « Le Vieux Monsieur élégant […] se précipite dans la boutique des épiciers, les bouscule, entre, tandis que le Logicien ira se plaquer contre le mur » ; « des pas de gens qui fuient » ; « Ce que j’ai eu peur ! »➔ L’événement est encore une source d’actions qui traduisent la peur des personnages comme le dénotent les verbes ainsi que la forme exclamative et emphatique de la réplique finale de la ménagère.

C/  Une scène qui révèle l’absurdité des hommes et annonce le tragique à venir

  1. Une existence humaine comique
  • Le comique du langage : répétitions
  • Comique de situation : « Bérenger, toujours indolent » ; « il remue les lèvres ; on n’entend pas ce qu’il dit ».
  • « se lève d’un bond, fait tomber sa chaise en se levant »# « Bérenger, toujours un peu vaseux, reste assis »// « se précipite », « les bouscule », « le logicien ira se plaquer contre le mur du fond » ; « éternue »/ « éternue »/ « se mouche » ➔ Comique de farce

 

2 . Des répliques qui marquent la faillite du langage

  • Impossibilité de s’entendre : « criant presque pour se faire entendre ».
  • Le  sens du mot « devoir » est ramené à son degré le plus bas (décalage entre l’abstrait et le concret)
  • Décalage que l’on retrouve dans les postures des personnages
  • Une parole appauvrie qui se réduit à des monosyllabes
  • Une parole illogique : « et pourtant vous me voyez » conclusion étrange si on ne se réfère pas à la situation d’énonciation et à la gestuelle qui doit accompagner le discours (ici l’absence de didascalies nourrit l’équivocité et souligne l’absurdité d’un logos déraisonnable) // « Tout le monde doit s’y faire. Seriez-vous une nature supérieure ? » // « C’est peut-être justement que vous n’avez pas été invité ! »

 

3. Une existence dont la vacuité semble devoir être comblée par la violence.

  • « Tout le monde travaille […], moi aussi […] je fais tous les jours mes huit heures de bureau » ; « je n’ai que vingt et un jour de congé par an » ➔ sentiment d’asservissement au travail
  • « Et pourtant vous me voyez »➔ l’absence de didascalies qui explique la situation d’énonciation dans laquelle est prononcée cette réplique rend possible l’interprétation philosophique ou ontologique selon laquelle l’existence de Jean et des gens qui lui ressemblent (l’homonymie nous autorise encore cette explication) se réduit à une simple présence sans véritable pensée digne de ce nom.
  • « je ne m’y fais pas, à la vie » ➔ Difficulté de vivre et souffrance de l’homme obligé de supporter sa condition.
  • « bruits forts », « énormes », « Il fonce droit devant lui, frôle les étalages ! », « Viens voir ! », « Tous suivent du regard […] la course du fauve » ➔ Attirance et fascination pour la violence comme le traduisent les jeux de regards et la curiosité des personnages spectateurs de leur propre Histoire. Ce jeu de regard reflète d’ailleurs le public encouragé à réfléchir sur sa position devant la scène mais également devant le théâtre du monde (il s’agit là d’une mise en abyme). Dans ce cadre le rhinocéros serait une manifestation métaphorique des totalitarismes qui sévissent encore après la Seconde Guerre mondiale.

CCL. : Résistance de Bérenger qui agit à contre-courant mais cela est-il dû aux effets encore persistants de ses libations ? Est-il un original ou s’oppose-t-il consciemment aux réactions de la foule ?