En plus de ces trois livres, vous deviez lire un roman en rapport avec le thème du bon sauvage, lire la tragédie classique de Racine, Andromaque et lire un roman de guerre de votre choix ainsi que Le bruit des trousseaux de Philippe Claudel , un récit qui témoigne de l'expérience d'un professeur de français en prison. En tout 7 livres ..

Les textes sont répartis équitablement entre les objets d'étude et les époques : Léry et Montaigne sont humanistes , Racine appartient au classicisme, Voltaire et Diderot aux Lumières ,  Verlaine est un poète symboliste de la fin du dix-neuvième et Apollinaire est un précurseur du surréalisme; Giraudoux  appartient au théâtre moderne  qui a instauré le mélange des genres comme Beckett, Kundera ; Gaudé et Claudel sont des écrivains contemporains. Parmi les documents complémentaires ,  les documents de la séquence consacrée à la question de l'homme et au regard de l'étranger reprennent d'autres textes de Léry et de Montaigne ; chacun des deux humanistes compare les moeurs des Sauvages (Brésiliens pour Léry et Indiens d'Amérique pour Montaigne) à celles des Européens et finissent par en déduire que le mode de vie des sauvages est plus sain, plus naturel que celui des populations civilisées européennes . Les techniques d'argumentation employées sont le face à face et le dialogue rapporté directement ou indirectement  :  le récit d'une tentative de conquête menée par les Espagnols qui se heurte au bon sens des Indiens et à leur clairvoyance peut nous faire sourire et les réflexions des sauvages sur le mode de gouvernance de la France (dirigée par un enfant selon les préceptes de la monarchie héréditaire) également. Quand à Diderot, il se lance, par la voix fictive du Vieux Tahitien dans un réquisitoire contre les méthodes des colonisateurs et démontre en utilisant à la fois la conviction (arguments logiques ) et  persuasion (arguments qui reposent sur les sentiments ) que les Tahitiens ont raison de se défendre contre le pillage de leur terre. 

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Voltaire quant à lui, utilise le regard de l'étranger dont il fait le héros de son conte philosophique , pour critiquer indirectement les vices de son époque : il dénonce tour à tour les dogmes catholiques qui dénaturent selon lui l'esprit d'une religion qu'il souhaiterait naturelle (il est déiste), les conflits religieux qui appauvrissent le royaume et provoquent l'exode des familles protestantes et de leurs biens, la justice corrompue qui condamne sans véritable procès et l'orgueil des français qui se croient supérieurs aux anglais , par exemple (Voltaire est anglophile) . Grâce à cet apologue qui mêle divertissement et instruction, Voltaire poursuit inlassablement ses combats contre l'infâme . Mais Voltaire a également utilisé d'autres formes argumentatives comme le pamphlet avec De l'horrible danger de la lecture où il imagine un tyran dans un pays imaginaire qui, au moyen d'un texte de loi ,  dénonce les dangers d'apprendre aux gens à lire. Avec ironie, il montre en réalité les bienfaits de la lecture qui permet, grâce à la diffusion des connaissances de lutter contre l'obscurantisme . Il collabore également à la réalisation des articles de L'Encyclopédie ( article Guerre )  et écrit un Dictionnaire Phlosophique où il définit des mots importants comme Préjugés et Torture , toujours en utilisant son ironie parfois mordante .Il démontre ainsi que l'homme doit apprendre à se débarrasser de ses préjugés car ce sont des idées toutes faites et qui ne sont pas élaborées par une opération intellectuelle. L 'oeil de l'étranger ou son regard deviennent ainsi des techniques d'argumentation indirectes utilisées par les auteurs pour élaborer une critique souvent satirique des moeurs de leurs contemporains. Ces procédés peuvent être employés au sein de contes philosophiques (Candide, Zadig, L'Ingénu ), de romans épistolaires comme Les lettres Persanes , de pamphlet , d'articles, d'essais , de fables, de réquisitoire

L'argumentation est également présente sur scène dans l'écriture théâtrale : les personnages peuvent devenir les porte-paroles des idées défendues par l'auteur qui organise ainsi des débats d'idées , des confrontations ; Ainsi dans La Guerre de Troie n'aura pas lieu, Andromaque  et Priam représentent chacun les positions pacifistes et bellicistes qui s'affrontent . La pièce dans son ensemble, montre des échanges argumentés à propos de la guerre : doit-on s'y résoudre et pourquoi ? existe-t-il de bonnes raisons de faire la guerre ? En reprenant un mythe , Giraudoux, sur scène, donne à voir indirectement  la menace d'une seconde guerre mondiale . Le recours au mythe permet ainsi cette distanciation qui garantit selon les théories de Brecht l'efficacité du spectacle théâtral. En effet, la parole théâtrale n'est pas uniquement formée de mots : elle fait entendre et représente les événements ; la parole y est souvent action et les répliques des acteurs sont accompagnées de didascalies qui facilitent la mise en scène du texte. Le metteur en scène ou scénographe travaille à partir de l'espace scénique : il règle le jeu des acteurs, l'éclairage du plateau, les déplacements , la sonorisation du plateau . Le théâtre est le lieu de la double énonciation et les dramaturges érigent un mur invisible, le quatrième mur ,  entre le public et les acteurs. Différents artifices comme l'aparté, le témoin caché, la scène de retrouvailles, le quiproquo, le déguisement, permettent de rendre le spectacle plus vivant. L'histoire du théâtre repose sur la distinction entre comédie  et tragédie; celle-ci obéit à des règles précises (trois unités , bienséance et vraisemblance ) La création du drame va modifier  cet état de faits  avec le drame bourgeois et ensuite le drame romantique (1827 préface de Cromwell de Hugo ) Le vingtième- siècle entérine le mélange des genres avec Ionesco, Beckett et Kundera . Les documents complémentaires évoquent tous des disputes sur scène entre des personnages : leurs affrontements peuvent avoir une tonalité comique ou plutôt dramatique.Les extraits de la pièce ont tous un rapport avec la menace de la guerre : Andromaque et Priam débattent affectueusement mais sont opposés idéologiquement ; Hector prononce un discours aux morts qui peut sembler provocateur et qui, tout en s'inspirant de la rhétorique oratoire classique, ne ressemble pas aux hommages aux soldats disparus. Quant au dénouement de la pièce , il nous réserve de nombreux rebondissements et fonctionne sur l'art du coup de théâtre. Giraudoux parodie les règles de la tragédie avec un mort bien bavard sur scène et les derniers mots de Cassandre viennent faire écho au titre. 

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Le roman quant à lui aborde aussi le thème de la guerre mais cette fois, nous ne nous situons pas à la veille d'une guerre : nous sommes plongés au coeur de la guerre. En effet, la guerre est un éternel sujet d'inspiration pour tous les genres littéraires et elle est particulièrement spectaculaire au cinéma comme dans Un long dimanche de fiançailles où les dix premières minutes du film  montrent la lente progression dans les tranchées de 14/18, sous une pluie battante , de 5 soldats condamnés à mort pour avoir tenté de se soustraire aux combats en se mutilant volontairement . Spielberg lui, a choisi l'angle du souvenir et de l'émotion dans Il faut sauver le soldat Ryan. Il dévoile d'abord , 50 ans après la guerre, le retour sur les lieux du débarquement en Normandie, d'un soldat américain entouré de sa famille; Avant d'enchaîner avec la violence et le réalisme des scènes de combat qui tentent de retranscrire l'horreur du débarquement et la peur des hommes. Le prix nobel de littérature , une journaliste russe, tente  de comprendre ce qui différencie les hommes et les femmes confrontés à la guerre . Avec le personnage , en partie autobiographique de Bardamu, le romancier et ancien combattant blessé en 1916, Louis Ferdinand Céline , nous fait partager le point de vue d'un poilu qui montre l'abomination de cette guerre durant laquelle les officiers se changent en monstres. Japrisot lui , montre à quel point le personnage de Maneck est touché par l'explosion d'un obus qui tue son compagnon d'armes. Le récent prix Goncourt Pierre Lemaître a imaginé , dans Au revoir là-haut une scène d'ouverture peu banale à son roman sur 14/18. Un soldat qui découvre que son lieutenant a abattu un homme en lui tirant dans le dos pour faire croire à un coup des allemands, va se retrouver enterré vivant. Albert va finalement s'en sortir vivant mais métamorphosé. 

Gaudé tente , à sa manière, de faire entendre les cris des hommes au coeur de la mêlée : cris de douleur, de colère , de folie, d'horreur , de désolation . Chaque personnage du roman incarne une voix et ces différentes voix dialoguent entre elles, se suivent et se succèdent, se mélangent pour décrire une scène qui , par ce procédé polyphonique, se démultiplie sous nos yeux. La réalité devient ainsi mouvante et sujette à caution . Les personnages incarnent , en chair et en os, des attitudes de l'homme au sein des combats : Barboni est à la fois héroïque et détestable ; il se signale par une agressivité vengeresse, sombre peu à peu dans la folie sous le choc de l'assaut , prie Dieu ou le maudit et se sacrifie pour sauver ses camarades ou se suicide pour mettre un terme à ses souffrances; chacun de ses gestes est l'objet de plusieurs interprétations contradictoires parfois. Jules joue un rôle central dans le récit : il met en abyme la figure de l'écrivain car de soldat et témoin, il se transforme en artiste-sculpteur; Il est celui qui permet le devoir de mémoire mais il est aussi celui qui a déserté, abandonné son poste et les voix qui le poursuivent sont celles de ses camarades qu'il a laissés sur le champ de bataille. M,Bossolo possède toutes les qualités d' un héros  épique , valeureux et qui a le sens du devoir. Il est le sauveur inespéré de Ripoll et met toute sa force et son énergie au service de sa mission mais il garde en lui un instinct sauvage qui l'apparente à un animal féroce. 

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A l'origine , le personnage de roman endosse l'idéologie de la classe dominante : chevalier durant le Moyen-Age, il se transforme en noble aristocrate et honnête homme au siècle classique, en philosophe et voyageur sous les Lumières et ce n'est qu'au dix-neuvième siècle, âge d'or du genre romanesque, que les héros se diversifient de manière notable , pour représenter chaque classe sociale. Marginaux, jeunes provinciaux pauvres et ambitieux arrivent à Paris dans l'espoir de gravir les échelons de la société; Si certains y parviennent comme Bel-Ami de Maupassant,  ou Rastignac de Balzac , d'autres demeurent prisonniers de leur milieu comme les ouvriers de Zola et les étudiants ratés de Flaubert. Le roman réaliste s'efforce de donner au lecteur l'illusion de la réalité et multiplie les petits détails vrais dans les portraits exhaustifs de ses personnages. Au siècle suivant, les personnages sont attaqués et se réduisent à de simple noms ou sont devenus étrangers au monde comme l'antihéros de Camus dans L' Etranger. Les romanciers d'aujourd'hui ont remis les personnages au centre de leurs fictions mais ces derniers sont devenus multiples et se singularisent souvent par la quête de leurs origines. Dans Cris, les personnages ont une identité mais surtout une voix particulière ; ils ne prennent pas la parole; Le narrateur transcrit leurs paroles  comme de longs monologues intérieurs; Le lecteur a ainsi la sensation d'être immergé dans leurs pensées. A travers eux, nous vivons la guerre et son cortège de sensations .

Autre défi pour le poète cette fois: traduire les sensations et les sentiments liés à l'emprisonnement : Verlaine a été enfermé durant deux ans en Belgique pour avoir tenté de tuer Arthur Rimbaud et il retirera de cette expérience douloureuse une forme de Sagesse ; Il décrit une promenade triste de prisonniers dans la cour et sous le préau et mêle notations réalistes et images de l'enfermement. De plus, il porte un regard désabusé sur le fonctionnement du système carcéral qui abrite toutes les victimes de la pauvreté . Apollinaire lui aussi  a séjourné en prison mais pour une durée plus courte : pendant quelques jours, accusé de recel d'objets d'art, il a été un numéro d'écrou à la prison de la santé. En alternant les tonalités   et en variant la construction de ses strophes, il compose une sorte d'élégie qui peint l'ennui de l'univers carcéral et la nostalgie de la liberté. Il tourne en rond comme une bête en cage et se plaint amèrement. La troisième expérience carcérale décrit un voyage vers les camps de la mort : un prisonnier étouffé dans un wagon à bestiaux,  nous fait partager sa souffrance à chaque secousse du train: la soif, la promiscuité, la peur aussi, faisaient partie du voyage épouvantable de ces prisonniers qui pour beaucoup, n'arriveront jamais à destination vivants ; Le poète réussit pourtant à s'évader momentanément grâce au pouvoir des mots et des images : celles d'une eau fraîche dont il rêve tant. Daumal lui a imaginé un poète incarcéré qui va être exécuté car il a écrit une chanson  qui condamne l'invasion de son pays. Il  a le droit avant de mourir de prononcer devant le peuple un dernier poème : il cherche alors dans sa prison les mot magiques qui lui permettront  de s'en sortir mais il ne  trouve pas les mots. Il se figure que mot qu'il prononcera  aura le pouvoir de changer le monde et sera pour tous une révélation. Daumal pose le problème du pouvoir des mots en général et du pouvoir de la poésie en particulier : que peut la poésie concrètement  face à une guerre ou à un massacre ? Ecrire est-ce agir ? La parole poétique doit être une parole qui mène à la paix et à la vérité

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Dès les origines, les poètes se sont rangés dans deux camps : les partisans de l'engagement comme  D' Aubigné, Hugo, Eluard, Aragon, Daumal , Césaire, Senghor et ceux qui refusent de mêler art et politique comme la Pléiade, les Parnassiens , les partisans de l'Art pour l'Art, Baudelaire, Musset. Ce clivage perdure l'intérieur de  toutes les époques et à l'intérieur parfois d'un même mouvement, comme le romantisme ou le surréalisme . Au cour sue l'Histoire, lorsque les événements l'exigent , certains artistes mettent leur poésie au service d'une cause qu'ils veulent défendre comme par exemple les poètes de la Résistance à partir de 1940 en France . Cassou, Eluard, Desnos, Soupault , Char ont alors délaissé leurs jeux surréalistes et aplani leurs divergences politiques pour s'engager dans la résistance ; Certains y connaitront d'ailleurs la prison, le maquis ou la déportation et la mort.