fév.06
Charles Pépin: la joie ...
dans la catégorie le livre du mois
Albert Camus fut connu du grand public pour avoir écrit l'Etranger , un roman dont le héros n'a justement absolument rien d'un héros au sens où la plupart des gens l'entendent. La citation liminaire du récit crée un horizon d'attente : "la joie annonce toujours que la vie a réussi,qu'elle a gagné du terrain, qu'elle a remporté une victoire: toute grande joie a un accent triomphal " que les événements narrés vont s'empresser de déjouer , ou plutôt de rejouer.
Avec ce court roman au titre qu'on pourrait penser ironique : La joie, Charles Pépin a choisi lui aussi un personnage central hors du commun . Charles , en effet, n' a rien de joyeux et sa vie ne prête ni à sourire , encore moins à rire. Au fur et à mesure du roman, le lecteur a impression de s'enfoncer au creux d'une tempête qui gronde sans jamais éclater . Charles aime la vie te la vie ne l lui rend pas forcément ; Au début du récit il conduit avec "ce bonheur dans mes muscles, cette chaleur dans mon sang " sous le soleil de septembre qui réchauffe les coeurs; il s'apprête à rendre visite à sa mère à l'hôpital qui se bat contre le cancer qui la ronge.
Alors qu'il se gare sur le parking du centre hospitalier il observe "une petite fleur violette, éclose dans une fêlure du bitume"; le médecin lui annonce que ce n'est plus qu'une question de jours et son banquier que son prêt est refusé..pourtant, quelques heures plus tard , accoudé au comptoir , il savoure son express et il "se sent traversé d'une force nouvelle, un plaisir d'exister qui donne envie de chanter " . fair un footing, marcher à vive allure lui ont souvent permis de dissiper ses maux mais la peine de son père et de son frère alourdissent encore son propre chagrin ; avec Louise sa maîtresse , il a parfois l'impression de ne pas savoir s'il veut avoir un enfant avec elle ou poursuivre sans elle ..après la mort de sa mère , il organise l'enterrement seul et décide d'emprunter de l'argent à un vieil ami corse qu'il soupçonne d'être mêlé à des opérations plus ou moins louches .
Lors d'une altercation avec une bande de jeunes des cités qui l'ont racketté quelques temps auparavant , il se retrouve avec le flingue d'Ange son ami corse et soudain tire
dans le tas : " je tire pour éteindre le tumulte et je sais qu'il n'y aura plus jamais de silence " (p 69) ; La seconde partie du roman raconte son séjour en prison et ses passages au tribunal où il comparait pour meurtre: le portrait qui est fait de lui ne correspond pas vraiment à la réalité que le lecteur a pu percevoir; "peu à peu je m'absente " pense l'accusé au milieu des plaidoiries et des réquisitoires; Il se dit prêt à payer mais refuse cette mise en scène au tribunal ; sous cet angle, il fait vraiment penser à l'Etranger de Camus. L'avocat le soupçonne d'avoir voulu se venger en tuant Rédoine; ils évoquent la colère liée à la mort de sa mère et cherchent à comprendre pourquoi il est devenu un meurtrier alors qu'il était un bon fils et un ami sincère . Dans sa cellule, il tente de retrouver des moments de joie : " on peut se replier dans sa vie intérieure mais à condition de n'avoir que soi comme souci ", d'être en paix avec son passé et de profiter des quelque rares moments de bonheur en prison et ensuite en centre psychiatrique : un rayon de soleil, une plante qui pousse; il décide de s'évader en sautant par la fenêtre et part finalement rejoindre le vol des oies sauvages : "soudain elles sortent des nuages et c'est comme un triomphe, une marche que rien n'arrête ." Une vie brisée par les préjugés et l'incompréhension des bien pensants...