Les sources :  cinéma muet et romans épiques [...] je dois dire que bien des années plus tard, les films de Charlot, de Dreyer, d'Eisenstein ont eu, en réalité, beaucoup plus influence sur mon goût sur mon style que l'apprentissage littéraire contemporain ; après, bien entendu, les lectures épiques de l'adolescence, Shakespeare et Dostoïevsky.[...] 

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Le cinéma comme un retable : personnages sur fond

Mon goût cinématographique n'est pas d'origine cinématographique, mais pictural. Les images, les champs visuels que j'ai dans la tête, ce sont les fresques de Masaccio, de Giotto - les peintres que j'aime le plus, avec certains maniéristes (comme, par exemple, Pontormo). Je n'arrive pas à concevoir des images, des paysages, des compositions de figures, en dehors de ma passion fondamentale pour cette peinture du Trecento, qui place l'homme au centre de toute perspective. Quand mes images donc, sont en mouvement, elles sont en mouvement un peu comme si l'objectif se déplaçait devant un tableau: je conçois toujours le fond comme le fond d'un tableau, comme un décor, c'est pour cela que je l'attaque toujours de front. Et les figures se déplacent sur cette toile de fond de façon toujours symétrique, à chaque fois que c'est possible : gros plan contre gros plan, panoramique-aller contre panoramique-retour, rythmes réguliers (ternaires, si possible) des plans, etc. Il n'y a presque jamais de montages gros plans / plans généraux.[...] 

Je ne peux pas être impressionniste. Ce que j'aime c'est le fond, pas le paysage. On en peut pas concevoir un rétable avec des figures en mouvement. Je déteste le fait que les figures se déplacent. Et donc aucun de mes cadrages ne peut commencer par le "champ", c'est-à-dire le paysage vide. Le personnage, même tout petit, sera toujours là. [...] 

 Le choix des acteurs [...] Personnellement, j'utilise des acteurs professionnels et des non professionnels. Dans la pratique, j'ai le même comportement vis-à-vis des uns et des autres: je les prends comme ils sont, sans égards pour leur habileté. Un non-professionnel, je le prends pour ce qu'il est. [...]  Naturellement, dans cette opération le professionnel apporte sa conscience et sans doute également une certaine forme d'opposition à n'être utilisé que pour ce fragment de réalité qui est en lui. Bien souvent, il ne l'accepte pas, résiste, etc… Mais, dans sa substance, la résultante expressive, à la fin ne tient pas compte de ce que l'acteur professionnel, par son métier, apporte, mais seulement de ce que cet acteur est, y compris en tant qu'acteur. Quand je dis que je prends la personne pour ce qu'elle est, je veux dire, avant tout, en tant qu'être humain. [...] 

 Une poésie de la caméra : la langue de la poésie est celle où l'on sent la caméra, de même que dans la poésie proprement dite on sent immédiatement les éléments grammaticaux en fonction poétique ; alors que dans la langue de la prose on ne sent pas la caméra, c'est-à-dire qu'en effet on ne sent pas l'effort stylistique comme exprimé, que la présence de l'auteur n'y est pas apparente.[...]

Dans la technique même du cinéma, dans le fait brut de filmer lui-même, il reste ce sédiment - éliminable, comme dans le mot, où nous y sommes habituées depuis des siècles et:ou où il nous échappe - que j'appellerai limite du contraire : dans l'image comme dans le mot il y a la même limite : la limite du concret sensible (concreto sensibile) ; mais dans le mot il y a même temps que ce concret sensible, une signification symbolique ou abstraite [...] 

Alors l'auteur a besoin d'emprunter le prétexte de ce que j'appelle le discours libre indirect soggettiva libera inderetta), c'est-à-dire qu'il fait de l'état d'âme et des dominantes psychologiques de son personnage dans le film le prétexte de son angle de vision du monde. Mais il y a aussi des films faits directement à la première personne, où le discours libre indirect n'existe pas, où l'auteur ne voit pas le monde à travers ses personnages mais raconte à la première personne. Par exemple, l'histoire de sa propre enfance : auquel cas les déformations stylistiques ne sont pas en fonction du mode de discours indirect, mais sont celles par exemple de la mémoire. Là, le second film, le film "non fait", est au contraire fait. [...] 

Il est inévitable que dans le "cinéma de poésie", le récit tende à disparaître (il faut peut-être alors faire l'identification récit-spectacle). Il est clair que dans le cinéma de poésie, l'auteur tend à écrire des poésies, des poésies cinématographiques et non plus des récits cinématographiques. Il y a alors valorisation de la poésie, jusqu'ici poésie de la forme et du style. Le "cinéma de poésie" a pour fin dernière d'écrire des récits où le protagoniste est le style, plus que les choses ou les faits. [...] 

Une visions religieuse du monde ? 

[...] Le cinéma c'est la reproduction de le langage naturel de la réalité.

C'est la langue écrite de la langue naturelle de l'action humaine. [...] 

Alors, si le cinéma et simplement la langue écrite de la langue de la réalité, quand on fait la sémiologie du langage cinématographique il faut qu'on fasse en même temps la sémiologie de la réalité.[...] 

J'ai tourné avec beaucoup de simplicité.

Des gros plans, très peu de mouvements de caméra : mais ça, un peu pour pouvoir le faire, parce que je ne connaissais rien de la technique. Je ne connaissais pas le mot panoramique. Je ne savais pas qu'il existait des objectifs divers. La raison de la simplification, ce n'est pas la lutte avec la technique. C'est une raison plus profonde. Et c'est ma façon de voir la réalité comme une apparition sacrale. Et la sacralité c'est très simple. [...] 

Donc pour moi, mon intérêt pour le sous-prolétariat, c'est-à-dire pour une humanité pré-industrielle, encore archaïque, rurale, religieuse, n'est pas une simple curiosité d'écrivain, de poète, ou de touriste, mais une nécessité historique de l'Italie elle-même.[...]

je cherche aussi la tension. J'ai dit plusieurs fois ici que j'ai une vision religieuse du monde et quand je dis une vision religieuse des choses et des personnages, je veux dire que mon rapport avec la réalité a toujours cette tension. [...] 

Quelques jugement qui pourront vous éclairer certaines interprétations du cinéma de Pasolini .

Le cinéma de Pasolini n'est donc pas un cinéma de la révélation, au sens rossellinien ou bazinien, mais un cinéma condamné à buter sur la sacralité du gros plan, du visage, du détail dilaté. [...] 

pp.57-62 Jean-Claude BIETTE, "Dix ans, près et loin de Pasolini" (enregistré en février 1981 par Serge Daney et Alain Bergala):

[...] C'est quelqu'un qui n'a jamais considéré les acteurs comme étant des intermédiaires pour obtenir une représentation. Dans la mesure où, pour lui, ce qu'il filmait c'était la réalité (ce qu'il a longuement expliqué dans ses textes sur le cinéma), à partir de cette foi cinématographique, les gens qui sont filmés par lui ce sont les gens de la réalité ; donc il est vis-à-vis d'eux comme dans la vie, en dehors d'un tournage. Il ne fait pas de différence. Il s'agissait pas évidemment pas de naturalisme. [...] 

Je pense que la grande force du cinéma de pasolinien vient avant tout de son génie du casting. 

Quand il arrivait sur le lieu du tournage, la scène n'était pas découpée, tout était dans sa tête, il avait le scénario à proximité et il se référait tout le temps aux indications des actions qu'il voulait filmer, mais la manière dont ça allait être filmé n'était pas écrite sur le scénario, autant que je me souvienne. Il tournait la scène avec plusieurs focales, mais le plus souvent du même axe, avec des grosseurs différentes, et il choisissait au montage, en fonction de l'impression visuelle, en fonction de l'expression dégagée à tel moment par l'acteur, en fonction aussi de ce qu'il apercevait comme direction stylistique d'ensemble du film. Il faisait assez peu de prises. [...] 

Son cinéma est une sorte de point de jonction entre la peinture et la poésie, le cinéma n'est qu'une technique qui permet cette jonction, mais tout ce qu'il y a dans ses films excède le cinéma, ça déborde et ça devient des films; Il produit un point de jonction entre des choses visées par la peinture italienne une certaine époque et d'autres choses visées par la poésie. [...] 

pp.65-66 Sergio CITTI, "Tout est style":

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pp.93-94 Luciano de GIUSTI, "Le cinéma de la réalité" :

[...] La réalité que cherche Pasolini est celle, irrémédiablement perdue, de l'enfance. La réalité des rapports humains authentiques de la civilisation paysanne s'est éteinte sous les attaques de la consommation et du mercantilisme total imposé par la bourgeoisie néo-capitaliste à travers le pouvoir le plus fasciste dont l'histoire ait gardé le souvenir. Les "hommes humains" une fois disparus, l'irréalité triomphe. Tel un obsédé, Pasolini est à la recherche de la réalité perdue, comme un amoureux fou d'amour.[...] 

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