On ne peut que noter que l’auteur le dote d’un physique qui le prédispose à la satire dont il sera l’objet« la figure rubiconde et le corps athlétique » / L’aubergiste, le présente comme quelqu’un qui « en plierait quatre comme (Homais) sur son genou. Il a, l’année dernière, aidé nos gens à rentrer la paille; il en portait jusqu’à six bottes à la fois tant il est fort »: donc plus de force physique que spirituelle.Son physique le stigmatise d’emblée comme un être défaillant et emblématique de la bêtise, mais aussi avide de plaisirs terrestres. On note à la fin de la partie II qu’il trinque quotidiennement au bon rétablissement d’Emma avec un verre de cidre.

– idée selon laquelle il est en osmose avec la bêtise du lieu: chap 2, partie II, Homais évoque en effet une bourgade campagnarde dans laquelle la médecine et la science ont peu de poids face aux croyances. Dans ce contexte de la superstition, il constitue un duo antithétique avec Homais . Le terme « curé » employé souvent en lieu et place de « prêtre » a une connotation quelque peu péjorative, ce qui se trouve renchérie par la périphrase « le vieillard à soutane ».

Il intervient peu dans le roman mais souvent à des moments clés.

– scène du baptême: il s’indigne lorsque Charles baptise sa fille avec du champagne: parodie sacrilège du premier des sacrements.

– chap 6 partie II: Emma lui rend visite sur son territoire, l’église, et s’entretient avec lui. C’est l’occasion de constater que malgré sa stature imposante et son statut, Bournisien ne parvient pas à se faire respecter par les gamins du village. Il s’emporte et fait montre de violence « distribua sur tous une grêle de soufflets »/. C’est un gourmand à la tenue négligée « Des taches de graisse et de tabac suivaient sur sa poitrine large la ligne des petits boutons, et elles devenaient plus nombreuses en s’écartant de son rabat, où reposaient les plis abondants de sa peau rouge; elle était semée de macules jaunes qui disparaissaient dans les poils rudes de sa barbe grisonnante. Il venait de diner et respirait bruyamment. »

Il n’est alors d’aucun réel secours pour Emma et s’impose comme un homme d’Eglise défaillant

Ce « médecin […] des âmes » (p.120), comme il se qualifie, faillit à sa mission.

– Il recourt à des formules toutes faites, des clichés, des sentences. « Enfin! que voulez-vous nous sommes nés pour souffrir, comme dit saint Paul. » impression d’un automatisme aux allures comiques puisque Bournisien de réfère à saint Paul qui évoquait des douleurs spirituelles pour évoquer des peines physiques ».

Flaubert orchestre un quiproquo : lorsque la jeune femme veut parler de sa souffrance morale et s’adresse à lui, il n’entend le mot « souffrance » que dans son acception physique, les peines terrestres. « — Comment vous portez-vous ? ajouta-t-il. — Mal, répondit Emma ; je souffre. — Eh bien, moi aussi, reprit l’ecclésiastique. Ces premières chaleurs, n’est-ce pas, vous amollissent étonnamment ? Enfin, que voulez-vous ! « / « c’est la digestion, sans doute? ».

– on perçoit l’ironie de Flaubert dans le contraste ménagé entre l’attitude du prêtre et ses propos: « Car nous sommes certainement, lui et moi, les deux personnes de la paroisse qui avons le plus à faire. Mais lui, il est médecin des corps, ajouta-t-il avec un rire épais, et moi, je le suis des âmes! »

On retrouve Bournisien au chap 11 de la partie II, au chevet d’Hippolyte. Ironie de Flaubert lorsque ce dernier, devant les horribles souffrances du jeune homme, explique qu’il faut s’en réjouir « puisque c’était la volonté du Seigneur » et « profiter vite de l’occasion pour se réconcilier avec le ciel. »/ Critique de son ton paternaliste et de ses propos qui n’ont rien de réconfortant. On ne peut que percevoir le décalage entre les douleurs et les propositions de prières: « Qu’est-ce que ça coûte? ». Bournisien ne semble pas persuadé lui-même des bienfaits de ces prières .Sa défaillance est en outre soulignée par les bavardages et les rires qu’il échange avec l’aubergiste les jours suivants au lieu de tenter de soulager le malade.

Il exerce sa religion et sa mission à la manière d’un automate hypocrite: « dès que la circonstance le permettait, il retombait sur les matières de religion, en prenant une figure convenable. ». Il donne l’impression d’exercer son sacerdoce machinalement, sans vraiment comprendre ou maîtriser le sens de ses prières. Il semble parfois jouer un rôle.

Sa réponse spirituelle n’est pas adaptée lorsqu’il rend des visites quotidiennes à Emma après la trahison de Rodolphe: « C’était à cette heure-là que M. Bournisien venait la voir. Il s’enquérait de sa santé, lui apportait des nouvelles et l’exhortait à la religion dans un petit bavardage câlin qui ne manquait pas d’agrément. La vue seule de sa soutane la réconfortait. » La description de la crise mystique d’Emma, empreinte d’une forte sensualité, témoigne d’une confusion chez elle entre sentiment religion et plaisir sensuel. C’est une façon pour l’auteur de signifier l’échec de Bournisien qui est par ailleurs si aveuglé qu’il s’émerveille des dispositions d’Emma alors qu’elle frisait « l’hystérie et même l’extravagance. »Au fil de la narration, nous ne pouvons que constater combien Emma est déçue par les secours de la religion. Ceci trouve son paroxysme finalement lorsqu’elle retrouve Léon dans la cathédrale de Rouen.

Il forme ainsi  un duo grotesque avec Homais au service de la satire:

A travers ce personnage, Flaubert dénonce certes certains travers de la religion, mais il s’attaque surtout à la bêtise.

– l’anticlérical [Homais] et la figure du clergé [Bournisien] sont l’objet de la satire de Flaubert pour leur égale bêtise. Ils lui apparaissent comme des concentrés de bêtise. Chacun est le faire-valoir de la bêtise de l’autre .

– Ceci est perceptible dans leurs disputes perpétuelles, jusque devant la dépouille funéraire d’Emma.

– Homais ridiculise les valeurs des Lumières et le scientisme en prétendant les défendre tandis que Bournisien, avilit le christianisme qu’il est censé représenter.

– il s’illustre par un manque d’intelligence, un défaut de réflexion et des propos vides ou reposant sur des clichés. Ainsi est-il sourd à la demande d’Emma et débite des banalités sur la misère.

Flaubert met en scène une série de querelles au sein du roman:

– Une première opposition arbitrée par Mme Lefrançois qui prend « la défense de son curé » en l’absence de ce dernier: « Vous êtes un impie ! vous n’avez pas de religion ! », réplique, scandalisée, l’aubergiste au pharmacien qui vient de suggérer que la force physique de l’ecclésiastique est un danger pour les… filles ! « Envoyez donc vos filles en confesse à des gaillards d’un tempérament pareil ! Moi, si j’étais le gouvernement, je voudrais qu’on saignât les prêtres une fois par mois. » Et l’anticlérical de pontifier : « 

– La controverse au sujet du théâtre : « Le théâtre, prétendait-il [Homais], servait à fronder les préjugés, et, sous le masque du plaisir, enseignait la vertu. — Castigat ridendo mores, monsieur Bournisien ! » Réponse de Bournisien : « si l’Église a condamné les spectacles, c’est qu’elle avait raison ; il faut nous soumettre à ses décrets. »

. Il reprend à son compte le discours usuel tenu sur le théâtre comme l’indique la formule « Telle est du moins l’opinion de tous les Pères » ou le recours à l’argument d’autorité « si l’Eglise a condamné les spectacles, c’est qu’elle avait raison. » Une telle remarque suggère qu’il débite ces paroles sans réfléchir par lui-même et sans exercer son esprit critique. Son discours est de l’ordre des idées reçues. Il supporte d’ailleurs peu la contradiction et la discussion et se montre impatient ou farouche ce qui constitue une preuve d’intolérance surprenante pour un homme d’Eglise.

– Enfin on peut considérer les échanges virulents durant l’agonie d’Emma comme l’apothéose de la bêtise. Tout d’abord Homais reprend un topos et compare les prêtres à des corbeaux qu’attire l’odeur des morts. Au chevet de la mourante, puis de la morte, ils ne songent qu’à débattre et se chamailler, totalement oublieux du contexte qui les réunit. Chacun est sourd au discours de l’autre et ils finissent par s’endormir. « — Ils s’échauffaient, ils étaient rouges, ils parlaient à la fois sans s’écouter ; Bournisien se scandalisait d’une telle audace ; Homais s’émerveillait d’une telle bêtise ; et ils n’étaient pas loin de s’adresser des injures ». A

Au terme de la veillée funèbre, ils se laissent aller aux plaisirs terrestres : « puis ils mangèrent et trinquèrent, tout en ricanant un peu, sans savoir pourquoi, excités par cette gaieté vague qui vous prend après des séances de tristesse ; et, au dernier petit verre, le prêtre dit au pharmacien, tout en lui frappant sur l’épaule : — Nous finirons par nous entendre ! ».

A la parution de son roman Flaubert fut accusé d’outrage aux bonnes moeurs et à la religion. A la lecture de son réquisitoire, on ne peut que constater que le procureur Pinard avait bien perçu l’enjeu d’un personnage comme Bournisien.

Le réquisitoire du procureur Pinard

Extrait du réquisitoire :

« Je soutiens que le roman de Madame Bovary, envisagé au point de vue philosophique, n’est point moral. Sans doute madame Bovary meurt empoisonnée ; elle a beaucoup souffert, c’est vrai ; mais […] elle meurt après avoir eu deux amants, laissant un mari qui l’aime, qui l’adore, qui trouvera le portrait de Rodolphe, qui trouvera ses lettres et celles de Léon, qui lira les lettres d’une femme deux fois adultère, et qui, après cela, l’aimera encore davantage au-delà du tombeau. Qui peut condamner cette femme dans le livre ? Personne. Telle est la conclusion. Il n’y a pas dans le livre un personnage qui puisse la condamner. Si vous y trouvez un personnage sage, si vous y trouvez un seul principe en vertu duquel l’adultère soit stigmatisé, j’ai tort. Donc, si dans tout le livre, il n’y a pas un personnage qui puisse lui faire courber la tête, s’il n’y a pas une idée, une ligne en vertu de laquelle l’adultère soit flétri, c’est moi qui ai raison, le livre est immoral !

Serait-ce au nom de l’honneur conjugal que le livre serait condamné ? Mais l’honneur conjugal est représenté par un mari béat, qui, après la mort de sa femme, rencontrant Rodolphe, cherche sur le visage de l’amant les traits de la femme qu’il aime […] il n’y a pas dans le livre un seul mot où le mari ne s’incline devant l’adultère.

Serait-ce au nom de l’opinion publique ? Mais l’opinion publique est personnifiée dans un être grotesque, dans le pharmacien Homais, entouré de personnages ridicules que cette femme domine.

Le condamnerez-vous au nom du sentiment religieux ? Mais ce sentiment, vous l’avez personnifié dans le curé Bournisien, prêtre à peu près aussi grotesque que le pharmacien, ne croyant qu’aux souffrances physiques, jamais aux souffrances morales, à peu près matérialiste .

Le condamnerez-vous au nom de la conscience de l’auteur ? Je ne sais pas ce que pense la conscience de l’auteur ; mais, dans son chapitre X, le seul philosophique de l’œuvre, je lis la phrase suivante : « Il y a toujours après la mort de quelqu’un comme une stupéfaction qui se dégage, tant il est difficile de comprendre cette survenue du néant et de se résigner à y croire. »

Ce n’est pas un cri d’incrédulité, mais c’est du moins un cri de scepticisme. […] Et moi je dis que si la mort est la survenue du néant, que si le mari béat sent croître son amour en apprenant les adultères de sa femme, que si l’opinion est représentée par des êtres grotesques, que si le sentiment religieux est représenté par un prêtre ridicule, une seule personne a raison, règne, domine : c’est Emma Bovary. »

Il critique également la scène dans laquelle Bournisien tend le crucifix devant le visage de la mourante (« alors elle allongea le cou comme quelqu’un qui a soif, et, collant ses lèvres sur le corps de l’Homme-Dieu, elle y déposa de toute sa force expirante le plus grand baiser d’amour qu’elle eût jamais donné »: confusion de la religion et de la sensualité), et lui administre l’extrême-onction d’une façon que Pinard juge non conforme aux « paroles saintes et sacrées » de ce sacrement, notamment parce qu’il semble précipiter les oraisons.

La plaidoirie de maître Senard:

Face à la perspicacité du procureur, Senard, avocat de la défense cherche à minimiser la portée du personnage et à inverser ses significations, faisant lui-même preuve d’une mauvaise foi rendue nécessaire par la situation ou d’une certaine bêtise (incompréhension du texte).

Extrait de la plaidoirie :

« On nous a dit encore que nous avions mis en scène un curé matérialiste. Nous avons pris le curé, comme nous avons pris le mari. Ce n’est pas un ecclésiastique éminent, c’est un ecclésiastique ordinaire, un curé de campagne. Et de même que nous n’avons insulté personne, que nous n’avons exprimé aucun sentiment, aucune pensée qui pût être injurieuse pour le mari, nous n’avons pas davantage insulté l’ecclésiastique qui était là.

[…] Si vous voulez des prêtres qui soient la honte du clergé, prenez-les ailleurs, vous ne les trouveriez pas dans Madame Bovary. Qu’est-ce que j’ai montré, moi ? Un curé de campagne qui est dans ses fonctions de curé de campagne ce qu’est M. Bovary, un homme ordinaire. L’ai-je représenté libertin [dico], gourmand, ivrogne ? Je n’ai pas dit un mot de cela. Je l’ai représenté remplissant son ministère, non pas avec une intelligence élevée, mais comme sa nature l’appelait à le remplir. […] Dans ces querelles avec le curé, qui est-ce qui est continuellement battu, bafoué , ridiculisé ? C’est Homais. »