Ainsi le personnage de Jocaste peut donner lieu à plusieurs études dirigées par des problématiques différentes . Ecrasée par Oedipe, Jocaste pourrait passer pour un personnage à l'arrière- plan ; toutefois, sa complexité révèle les symboles qu'elle incarne tour à tour.

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Compagne, mère, confidente, objet de désir et de haine, prix obligatoire d'une victoire , mère aimée qui a abandonné son enfant en acceptant sa mise à mort, il est bien difficile de séparer ses interventions, du couple qu'elle forme avec son fil-mari. C'est peut être d'ailleurs ce lien terrible  qui la constitue en tant que personnage : elle est celle dont Oedipe ne peut se défaire et seule la décision de se donner la mort permet de trancher le lien entre la mère -amante et le fils-mari. 

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La plupart des documents de travail soulignent son rôle d'interlocutrice privilégiée autour d'Oedipe ; elle est aussi chez Sophocle, celle qui tente d'entraver l'enquête du fils sur ses véritables origines ; en effet, elle ne tient pas à ce qu'il découvre la vérité car elle connait l'issue inéluctable qui suivra la révélation; en tant que mère incestueuse, voire mère infanticide car elle est aussi à l'origine de la mise à  mort du bébé premier né, il est curieux de constater qu'elle ne s'attire pas la condamnation des autres personnages de la tragédie; ce caractère invraisemblable et la considération dont elle continue à faire l'objet pourraient choquer des esprits contemporains mais le respect du choeur s'adresse avant tout au personnage public de la reine; en effet, dans la tragédie antique, le personnage incarne essentiellement une dimension collective; Jocaste représente d'abord la reine de Thèbes et elle occupe , de ce titre , un rang au premier plan de la tragédie dont elle est la victime.

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Comme Oedipe chez Sophocle, Jocaste se montre soucieuse du sort de sa ville et n'hésite pas à gronder son mari et son frère qui se laissent aller à une querelle personnelle ; cependant si elle se montre parfois dure avec son mari , elle ne peut s'empêcher de voir en lui son souverain et de respecter ses décisions , Pasolini quand il choisit de la montrer à l'arrière plan , derrière la fenêtre du palais, prêtant l'oreille aux discussions, désire -t-il minimiser son importance ? Elle jouerait davantage le rôle d'une spectatrice de son propre destin plutôt qu'actrice . Pasolini la montre plu souvent silencieuse et contemplative comme pour souligner la différence entre l'action et l'absence d'action ; Jocaste , en effet, n'agit que très  peu ;  dans le film, occupée à jouer avec les femmes , elle ne parle que très peu à son bébé dans le prologue et Pasolini la filme comme s'il existait une distance infranchissable entre elle et le monde autour d'elle; Silvana Mangano prend souvent des poses hiératiques et a le port de tête d'une reine mais elle ne monter au final que peu d'émotions. 

Quelques commentaires insistent sur son rôle de remise en cause des oracles et de la piété et pour Sophocle, c'est sans doute un peu ironique de la voir nier une fatalité qui s'apprête à l'écraser ; on retrouve l'idée que les humains sont les jouets des divinités ; il ne faut pas oublier que ce personnage, que d'aucuns qualifient d'impie, a tout de même tenté de s'opposer à la prophétie qui la visait en immolant son fils;

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pourquoi aurait -elle sacrifié son premier né si elle ne faisait aucun cas des oracles ; on peut voir dans ces remises en cause de la parole divine plutôt une forme de défiance et de crainte : comme si elle cherchait à écarter une menace qu'elle se remémore  ; Sophocle a sans doute utilisé également le personnage de Jocaste comme celui d'Oedipe , afin de révéler au spectateur les dangers de l'hybris, cet orgueil fatal aux hommes qui prétendent outrepasser leur condition de simple mortel.

La souffrance du personnage lui attire la sympathie du spectateur qui peut lui octroyer des circonstances atténuantes : en deuil

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de son époux, elle découvre que son fils est devenu son nouveau mari et qu'elle s'est monstrueusement accouplé avec celui qu'elle a mis au monde te dont elle a eu 4 enfants , frères de leur propre père;  la perte de cet enfant sacrifié aux Dieux peut avoir déclenché en elle ce rejet de leurs oracles et ce ton catégorique dans al tragédie grecque surtout; Pasolini a lui, choisi de montrer davantage le côté amoureux de Jocaste à travers notamment des scènes d'intimité du couple et des scènes , dans le prologue, de corps à corps avec le nouveau-né. 

Finalement de quoi est elle coupable au juste ? le problème de sa culpabilité se pose dans les deux oeuvres . Sophocle montre clairement la fonction d'épouse : le couple s' adresse l'un à l'autre en recourant à des formulations empreintes de tendresse et se montre attentif à l'avis de son conjoint . Pas de trace de la fonction maternelle chez cette Jocaste antique. La mort qu'elle s'inflige dans la pièce de Sophocle marque la souillure dont elle s'estime marquée et dont elle cherche ainsi à se défaire ; En effet, al mort par pendaison atteste de sa volonté d'expier sa faute et qui révèle sa honte ; on peut penser qu'elle succombe d'avoir découvert qu'elle avait comme l'inceste ;

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alors que cette mort est cachée dans le spectacle tragique, elle est au contraire , quasiment exhibée , mise sous les yeux du spectateur dans la version de Pasolini. Le spectateur devient ainsi voyeur et certaines scènes  intimes où le couple fait l'amour,le mettent mal à l'aise ; ce parti pris du réalisateur de filmer les corps et les étreintes est à mettre en relation avec son désir de provoquer des réactions exacerbées. Le spectateur en sait pas très bien à quel moment Jocaste comprend qu'elle est en train de permettre à son fils de l'aimer ; si elle se montre plutôt passive dans leurs ébats, elle est montrée, très souvent, avec un visage songeur , pensive , le regard dans le vide ou inquiet ; c'est la femme sensuelle que cherche parfois  à montrer Pasolini,  femme objet de désir et écrasée par un amour, une violence  qui la dépassent mais auxquels elle ne se soustrait pas .  Dans les scènes amoureuses du film, l'actrice adopte , tour à tour, une attitude maternelle qui peut contraster avec la fougue du fils: un peu comme si leur amour n'était pas sur le même plan .

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L'ambiguïté entre le rôle de mère et le rôle d'amante est souvent reprise dans le film; ainsi , Pasolini filme Oedipe dans la partie centrale, qui vient chercher son épouse dans le jardin, ce même jardin qui était le royaume de la maternité dans le premier volet du film; de plus, certaines attitudes d' Oedipe sont proches de celles d'un petit enfant avec sa mère; elle lui caresse la joue comme on le ferait avec une enfant et il a la tête sur ses genoux ; si elle est parfois présentée dans la tragédie de Sophocle comme épouse et mère, c'est surtout Pasolini qui filme la maternité en oeuvre avec ce glissement autobiographique dans la première partie du film et la dernière.Il accorde donc au personnage traditionnel de Jocaste une nouvelle fonction à la lumière des découvertes freudiennes: celle d'objet d'un désir interdit et inavouable. 

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Prologue et dernière partie du long métrage viennent, en quelque sorte , compléter notre vision du personnage . Finalement Pasolini pourrait nous laisser entendre que Jocaste est morte d'avoir trop aimé son fils ou de s'être laissé aimer au delà de ce qu'il est possible entre une mère et son enfant. Par sa mort,elle semble s'effacer pour permettre à ce fils, perdu et retrouvé, de poursuivre sa route. Son suicide pourrait alors s'apparenter à un sacrifice