janv.04
Un mal nommé bovarysme: explications et définitions .
Emma Bovary se nourrissait de rêves et de clichés romantiques pour combler une vie faite d’insatisfaction. Flaubert y a dépeint les ravages de l’ennui et de la bêtise ordinaire, mais il était aussi sujet à des crises d’épilepsie
Oeuvre phare de Flaubert, Madame Bovary n’a rien d’un thriller moderne. On y trouve l’histoire banale d’une femme mal mariée, qui trompe son mari, le ruine et finit par se suicider, s’étant perdue dans la poursuite de chimères romantiques inspirées par des romans à l’eau de rose. D’où vient alors l’attrait exercé par cette femme dont la seule particularité est de rêver des aventures merveilleuses alors qu’elle mène une vie des plus ordinaires ? La description de ses états d’âme est tellement juste, qu’un terme a été forgé pour désigner le mal particulier qui la ronge : le bovarysme.
L’essayiste Jules de Gaultier propose le terme dans deux livres successifs, en 1892, puis en 1902 : « (Emma Bovary) a personnifié en elle cette maladie originelle de l’âme humaine à laquelle son nom peut servir d’étiquette, si l’on entend par “bovarysme” la faculté départie à l’homme de se concevoir autrement qu’il n’est. » Le bovarysme consiste donc à « se concevoir autre que l’on est ». Cette faculté, ce pouvoir, renvoie donc non pas à un vice ou à une faiblesse de caractère, mais à une fonction psychologique qui est propre à l’espèce humaine.
S’il existe un bovarysme intellectuel et un sentimental, les psychologues ont été plus intéressés par les notions de bovarysme normal et pathologique. Ce dernier représente certes un excès dans la fausseté de la conception de soi, mais surtout l’absence d’esprit critique vis-à-vis de son erreur. Le bovarysme clinique implique de ne pas se rendre compte que l’on se conçoit autre que l’on est.
Mais revenons à Emma Bovary. D’où lui vient son bovarysme ? Gaultier met initialement en cause son éducation dans un couvent fréquenté par des jeunes filles de la haute société, où elle fut soumise à l’âge de 13 ans à l’influence d’une « vieille fille » qui venait lui lire des sagas sentimentales et lui glisser des livres : « Ce n’étaient qu’amours, amants, amantes, dames persécutées et s’évanouissant dans des pavillons solitaires, […] forêts sombres, troubles du cœur, serments, sanglots, larmes et baisers, […] messieurs braves comme des lions, doux comme des agneaux, vertueux comme on ne l’est pas, toujours bien mis, et qui pleurent comme des urnes. » L’effet fut immédiat, déjà « elle aurait voulu vivre dans quelque vieux manoir, comme ces châtelaines au long corsage, qui, sous le trèfle des ogives, passaient leurs jours, le coude sur la pierre et le menton dans la main, à regarder venir du fond de la campagne un cavalier à plume blanche qui galope sur un cheval noir ». Cette « attirante fantasmagorie des réalités sentimentales », à un âge précoce, marque le début d’un tempérament qui ne la quittera plus et ne fera que s’intensifier.
Par la suite, Gaultier préférera mettre en avant la psychologie même d’Emma, sa personnalité : « La nécessité interne qui la régit choisit, parmi les circonstances qui l’environnent, celles qui sont propres à satisfaire sa tendance. » Elle a donc en elle, depuis le début, « ce besoin de se concevoir autre qu’elle n’est ».
Le bovarysme a connu son heure de gloire en psychiatrie dans les années 1930 en France. , « le bovarysme pathologique est considéré comme l’impuissance à s’adapter à la réalité ». Par la suite, la notion de dégénérescence et d’hystérie sera souvent reprise, et associée à l’idée de « spleen ». Plus tard, on fera un rapprochement avec la paranoïa, dont le bovarysme ne serait qu’une version allégée, mais comportant les mêmes symptômes, à savoir surestimation de soi, méfiance, fausseté de jugement et impossibilité de s'adapter à la vie sociale. D’autres psychiatres viendront ensuite impliquer les notions de mythomanie, en redéfinissant le bovarysme comme « le pouvoir départi à l’homme de se concevoir mieux...