janv.04
De quelle maladie souffre au juste Madame Bovary ?
Cet article, paru en 2011 dans une revue médicale, résume le bulletin d'un psychiatre qui a lu Madame Bovary et y reconnaît certains symptômes de la bipolarité appelée également épisodes maniaco-dépressifs ?
Flaubert, en écrivant son « Madame Bovary », en a fait un prototype de dépressive – bien autre chose, déjà, qu’une simple déprimée. Quand on dit de quelqu’un : « c’est une Bovary », s’inscrit aussitôt en fond d’écran la mélancolie d’une province qui s’ennuie ; un automne trop mouillé, le soir qui tombe tôt, le silence qui entrecoupe de chiches conversations au coin d’une cheminée, dans laquelle le feu s’étiole aussi ; l’insupportabilité des lieux, des choses, des gens… bref, tout ce qui fait qu’on « bovaryse ».Mot, du reste, réservé au genre féminin, associé, sans doute dans l’imaginaire collectif, aux fluctuations brusques et imprévisibles de l’humeur, aux larmes (non, aux pleurnicheries), à l’instabilité…
Mais en relisant ce livre unique, à l’autre bout de ma vie de lectrice (le premier passage étant là-bas, au temps de ma seconde), il y a eu, comme une évidence clinique : Emma Bovary est une bipolaire, Le trouble a commencé – avant l’histoire – à la fin de son adolescence : « Melle Rouault ne s’amusait guère à la campagne… » ; manquent évidemment les informations essentielles sur l’hérédité… les femmes, comenecent souvent la maladie par un moment dépressif : « assise sur le gazon, Emma ne cessait de se répéter : mais pourquoi, mon Dieu, me suis je mariée ? ». L’environnement est souvent déclencheur, nous dit-on, alors, oui, celui d’Emma est négativement porteur ; village enclavé, paysage de bocage, huit clos, climat, belle-mère ! Ennui absolu, invasif ; lignes de fuite se multipliant comme autant d’éclairs en temps d’orage. Désir d'évasion : « elle s’acheta un plan de Paris, et, du bout du doigt, sur la carte, elle faisait ses courses dans la capitale… elle remontait les boulevards, s’arrêtant à chaque angle, entre les lignes des rues… ».
– Sensations terribles : « et le chagrin s’engouffrait dans son âme avec des hurlements doux, comme le vent d’hiver dans les châteaux abandonnés… cette douloureuse rêverie que l’on a sur ce qui ne reviendra plus ; la lassitude qui vous prend après chaque fait accompli… ». ; le corps ici parle plus souvent qu’à son tour : « elle se plaignait d’éprouver, depuis le commencement de la saison, des étourdissements ; elle demanda si les bains de mer lui seraient utiles » ; malaises, défaillances, douleurs hystériques presque théâtralisées ; hypocondrie, évidemment ; « malgré ses airs évaporés, Emma ne paraissait pas joyeuse… elle gardait aux coins de la bouche cette immobile contraction qui plisse la figure des vieilles filles… elle était pâle partout, blanche comme un linge… pour s’être découvert trois cheveux gris, elle parla de sa vieillesse ».
Le personnage s'engouffre alors dans les investissements amoureux – Rodolphe, bien sûr, peut-être surtout Léon – entre le désir réel ou fantasmé, ; tout, butant au final sur l’absence de décision, l’impossibilité du retour à l’agir propre au réel : « alors les appétits de la chair, les convoitises d’argent, les mélancolies de la passion, tout se confondit dans une même souffrance, et, au lieu de détourner sa pensée, elle l’y attachait davantage, s’excitant à la douleur » ;Le retrait des affects dans la maternité notamment – on appelle la chose « affects émoussés » – est palpable, chez Emma, dans ses rapports ambivalents, mais fortement indifférents, à sa fille (encore que là, cela se mélange à l’amour maternel, version siècles anciens).
La frénésie collectionneuse d’objets, souvent délaissés, dès leur arrivée ; les achats compulsifs marquent également l'avancée de la maladie ; Des études entières ont sans doute été faites sur le rapport à l’argent de Madame Bovary, et, par là, de son besoin d’exister, d’être valorisé, de manifester surtout sa toute puissance. Emma passe par différentes phases : agitation et irritabilité alternent avec des phases d'abattement « certains jours, elle bavardait avec une abondance fébrile ; à ces exaltations, succédaient tout à coup des torpeurs où elle restait sans parler, sans bouger… »
Le suicide est la première cause de mortalité des maniaco-dépressifs : prise dans une tenaille financière, la fin de sa relation avce Léon a sans doute tenu lieu de déclencheur. Les délires hallucinatoires qui accompagnent parfois la crise maniaque, apparaissent alors : « il lui sembla tout à coup que des globules couleur de feu éclataient dans l’air comme des balles fulminantes en s’aplatissant… », délire de perception, plutôt que d’interprétation, donc.Il faut dire qu’en matière de troubles mentaux, Flaubert savait de quoi il en retournait ! Atteint lui même (il parlait de ses « maux de nerfs ») ; En plus de son épilepsie avérée, Flaubert ne soufrait-il pas lui aussi d'un soupçon de bipolarité – la maladie des créateurs – « il ne se passe pas de jours sans que je ne voie passer devant mes yeux, comme des paquets de cheveux ou des feux debengale » confie-t-il à un ami ; « mon moi sombrait comme un vaisseau sous la tempête » dit-il fort justement ici ; « dans ma jeunesse, je m’ennuyais atrocement, je rêvais le suicide » écrit-il encore
Il paraîtrait pourtant qu’il n’aurait jamais dit « Madame Bovary, c’est moi ! » pourtant que de points communs dans l'expression et les manifestations du bovarysme.