mar.02
Les aveux au théâtre : analyser une scène d'aveu
dans la catégorie EAF
Le sujet de bac blanc proposait un corpus formé de textes de théâtre : une tragédie classique de Racine, Phèdre qui nous livre un face à face pathétique entre l'héroïne éponyme , une jeune reine, nouvelle épouse du roi Thésée , qui durant lalongue absence de son époux, est tombée amoureuse de son beau-fils; Empoisonnée par cette passion funeste et et monstrueuse , troublée , elle ne sait comment alléger son cour et son âme du fardeau de cette culpabilité et elle se livre ici, à de timides aveux, pressée par sa nourrice Oenone qui s'inquiète pour elle ; Le second extrait est tirée d'une comédie amoureuse de Maritaux; pour tester la sincérité des sentiments de leurs promis , deux aristocrates ont l'idée de demander à leurs valets de prendre leur place ; on assiste alors au moment où Arlequin se sent obligé de révéler sa véritable identité et à sa grande surprise, Lisette , à son tour, avoue qu'elle n'est qu'une femme de chambre; cette double révélation orchestrée par des apartés et des quiproquos va permettre aux deux jeunes gens de s'aimer ; Alors que dans le drame romantique de Hugo, Ruy Blas , nous sommes les témoins d'une révélation douloureuse : celle d'un amour interdit ou tout du moins jugé scandaleux , entre un homme du peuple, obligé de jouer les valets et la plus grande dame du pays: la reine d'Espagne . Ici le dramaturge exploite la dimension pathétique de l'aveu: le héros prend conscience de son destin tragique et décrit les tourments d'une passion dévorante; Il est encore question d'amour dans la pièce d'Anouilh inspirée de la tragédie antique Antigone : alors qu'elle vit se dernières heures, la princesse écrit à son fiancé pour moi avouer qu'elle l'aime et surtout qu'elle redoute la mort ; cette dimension pathétique des aveux est renforcée par la volte-face de l'héroïne : seul le spectateur connaîtra son secret ; Le personnage du confident ici est un garde qui manifeste une forme d'indifférence, de distance : il écrit sous la dictée et ses hésitations ont une dimension comique qui atteste edu mélange des genres revendiqué par le dramaturge. La question de synthèse portait sur la manière dont les aveux sont finalement formulés ...alors bonne lecture .
Avant de vous propose des pistes pour le corrigé de la question de corpus, n'oublie pas qu quand vous êtes face à une écritute théâtrale, il ne faut pas oublier la dimension spectaculaire et le rôle du spectateur grâce à la double énonciation. Pensez également à utiliser vos connaissances sur les genres ; Le tragique a pour objet d'émouvoir en faisant ressentir de la terreur et de la pitié (pathétique ) pour le héros; le comique naît souvent de la situation proposée (quiproquo, déguisement, faux-semblants) ; Le drame romantique mêle le grotesque et le sublime et Ruy Blas présente d'ailleurs de nombreux points communs avec Phèdre ; thème de la passion fatale et destructrice, suicide final par empoisonnement; Enfin le théâtre peut aussi être l'objet d'une critique de certains aspects de la société en présentant les différences de rang social comme des obstacles insurmontables à l'amour ; Hugo définit son héros comme "un ver de terre amoureux d'une étoile " . Le thème de l'amour était bien un élément fédérateur et chaque personnage avouait à un proche ou à un simple témoin , son penchant pour l'objet de ses désirs.
La question de corpus : éléments de réponse à organiser ..
- Le rôle de l’interlocuteur dans l’obtention de l’aveu difficile
- un interlocuteur pressant :
- dans l’extrait de Phèdre, Oenone, qui tient le rôle traditionnel dans la tragédie classique de la confidente de l’héroïne, la presse de questions pour obtenir l’aveu (impératifs, stichomythies et répliques brèves qui confèrent à la nourrice un ton péremptoire).
- On retrouve les impératifs et les interrogations dans l’extrait de Marivaux lorsque Lisette veut qu’Arlequin lui dévoile sa véritable identité. Cependant, la situation s’inverse dans cette scène de double aveu dont la dimension comique repose sur des effets de parallélisme entre les deux serviteurs qui avouent l’un après l’autre quel est leur véritable statut (« magot »/ « magotte », « soldat d’antichambre de Monsieur » / « coiffeuse de Madame »)
- un confident involontaire : dans l’extrait de Ruy Blas, Don César ne cherche pas à obtenir l’aveu. Il est cependant un personnage indispensable sur le plan dramatique pour recevoir cet aveu et sa présence semble déclencher la libération de la parole du héros éponyme : Don César n’a que des répliques de moins d’un alexandrin, parfois d’une seule syllabe (« Ciel ! ») comme s’il était sidéré par l’aveu, tandis que les répliques de Ruy Blas sont de plus en plus longues
- Un obstacle à l’aveu : dans la pièce d’Anouilh, le garde n’est que le scripteur de la lettre que lui dicte Antigone. Il ne semble pas comprendre ce qu’elle lui dit. L’impossibilité de toute communication suscite le désarroi de la jeune fille qui finit par renoncer à s’expliquer.
II. Des détours et des dérobades qui retardent l’aveu
- Des personnages qui ne répondent pas directement à leur interlocuteur :
- Apartés par lesquels le personnage ne répond pas mais commente la stratégie à adopter pour faire comprendre la vérité (Texte A, v. 5 ; texte B, l. 8 ou l. 11).
- Antigone (Texte D) ignore aussi les questions du garde, mais il s’agit plutôt pour elle de continuer à expliquer son geste malgré les interventions peu pertinentes de ce dernier.
- Digression de Phèdre sur sa lignée maudite qui retarde l’aveu.
- Emploi de périphrases (caractère indicible de la vérité) : « Fils de l’Amazone » pour désigner Hippolyte (Texte A) qui ne sera d’ailleurs pas nommé par Phèdre elle-même mais par Oenone, « soldat d’antichambre de Monsieur » pour évoquer le statut de valet (Texte B), « hydre aux dents de flamme » pour la passion amoureuse (Texte C).
III. Une amplification de la gravité de l’aveu
- Désarroi des personnages face à une vérité presque impossible à dire
Expression de l’émotion :
- ponctuation expressive (exclamations dans les textes A, B, C)
- Interruptions (points de suspension dans le texte A, tirets qui indiquent un discours décousu et haletant dans le texte C)
- Interjection (« Oh ! ») d’Antigone (Texte D)
- Questions (non rhétoriques, elle se demande vraiment comment avouer la vérité) de Phèdre. Idem dans le texte B mais dans un registre comique.
- Procédés d’amplification
- hyperbole « le comble des horreurs » (Texte A)
- Gradation « quelque chose / D’étrange, d’insensé, d’horrible et d’inouï » (Texte C)
Sujet d’invention : quelques pistes
Plusieurs critères peuvent être retenus pour évaluer les écritures d’invention . J’ai fait apparaître 3 indicateurs sur les copies ; la qualité de l’écriture et notamment du style ; j’ai pénalisé les copies qui utilisent un style trop familier ou relâché et j’ai comptabilisé dans cette rubrique quelques anachronismes (le stress à Rome chez l’empereur , les finances de Louis XVI qui sont définitivement dans le rouge ..) Deux éléments sont ensuite évalués sur 6 points : la qualité théâtrale de l’écriture du dialogue et le choix de la situation et de la nature dramatique de l’aveu.
Faut-il sanctionner l’absence d’un paratexte ? Il est peut- être préférable de valoriser la présence d’une courte introduction notamment quand elle nomme les personnages, les situe et définit la situation qui va être développée ?
Notons d’abord que les copies se sont le plus souvent inspirées de situations lues ou étudiées en classe
Les types d’aveux : les meurtres d’abord et souvent passionnels
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une soeur qui tue sa sœur car elle est amoureuse du mari de cette dernière se confie à sa suivante le jour des funérailles (le cadre est intéressant pour les effets de dramatisation)
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un homme qui avoue (à son meilleur ami) qu’il était amoureux de l’épouse de ce dernier et qu’il l’a tuée
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une mère avant de mourir qui avoue (à son fils ) qu’elle a tué son père , sujet de tragédie
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un mari qui avoue (à son épouse ) avoir tué un homme par accident et l’avoir enterré dans une cabane au fond du jardin.
L’amour impossible arrive en tête des situations choisies comme dans les tragédies ..
Au premier rang des interdits, la morale et la famille ...nous rencontrons ainsi :
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une femme amoureuse du mari de sa sœur qui l’avoue (à sa servante )
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une princesse amoureuse d’un homme de rang inférieur qui l’insulte pour le faire renoncer à leur amour (double faute en quelque sorte)
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une jeune femme bourgeoise amoureuse d’un homme de rang inférieur qui l’avoue à sa soeur et ensuite à son père (double aveu cette fois )
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un guerrier grec (Ulysse bis ) qui avoue à la femme de l’île sur laquelle il a fait escale qu’il est déjà marié et que son coeur est pris ailleurs . (bigamie criminelle )
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une reine veuve qui tombe amoureuse du mari de sa fille (Phèdre version belle-famille )
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un prince qui tombe amoureux de la mère de sa fiancée et se confie à son meilleur ami (Phèdre revisité )
La scène d’aveu comme l’illustrait le corpus peut appartenir soit au genre tragique soit aux comédies : on notera d’ailleurs que certaines copies mélangent assez habilement parfois les deux registres en créant une dispute en surimpression de leur scène d’aveu . Mais c’était une difficulté supplémentaire et certains ont été maladroits en mixant les registres . Anouilh s’ efforce de créer ce mélange en choisissant un confident pour le moins étrange avec ce garde qui ne semble pas saisir l’importance des révélations d’Antigone ; la pièce , en effet, est construite sur le mélange des genres et le spectateur est ici partagé entre le pathétique des révélations d’Antigone, ici affaiblie à cause de son amour pour Hémon et de sa peur de mourir ; cette fragilité du personnage est dramatisée par le choix de ce confident imposé qui agit « mécaniquement » mais dont les répliques peuvent également nous faire sourire par leur dimension décalée , inattendue et ce procédé estompe la tonalité pathétique.
Faut-il jouer la carte de l’originalité ?
C’est une question que se posent souvent les candidats qui cherchent ainsi à se démarquer des choix plus convenus de leurs camarades . En effet, le correcteur risque de se lasser de la version 40 de Phèdre ou de la lettre d’aveu mais il faut noter que le corpus sert aussi de référence et qu’il parait judicieux de s’inspirer des situations mises en scène , en tentant de les réécrire.
Parmi les copies qui ont su faire preuve d’inventivité , on trouve :
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une femme qui avoue un rêve (à son époux ) où elle voit son avenir heureux avec un autre homme ( situation originale car elle décide littéralement de le quitter pour réaliser son rêve.)
D’une facture un peu plus classique, on trouve les deux situations suivantes qui oublient juste de mettre l’aveu au centre des préoccupations des personnages
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Un amoureux qui demande de l’aide à une amie pour écrire une lettre d’amour qui lui sera finalement destinée mais sans le lui dire ..imitation de la célèbre scène de la révélation où Cyrano se trahit en lisant la lettre de Christian alors qu’il fait nuit ..exposant ainsi à Roxane son amour et la supercherie dont elle a été la victime
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une femme qui quitte son mari pour rejoindre un autre homme (elle l’avoue d’ailleurs assez sèchement au pauvre mari dépité , qui a bien du mal à comprendre ce qui se passe )
Un élève a été bien inspiré et a pensé à l’aveu d’une faute professionnelle : le ministre incompétent redoute la réaction de son supérieur le roi de France; Le monde du travail pouvait offrir un large éventail de choix (supercheries , faux en écriture , s’attribuer le travail d’un autre ..)
Le réservoir des situations tragiques pouvait être largement exploité comme par exemple cette copie où Rodrigue est devenu le fils de Caligula qui avoue ( à sa fiancée ) qu’il va devoir combattre son père en duel à mort dans l’arène (version romaine du Cid de Corneille )
Mais l’amour n’était pas nécessairement un ingrédient indispensable pour fabriquer une scène d’aveu théâtrale . Une copie qui sort des sentiers battus a mis en scène une situation où une jeune femme arrête ses études pour s’occuper de son grand-père désormais seul ; elle fait cet aveu à une amie-qui paraît consternée . On pouvait se demander ce qui a motivé le choix de cette situation qui semble tant heurter la meilleure amie et confidente .
Peu importe l’aveu au fond, les procédés de dramatisation et de retardement ont souvent fait la différence entre des copies qui exploitent une idée et des copies qui s’efforcent de tirer parti théâtralement de la même idée
Comment théâtraliser l’aveu ?
Rappelons ici quelques procédés d’écriture théâtrale
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l’aparté ou adresse au public qui joue sur la double énonciation
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les effets de retardement
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le dialogue de sourd
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les répliques interrompues
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l’arrivée d’un personnage qui interrompt l’échange
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les hésitations, revirements et autres formules préparatoires du type : je ne sais si je puis, je ne saurais vous dire, vous allez me trouver horrible, vous allez sans doute être surpris , il faut que je vous dise
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L’usage des didascalies était important : on pouvait, par exemple, inventer les gestes d’accompagnement de l’aveu : asseyez-vous, allons plus loin...la fait asseoir, lui prend la main , détourne le regard, fait les cent pas, on pouvait aussi noter des variations du ton : d’une voix peu assurée, tremblante, en toussotant..