nov.01
L 'ironie selon Flaubert
Il est souvent question d'ironie dans Madame Bovary mais il n s'agit pas tellement pour l'artiste d'écrire le contraire de ce qu'il pense ; il s'agit plutôt d'un regard distancié sur le monde qui juge les défauts de ce dernier et d'un manière de considérer ses personnages comme des créatures parfois grotesques ; de plus l'ironie est parfois difficile à percevoir car elle renvoie à des sous-entendus, à des façons de vivre sou d penser qui peuvent paraître obsolètes pour des lecteurs contemporains; Pour étudier l'ironie dans le roman, on peut se demander d'où vient-elle, comment elle se manifeste et quelles sont ses fonctions.
Une réalité dévalorisée : on peut tout d'abord trouver de l'ironie dans la manière dont l'écrivain reproduit certains éléments de la réalité de l'époque: la scène des Comices, par exemple; est un exemple de traitement ironique de la réalité sociale; Flaubert, par l'intermédiaire du récit assumé par le narrateur ridiculise , à la fois , ces paysans qui accordent une importance démesurée à un événement jugé peu important et le donjuanisme de Rodolphe qui finit par triompher de la réserve d'Emma. Ici , c'est le contexte qui permet de déceler l'intention ironique: les discours paraissent ennuyeux et truffés de généralités te le lecteur ne peut s'empêcher de penser que ces gens sont bien naïfs de s'enthousiasmer pour de pareilles platitudes. Même si le discours social est la principale cible de l'ironie dans le roman, ce regard désenchanté semble contaminer tous les compartiments de la narration. Dans une lettre à Louis Colet, Flaubert fait remonter son pessimisme à sa petit enfance : "L'ironie pourtant me semble dominer la vie. " Et il avoue qu'il aimait es regarder pleurer comme s'il était attiré par le spectacle edu chagrin; Ce penchant pour le grotesque triste définit sa manière décrire, alliance de comique qui ne fait pas rire, qui ridiculise ce qu'il montre et de pathétique car l électeur ne peut s'empêcher d'être parfois touché par certains aspects des personnages et par leur déception; Par exemple, le personnage de Charles , amoureux transi d'un femme qui le méprise révèle le regard ironique de Flaubert sur les inégalités dans l'amour; au sein du couple, l'un faim toujours plus que l'autre et ce déséquilibre est à la source des drames passionnels. Pour l'écrivain, ce ridicule est celui de la vie elle-même et chacun le port en soi; L'artiste, selon les dires de Flaubert, se contente de le transporter dans les personnages et dans l'intrigue de son roman. L'ironie flaubertienne prend donc ici la forme d'un regard sur le monde qui en révèle toute la cruauté.
Les personnages grotesques: une autre forme d'ironie peut apparaître à travers la construction de certains personnages comme Homais, Binet et Bournisien; ces personnages représentent des aspects que Flaubert déteste et qu'il s'emploie à combattre en en révélant le côté ridicule , parfois dangereux; Ainsi, on eut prendre comme exemple les conversations entre Homais, violemment anticlérical et l'abbé Bournisien, lorsqu'ils veillent la dépouille d'Emma; Homais véhicule les poncifs des athées et se demande, par exemple, à quoi peut bien servir la prière; il sont tous deux campés sur leurs positions et leur querelle dégénère : "ils s'échauffaient, ils étaient rouges, ils parlaient à la fois sans s'écouter; Bournisien se scandalisait d'un telle audace ; Homais s'émerveillait d'un telle bêtise; ils n'étaient pas loin de s'adresser des injures".. le tout dans la chambre mortuaire ; Seule l'arrivée de Charles mettra provisoirement un terme à leur dispute qui reprend peu de temps après à propos du célibat des prêtres, de la confession. Cependant lorsqu'ils s'endorment, ils s ressemblent "ils étaient l'un en face de l'autre, le ventre en avant, la figure bouffie, l'air renfrogné, après tant de désaccord se rencontrant enfin dans la même faiblesse humaine." Le regard ironique cette fois englobe les deux personnages et le mépris en même temps que la pitié du narrateur.
L' ironie politique : dans la scène des Comices, on peut lire au moyen des commentaires du narrateur, une vive critique des lieux communs dans le discours de Lieuvain: il y flatte les paysans en les traitant de vénérables serviteurs" d "humbles domestiques" et affirme que jusqu'alors aucun gouvernement ne s'est soucié de leur sort; ce discours réactionnaire était combattu par Flaubert qui se méfiait de l'emprise de la religion sur la politique ; ce danger est souligné dans le discours de Derozerays qualifié ironiquement de "moins fleuri"; Flaubert lors de la récompense de Catherine Leroux met en évidence l'opposition entre "ce demi-siècle de servitude " et "ces bourgeois épanouis" ; encore plus ironiquement, la paysanne décide de remettre sa pièce d'or au curé "pour qu'il me dise des messes" ; Lorsqu'il écrit l'article pour le fanal de Rouen, Homais insiste sur le déroulement cordial de cette belle journée et évoque le brillant feu d'artifice qui lui fait comparer Yonville à "un rêve des Mille et une Nuits"
L'ironie et le romantisme : Flaubert se moque des aspirations romantiques d'Emma et de Léon dans un premier temps ; la jeune femme ne peut s'empêcher de penser à l'amour comme "un ouragan des cieux qui tombe sur la vie, la bouleverse, arrache les volontés comme des feuilles et emporte à l'abîme le coeur entier." (deuxième partie, fin du chapitre IV); Quant à Léon, elle lui semble hors de portée et elle "alla dans son coeur, montant toujours et s'en détachant à la manière magnifique d'une apothéose qui s'envole" ; en fait ,il a trop peur pour se déclarer et elle devient irritable à forcée refouler l'amour qu'elle éprouve pour le jeune homme; elle reporte alors sa souffrance en haine pour son mari; "elle aurait voulût que Charles la battit, pour pouvoir plus justement le détester, s'en venger." ( P2, chap V); Le narrateur dévoile ici la réalité des sentiments et la fausseté des aspirations romantiques qui ne résistent pas face au poids des conventions et du réel.
En résumé, l'ironie est présente dans tous les compartiments du roman; c'est une manière d'écrire et de décrire, un ton distancié, et moqueur qui tend à diminuer le pathétique de certaines scènes (exemple de l'agonie terrible d'Emma et de l'arrivée du docteur Larivière ) ; c'est un moyen de faire comprendre au lecteur que le romancier ne prend pas fait et cause pour ses personnages mais qu'il se sert d'eux comme des pantins afin de dévoiler ce qui se joue , en profondeur, sous les apparences et les faux -semblants; c'est une entreprise au service de la vérité mais d'une vérité intime qui n'est pas toujours bonne à dire; c'est aussi une entreprise de destruction qui révèle l'envers du décor et les petitesses des hommes; parfois le lecteur hésite entre une lecture ironique et une lecture sincère et il ne sait pas s'il faut es moquer des personnages ou les plaindre; Difficile de faire deux en même temps et c'est pourtant ce que réussit parfois à obtenir Flaubert.