nov.01
Discours rapportés dans Madame Bovary
Lorsqu'il est question de discours rapportés, la première question à se poser concerne l'identité de celui qui rapporte les paroles et les modalités de cette mise en voix; Nous verrons en effet, qu'il est important de distinguer le discours direct qui nous met en présence de la voix des personnages, le discours narrativisé qui nous fait entendre indirectement les voix des personnages, qui nous fait pénétrer leurs pensées et les commentaires du narrateur qui introduisent une distance, souvent ironique d'ailleurs entre les propos des personnages et leur interprétation.
Le narrateur : qui raconte l'histoire de Madame Bovary ? il s'agit d'un personnage anonyme qui ne prend aucun part aux faits relatés et dont nous ne savons rien; la voix du narrateur est le lien le plus direct avec la personne de l'auteur; le narrateur organise le récit: il est à l'intérieur de la fiction et peut parfois s'adresser au lecteur sous la forme d'un vous ; le plu souvent, la voix du narrateur prend la forme d'un on : "on parla d'abord du malade, puis edu temps qu'il faisait, des grands froids, de loup qui couraient les champs , la nuit." C'est ainsi que sont rapportés et résumées les premières discussions tout à fait banales entre Charles Bovary et Mademoiselle Rouault qui vit alors chez son père à la ferme. Le jour des noces, "on avait invité tous les parents des deux familles" Ce on a une valeur générale et désigne le narrateur omniscient; ce narrateur quasi invisible la plupart du temps, adopte un point de vue impersonnel et impassible; Sa présence discrète se devine parfois à certains indices comme l'emploi du présent ou un jugement général comme lorsqu'il admire la beauté de l'héroïne : " Jamais Madame Bovary ne fut aussi belle qu'à cette époque " (Partie II, chapitre XII) Au cinéma, on pourrait utiliser une voix off pour restituer cette présence invisible.
Superposition et amalgame : l'écrivain s'efforce de dissimuler le plus habilement possible les passages d'un mode de discours rapporté à un autre pour assurer la fluidité de la prose mais il est confronté aux difficultés habituelles de l'emploi et de la répétition des verbes introducteurs; il lui faut inventer des soudures, des jointures pour passer harmonieusement du dialogue aux commentaires du narrateur ; l'un des moyens de masquer ces transitions consiste à utiliser le style ou discours indirect libre qu'on pourrait également appeler récit de pensée; Ainsi lorsque le narrateur raconte else rendez-vous nocturnes d'Emma et de Rodolphe dans le cabinet de Charles, il commence par nous révéler les pensées de Rodolphe au moyen du récit avec un verbe introducteur : " Rodolphe réfléchit beaucoup à cette histoire de pistolets...pensait-il .;Le paragraphe suivant nous confronte directement aux pensées du personnage : " D'ailleurs, elle devenait bien sentimentale" Le verbe introducteur a disparu et nous sommes ainsi face aux pensées du personnage, sans intermédiaire (deuxième partie, chapitre X); "Mais elle était si jolie ! " Le narrateur relaie directement l'admiration de Rodolphe qui hésite à rompre avec Emma à ce moment. Ces glissements successifs contribuent à "noyer" la voix du narrateur dans une sorte de fondu enchaîné . Les guillemets , principaux signe de médiatisation sont souvent absents alors que la ponctuation expressive marque l'appartenance au discours direct. On nomme ce procédé discours indirect libre et Flaubert l'emploie très souvent dans son roman. Le principal avantage de cette manière de rapporter des énoncés réside dans la superposition de la voix du narrateur avec celle du personnage. Pour le lecteur, il est souvent impossible de savoir si la voix du narrateur prend le pas sur celle du personnage; ces sortes de monologues intérieurs nous donnent accès à l'intériorité du personnage mais on ne sait jamais vraiment s'ils ne sont pas pris en charge , de manière ironique par la voix du narrateur. En voici un exemple : Emma en veut à Charles d'avoir raté l'opération d'Hypocrite et elle se plaint " Comment donc avait-elle fait (elle qui était si intelligente) pour se méprendre encore une fois ? L'utilisation de la parenthèse est-elle l'indice du commentaire ironique du narrateur ou de l'auto-ironie du personnage ? Flaubert a également recours à un autre mode de discours rapporté : ce qu'on appelle discours narrativisé consiste à évoquer des échanges de parole sans les reproduire intégralement : c'est une autre manière de rapporter des discours en les intégrant dans un récit. Ce procédé assure lui aussi une continuité entre récit et discours .
De manière générale, Madame Bovary est un roman qui entremêle les voix des personnages et les commentaires du narrateur, plus ou moins fondus dans le récit. Il est souvent peu aisé pour le lecteur d'identifier clairement la source des discours et il doit se contenter de noter les effets d'ironie dans le passage des paroles des personnages aux commentaires du narrateur dont la voix demeure impersonnelle et comme en surplomb de tout cet édifice romanesque; A noter toutefois que le début du roman fait entendre un nous qui disparaît par la suite.L'usage fréquent du discours indirect libre est la nouveauté principale et contribue à brouiller les frontières entre les différents discours. Le roman montre aussi , grâce à cette technique, que les personnages ne se comprennent pas forcément et ne sont pas toujours sur la même longueur d'ondes.