L’entretien du Diable
C’était un samedi d’hiver comme les autres. Il était six heures et demie, le ciel dehors commençait à s’éclaircir. Je me suis réveillée dans mon lit, dans un coin du petit studio où j’habitais à l’époque avec ma fille de six ans. Je me suis levée, j’ai enfilé ma robe de chambre et je suis sortie sur mon balcon, une tasse de chocolat chaud à la main, ma fille dans les bras. L’air du matin était frais, et la vue sur Paris magnifique. Puis, à huit heures, je partis, pris le bus. Lily me tenait la main avec une force incroyable, et cachait son visage dans ma jupe. Je me rendais à mon travail, comme tous les jours de la semaine.
J’arrivai avec un peu de retard. Je me dirigeais vers mon bureau quand une petite affiche attira mon attention. « Nous recherchons une petite fille d’environ six ans, brune aux yeux bleus, pour poser pour une grande marque de vêtement. Merci de nous contacter le plus rapidement possible au 06. **.**.**.**. Rendez-vous à la Villa Aurore, La Baule » Je regardai ma fille. La peau blanche, ses yeux bleus contrastant avec ses cheveux noirs de jais, elle ressemble à un ange. J’arrachai l’affiche du tableau d’affichage, la fourrai dans ma poche, et pris ma fille dans mes bras.
J’arrivai dans mon bureau essoufflée, et commençai à trier les papiers. Lily me regardait de ses grands yeux bleus, mais ne dit rien. Elle ne parlait jamais. Je regardai l’affiche avec plus d’attention. Qui dit grande marque dit argent, et j’en avais vraiment besoin. Mais imaginer ma fille, à la vue de tout le pays, n’était pas facile. Je me dis que je devais en parler d’abord avec Lily, car c’était bien d’elle qu’il s’agissait. Je lui expliquai. Elle m’écoutait, me fixant, fixant ma bouche, mes yeux. Puis quand j’eus fini elle hocha la tête. Elle était d’accord. Elle me sourit.
Lily était muette, et atteinte d’une maladie cérébrale qui la rendait fragile et extrêmement timide. Elle était pourtant extrêmement intelligente, des tests l’avaient prouvé.
A la fin de la journée, je rentrai avec Lily faire nos valises. Le lendemain, nous partîmes. Nous atteignîmes l’adresse donnée par l’homme au téléphone. Nous découvrîmes alors une immense maison, et, à l’entrée, un panneau en lettres d’or : Villa Aurore. La marque Aurore était une immense marque de vêtements pour tous les âges, mondialement connue. Je m’approchais, ma fille dans mes bras, quand soudain j’entendis un cri. Un garde s’approchait à grands pas.
« Stop, qui êtes-vous ?
-Je m’appelle Meredith Jackson-Delgarde. Je viens pour l’annonce…
-Vous avez dit… Jackson-Delgarde ?
-Oui, c’est ce que je viens de dire.
-Et bien… Le… Le patron vous attend. Entrez dans la Villa et ensuite tout droit puis prenez la quatrième à droite, c’est la porte au fond du couloir.
-Très bien, merci beaucoup."
Le garde me regarde, l’air contrarié et soucieux. Je ne m’en préoccupe pas et suis ses instructions en entrant dans l’immense demeure. Nous arrivons dans une salle aussi bien décorée que les couloirs. Un homme était à la fenêtre. Un thé bien chaud refroidissait dans un service à thé aux rainures dorées.
"Ah, voilà enfin la dernière enfant. Approchez, prenez une tasse de thé".
Il observa rapidement ma fille, et soudain, une lueur envahit son visage.
"Mais dîtes moi, votre fille est parfaite pour notre publicité ! Madame, vous êtes engagée. Enfin… votre fille est engagée ! Voulez-vous bien la laisser avec nous quelques heures, vous pourriez aller au centre commercial en attendant.
-Merci, mais je préfère rester avec elle.
-Je ne préfèrerais pas… Souvent la présence des parents peut déconcentrer les enfants. Ma puce, tu vas bien survivre deux heures sans ta maman hein ?
Lily regarde l’homme de ses grands yeux bleus. Evidemment elle ne répondit pas, et l’homme sembla soudain énervé.
"Ma fille est muette. Mais pas sourde, ni idiote. Et je pense qu’elle est d’accord".
Son visage s’éclaircit de nouveau.
"Parfait, alors à toute à l’heure."
Je sortis de la salle avec un pincement au cœur. Je ne supportais pas de laisser ma fille si fragile aux mains d’un inconnu.
Alors que je marchais dans le couloir. J’entendis une voix.
"Meredith ! Attends !!!"
Je me retournai, surprise. Devant moi se tenait Alex Jackson, mon « ex »mari, le père de Lily. Nous nous étions connus au lycée, et nous nous sommes mariés pendant nos années de fac. Deux ans plus tard, je rentrai d’une échographie, j’allais lui annoncer que j’étais enceinte, mais quand je suis arrivée à la maison, il n’y était pas, et ses affaires non plus. Il avait disparu du jour au lendemain, sans laisser de traces, et j’avais dû élever ma fille seule.
"Que fais-tu là ?
-J’ai accompagné ma fille, pardon, NOTRE fille à l’entretien pour la publicité.
-Notre fille ? Comment ça ?
-Le jour où tu es parti, j’allais t’annoncer que j’étais enceinte. Je revenais d’une échographie, non pas d’un rendez-vous chez le médecin, comme je te l’avais dit.
Alex semble troublé, et des larmes inondent ses yeux, et bientôt ses joues.
"Je veux m’expliquer avec toi. Je suis parti car je le devais. Tu te rappelles de Guillaume, mon meilleur ami ? Il a été arrêté par la police, qui a trouvé de la drogue dans son bureau. Beaucoup. Et cette ordure m’a accusé à sa place, disant que je lui avais demandé de cacher mon butin dans son tiroir. La police est venue m’arrêter, et j’ai décidé de prendre mes affaires et de partir, car Gui’ avait réuni suffisamment de fausses preuves pour que je sois immédiatement jeté en prison. Je ne voulais pas te faire vivre ça. J’ai déménagé ici, où devait se dérouler le procès. Et quand on a enfin su qu’il m’avait accusé à sa place, au bout d’un an, je me suis dit que tu avais tourné la page, que tu avais retrouvé quelqu’un, et je ne voulais pas faire irruption dans ta vie et tout chambouler. Alors j’ai pris le boulot de garde de la villa qui était bien payé."
Je le regardais dans les yeux. Je savais qu’il ne mentait pas. D’énormes larmes roulaient sur ses joues.
"Je suis désolé, vraiment vraiment désol…"
Je ne le laissai pas finir, et l’embrassai. C’était comme si pendant ces six ans, nous ne nous étions jamais quittés. Je voulais qu’il revienne.
"Reviens dans nos vies, à Lily et à moi. Nous avons toutes les deux besoins de toi. Notre fille est parfaite. Et intelligente. Tu vas l’adorer. Surveille, et préviens-moi quand Lily sort."
Il me sourit, soulagé.
"Très bien, à toute à l’heure.
-Mais, au fait, comment tu as su que j’étais là ?
-Un collègue, qui gardait l’entrée, et qui t’a reconnu grâce à ton nom".
Je comprenais maintenant mieux la tête soucieuse du garde de l’entrée. Je souris.
Je sortis de la Villa Aurore, et allai au centre commercial, comme l’avais suggéré l’homme.
Je regardais des chaussures pour ma fille quand je reçus un appel d'un numéro inconnu. Je répondis :
"Allô ? Qui est-ce ?
-Meredith, c'est Alex, vient vite à la Villa !!!
-Quoi ? Pourquoi ? Que se passe-t-il ?
-L'homme que tu as vu,ce n'était pas le chef de Aurore, mais un terroriste !!!
-Qu... Quoi ???
-Il a tué le chef, et a pris sa place. Puis il a inventé cet entretien pour prendre des petites filles en otage. Il menace de les tuer, ou même pire, de les torturer à mort si la France ne capitule pas contre les islamistes, et que nous ne nous convertissons pas tous à l'islam !!!
-Comment avons- nous pu nous retrouver là ?! Et Lily ??? Je ne te l'ai pas dit, mais elle est malade. Elle est très fragile psychologiquement. Le moindre choc risque de la traumatiser à vie.
-Oh non, c'est pas vrai ! L'armée est prévenue, elle est en ce moment sur la route de la Villa Aurore. Viens vite !
Le métro arrivait dans longtemps, je décidai de courir sur le bord de la route.
Tandis que j'entrai dans la foule des voitures et des camions, entre les hauts murs des immeubles, il me semblait que j'entendais très loin les cris sauvages des hommes de main de la ville, qui étaient en train de faire tomber l'une après l'autre les portes de la Villa Aurore.
Noémie A.