La poupée perdue (Camille)
Par Marion VAILLANT (Collège de la Clef de Saint-Pierre, Elancourt (78)) le 25 mars 2014, 11:12 - Concours Etonnants Voyageurs - Lien permanent
La poupée perdue
Et elle partit, tenant sa fille dans ses bras à la recherche, folle mais pas désespérée, d’un simple jouet d’enfant, d’une toute petite poupée en chiffon, dans ce monde cruel et obscur qu’était la guerre.
La petite poussait de petits gémissements sourds étouffés par la longue étole de soie rouge dans laquelle sa mère l’avait enroulé si soigneusement afin de la protéger de la fraîcheur de l’automne et de sentir son petit cœur fragile battre tout près d’elle.
Emeline serrait de toutes ses forces sa petite Jeanne et les larmes lui coulaient de ses yeux noisettes, traversaient ses joues rougies par le froid et se laissaient glissées le long de son long cou blanc.
Elle marchait d’un pas disgracieuxet ses jambes vacillaient au rythme des râles de son enfant.
Il n’y avait pas un bruit dans les rues de Verdun, et cette jeune mère, qui semblait si fragile, marchait pour retrouver cette poupée, si chère à Jeanne.
Elle s’arrêta un moment et s’assit sur un banc, aussi surprenant qu’il soit, intact.
Elle berça Jeanne et regarda un moment autour d’elle. Les corps meurtris d’hommes, de femmes et d’enfants jonchaient la rue qui semblait à la fois si vaste, mais si familière.
Elle reconnut, à environs dix pas de là, les couleurs si singulières de la petite bicoque entièrement détruite de la vielle dame, madame Garret, qui, deux jours avant, apportait des petits biscuits secs à l’orange qu’elle savait si bien faire, ainsi qu’une petite poupée de chiffon aux couettes de laine blonde. Elles discutaient des après-midis entiers, et Emeline écoutait à chaque fois les divers conseils de son aînée.
-«Dis maman, on y va ? » articula difficilement la petite fille.
Emeline ne répondit pas et se leva en titubant et elle manqua de peu de tomber sur un éclat d’obus, et elle reprit sa marche.
-« Emeline ! Emeline ! Je suis ici, viens m’aider ! » cria une voix mûre.
Emeline se retourna et vit le visage ridé et tuméfié de la vieille femme, accroupie, les mains remplies de débris de verre et les yeux remplis de larmes.
-« Madame Garret ! Mon Dieu ! Je vous en prie, ne bougez pas, je viens vous aider ! ».
Elle chercha donc rapidement du regard un endroit où déposer Jeanne, et elle trouva à quelques mètres un fauteuil assez vieillot mais en bon état, en pleine rue, sûrement projeté par l’obus hors de sa maison.
Ensuite, elle courut vers la moribonde, s’abaissa et l’aida à se relever.
Madame Garret la remercia :
-« Ma Jeannette est souffrante… Pauvre enfant ».
Elle respira longuement et reprit :
-« Il faut trouver de l’aide mon Emeline, il faut vous soigner, mon Emeline ».
Hélène Garret avait la fâcheuse habitude de croire que ses proches lui appartenaient.
Emeline regarda l’octogénaire avec les yeux remplis de larmes et bafouilla :
-« Il faut d’abord que nous retrouvions la poupée de Jeanne, celle que vous lui aviez offert.
-« Allons-y, alors. » déclara Hélène.
Elles allèrent chercher Jeanne, endormie sur le fauteuil et partirent à la recherche de la poupée perdue.
Après seulement quelques pas, Emeline pointa un endroit précis dans la rue et dit d’une voix enjouée :
-« Elle est là ! Regarde Jeanne, ta poupée ! Je vais la chercher ! »
Elle posa Jeanne au bord du trottoir et demanda gentiment à madame Garret de rester avec la petite fille quelques minutes.
Emeline courut à en perdre haleine jusqu’au jouet.
Elle se pencha légèrement, oubliant toutes ses douleurs et pensa à la joie de sa petite chérie aurait lorsqu’elle aurait son joujou en mains.
Elle posa sa longue main délicate de couturière sur le jouet et vit ses doigts passés à travers la poupée.
A ce moment précis, Emeline se sentit légère comme un nuage flottant dans le ciel.
Elle se retourna vers Hélène et Jeanne, qui elles-mêmes flottaient !
Elle vit toutes leurs blessures se réparer et leurs visages semblaient paisibles.
Emeline comprit enfin qu’elle ne souffrira plus, ni elle, ni sa fille.