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25 mar. 2024

MELIGA

Mellissandre-Galaelle Andromaque n'aimait pas les histoires. Le genre d'histoire avec toutes ces stupidités comme les fées à paillettes, les princes charmants, ou les méchants sorciers, ça l'exaspérait ! Imaginez au lieu de faire face à la vie, la vraie, quelle débilité ! C'est quand, à Noël, on lui présenta ce fameux livre que tout bascula. C'était un roman de 134 pages, exactement. Pas très épais, ni trop compliqué. Il relatait un fameux crime qui eut lieu le 24 janvier 1967. Les parents de la jeune fille protestèrent et dirent que ce livre n'était pas adapté à une enfant de 11 ans. Mellisandre-Galaelle, pour une fois intéressée par ce livre, s'empara du polar. L'intrigue, saisissante, les personnages complexes, l'écriture simple et captivante...Le livre avait tout pour plaire et l'adolescente se réveillait la nuit pour engloutir des pages. Au début, elle eut du mal à déchiffrer ces mots, ces syllabes dont elle n'avait pas saisi l'utilité quand on lui avait appris à lire. Très vite, plus elle lisait, plus son rythme de lecture s'accélérait. Au cours de l'année qui suivit, elle enchaina  des polars de plus en plus longs, de plus de mille pages !!! La jeune fille ne parlait que de ça !

Mais, à l'âge de 13 ans, elle se rendit compte que quelque chose n'allait pas dans ses lectures. Une étrange impression de manque remplaçait l'euphorie des débuts. Ce n'était plus assez intense, elle ne vivait pas les actions. Vivre...vivre dans le livre... c'est ça qu'elle voulait.

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Sa lampe de chevet éclairait son visage constellé de taches de rousseurs.  Ses mains tenait les pages de son premier polar, le roman.  "Ma seule chance"... Pensa-t-elle. Une amulette pendait à son coup. Il y avait une petite créature emprisonnée à l'intérieur. Recroquevillée, elle arborait un pelage de chèvre crème qui flottait gracieusement dans le pendentif. Deux petites cornes dépassaient à coté de ses grands yeux clos. Quelques fois, elle remuait un peu ses sabots, comme habitée par un  cauchemar. La créature paraissait minuscule, inoffensive...elle était adorable. 

Melissandre-Galaelle s'allongea sur son lit, son livre sous les yeux. Ses jambes relevées se balançaient dans la vide.  Elle commença sa lecture en se focalisant sur le personnage principal. Il pense beaucoup à la victime..." se dit elle. Phillipe, Phillipe, Phillipe... Le nom de la victime apparaissait presque dans toutes les pages. "Tiens, je ne m'en souviens pas...mais c'était il y a 2 ans...il est toujours incroyable ! Et puis zut ! Concentre-toi sur le détective, ma louloutte ! C'est à sa place que tu veux etre !"  Et elle se remit à sa lecture. 

La lampe de chevet était éteinte, mais elle ne s'en était même pas aperçue. Ses boucles roses se soulevaient et prenaient une drôle de teinte fluo. Au creux de sa poitrine, la bouche de la petite bête se tordait en un rictus malicieux... La créature ouvrit ses yeux rouges, souriant de toutes ses dents pointues. Un flash de lumière troubla la tranquille nuit de pleine lune...

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Quand Mellisandre-Galaelle reprit ses esprits, elle se retrouva allongée en plein milieux du trottoir. Il faisait jour et le soleil brillait dans le ciel. Elle baissa les yeux, la jeune fille portait des habits d'homme : un pantalon et une veste de ville. Elle tata son menton et y sentit de la barbe. Ravie que ça ait marché, elle se remit debout et sifllota. les mains dans les poches. Mellissandre-Galaelle arpentait joyeusement les rues, à la recherche du journal. Elle en trouva un, dans la poubelle, au fond d'une impasse sombre. Elle le récupéra. Un passant l'aborda :

- Salut Phillipe ! lui dit-il.

"Phillipe ?"

 - Vous devez vous tromper, monsieur...

- Oh que non... il s'avança vers elle, sa main glissa vers l' intérieur de sa veste.

La jeune fille jeta un coup d'oeil au journal :  le 24 janvier 1967...

L'homme, un sourire en coin, pointait le canon de son pistolet sur elle.

 

7 janv. 2020

Horizon

« — Tu comptes partir prochainement ? commença-t-il, en fixant l'horizon. 

Sans un bruit, je m'approchai de lui et l'enserrai dans mes bras. 

— Bientôt, murmurai-je, tout en restant évasive. 

— Bientôt...c'est-à-dire ? répéta-t-il. 

Mon coeur se mit à battre plus vite, tandis que j'humectai mes lèvres. Une étrange anxiété survenue de nulle part, prit place dans mon corps. Mes yeux s'humidifièrent et je tentai, sans succès, d'articuler une réponse. 

— Dans quelques jours. 

Il se tourna lentement vers moi et croisa mon regard, empli de tristesse. 

— Je n'ai pas compris. Peux-tu répéter, s'il-te-plaît ? répliqua-t-il en articulant distinctement. 

Je n'arrivai pas à déterminer si sa réplique était due au choc ou à mon inaudible réponse. 

— Jeudi, repris-je, d'une voix plus ferme. 

Il se tut quelques secondes, tout en gardant ses yeux rivés sur moi, puis me rendit mon étreinte. J'eus une boule dans le ventre et mon coeur se brisa en mille morceaux. Je ne pus m'empêcher d'enchaîner :

— Peut-être pourrions-nous nous voir demain ? Ma mère a tellement hâte de te rencontrer. On pourrait discuter de la cérémonie et du budget ? demandai-je. 

— Pourquoi pas, pourquoi pas... Mon frère aussi souhaite découvrir ma future femme. Cela serait sans doute notre seule chance. Alors, à demain, acquiesça-t-il. 

Il ne semblait pas saisir le trouble qui m'envahissait. Ce n'était non plus de la tristesse que l'on lisait dans mon regard, mais une profonde culpabilité. Elle me rongeait de tout mon être. 

— Tu iras au lac, quand tu seras arrivée ? Il paraît qu'il est renommé mondialement, m'interrogea-t-il, curieux. 

Je m'étais déjà renseignée sur cette zone, prévoyant ce type de questions. 

— Ce n'est pas un des ces pauvres petits lacs, voyons, le réprimandai-je. Mais la Seine ! Et puis oui, j'irais...en t'attendant. 

Il me sembla que ma phrase était peu crédible mais pourtant, elle lui fit un certain effet. Il sourit. 

— Je viendrai te retrouver à Paris, quand la guerre sera finie, ajouta-t-il, convaincu. 

— Si elle finit un jour, le corrigeai-je, m'empêchant ainsi de rebondir sur son projet de voyage. 

Tout au fond de moi, j'espérais qu'il y reste, dans cette fameuse guerre. J'osai penser que je ne serais plus sienne, à sa mort. 

— Elle finira, sois en sûre ! affirma-t-il dans un élan d'enthousiasme. 

— Je compte sur ta parole, désormais. 

Après tout, l'un des camps l'emporterait forcément. 

—Et dès lors, je scellerai notre mariage, répondit-il, enjoué, protégé par sa confiance infinie. 

— Tellement hâte, mon amour, conclus-je, amère.»

A ce moment précis, me tenant par la taille, il ignorait que je ne partais pas à Paris, mais sur le bateau de ma soeur, en direction du Canada. Là non plus, il ne comprenait pas que mes valises étaient déjà prêtes et que je quittais notre petite campagne ce soir-même. Il ne sut donc jamais que c'était non pas l'émotion mais un certain mépris que me fit baisser la tête.

Sur ce décor, nous deux réunis, il ne saisit jamais que je le quittais pour courir vers une nouvelle vie et l'amour avec, cette fois.