Œil à œil - Nouvelle
Par Cho7 le 28 nov. 2024, 7:00 - Histoires courtes - Lien permanent
- Oh, allez, ouvre…
Je ne répondis pas, espérant que Mia s’en irait en croyant que j’étais sorti de chez moi. J’avais acquis de l’expérience pour tromper les démarcheurs et les éboueurs qui vendent des calendriers, mais elle était bien plus futée qu’eux, à mon grand dam.
- Eh, je sais que tu es là. Je sais ce que tu fais. C’est mauvais pour ta santé, ajouta-t-elle d’une voix mielleuse.
Je me rassis sur mon canapé, sachant pertinemment qu’elle ne me lâcherait pas avant un bon moment, quels que soient les efforts que je puisse faire pour la faire partir. Depuis un mois que Mia faisait le pied de grue devant ma porte pendant des heures, en m’appelant, en manifestant son « dévouement », -comme elle disait-, envers moi, son envie de me voir… À vrai dire, tout cela me mettait assez mal à l’aise, je ne la connaissais que très peu, et même si, à notre rencontre, elle m'avait fait plutôt bonne impression, je ne pouvais m’empêcher de frissonner à chaque fois que j’entendais le son de sa voix.
Elle continuait de cogner à ma porte mais je ne bougeais pas de mon canapé.. J’avais bien essayé de lui faire comprendre que je n’avais nulle envie de sortir avec elle, elle était plus tenace qu’un enfant qui réclame sa peluche, et sûrement moins mâture. Au bout d’un moment, je me rendis compte que je n’entendais plus de bruit. Etait-elle partie ?…Trop beau pour être vrai ! Dans le doute, je me précipitai vers la porte, trop content d’être enfin tranquille. Elle n’est pas restée longtemps, aujourd’hui… Aurait-elle enfin compris ? pensai-je, plein d’espoir.
Mais, en regardant à travers le judas, je tombai nez à nez, ou plutôt œil à œil avec Mia, la pupille exorbitée. Son autre œil était couvert d’un bandeau, et je pouvais compter le nombre de taches de rousseur qu’elle possédait..
- A-ha ! s’exclama-t-elle d’une voix satisfaite et légèrement moqueuse. Pourquoi est-ce que tu faisais le mort ?… Je ne répondis pas, et décollait ma tête de la porte, afin de retourner sur mon canapé.
- Mia… je n’ai vraiment pas besoin de ça. Va-t-en, je t’en prie.
Elle ne répondit pas tout de suite, mais je pouvais sentir son regard perçant.
- Tu ne pourras pas toujours rester chez toi.. Je sais… je sais que tu es déprimé, je sais que tu pleures, chaque nuit, et-
- Mia, va-t-en !
Ses derniers mots m’avaient exaspéré parce qu’elle avait vu juste. Parce qu’elle avait touché là où cela faisait mal. Je lui avais lancé mes derniers mots alors que j'étais face à la porte. Je savais qu’elle me voyait, mon minuscule studio était visible depuis l’entrée, en particulier le canapé. Mes yeux brillaient de colère ; je ne supportai plus la présence de cette fille chaque jour devant ma porte. Surtout, je ne supportai pas qu'elle ait compris la raison à mon enfermement.
- Je sais que tu pleures chaque nuit, continua-t-elle obstinément, mais je peux supporter le poids de cet amour. Je peux t’aider à sécher tes larmes, même s'il y en aura encore et encore. Alors, vas-y, je te soutiendrai, je t'offrirai mon cœur pour sauver le tien.
- Tais-toi ! lançai-je, à la fois agacé et désespéré.
- Vas-y, continue de déverser ton venin. Déverse toute ta haine sur moi, et je te soignerai avec mon amour. J’encaisserai tout et je t’aiderai à éteindre ta colère. Parce que tu sais que je suis la seule qui te comprends, n’est-ce pas ? Tu as compris que tu ne pourras pas parler de tes problèmes à quelqu’un d’autre que moi, parce que je suis la seule qui t’aie percé à jour.
Je soupirai avec fureur. Pourquoi est-ce qu’elle avait été aussi clairvoyante ? Pourquoi elle ? Pourquoi s'obstinait-elle à me rappeler ce qui faisait mal ? Je voudrais oublier, au moins une seconde, que je ne pouvais pas envisager l'avenir, puisque pour moi, l’avenir n’existait plus !
- Tu es aussi tordue que moi, Mia. Regarde-toi. Tu crois sincèrement que venir m’espionner chaque jour va m’aider à « t’aimer » ? Sérieusement, es-tu si naïve ?
Pas de réponse. Juste le silence dans mon studio interrompu de temps en temps par le ronronnement des moteurs de voiture en bas de l’immeuble. Cette fois, je n’eus pas la force de me lever pour regarder si elle était partie. je m’allongeai simplement entre les coussins délavés...Exténué.... Cependant, les paroles de Mia me hantaient. Oui, elle était la seule qui voyait clair en moi même si cela me faisait trop mal de l'admettre.
Je plongeai dans un sommeil profond. Longtemps.
Un silence à la fois tellement relaxant, et angoissant m’enveloppait. Oui… oui, encore une fois, à mon grand regret, je m'étais habitué à cette présence, et, oui, je m’inquiétais pour elle. L’idée de l’avoir blessée me terrifiait. Est-ce que j'avais été trop égoïste ? Est-ce qu’elle avait attendu que je lui réponde ? Trop de questions se bousculaient dans ma tête et m'angoissaient terriblement.
Et surtout, j’étais terrifié d’être seul. J’aurais pu lui parler, j’avais raté ma seule chance de m’en sortir. Accablé de fatigue, malgré toutes ces heures de sommeil, je me levai et j'ouvris la porte. Mia n’était pas là.
Elle était partie.
Pour de bon.
J'avais épuisé mon stock de mouchoirs, Lentement, je me saisis de mon manteau, pendu à mon lit, et l’enfilai en soupirant. En regardant autour de moi, je constatai avec fierté que mon hygiène de vie s’était grandement améliorée depuis que j’avais arrêté d’attendre qu’elle revienne.
- En route, me motivai-je.
J’ouvris la porte, pour me rendre au supermarché le plus proche, et tombai œil à œil, ou plutôt nez à nez avec une jeune fille, le visage triste, qui s’apprêtait à toquer à ma porte.
- Bonjour. Tu vas bien ?
- Cette nouvelle a été librement inspirée de la chanson Monitoring de DECO*27.
Commentaires
J'ai bien aimé ton article
C'est une histoire incroyable, j'espère qu'il y aura une suite !