« — Tu comptes partir prochainement ? commença-t-il, en fixant l'horizon. 

Sans un bruit, je m'approchai de lui et l'enserrai dans mes bras. 

— Bientôt, murmurai-je, tout en restant évasive. 

— Bientôt...c'est-à-dire ? répéta-t-il. 

Mon coeur se mit à battre plus vite, tandis que j'humectai mes lèvres. Une étrange anxiété survenue de nulle part, prit place dans mon corps. Mes yeux s'humidifièrent et je tentai, sans succès, d'articuler une réponse. 

— Dans quelques jours. 

Il se tourna lentement vers moi et croisa mon regard, empli de tristesse. 

— Je n'ai pas compris. Peux-tu répéter, s'il-te-plaît ? répliqua-t-il en articulant distinctement. 

Je n'arrivai pas à déterminer si sa réplique était due au choc ou à mon inaudible réponse. 

— Jeudi, repris-je, d'une voix plus ferme. 

Il se tut quelques secondes, tout en gardant ses yeux rivés sur moi, puis me rendit mon étreinte. J'eus une boule dans le ventre et mon coeur se brisa en mille morceaux. Je ne pus m'empêcher d'enchaîner :

— Peut-être pourrions-nous nous voir demain ? Ma mère a tellement hâte de te rencontrer. On pourrait discuter de la cérémonie et du budget ? demandai-je. 

— Pourquoi pas, pourquoi pas... Mon frère aussi souhaite découvrir ma future femme. Cela serait sans doute notre seule chance. Alors, à demain, acquiesça-t-il. 

Il ne semblait pas saisir le trouble qui m'envahissait. Ce n'était non plus de la tristesse que l'on lisait dans mon regard, mais une profonde culpabilité. Elle me rongeait de tout mon être. 

— Tu iras au lac, quand tu seras arrivée ? Il paraît qu'il est renommé mondialement, m'interrogea-t-il, curieux. 

Je m'étais déjà renseignée sur cette zone, prévoyant ce type de questions. 

— Ce n'est pas un des ces pauvres petits lacs, voyons, le réprimandai-je. Mais la Seine ! Et puis oui, j'irais...en t'attendant. 

Il me sembla que ma phrase était peu crédible mais pourtant, elle lui fit un certain effet. Il sourit. 

— Je viendrai te retrouver à Paris, quand la guerre sera finie, ajouta-t-il, convaincu. 

— Si elle finit un jour, le corrigeai-je, m'empêchant ainsi de rebondir sur son projet de voyage. 

Tout au fond de moi, j'espérais qu'il y reste, dans cette fameuse guerre. J'osai penser que je ne serais plus sienne, à sa mort. 

— Elle finira, sois en sûre ! affirma-t-il dans un élan d'enthousiasme. 

— Je compte sur ta parole, désormais. 

Après tout, l'un des camps l'emporterait forcément. 

—Et dès lors, je scellerai notre mariage, répondit-il, enjoué, protégé par sa confiance infinie. 

— Tellement hâte, mon amour, conclus-je, amère.»

A ce moment précis, me tenant par la taille, il ignorait que je ne partais pas à Paris, mais sur le bateau de ma soeur, en direction du Canada. Là non plus, il ne comprenait pas que mes valises étaient déjà prêtes et que je quittais notre petite campagne ce soir-même. Il ne sut donc jamais que c'était non pas l'émotion mais un certain mépris que me fit baisser la tête.

Sur ce décor, nous deux réunis, il ne saisit jamais que je le quittais pour courir vers une nouvelle vie et l'amour avec, cette fois.