La carte réalisée par la classe

La carte finale réalisée par la classe, contenant du multimédia, est visualisable sur padlet à partir des liens suivants :

En voici ci-dessous deux captures d'écran : 

Capture_padlet_1900.JPG
Capture_padlet_2016.JPG
 

La fabrique de la carte

Naissance du projet

Entre septembre 2015 et juin 2016, huit enseignants de disciplines variées du collège les Rives du Léman à Evian avons animé des ateliers transdisciplinaires en 6è et en 4è, à raison d’une heure par semaine pour chaque classe.

Mars 2016 : le point d’orgue de la dernière période du projet transdisciplinaire est une visite guidée d’Evian avec le CAUE 74, sur le thème de l’architecture thermale. Autour de cette visite prévue le 7 avril 2016 va s’articuler un travail en deux temps : créer la carte sensible d’Evian aujourd’hui, format papier et format numérique, la rendre interactive, puis la recréer en « version 1900 », après avoir fait la visite.

Sensibilisation … à la carte sensible !

Dans un premier temps, il faudra expliquer aux élèves (et à mes collègues !) ce qu’est une carte sensible. Une première définition, empruntée à Catherine Jourdan [1] : « Une carte subjective est une carte d’un lieu élaborée par un groupe d’habitants, ou par une personne qui rend compte de la vision qu’a une personne ou un groupe d’habitants d’un territoire à un temps t. Elle n’existe que par les mots et les dessins de celui ou celle qui cartographie selon son vécu. On y trouve donc des souvenirs, des histoires, des sensations, des sentiments : elle n’est donc pas une carte « exacte », à une échelle précise, figée dans le temps »

 Et des exemples variés :

  • la carte sensible de Boulogne Billancourt réalisée par des élèves du lycée Jacques Prévert[2]
  • quelques planches de Florent Chavouet disponibles sur le Net[3] et, pour aller plus loin, l’article qui lui est consacré en 2011 dans Strabic[4]
  • la carte du quartier Saint Gilles de Bruxelles réalisée par un groupe d’habitants dans le cadre d’une résidence de Catherine Jourdan et Pierre Cahurel, graphiste. Enfin, une lecture survolée de l’article de Florent Lahache et Catherine Jourdan[5] pour donner du sens à ce projet de cartographie subjective.

Il est en effet nécessaire de donner à comprendre que l’on va « sortir du cadre », que ce travail est bien de la géographie, et qu’il s’appuie sur du vécu. Donner le droit de s’affranchir des codes classiques de la cartographie, pour mieux les appréhender, s’en emparer pour les comprendre. Et embarquer les collègues, non géographes, dans cette aventure !

Entre les quatre murs de la classe d'abord …

La classe sera d'abord divisée en petits groupes, pour inventorier les endroits que les élèves fréquentent à Evian, tenter un regroupement thématique afin d’ébaucher une nomenclature pour la légende de notre future carte.

Les propositions sont mises par écrit, et débattues à la séance suivante :

LES LIEUX QU’ON AIME BIEN
  • Où on s’amuse / se divertir
  • On achète
  • On mange ¨on boit
  • Tourisme
  • De tous les jours
  • Se détendre
  • Les transports
  • Les lieux d’évènements
  • Les lieux publics
  • Les loisirs
  • Pour le sport
  • Les lieux de l’été
  • Se poser
LES LIEUX QU’ON N’AIME PAS
  • Où on ne va jamais ou rarement
  • Ecoles
  • Où il y a bcp de bruit à cause des travaux
  • Les zones de travaux
  • Les endroits dangereux
  • Les endroits moches
  • Les lieux qu’on déteste
LES LIEUX QU’ON TROUVE BEAUX
  • Intérieur/extérieur
  • Les parcs et jardins
  • Les monuments connus
LES LIEUX DE SPORT
  • Intérieur / extérieur
  • Courir
  • Nager
  • En équipe ou en solo
LES LIEUX PUBLICS
  • Les musées
  • La mairie
Mais aussi …
  • Les lieux qui ne nous concernent pas
  • Les lieux mystérieux
  • Les lieux devant lesquels on ne fait que passer
  • Les lieux où il y a des bruits qu’on aime
  • Les lieux où ça sent bon
  • Les lieux qui nous fichent la trouille

Cette trop longue liste va devoir être affinée : on commence à regrouper, supprimer, pour ne garder « que » sept catégories de lieux. Ici encore, la procédure repose sur une réflexion collective et collaborative.

Séance suivante

Sept padlets ont été ouverts pour chaque catégorie 
  • les lieux qu’on trouve beaux
  • les lieux qu’on n’aime pas et pourquoi
  • les lieux qu’on aime bien et pourquoi
  • les lieux pour faire du sport
  • les lieux où on aime se retrouver entre amis et ce qu’on y fait
  • les bâtiments publics qu’on connaît et leur fonction
  • un padlet  « libre »
En salle informatique

Chaque groupe cherche à classer les lieux auxquels il avait pensés en les reportant sur le padlet de sa catégorie. Rapidement les élèves se rendent compte que certains lieux relèvent de plusieurs catégories, et qu’ils ne sont pas forcément d’accord sur le classement : les padlets étant ouverts, ils voient en effet s’afficher les lieux choisis par leurs camarades. Le collège, « lieu qu’on trouve beau », « lieu qu’on n’aime pas » ou « lieu qu’on aime bien » ? Discussions, parfois légèrement houleuses, et interventions nécessaires du professeur qui modère chaque padlet. A la fin de la séance, les padlets sont archi pleins. De nouvelles propositions de catégories, de regroupements et de reformulation ont été évoqués. Il est bien entendu que certains lieux sont dans plusieurs catégories.

Construction de la légende : choix des figurés

 Pour la séance suivante, les padlets ont été transformés en listes ; chaque groupe reçoit donc sept listes, et la légende construite à partir des catégories et propositions travaillées à partir des padlets. Chaque groupe cherche à reporter tous les lieux dans sa légende, et propose des figurés. A la fin de la séance, les légendes complètes sont posées sur la table de chaque groupe ; tous les élèves passent devant chaque table et chacun vote, pour chaque catégorie, pour la proposition qu’il préfère.

Les votes sont dépouillés par les professeurs, et ça donne :

figures_les_lieux_qu_on_aime_bien.jpg
figures_les_lieux_qu_on_n_aime_pas.jpg
figures_les_lieux_qu_on_trouve_beaux.jpg
les_lieux_qui_ne_nous_concernent_pas.jpg

figures_lieux_mysterieux.jpg

Réalisation de la carte sur papier : difficultés

Le fond de carte d’Evian est imprimé depuis le site géoportail, photocopié et agrandi, de sorte que chaque groupe ait un morceau et reporte sur son morceau les lieux qu’il avait identifiés, en respectant la légende.

Ce travail est complexe car le morceau « centre ville » est très chargé en figurés, quand d’autres zones d’Evian n’ont que deux ou trois lieux mentionnés. Le travail est donc très inégal selon les groupes.

Deuxième difficulté, comment faire pour que chaque groupe reproduise exactement le même figuré ?

Enfin, l’impression du plan via geoportail nécessite d’imprimer en plusieurs fois pour avoir la totalité de l’espace qui m’intéresse, il faut ensuite agrandir chaque morceau à la photocopieuse : l’assemblage des morceaux devient un véritable casse-tête. Le résultat graphique est, pour tout dire, décevant. Nous n’avons pas assez de place pour reporter tous les lieux recensés dans le centre ville.

premiere_approche_sur_la_carte_d_Evian_en_entier.jpg

Finalement nous décidons de porter plus d’attention au centre, et confions la réalisation de cette partie de la carte à quatre élèves, pour garder une unité graphique :

le_centre_termine.jpg

Sur le terrain …

La deuxième partie du travail est liée à la visite guidée d’Evian, le 7 avril, avec une guide du CAUE 74. Avant la visite, les élèves ont une heure pour déambuler dans les rues, et photographier les lieux qu’ils avaient identifiés dans la première partie de leur travail. Nous enregistrons également quelques sons.

La visite guidée est centrée sur les Eaux à Evian en 1900. C’est évidemment l’occasion de voir les lieux sous un autre angle. La guide dispose de vieilles cartes postales, qui permettent aux élèves de se représenter les lieux, et de mesurer l’écart entre la fonction du lieu en 1900 et celle d’aujourd’hui. Ainsi l’arrière de la Buvette Cachat, haut lieu du tourisme thermal en 1900, oublié des élèves aujourd’hui qui le classeraient plutôt dans les lieux « moches » ou qui ne nous « concernent pas » tant le lieu est délabré et en chantier :

buvette_cachat_1900.jpg
arriere_buvette5.jpg

En revanche, de l’autre côté de la rue, c’est exactement à la même source que celle d'origine que vont boire les élèves ; nous essayons d’imaginer ce qu’entendaient les touristes en 1900 ; et captons le bruit de la source qui coule, identique depuis 116 ans …. Mais aussi le bruit des marteaux piqueurs et camions de chantier !

buvette_1900.jpg
buvette_cachat_auj.jpg

Son de la source

Son des travaux, en arrière plan la source

Son des fontaines dans le hall du Palais Lumière

Tout au long de la visite, avec la complicité de la guide, nous égrenons les comparaisons sensibles, et tentons de capter nos ressentis d’aujourd’hui, et d’imaginer ceux des hommes et femmes de 1900.

Finalisation numérique des cartes sensibles

De retour au collège, les élèves passeront deux séances à collecter des photos des lieux en 1900, et à rédiger des explications sur les lieux et leurs fonctions à l’époque.

 Nous voulons aussi récupérer les photos prises pendant la sortie. Mais le collège n’est pas équipé en wifi, nous ne pouvions donc pas réceptionner directement leurs photos sur quelque site que ce soit. Ils nous les ont donc envoyées par mail depuis chez eux, et nous les avons déposées sur l’ENT.

 Deux élèves sont chargés de la réception numérique des photos, des sons et des vidéos, de les nommer, de supprimer les doublons, et de changer le format si nécessaire. Mais ils se sont retrouvés submergés…

La finalisation

 Finalement, deux séances ont été consacrées à l’insertion des images de 1900, et des sons, sur la carte sensible numérisée. Nous avons choisi Padlet comme support ; l’idée était de créer des pastilles interactives pour insérer sons et images et pouvoir, en cliquant sur un lieu, comparer en 1900 et aujourd’hui. Ce qui est dommage c’est que les pastilles sont trop grosses par rapport au plan et ne permettent donc pas une insertion fine. Pour limiter le texte en surimpression, nous avons donc fait s’enregistre les élèves sur audacity. Mais nous avons manqué de temps pour insérer ces enregistrements audio. Au final, les élèves ont préféré réaliser deux padlets différents :

Bilan

En définitive, il nous a manqué du temps, et du matériel (et des compétences techniques !) pour parvenir au résultat espéré… par exemple, il nous aurait fallu la capacité de retravailler la carte papier avec une tablette graphique pour la numériser plus « proprement » ; et trouver une autre solution que padlet pour créer notre carte interactive.

Ceci dit, cette expérience a ravi les élèves, sans exception. La possibilité de confronter leurs habitudes quotidiennes à une réflexion géographique a assurément transformé leur regard sur leur ville. La visite guidée, véritable machine à remonter le temps, leur a permis de pénétrer dans des lieux publics dans lesquels ils n’étaient jamais rentrés (certains bureaux de la mairie, par exemple, qui se trouve dans l’ancienne demeure des frères Lumière) ; ils ont aussi été amenés à réfléchir sur la notion de patrimoine, de patrimoine commun, de responsabilité citoyenne face à ce patrimoine. Derrière la description de leur espace urbain et du patrimoine local se dessine une découverte des acteurs qui agissent en fonction de logiques politique et économique, une prise de conscience politique.

En termes de didactique de la géographie, il est certain que le travail cartographique a nettement amélioré leur compréhension de ce qu’est une légende, un figuré ; et leur a permis de percevoir qu’une carte n’est jamais neutre.

Ainsi ont -ils développé leur « conscience géographique », pour reprendre les termes de Pascal Clerc [6]: une géographie éprouvée avec les pieds (arpenter la ville), tous les sens en éveil ; une géographie de terrain, qui permet de s’insérer dans une trame historique dont nous sommes des maillons ; une géographie citoyenne, une géographie de l’habiter, qui donne à saisir que chaque geste, chaque déplacement, chaque acte posé dans ma ville la transforme, et me transforme.


[1] Catherine Jourdan, psychologue clinicienne et artiste documentaire mène depuis plusieurs années un projet documentaire cartographique autour de la géographie subjective ; http://www.geographiesubjective.org/Geographie_subjective/Presentation.html

[2] Réalisée dans le cadre du  colloque intitulé « Mise en Seine des enjeux climatiques » organisé à Boulogne-Billancourt par l’ONG Ile-de-France Environnement. http://www.histoire.ac-versailles.fr/spip.php?article1300

[4] Propos recueillis par Caroline Bougourd et Tony Côme, le 1er décembre 2011, au Café de l’Industrie. Publié le 11 mai 2012  http://strabic.fr/Florent-Chavouet-Cartomaniaque

[5] Catherine Jourdan et Pierre cahurel, « Tracer le commun, Notes sur la Géographie subjective », http://www.geographiesubjective.org/Geographie_subjective/Klaxon.html

[6] Pascal Clerc, Construire une conscience géographique in Cahiers Pédagogiques, n° 460, 2008