La participation au concours de carte postale sensible de la classe de 1ES1 du lycée Marie Curie de Sceaux a été inscrite dans une démarche de découverte de la géographie de manière moins scolaire. Etant géographe, j’aime enseigner cette matière mais je me rends compte que les élèves préfèrent souvent l’histoire… Je voudrais les convaincre de l’attractivité et de l’utilité sociale de cette matière, qui propose de nombreux débouchés professionnels, et tout particulièrement pour des élèves ayant suivi la série ES…
Ce travail a été ancré dans une réflexion sur les représentations de l’espace proche du lycée et sur les pratiques de cet espace par les élèves (lieux appréciés, fréquentés, traversés). Il est articulé à certains chapitres de géographie de Première : celui du thème 1, Comprendre les territoires de proximité, appelé Acteurs et enjeux de l’aménagement, et ceux du thème 2, Aménager et développer le territoire français, celui baptisé La France en ville et celui sur les mobilités.
Première étape :
Les élèves ont réalisé par groupes de 3 une maquette de leur espace proche. Cette activité de début d’année (dernière semaine de septembre) a permis aux élèves de mieux faire connaissance, de se mettre au travail par le jeu, tout en réfléchissant à leur connaissance et leurs pratiques de l’espace. L’idée a été adaptée d’une activité proposée par Bénédicte Tratnjek à des étudiants de Master et expliquée sur le site Aggiornamento Histoire-Géographie : https://aggiornamento.hypotheses.org/date/2015/02
Cette réalisation de maquettes a été mise en œuvre sur des heures de module, où les élèves n’étaient plus que 18, et non en classe entière (classe de 36 élèves au départ, seulement 34 aujourd’hui). Les élèves avaient une grand feuille de papier d’environ 1 mètre 50 sur 1 mètre 50. Ils ont travaillé sur des tables assemblées, avec crayons de papier et de couleurs, feutres, scotch et ciseaux, et matériel spécifique pour faire de la 3D : rubans de papier et scotchs de couleur, post-its, blocs de duplo, carrés de sucre. Les élèves devaient respecter les conventions de couleurs (espaces verts en vert par exemple) et proposer une légende construite avec leur maquette (dessus ou sur une feuille jointe)
Avant de mettre les élèves au travail, et en présentant l’activité, j’en ai profité pour évoquer les cartes mentales utilisées comme méthode d’enquête par les géographes (sans aller jusqu’à citer Kevin Lynch ou Peter Gould…), et surtout pour insister sur l’idée qu’ils allaient réaliser une représentation de l’espace, pas forcément fidèle à l’échelle : cela passait donc par l’explication de ce qu’est une échelle sur une carte et sur un croquis, et sur la clarification de la différence entre schéma et croquis. Leur démarche devait rester de l’ordre du croquis, mais avait le droit de mettre à mal les distances métriques…
Il y avait une dimension nécessaire de dialogue et de compromis, puisqu’il fallait que la maquette représente les représentations et les usages de trois personnes à la fois. Un des enjeux était précisément que les élèves réfléchissent à l’échelle à adopter pour leur maquette. Certains ont de fait représenté un espace relativement restreint, centré sur le lycée, d’autres ont inscrit Sceaux dans la banlieue sud de Paris. Les élèves ont eu 2 fois une heure pour faire ce travail. Certains ont apprécié la dimension créative, proche des réalisations en arts plastiques, une option que suivent 2 élèves de la classe seulement.
Le travail sur les maquettes a été prolongé par une étude de documents géographique plus classique, sur la coulée verte, qui passe tout près du lycée. Cet aménagement avait été représenté sur plusieurs maquettes et a permis d’aborder la notion d’aménagement et le thème des conflits d’aménagement. Le dossier documentaire leur faisait découvrir que la construction d’une autoroute urbaine (prolongement de l’A10) avait été envisagée sur cet espace, puis le tracé de la ligne à grande vitesse atlantique, à quelques mètres des fenêtres du lycée ! Un texte expliquait que les habitants, par le biais d’une mobilisation citoyenne pionnière sur des arguments écologistes, avaient obtenu que les voies ferrées soient enterrées et qu’une coulée verte soit dessinée pour relier Paris à sa banlieue sud.
Le lycée Marie Curie de Sceaux vu depuis la coulée verte en 2013 (Photographie : Bertrand Daillie, www.citoyensethumanistes.fr)
Le lycée Marie Curie et les jardins ouvriers en voie d’être préemptés pour le tracé de la coulée verte (Source : Simone Pouey-Mounou, http://www.fontenay-aux-roses.fr/ fileadmin/fontenay/MEDIA/ decouvrir_la_ville/histoire/Publications /Etudes/coulee_verte.pdf)
Chaque maquette a été présentée par les élèves au début d’une séance de module ultérieure. Les auteurs devaient expliquer leurs choix de représentation et leur légende. Les élèves ont ensuite voté pour la maquette qui leur plaisait le plus et qui devait être donnée à voir sur un espace d’affichage du lycée.
Quatre exemples de maquettes :
La maquette de Kilian, Sara, Morgane
L’originalité de cette maquette résidait dans plusieurs éléments : la coulée verte en herbe prélevée sur place, les trajets de bus signalés par des tickets de transport, les cafés fréquentés par ces élèves représentés par de fausses cigarettes, la déstructuration des distances pour pouvoir placer Paris (la Seine à Saint Michel Notre Dame) ou Montrouge. Le lycée est la forme jaune et bleue en U inversé.
La maquette de Martin, Jean Baptiste, Ryan
Cette maquette représentait elle aussi Paris, avec le Louvre et la Tour Eiffel (elle a été abimée dans la manipulation entre salles de classe…) mais aussi la proximité, avec un restaurant que les élèves fréquentent souvent, et l’itinéraire pour se rendre au lycée (le carré jaune), avec un point de rendez-vous devant la maison de l’un des élèves (le point vert le plus proche du carré jaune).
La maquette de Kindy, Lilian, Sonia
Plus centrée sur Sceaux où résident les trois élèves de cette équipe, cette maquette suivait une logique de catégorisation par couleurs des lieux représentés : vert pour les espaces verts, bleu gris pour les transports, violet pour les loisirs, jaune pour les magasins d’alimentation. Le lycée est ici représenté par le lego (duplo) bleu et les lettres MC.
La maquette d'Adrien, Ariane, Paul
Cette maquette met en avant les lieux pratiqués par les trois élèves, puis distingue leurs pratiques individuelles, liées à leurs lieux de résidence et à leurs activités extrascolaires. Les carrés de sucre ont été utilisés pour montrer de modes de déplacement : bus, vélo.
La maquette choisie par les élèves et affichée au lycée
Mathilde, Clara, Zoé
Cette maquette est davantage graphique que géographique, avec des dessins, et représente les lieux fréquentés, rassemblés en catégories (activités sportives, espaces verts, lieux de restauration). A côté de la maquette ont été affichées des photos prises lors d’une sortie sur le terrain, dans les alentours du lycée, guidée par une géographe.
Deuxième étape
Un mois après le travail sur les maquettes, début novembre, les élèves ont fait une promenade à Sceaux accompagnés d’une géographe et urbaniste. J’avais contacté Madame Catherine Rhein par e-mail avant le projet de participer au concours. Après avoir lu l’article d’une journaliste du Monde qui racontait une promenade géographique à Sceaux avec Mme Rhein, je l’avais sollicité pour une expérience du même type avec mes élèves. Ancienne élève du lycée, membre d’une association de la ville de Sceaux où elle habite depuis longtemps, Mme Rhein a tout de suite été favorable au projet. En s’appuyant sur son suivi dans les années 1970 de l’opération de piétonisation de la rue Houdan, elle a conçu une promenade en insistant sur les évolutions de l’urbanisme à Sceaux, sur les aménagements de la ville et leurs acteurs.
Les élèves devaient prendre des notes pour faire un compte rendu de la sortie. Ils devaient mentionner les générations de constructions observées et les acteurs et enjeux de l’aménagement de la ville, tels qu’ils leur avaient été présentés. A cette synthèse, ils devaient ajouter une photo, prise par eux-mêmes lors de la sortie, illustrant l’une des périodes d’urbanisme à Sceaux, accompagnée d’un texte qui présente le lieu/bâtiment, son architecture ou sa structuration spatiale, sa date de conception et réalisation, et ses objectifs. Ils ont ainsi découvert le sens des acronymes ZUP (Zone d’urbanisation prioritaire, avec la cité des Bas Coudrais, construite entre 1955 et 1962) et ZAC (Zone d’Aménagement Concerté, avec la ZAC Charaire construite au début des années 1980). Ils ont aussi vu à quoi ressemblait un Plan local d’Urbanisme (PLU).
Troisième étape
En janvier, le travail de réflexion sur l’espace proche et de pratique cartographique a repris, cette fois-ci par le biais de l’outil informatique. Après avoir fait des maquettes en grand format, proches d’un travail d’art plastique, les élèves ont été mis face à des écrans pour une initiation au dessin et à la cartographie par ordinateur. Je me suis appuyée sur le logiciel Edugéo. Lors d’une séance en parallèle, intégrée dans un cours, le logiciel leur a été présenté, afin qu’ils comprennent la notion de « couches », les fonds de cartes disponibles et qu’ils voient des réalisations d’élèves. Je me suis appuyée sur une proposition pédagogique proposée sur l’académie de Versailles, pour l’étude de cas sur la montagne, dans le chapitre sur les milieux : http://www.histoire.ac-versailles.fr/spip.php?article1118
En modules, chaque élève devant un ordinateur connecté à internet, et avec des consignes très accompagnantes, la découverte du logiciel a été utilisée pour la réalisation d’un croquis pour la carte postale. Les élèves se sont aidés de la carte au 25 000e et des photos aériennes pour localiser et représenter les informations qu’ils souhaitaient faire apparaitre sur leur croquis. Ils devaient construire au fur et à mesure une légende correspondant à leur croquis. Ce travail a pris deux heures pour chaque groupe. Plus rapidement, lors d’une dernière séance, chaque élève a rédigé un texte pour sa carte postale.
J’ai opéré une sélection parmi les 34 propositions et soumis au vote de la classe 10 cartes postales et leur texte. La carte postale élue, celle de Safia, est celle qui va être présentée au concours. J’ai tout de même choisi d’en présenter quelques autres ci-dessous.
Les élèves ont ensuite fait des prises de sons dans différents lieux, afin d’ajouter une dimension sonore à la carte postale. En fichier électronique, la carte postale sera interactive et permettra de cliquer sur ces lieux pour entendre les sons. Maxime, un élève de la classe, passionné d’informatique, a pris en charge l’insertion de ce contenu sonore sur la carte au format powerpoint. Nous allons donc envoyer la carte sous format papier et sous format powerpoint.
La carte postale de Delphine (cliquer pour agrandir)
Coucou Andres !
Tout va bien en Belgique ? Je profite de t’écrire comme ça pour te montrer mon quotidien et tout. Enfin, ma petite routine, quoi. Sur la carte, je t’ai dessiné et écrit les noms de tous les endroits importants pour moi. Enfin, la majorité, car tout ne rentrait pas. Le parc de Sceaux paraît géant, t’as vu ? C’est là où j’ai pas mal de souvenirs de l’été dernier, tu sais, je t’avais raconté. Les cafés dont je t’ai parlé y sont aussi, et le cinéma Le Trianon, où on est privé de pop corn, et bien sûr le lycée. Il faudrait vraiment que tu voies Paris un jour, tu adorerais. On irait en tous les deux en RER depuis chez moi… Tu me manques un peu moussaillon. Porte toi bien.
Delphine
La carte postale de Sara (cliquer pour agrandir)
Salut toi !
Comme je n’avais rien de spécial à faire, j’ai décidé de t’envoyer un petit croquis des endroits que je fréquente au quotidien. Mon lycée est à Sceaux mais je t’avoue que je passe la majorité de mon temps ailleurs parce que c’est une ville de vieux. A part la coulée verte en été, et un ou deux cafés qu’on peut fréquenter, il n’y a rien. Je passe toute ma vie dehors parce que mon appartement est minuscule comme tu le sais. Je vais souvent chez Quentin et Alma, et sinon, en général, je suis au café le QG, à Montrouge, où les serveurs sont super sympa. Bref, on se voit vite. Bisous
Sara
La carte postale de Mathilde (cliquer pour agrandir)
Chère Clara,
Je ne sais pas si tu te souviens de moi, nous nous sommes connues au lycée Marie Curie de Sceaux. Mais à la fin du lycée, j’ai dû déménager à Hendaye au pays basque. J’ai aujourd’hui 24 ans et hier, en fouillant dans de vieux cartons, je suis tombée sur une photo de nous deux qui m’a donné envie de reprendre contact avec toi. Sur cette carte que tu vas recevoir, j’ai représenté les lieux de nos trois années passées ensemble, il y a 10 ans... Les ieux que nous avions en commun et que nous aimions fréquenter : le café de la paix près du lycée et celui de Montrouge, le QG, le parc de Sceaux, le bus si bondé qui nous ramenait chez nous…. J’espère que cette carte te fera plaisir et que nous pourrons bientôt nous revoir.
PS : Aimes-tu toujours autant les kangourous ?
Mathilde
La carte postale de Juliette (cliquer pour agrandir)
Salut !
Bon, la dernière fois que tu es venu à la maison, tu voulais que je t’emmène voir mon lycée, mais nous n’en avons pas eu le temps… Je t’avoue que je n’en avais aucune envie puisque je n’avais pas y aller comme pendant les cours ; sinon, quoi servent les vacances ? J’y passe tellement de temps au lycée que je n’ai pas encore eu le temps de découvrir les alentours, sauf la rue Houdan, où il y a quelques endroits sympa. Je t’y emmènerai a prochaine fois.
La bise
Juliette
La carte postale de Maxime (et le texte de Ryan) (cliquer pour agrandir)
Cher papa Noël,
Tu as oublié de m’apporter des cadeaux ?? J’habite une résidence bordée d’arbres et de personnes âgées, tu as du penser que ce n’était pas la peine de t’y arrêter ? Ou bien c’est parce que tu penses que je vis au lycée… J’y passe tellement de temps… Mais le gardien n’avait pas de paquet pour moi. Pourtant, tu pouvais trouver quelque chose pour moi au simply market, ou bien des bons pour aller manger dans mon resto préféré, le grec près du RER. Ou bien est-ce parce que ton traineau est en panne ? Prends le RER ou le bus pour venir, j’attends avec impatience ton retour.
Ryan
La carte sensible choisie par les élèves mais qui va être retravaillée pour la légende et complétée par l’ajout d’éléments sonores (cliquer pour agrandir) :
Coucou Noor, c’est moi. Ça va ?
Comme tu n’es jamais venue à Sceaux et que tu n’as jamais vu mon lycée ni les endroits que je fréquente, je t’envoie une carte postale de Sceaux. C’est vraiment une ville agréable. Je suis contente d’être au lycée Marie Curie et de concilier travail et amusement. Tu peux voir toutes les routes par lesquelles je passe, dont l’itinéraire du bus bondé et bruyant avec lequel je rentre chez moi après les cours, comme j’habite chez mon père un peu loin.. Je t’ai mis les maisons de mes amies, le centre ville piétonnier et plutôt chic avec la rue Houdan et les magasins où je vais souvent, certains fast-food et restaurants que j’aime, surtout le kebab où je vais avec les gens de ma classe, la station RER de Robinson où j’achète mes tickets de transport, les salles de sport où je vais me défouler (et parfois aussi me faire mal !), la bibliothèque, caverne d’Ali Baba pour nos TPE…. Ce que j’adore faire, quand il fait beau, à côté de Marie Curie : une petite escapade en enfance au coin balançoire de la coulée verte avec mes amies entre midi et deux. Que demander de plus ?
Safia
Voir la production finale de la classe
une réaction
1 De RV - 14/04/2016,
Merci pour votre article