"Parricide" (Kailyne Alibay-Gandjee)
Par L. Bueno-Lahens (lycée Hoche, Versailles (78)) le 31 janvier 2016, 19:17 - Nouvelles réalistes à chute - Lien permanent
Il vivait sous le banc, en face de la boulangerie, seul. Il était si courageux, si honnête, si respectueux…, mais il était bien connu pour sa curiosité. Il était toujours là pour aider les autres, sans jamais rien demander en retour. Il y en avait peu, des jeunes garçons de seize ans comme Ses parents étaient morts il y a deux jours, le 6 Novembre 1924. Pauvre Raphaël, il était devenu orphelin et il n’avait ni maison, ni argent, ni nourriture, ni famille. Rien. Mais il avait toujours de l’espoir, l’espoir de réussir dans sa vie, de sortir de cette pauvreté. Il décida donc de continuer de travailler à l’Hôpital Saint-Louis pour gagner de l’argent, mais aussi pour l’honneur et la fierté.
A l’hôpital, Raphaël passait la serpillère, nettoyait les chambres, s’occupait des poubelles, et toutes les tâches de ce genre. Tout se passait bien: Raphaël ne gagnait pas beaucoup mais c’était suffisant pour lui et le personnel était gentil et tolérant avec lui. Il avait aussi rencontré Lucie, une jolie et charmante infirmière de vingt-trois ans. Ils s’entendaient bien, traînaient souvent ensemble le travail terminé et elle l’aidait quand il en avait besoin.
Un jour, lorsque Raphaël passa devant la chambre deux cent neuf, le patient de cette chambre l’appela et lui dit d’entrer. Raphaël, surpris, entra sans dire un mot. Le malade devait avoir la trentaine, il n’avait pas l’air très malade. Il était blond et avait de beaux yeux bleus, comme Raphaël. L’homme ne le regarda pas et dit:
« -Tu es Raphaël c’est ça?
-Oui monsieur, c’est ça. Et vous êtes qui?
-Tu n’as pas besoin de savoir. Je connais tes parents, tu sais. Ils me parlaient souvent de toi.
-Je pense que…
-…tu peux sortir maintenant, dit-il sèchement. »
Raphaël le scruta curieusement, il était si désagréable! Et puis, comment pouvait-il connaître ses parents? Ils n’avaient même pas de maison! Raphaël pensa que cet homme était fou ou qu’il a dû avoir un passé difficile. Raphaël sortit de la chambre et alla s’asseoir sur son banc, pensant à cet homme.
Le jour suivant, Raphaël passa encore une fois devant la chambre deux cent neuf. Le malade l’appela encore mais Raphaël l’ignora et continua d’avancer. Comme il ne s’était pas arrêté, l’homme cria: « Je sais que t’habites devant la boulangerie, sous un banc et je sais que tes parents étaient pauvres. »
Raphaël s’arrêta net: « -Comment vous savez ça?
-Je te l’ai dit hier: je connais tes parents.
-Mais…
-…au revoir. »
Le lendemain, il se passa encore la même chose et le malade lui dit: « -Je sais que ta mère est morte. Ton pauvre père.
-Mais qui êtes-vous? hurla Raphaël ».
L’homme ne le regarda pas mais un sourire apparut sur ses lèvres, puis il rit nerveusement. Ce rire disait quelque chose à Raphaël, c’est comme s’il avait entendu ce rire toute sa vie. « C’est à moi de devenir fou, maintenant! » se dit-il.
« -Vous prétendez me connaître mais vous ne me connaissez pas, monsieur. Mes deux parents sont morts, reprit Raphaël plus calmement.
-Sors! ordonna le malade ».
Cette voix, cette façon de parler, cette personne, tout cela était familier à Raphaël. Il avait déjà entendu cette voix quelque part, mais il ne se souvint plus quand, ni où. Il voulait absolument savoir qui était cet homme et comment il connaissait ses parents.
Raphaël alla se renseigner auprès de Lucie:
« -Lucie, je peux te parler vite fait s’il-te-plaît ?
-Oui, à propos de quoi?
-Du monsieur de la chambre deux cent neuf.
-Ah oui, je vois. C’est Monsieur Dupuis. Ce sont les urgences qui l’ont amené ici. Il a été retrouvé dans la Seine, avec une femme. La femme est morte mais lui a survécu.
-Survécu à quoi?
-Il a tenté de se suicider.
-Pourquoi ?
-On ne sait pas, il ne veut pas parler.
-Il m’a parlé de mes parents. Il a dit qu’il les connaissait, qu’ils lui parlaient de moi. Il sait que ma mère est morte mais il ne sait pas que mon père l’est aussi. Je veux savoir qui c’est.
-Je suis prête à t’aider, on a besoin de le savoir aussi.
-Merci. On en reparle demain, il faut que j’y aille.
-Pas de problème! A demain! »
Le lendemain matin, Raphaël décida qu’il irait voir cet homme mystérieux avant de partir pour lui parler et lui poser des questions. Arrivé à l’hôpital, il croisa Lucie. Ils s’arrêtèrent et discutèrent de Monsieur Dupuis. Lucie dit à Raphaël qu’un test ADN sera fait afin d’en savoir un peu plus sur lui et qu’on la comparera avec celui de la femme trouvée. Il était vingt-et-une heure huit, Raphaël venait tout juste de finir de travailler. Avant de partir, il alla voir Monsieur Dupuis, comme prévu:
« -Monsieur Dupuis? Je peux vous parler rapidement s’il-vous-plaît?
-Oui, entre, mais dans deux minutes, tu partiras.
-Oui monsieur. Donc, nous savons que vous avez été retrouvé dans La Seine avec une femme. Qui est-elle?
-Raphaël, ce n’est pas ton rôle de savoir ça, expliqua-t-il.
-Si, je veux savoir, je dois savoir, dit Raphaël d’un ton décidé.
-Non! Tu es là pour passer la serpillère et sortir la poubelle, pas pour te mêler de ma vie! s’écria
Monsieur Dupuis.
-C’est vous qui…
-…tais-toi et sors!
-Je ne sortirai pas tant que je n’ai pas ma réponse! »
En entendant tous ces cris, Lucie accourut et calma tout le monde. Elle demanda à Raphaël de partir et à Monsieur Dupuis de dormir car il avait besoin de repos. Lucie proposa à Raphaël de le ramener chez lui.
« -Ce n’est pas la peine, merci.
-Je peux te ramener en voiture. Et puis, tu sais, je t’aime bien, t’es un bon ami, je pourrais peut-être voir ton appartement ou ta maison.
-Lucie, tu le fais exprès? Tu ne sais pas que je suis Raphaël, celui qui vit sous le banc en face de la boulangerie?
-C’est toi? demanda-t-elle choquée.
-Bah oui, c’est moi. Maintenant laisse-moi. » dit-il en partant, vexé.
Cela faisait quelques jours que Raphaël n’avait pas vu Lucie. Il se dit qu’elle était peut-être occupée avec les tests ADN et qu’elle avait sûrement de bonnes nouvelles. Monsieur Dupuis envoya une infirmière chercher Raphaël. Celui-ci alla le voir par respect.
« -Tes parents t’ont trouvé ; tu n’es pas leur enfant, annonça Monsieur Dupuis comme si c’était normal.
-Ce n’est pas vrai, je ne peux pas vous croire!
-Tu leur as pourri la vie: ils ont voulu te faire plaisir mais tu demandais toujours plus, tu n’étais jamais content de ce que tu avais. Ils se sentaient coupables!
-Vous ne me connaissez pas! J’ai toujours été gentil et respectueux!
-Ils t’ont demandé de travailler ici mais tout ce que tu gagnais, tu le gardais, égoïste!
-Je l’ai fait pour leur donner du pain tous les jours! Vous êtes un menteur!
-Ils te détestaient! C’est à cause de toi qu’ils se sont suicidés!
-Vous ne pouvez pas dire ça! Vous ne les connaissez pas!
-Tu les as tués!
-Menteur!
-Ils te détestaient! »
Enragé, Raphaël se jeta sur Monsieur Dupuis. Il le poussa de son brancard, lui donna des coups sur la tête. Il y avait du sang partout. Lucie arriva en courant et cria:
« -Raphaël, arrête, c’est…
-…non, laisse-moi! »
Raphaël prit le brancard, le jeta sur Monsieur Dupuis. Tout le personnel de l’hôpital, en entendant ce bruit inquiétant, courut jusque dans la chambre deux cent neuf. Il n’y avait plus de bruit.
« -Il est mort? demanda un infirmier
-Je ne sais pas, répondit Lucie »
Lucie s’approcha doucement de Monsieur Dupuis, pour voir s’il respirait encore. Elle leva la tête vers Raphaël:
-Tu viens de tuer ton père!
-Ce n’est pas possible, mon père est mort il y a quelques jours, déjà.
-Non, c’était ton père. On a fait des tests ADN, on a posé des questions aux gens du quartier.
-C’est pas vrai, c’est pas possible!
-Je suis désolée, Raphaël. C’était ton père mais il ne t’aimait pas, c’est pour ça qu’il mentait.
-Non…non…non...non… »
Raphaël ne cessa pas de répéter ce mot, il était dégoûté, il ne comprenait pas. Pourquoi ce malheur était-il tombé sur lui? N’avait-il pas assez souffert? On entendait des sirènes dehors: la police a été prévenue. Elle entra dans le bâtiment et menotta Raphaël qui continua de répéter le même mot en secouant sa tête.
Quinze ans plus tard, lorsque Raphaël était sorti de prison, on le retrouva sous l’arbre d’un cimetière, à côté des tombes de ses parents. Raphaël avait maintenant une réputation différente ; les enfants l’appelaient «le tueur de parents ».