"Le vol" (Léa Ermini)

            Vers deux heures du matin, Nina terminait de servir ses derniers clients. Elle travaillait en tant que serveuse au Café Tournesol, un bar incontournable du quatorzième arrondissement de Paris, réputé pour son ambiance chaleureuse et ses spécialités régionales. Nina était toujours la dernière à partir. Elle rangeait les chaises, nettoyait le comptoir, éteignait les lumières et tirait les rideaux pour le lendemain. L'atmosphère était calme en fin de soirée, les deux derniers clients, un homme et une femme d'une trentaine d'années finissaient de boire leur café en terrasse. Quelques minutes après leur départ, Nina ferma le bar à clé. Elle était à trois stations de métro de son appartement mais, l'été, elle préférait rentrer à pied. Comme tous les soirs, elle s'arrêta devant la bijouterie pour saluer son ami André, qui travaillait aussi très tard. Il venait de recevoir une nouvelle collection de montres et organisait l'installation de sa vitrine. Sur son bureau, on pouvait voir une loupe et de petites vis permettant de réparer le mécanisme des réveils. Nina était impressionnée par la minutie et la patience de son ami. Elle remarqua que tout un côté du présentoir à bijoux était vide. André lui expliqua qu'un vol avait eu lieu la nuit dernière dans sa bijouterie. Les policiers étaient venus tout analyser. Ils avaient réussi a récupérer une empreinte digitale et les caméras de vidéo surveillance avaient filmé quelques images du voleur avant qu'ils ne les brisas. Ce n'était plus qu'une question d'heure pour le retrouver.

              Une demi-heure plus tard, Nina arriva dans sa rue. Elle vit un homme à l'entrée de son immeuble. Il était brun, très grand, il portait un énorme carton. L'homme semblait inquiet. Il guettait autour de lui. Nina le dévisagea, elle ne l'avait jamais vu jusqu'à lors. C'était sûrement un voisin, mais elle ne les connaissait pas bien et ne les voyait que très rarement à cause de son rythme de vie. La jeune femme s'approcha, sortit ses clés et regarda l'inconnu du coin de l’œil. De grosses gouttes de sueur roulaient le long de son front. Nina lui proposa alors son aide. L'homme, surpris, la remercia en essayant de cacher son anxiété. Il répondit qu'il attendait un ami pour l'aider à finir son déménagement. Il portait entre ses bras son dernier carton. Nina avait vu juste. C'était bien un voisin. Elle décida de rester avec l'homme jusqu'à l'arrivée de son ami pour faire connaissance. Nina apprit que l'homme avait emménagé dans l'immeuble l'année dernière et avait décidé de quitter la capitale pour aller vivre dans le sud.

             La discussion entre les deux voisins n'était pas très vive, Nina posa toutes les questions et l'homme ne répondit qu'une fois sur deux. Il était distrait, il devait penser à autre chose, ses bras tremblaient sous le poids du carton. Il regardait toujours autour de lui. Nina proposa à l'homme de lui prêter son téléphone au cas où il voudrait contacter son ami. Peut-être était-il en retard ou avait-il oublié ? Mais il refusa. Son ami ne pouvait pas avoir oublié, c'était impossible. Il répéta cette phrase plusieurs fois, comme pour se persuader lui-même de la chose. Nina ne comprenait pas pourquoi l'homme finissait son déménagement si tard. De plus, l'attente de l'ami devenait interminable et elle commençait à fatiguer. La jeune femme avait décidé de rentrer quand soudain une voiture arriva. C'était une petite Twingo noire. Les phares étaient brisées et le coffre à l'arrière était ouvert. A la vue de la voiture le visage de l'homme s'éclaira ; c'était enfin lui, son ami. Dans la précipitation, il fit tomber du carton une boîte recouverte de velours noir. Cette petite boîte carrée, Nina la connaissait. Elle provenait de la bijouterie de son ami, il lui avait d'ailleurs offert la même pour son anniversaire avec, à l'intérieur, une superbe paire de créoles dorées. Mais, avant qu'elle n'ait pu la lui rendre, l'homme était déjà parti. Nina vit la voiture tourner à droite puis disparaître dans la nuit.

             La jeune femme poussa la porte de son immeuble. La loge de la concierge était encore allumée. La concierge, avait peu de travail ces jours-ci. Avec l'arrivée des vacances, les habitants de l'immeuble étaient, pour beaucoup, partis. En montant les escaliers, Nina ouvrit la boîte. Stupeur ! La même paire de créoles dorées s’y trouvaient. Elle arriva devant sa porte et la trouva entre-ouverte. La serrure avait été forcée. Dans la panique, elle courut dans son salon. L'appartement était sans dessus-dessous, les oreillers, les livres et les cadres étaient au sol. La télévision et l'ordinateur avaient disparu. Une terrible pensée traversa l'esprit de la jeune femme. Elle se précipita dans sa chambre, vers sa coiffeuse. Elle ouvrit brusquement le deuxième tiroir. Sa petite boîte de velours n'y était plus.