"La jeune fille de l'aubette" (Jean-Benoit Herrada)

Il faisait le même trajet pour aller au lycée depuis deux semaines : il sortait de chez lui, marchait jusqu’à son arrêt et montait dans son bus. Une fois arrivé au terminus, il arpentait les étroites ruelles de la ville pour finir en face de son lycée.

Mais aujourd’hui était une journée particulière. Quand il arriva à son arrêt de bus, à quelques minutes de sa maison, il la vit comme une illumination : une jeune fille d’environ seize ans ; des cheveux bruns coiffés à la perfection, des yeux verts magnifiques, aussi grande que lui … En la voyant, il se sentit rougir, il fit dériver son regard et prit son bus sans se retourner. Une fois installé sur un dans sièges du fond, il se remit à l’admirer. Elle ne monta pas, bien entendu.

La journée ne se passa pas comme les autres. Il n’arrivait point à se concentrer ; pensant continuellement à cette fille : quel est son nom ? Où vit-elle ? Tant de questions auxquelles il aurait aimé avoir les réponses. Il ne pouvait s’empêcher de dessiner, encore et encore, les traits de son visage angélique, d’imaginer les doigts de sa main toucher cette peau, qui semblait de porcelaine. Un détail lui plaisait tout particulièrement : tous ses habits étaient de la même marque, portés à la perfection, comme un mannequin. La sonnerie retentit, mettant un terme soudain à ses songes amoureux.

Ce scénario dura deux mois encore. Chaque matin où il devait prendre le bus, il la voyait, toujours aussi belle, inchangée, impeccable. Cependant il n’allait jamais lui parler, faute de courage. Les vacances arrivèrent, il savait qu’il n’allait pas la revoir avant deux semaines. Un sentiment de tristesse le traversa.

Pendant ses vacances, peu plaisantes, il pensait sans cesse à elle. Il imaginait ce qu’il pouvait lui dire en allant la voir. Il envisageait tous les cas plausibles. A la fin de la première semaine, il alla demander des conseils à son aînée. Un sourire narquois apparu sur le visage de cette dernière, elle se contenta de rire et d’écarter son frère sans se soucier de lui.

Le grand jour arriva : il s’était promis que ce matin, il allait enfin oser parler à cette fille qui animait ses journées. Il revêtit ses plus beaux habits. Il sentait son cœur battre de plus en plus fort dans sa poitrine à chaque pas qui le rapprochait de son objectif. Une fois arrivé, il avança vers elle, l’air confiant, même si ce n’était pas le cas. Il lui adressa, pour la première fois, ces mots :
« Qui que tu sois, dans cette affiche publicitaire, tu es magnifique. »
Inutile de préciser qu’une publicité d’arrêt de bus n’allait pas lui répondre.