Une forte secousse réveilla brutalement Léo. Ce dernier se leva dans un sursaut et découvrit un paysage que seuls ses rêves les plus fous auraient pu créer. Cette île semblait tout droit sortie d'une carte postale. Émerveillé, il partit à sa découverte. Chaque lagon azur, chaque plante multicolore faisait oublier à Léo la dispute de la veille et ses problèmes. Il explora ce coin de paradis une journée entière. La nuit tombait presque lorsque l'exploration de Léo le mena à une plage inconnue. Il s'assit sur le sable et contempla le soleil disparaître derrière l'horizon. L'obscurité l'enveloppa rapidement et le fit frissonner. Les démons de Léo revinrent alors le hanter : sa différence, son mal-être, sa haine contre le monde, tout lui revenait en pleine figure, maintenant qu'il était seul et désarmé. Il se mit à sangloter, des larmes coulèrent abondamment sur ses joues. C'est alors qu'il sentit une pression sur son épaule. Il se retourna brusquement et découvrit un vieil homme qui lui souriait. Lui, qui se croyait seul sur l'île, venait de rencontrer un vieux Robinson ! Ce dernier lui demanda :

"- Eh bien mon garçon, que fais-tu là tout seul ? 

- Qui êtes vous ? interrogea Léo.

- Je suis le porte-parole des habitants de cette île, mon garçon. Comment t'appelles-tu ?

- Léo, répondit-il en séchant ses larmes, où sommes nous ?

- Viens avec moi, Léo, dit l'homme en commençant à marcher vers la forêt.

- Attendez ! Vous ne m'avez pas répondu ! Ohé ! "

    Trop tard, l'homme continuait d'avancer, Léo n’eut d'autre choix que de le suivre à travers l'épaisse végétation. Il ne s'y était encore jamais aventuré mais il avait faim, soif et sommeil, sa situation ne pouvait que s'améliorer, pensa-t-il. Perdu dans ses pensées, Léo ne s'aperçut pas qu'ils étaient arrivés dans une grande clairière. Au centre, on pouvait voir une large bâtisse avec un puits à chacune des nombreuses entrées.

"- Vois tu, dit l'homme, ici nous vivons tous ensemble, nous sommes frères et sœurs même si nous ne partageons pas le même sang. Tu te plairas ici.

- Tous ensemble ? Reprit Léo, incrédule. Vous voulez dire que personne n'est jamais à l'écart quels que soient ses origines ou ses caractéristiques physiques ?

- Bien sûr que non, quelle idée stupide mon garçon, nous sommes une famille, nous partageons tout et faisons attention à ce que personne ne soit jamais soumis à quelque forme de rejet que ce soit. Nous connaissons les conséquences désastreuses du rejet et toi aussi, c'est pour cela que tu es ici. "

Léo n'en revenait pas. Une vrai famille ? Les yeux du jeune garçon brillaient, avait-il enfin trouvé une place, sa place dans ce monde ?

"- Allons, tu es dans la lune mon garçon, je vais te présenter à tes frères et sœurs, dit le vieil homme en avançant. " 

Léo le suivit sans se retourner.

    Plusieurs jours passèrent dans la plus grande des harmonies, Léo avait enfin trouvé la place qui semblait être celle qu'il avait attendue toute sa vie. Ce bonheur allait être néanmoins de courte durée. Un jour lorsqu'il voulut explorer l'île, les adultes de la tribu lui en interdirent formellement l'accès sous peine d'être enfermé dans la Maison-sans-nourriture pendant deux jours. De nombreuses menaces semblables étaient souvent proférées car personne ne désobéissait jamais.

    Personne n'évoquait non plus leur ancienne vie en société, comme si cela était tabou. Parfois lorsque Léo se risquait à aborder le sujet ce n'était que mépris et haine qui brillaient dans le regard des Robinsons comme si en parler ouvrait de nouveau d'anciennes plaies fraîchement cicatrisées. Le plus louche de tous était probablement le Porte-Parole. Il s'informait de chaque fait et geste de tous. Il chargeait quelqu'un de suivre Léo dans ses déplacements. Notre jeune héros avait bien du mal à s'adapter à ce mode de vie. Il se sentait oppressé et la sensation de liberté qu'il avait ressenti à son arrivée n'était maintenant plus qu'un lointain souvenir. Il commençait à avoir peur des ces étrangers censés être ses frères et sœurs. Une nuit,il sortit discrètement de la Maison et marcha vers la plage. Assis sur le sable, Léo regardait au loin quand des bruits de pas se firent entendre :

 "Qu'est-ce que tu fais là mon garçon ?" 

C'était le porte-parole des habitants de l'île.

"Je suis assis sur la plage, dit Léo, sarcastique.

-Très drôle, allez viens mon frère dépêche-toi de rentrer, il est tard.

-Je n'ai pas envie de rentrer, j'ai besoin d'être seul pour réfléchir.

-Réfléchir à quoi ? Allez viens personne n'a envie de rester seul.

-Eh bien moi, si ! Laissez moi respirer un peu !

- Calme-toi ! Tu n'as pas le choix de toute manière, tu vas venir. Nous sommes liés, nous ne nous séparerons jamais, nous ne laissons jamais quelqu'un seul même si il nous le demande mille fois. Nous sommes des frères et sœurs sur cette île.Tu es pour nous le benjamin de la famille, le "dernier né", tu vas rapidement t'habituer à ce mode de vie, lui dit-il en souriant gentiment.

Mais ce sourire était tout sauf sympathique pour Léo. Il ne voyait en celui-ci qu'une ombre malfaisante, rongée par cette haine de la société propre aux Robinsons.

-Éloigne toi de moi ! cria Léo.

-Qui y a-t-il ? Peut-être que je te fais peur ? 

Un sourire malsain se dessina sur le visage de l'homme.

-On dirait que tu es effrayé mais ne t'inquiète pas ça va passer. Il faut juste que tu t'y habitues. De toutes façons tu ne peux pas t'échapper. Nous sommes sur une île et moi seul sais où est ta barque. Viens à nous, libère-toi de l'emprise de la société dans laquelle tu vivais. Tu es mieux ici qu'avec ta famille adoptive n'est-ce pas ? hurla-t-il en crachant ces derniers mot.

-Je t'interdis de dire ça de ma famille, tu m'entends ! J'aimais ma vie avec eux !

-Mais tu es parti, n'est-ce pas ? susurra l'homme.

Léo sentit son cœur se serrer en entendant ces mots portant la lourde vérité : il était parti. Il avait tourné le dos à ses parents. Mais il n'était jamais trop tard pour tout recommencer !

-Je suis effectivement parti mais maintenant je me rends compte de mon erreur et je regrette ma fugue.

-Alors quitte cette île. Prends ta maudite barque et quitte cette île, cracha le porte-parole des Robinsons avec mépris à l'intention de Léo, ne reviens plus jamais, toi qui nous considères comme différents ! ", rugit-il.

  Léo ne se le fit pas dire deux fois, il courut, sauta dans sa barque et s'échappa de cet étau paradisiaque. Durant le voyage du retour il repensa aux bons comme aux mauvais moments passés sur l'île. Ce qui lui fit prendre conscience d'une chose : sa vie d'avant semblait si loin, si merveilleuse, presque utopique. Les petits déjeuners avec sa mère, les promenades du dimanche, une bonne série avec de la glace, tout cela manquait à notre jeune héros. Le lendemain, il retrouva ses parents morts d'inquiétude mais heureux de le savoir sain et sauf. Léo leur raconta toutes ses aventures et les raisons pour lesquelles il était parti. Les parents de Léo comprirent sa souffrance et furent désormais plus présents pour lui et attentif à son bien-être.