Scène 1- Karl
Valentin : la sortie au théâtre
La femme :
(Entre précipitamment) : Rends-toi compte, juste comme je monte les
escaliers, voilà que notre logeuse me rencontre ; elle m'a encore fait un
cadeau - Devine voir quel cadeau elle m'a fait ?
Le mari : Ne fais pas l'idiote, dis-le.
La femme : Tiens, regarde, deux billets de théâtre pour Faust -
qu'est-ce que tu en dis ?
Le mari : Merci bien ! Mais pourquoi est-ce qu'elle n'y
va pas elle-même, cette vieille pie ?
La femme : Ho ! Sans doute qu'elle n'a pas le temps.
Le mari : Haha, elle,
elle n'a pas le temps, et nous, il faut qu'on ait le temps.
La femme : Ce que tu peux être ingrat tout de même.
Le mari : Tu vois pourtant bien que cette femme nous en veut,
sinon elle ne nous aurait pas fait cadeau des billets justement à nous.
La femme : Mais elle voulait seulement nous faire plaisir.
Le mari : Elle, penser à nous ? On lui a peut-être déjà
fait plaisir, nous ?! Jamais !
La femme : Alors, tu viens avec moi ? Oui ou non ?
Le mari : Quand est-ce que ça commence ?
La femme : Ça, je ne sais pas - je descends et je lui demande.
Le mari : Eh bien, ça commence à sept heures et demie.
La femme : Et voilà qu'il est déjà sept heures moins le quart,
on ne sera jamais prêts ! Mais, en général, les théâtres ne commencent que
plus tard, à huit heures.
Le mari : Non, ça commence entre sept heures et demie et huit
heures.
La femme : Non, avant huit heures, sûrement pas ; les
théâtres commencent toujours plus tard ; tu te souviens, il y a quatre
semaines, on est allé prendre un verre tôt dans une brasserie, et ça n'a
commencé qu’à dix heures.
Le mari : Bon, alors, qu'est-ce qu'on fait ?
La femme : Ne réfléchis pas trop longtemps, viens !
Le mari : Et puis, on n'a pas encore dîné.
La femme : Le dîner est prêt.
Le mari : Moi aussi, je serai vite prêt, le temps de me
peigner.
La femme : Ça, tu peux le faire après, d'abord, on mange. (Elle
sort, le mari prend un miroir et le pose sur la table ; le miroir retombe
toujours. La femme arrive avec les assiettes et les couverts.) Bon,
maintenant, il s'agit de ne pas traîner. Ah, il y a ça encore – eh bien,
mets-le droit. (Le miroir tient, mais seulement à l'envers).
Le mari : Mais je ne peux pas me regarder dedans comme ça.
La femme : Eh bien, retourne le !
Le mari retourne le miroir mais, de nouveau, il ne
tient pas et retombe sans cesse. La femme le pose convenablement, le mari se
peigne barbe et cheveux.
Le mari : Peut-être qu'au théâtre il y aura une jolie fille à
côté de moi.
La femme : C'est pas toi qu'elle va regarder, c'est Faust
Le mari : je veux dire, à l'entracte.
La femme sort et revient avec le dîner, un plat avec
de la choucroute et des petites saucisses.
Le mari : Encore de la choucroute !
La femme : Mais chez nous il n'y a jamais eu rien
d'autre !
Il y a une saucisse pour chacun, il les prend, sort
son mètre pliant de la poche de son pantalon, mesure les saucisses, donne la
plus petite à sa femme et garde la plus longue pour lui ; puis ils
plongent tous deux précipitamment leurs fourchettes dans la choucroute. Les
fourchettes s'entremêlent, ils tirent en vain chacun de son côté. Enfin, avec
un couteau, d'un coup , il sépare les fourchettes. Pendant ce va-et-vient,
il regarde la pendule au mur.
La femme : Voilà,elle est tordue, mais au moins
je sais qui esquinte toujours nos fourchettes. Et maintenant, mangeons en
vitesse.
Le mari : Il ne faut pas manger en vitesse, c'est pas bon pour
la santé.
La femme : Tiens, voilà de la choucroute.
Elle se lève et lui met de la choucroute dans son
assiette.
Le mari : (furieux, la rejette à pleines mains) je peux
me servir moi-même.
Il regarde dans le miroir.
La femme : Arrête de faire des grimaces, on ne regarde pas dans
le miroir quand on mange. Le mari : Justement, si ! Comme ça
on a double ration.
Scène 2 – Marivaux – Les acteurs de bonne foi
(Scène I. Éraste, Merlin.)
Merlin - Oui, Monsieur, tout sera prêt ;
vous n'avez qu'à faire mettre la salle en état ; à trois heures après midi, je
vous garantis que je vous donnerai la comédie.
Eraste
- Tu feras grand
plaisir à Madame Amelin, qui s'y attend avec impatience ; et de mon côté, je
suis ravi de lui procurer ce petit divertissement.
Mais, dis-moi, cette comédie dont tu nous régales,
est-elle divertissante ? Tu as de l'esprit, mais en as-tu assez pour avoir fait
quelque chose de passable ?
Merlin - Du
passable, Monsieur ? Non, il n'est pas de mon ressort; les génies comme le mien
ne connaissent pas le médiocre ; tout ce qu'ils font est charmant ou détestable
; j'excelle ou je tombe, il n'y a jamais de milieu.
Eraste - Ton génie me fait trembler.
Merlin -
Vous craignez que je ne tombe ? Mais rassurez-vous. Nous surprendrons,
Monsieur, nous surprendrons.
Eraste - Et qui sont tes acteurs ?
Merlin - Moi, d'abord ; je me nomme le
premier, pour vous inspirer de la confiance ; ensuite, Lisette, femme de
chambre de Mademoiselle Angélique, et suivante originale ; Blaise, fils du
fermier de Madame Argante ; Colette, amante dudit fils du fermier, et fille du
jardinier.
Eraste
- Cela promet de quoi rire.
Merlin - Et cela tiendra parole ; j'y ai mis bon
ordre. Si vous saviez le coup d'art qu'il y a dans ma pièce !
Eraste
- Dis-moi donc ce que c'est.
Merlin - Nous jouerons à l'impromptu, Monsieur, à
l'impromptu.
Eraste
- Que veux-tu dire : à l'impromptu ?
Merlin - Oui. Je n'ai fourni que ce que nous autres
beaux esprits appelons le canevas ; la simple nature fournira les dialogues, et
cette nature-là sera bouffonne.
Eraste
- La plaisante espèce de comédie ! Elle pourra pourtant nous amuser.
Merlin - Vous verrez, vous verrez. J'oublie encore à
vous dire une finesse de ma pièce ; c'est que Colette qui doit faire mon
amoureuse, et moi qui dois faire son amant, nous sommes convenus tous deux de
voir un peu la mine que feront Lisette et Blaise à toutes les tendresses naïves
que nous prétendons nous dire ; et le tout, pour éprouver s'ils n'en seront pas
un peu alarmés et jaloux ; car vous savez que Blaise doit épouser Colette, et
que l'amour nous destine, Lisette et moi, l'un à l'autre. Mais Lisette, Blaise
et Colette vont venir ici pour essayer leurs scènes ; ce sont les principaux
acteurs. J'ai voulu voir comment ils s'y prendront ; laissez-moi les écouter et
les instruire, et retirez-vous : les voilà qui entrent.
Eraste -
Adieu ; fais-nous rire, on ne t'en demande pas davantage.
Scène 3 – K.Valentin.
Le mari : Et qu'est-ce qu'on fait du gamin, quand il rentre du
travail ?
La femme : J'y ai déjà pensé. Il faut lui tenir le dîner au
chaud et, avant de partir, il faut lui écrire un petit mot – continue de
manger, je vais l'écrire. (Elle va chercher du papier et de l'encre dans la
commode.) Alors, j'écris que nous ne
sommes pas à la maison.
Le mari : Tu n'as pas besoin de lui écrire ça, il le verra
bien lui même. Mais ce qu'il faut que tu lui écrives, c'est que nous sommes
partis.
La femme : C'est bien ce que je veux dire ! Je lui écris
que nous ne sommes pas là parce que nous sommes absents.
Le mari : Écris : Munich, le…
La femme : Non, j'écris : Cher...
Le mari et la femme, ensemble : Allons bon, comment est-ce qu'il
s'appelle ?
La femme : Toi, son père, tu devrais pourtant savoir comment il
s'appelle, le gamin.
Le mari : Toi, sa mère, c'est plutôt à toi de le savoir.
La femme : C'est qu'on lui dit toujours « Gamin »,
mais comment est-ce qu'il s’appelle ?
Le mari : Attends, je vais demander à la voisine.
La femme : Non – on va bien y arriver nous-mêmes,
Jésus-Marie-Joseph – Ah c'est Joseph qu'il s'appelle ! Bon, mon cher
Joseph -
Le mari : Tu ne peux pas écrire ça, il est à moi aussi.
La femme : Alors, dans ce cas j'écris « Notre cher Joseph »
pour que tu nous fiches la paix. - Notre cher Joseph …
Le mari : « Très honoré Monsieur, Notre cher
Joseph » -
La femme : « Ton dîner est à la cuisine sur le fourneau,
fais le toi réchauffer parce que ça se refroidit... »
Le mari : On est déjà en Décembre.
La femme : Mais je parle du dîner – ça se refroidit, et parce
qu'il faut que nous allions au théâtre.
Le mari : Si on n'a pas envie, il ne faut pas.
La femme : Alors j'écris que nous avons l'occasion – pouvons –
voulons – devons –
Le mari : Que nous allons.
La femme : Mais nous serons déjà partis quand il lira le petit
mot.
Le mari : Alors tu écris : sommes allés.
La femme : Au cas où le théâtre se terminerait, nous revenons
peut-être sûrement à la maison. Reçois les salutations -
Le mari : Les plus respectueuses
La femme : De tes parents qui s'en sont allés, ainsi que ta
mère.
Le mari : Mais la mère est déjà comprise dans les
parents !
La femme : Et puis je mets un point, sinon cet imbécile va
continuer à lire.
Le mari : Maintenant, ajoute : au cas où tu préférerais
ton dîner froid, tu n'as pas besoin de te le faire réchauffer.
La femme : Parce que sinon il sera trop chaud. Bon, maintenant,
on va le poser sur la table. Mais peut-être que là, il ne le verra pas tout de
suite – habituellement il rentre par la porte, on va donc poser le petit mot
par terre.
Le mari : Et il va marcher dessus avec ses bottes sales et il
ne pourra plus le lire.
Il met la lettre sur la petite table et l'adosse au
vase de fleurs.
La femme : Là, ça ne va pas, avec le bouquet de fleurs il va
croire que c'est sa fête.
Le mari : Ce n'est pas sa fête.
La femme : Mais là, ça va le troubler, donc ça ne va pas.
Le mari : (adosse la lettre au miroir.) C'est sensationnel,
tiens, regarde, quand il rentre il vient se mettre là, il regarde dans le
miroir et se dit : « Mais qu'est-ce que c'est que ce petit
mot ? » Et comme ça, il le voit.
La femme : Nous, bien sûr, on regarde, parce qu'on sait que là,
il y a un petit mot. Mais lui, il n'en a pas la moindre idée, et s'il ne va pas
y regarder ?
Le mari : C'est une condition nécessaire, qu'il y regarde.
La femme : Mais s'il ne va pas y regarder, tu auras mis le
petit mot pour rien.
Le mari : Ah bon, attends, j'y suis – maintenant, tu écris
encore un autre petit mot : « Quand tu rentres, regarde tout de
suite dans le miroir. »
La femme : Bon, j'écris : - « quand tu rentres, regarde tout de
suite dans le miroir, tu verras quelque chose. » Eh bien ! on a perdu tellement de temps
avec ces écritures – voilà qu'il va être sept heures – heureusement que le
théâtre ne commence qu'à huit heures.
Scène 4 – Marivaux
(SCÈNE II. Lisette, Colette, Blaise, Merlin.)
Merlin - Allons, mes enfants, je vous attendais ;
montrez-moi un petit échantillon de votre savoir faire, et tâchons de gagner notre
argent le mieux que nous pourrons ; répétons.
Lisette
- Ce que j'aime de ta comédie, c'est que nous nous la donnerons à nous-mêmes ;
car je pense que nous allons tenir de jolis propos.
Merlin -
De très jolis propos ; car, dans le plan de ma pièce, vous ne sortez point de
votre caractère, vous autres : toi, tu joues une maligne soubrette à qui l'on
n'en fait point accroire, et te voilà ; Blaise a l'air d'un nigaud pris sans
vert, et il en fait le rôle ; une petite coquette de village et Colette, c'est la
même chose ; un joli homme et moi, c'est tout un. Un joli homme est inconstant,
une coquette n'est pas fidèle : Colette trahit Blaise, je néglige ta flamme.
Blaise est un sot qui en pleure, tu es une diablesse qui t'en mets en fureur ;
et voilà ma pièce. Oh ! je défie qu'on arrange mieux les choses.
Blaise
- Oui, mais si ce que j'allons jouer allait être vrai, prenez garde, au moins,
il ne faut pas du tout de bon ; car j'aime Colette, dame !
Merlin - À merveille ! Blaise, je te demande ce ton
de nigaud-là dans la pièce.
Lisette
- Ecoutez, Monsieur le joli homme, il a raison ; que ceci ne passe point la
raillerie ; car je ne suis pas endurante, je vous en avertis.
Merlin - Fort bien, Lisette ! Il y a un aigre-doux
dans ce ton-là qu'il faut conserver.
Colette
- Allez, allez, Mademoiselle Lisette ; il n'y a rien à appriander pour vous ;
car vous êtes plus jolie que moi ; Monsieur Merlin le sait bien.
Merlin - Courage, friponne ; vous y êtes, c'est dans
ce goût-là qu'il faut jouer votre rôle. Allons, commençons à répéter.
Lisette
- C'est à nous deux à commencer, je crois.
Merlin - Oui, nous sommes la première scène ;
asseyez-vous là, vous autres ; et nous, débutons. Tu es au fait, Lisette. (Colette
et Blaise s'asseyent comme spectateurs d'une scène dont ils ne sont pas.)
Tu arrives sur le théâtre, et tu me trouves rêveur et distrait. Recule-toi un
peu, pour me laisser prendre ma contenance.
(Scène III - Merlin, Lisette, Colette et Blaise,
assis.)
Lisette,
feignant d'arriver - Qu'avez-vous donc, Monsieur Merlin ? Vous voilà
bien pensif.
Merlin - C'est que je me promène.
Lisette
- Et votre façon, en vous promenant, est-elle de ne pas regarder les gens qui
vous abordent ?
Merlin -
C'est que je suis distrait dans mes promenades.
Lisette -
Qu'est-ce que c'est que ce langage-là ? Il me paraît bien impertinent.
Merlin,
interrompant la scène. - Doucement, Lisette, tu me dis des injures au
commencement de la scène, par où la finiras-tu ?
Lisette
- Oh ! Ne t'attends pas à des régularités, je dis ce qui me vient ; continuons.
Merlin - Où en sommes-nous ?
Lisette
- Je traitais ton langage d'impertinent.
Merlin - Tiens, tu es de méchante humeur ; passons
notre chemin, ne nous parlons pas davantage.
Lisette
- Attendez-vous ici Colette, Monsieur Merlin ?
Merlin - Cette question-là nous présage
une querelle.
Lisette
- Tu n'en es pas encore où tu penses.
Merlin - Je me contente de savoir que j'en suis où me
voilà.
Lisette
- Je sais bien que tu me fuis, et que je t'ennuie depuis quelques jours.
Merlin - Vous êtes si savante qu'il n'y
a pas moyen de vous instruire.
Lisette
- Comment, faquin ! Tu ne prends pas seulement la peine de te défendre de ce
que je dis là ?
Merlin - Je n'aime à contredire personne.
Lisette
- Viens ça, parle ; avoue-moi que Colette te plaît.
Merlin - Pourquoi veux-tu qu'elle me déplaise ?
Lisette - Avoue
que tu l'aimes.
Merlin - Je ne fais jamais de confidence.
Lisette
- Va, va, je n'ai pas besoin que tu me la fasses.
Merlin - Ne m'en demande donc pas.
Lisette
- Me quitter pour une petite villageoise !
Merlin - Je ne te quitte pas, je ne bouge.
Colette,
interrompant de l'endroit où elle est assise. Oui, mais est-ce du jeu de
me dire des injures en mon absence ?
Merlin,
fâché de l'interruption. Sans
doute, ne voyez-vous pas bien que c'est une fille jalouse qui vous méprise ?
Colette
- Eh bien ! Quand ce sera à moi à dire, je prendrai ma revanche.
Lisette
- Et moi, je ne sais plus où j'en suis.
Merlin - Tu me querellais.
Lisette
- Eh ! Dis-moi, dans cette scène-là, puis-je te battre ?
Merlin - Comme tu n'es qu'une suivante, un coup de
poing ne gâtera rien.
Lisette
- Reprenons donc, afin que je le place.
Merlin - Non, non, gardons le coup de
poing pour la représentation, et supposons qu'il est donné ; ce serait un
double emploi, qui est inutile.
Lisette
- Je crois aussi que je peux pleurer dans mon chagrin.
Merlin -
Sans difficulté ; n'y manque pas, mon mérite et ta vanité le veulent.
Lisette,
éclatant de rire. Ton mérite, qui le veut, me fait rire. Feignant de
pleurer. Que je suis à plaindre d'avoir été sensible aux cajoleries de ce
fourbe-là ! Adieu: voici la petite impertinente qui entre ; mais laisse-moi
faire. En s'interrompant. Serait-il
si mal de la battre un peu ?
Colette,
qui s'est levée. - Non pas, s'il vous plaît ; je ne veux pas que les
coups en soient ; je n'ai point affaire d'être battue pour une farce : encore
si c'était vrai, je l'endurerais.
Lisette
- Voyez-vous la fine mouche !
Merlin -
Ne perdons point le temps à nous interrompre ; va-t'en, Lisette : voici Colette
qui entre pendant que tu sors, et tu n'as plus que faire ici. Allons,
poursuivons ; reculez-vous un peu, Colette, afin que j'aille au-devant de vous.
(Scène IV.
Merlin, Colette, Lisette et Blaise, assis.)
Merlin - Bonjour, ma belle enfant : je suis bien sûr
que ce n'est pas moi que vous cherchez.
Colette -
Non, Monsieur Merlin ; mais ça n'y fait rien ; je suis bien aise de vous y
trouver.
Merlin - Et moi, je suis charmé de vous rencontrer,
Colette.
Colette
- Ça est bien obligeant.
Merlin - Ne vous êtes-vous pas aperçu du
plaisir que j'ai à vous voir ?
Colette
- Oui, mais je n'ose pas bonnement m'apercevoir de ce plaisir-là, à cause que
j'y en prenais aussi.
Merlin,
l'interrompant. - Doucement, Colette ; il n'est pas décent de vous
déclarer si vite.
Colette
- Dame ! Comme il faut avoir de l'amiquié pour vous dans cette affaire-là, j'ai
cru qu'il n'y avait point de temps à perdre.
Merlin - Attendez que je me déclare tout à fait, moi.
Blaise ,
interrompant de son siège - Voyez en effet comme alle se presse : an
dirait qu'alle y va de bon jeu, je crois que ça m'annonce du guignon.
Lisette,
assise et interrompant - Je n'aime pas trop cette saillie-là, non plus.
Merlin - C'est qu'elle ne sait pas mieux faire.
Colette
- Eh bien ! Velà ma pensée tout sens dessus dessous ; pisqu'ils me blâmont, je
sis trop timide pour aller en avant, s'ils ne s'en vont pas.
Merlin - Éloignez-vous donc pour l'encourager.
Blaise ,
se levant de son siège - Non, morguié, je ne veux pas qu'alle ait du
courage, moi ; je veux tout entendre.
Lisette,
assise et interrompant - Il est vrai, m'amie, que vous êtes plaisante de
vouloir que nous nous en allions.
Colette
- Pourquoi aussi me chicanez-vous ?
Blaise ,
interrompant, mais assis - Pourquoi te hâtes-tu tant d'être amoureuse de
Monsieur Merlin ? Est-ce que tu en sens de l'amour ?
Colette
- Mais, vrament ! Je sis bien obligée d'en sentir pisque je sis obligée d'en
prendre dans la comédie. Comment voulez-vous que je fasse autrement ?
Lisette,
assise, interrompant - Comment ! Vous aimez réellement Merlin !
Colette
- Il faut bien, pisque c'est mon devoir.
Merlin ,
à Lisette - Blaise et toi, vous êtes de grands innocents tous deux ; ne
voyez-vous pas qu'elle s'explique mal ? Ce n'est pas qu'elle m'aime tout de bon
; elle veut dire seulement qu'elle doit faire semblant de m'aimer ; n'est-ce
pas, Colette ?
Colette
- Comme vous voudrez, Monsieur Merlin.
Merlin - Allons, continuons, et attendez que je me
déclare tout à fait, pour vous montrer sensible à mon amour.
Colette
- J'attendrai, Monsieur Merlin ; faites vite.
Merlin ,
recommençant la scène - Que vous êtes aimable, Colette, et que j'envie
le sort de Blaise, qui doit être votre mari !
Colette
- Oh ! Oh ! Est-ce que vous m'aimez, Monsieur Merlin ?
Merlin - Il y a plus de huit jours que je cherche à
vous le dire.
Colette
- Queu dommage ! Car je nous accorderions bien tous deux.
Merlin - Quoi ! Chère Colette, votre cœur
vous dit quelque chose pour moi ?
Colette -
Oh ! Il ne me dit pas queuque chose, il me dit tout à fait.
Merlin - Que vous me charmez, bel enfant
! Donnez-moi votre jolie main, que je vous en remercie.
Lisette,
interrompant - Je défends les mains.
Colette
- Faut pourtant que j'en aie.
Lisette -
Oui, mais il n'est pas nécessaire qu'il les baise.
Merlin - Ne vous fâchez pas, il n'y a qu'à supprimer
cet endroit-là.
Colette -
Ce n'est que des mains, au bout du compte.
Merlin - Je me contenterai de lui tenir la main de la
mienne.
Il recommence
la scène. Vous
m'aimez donc, Colette, et cependant vous allez épouser Blaise ?
Colette
- Vraiment ça me fâche assez ; car ce n'est pas moi qui le prends ; c'est mon
père et ma mère qui me le baillent.
Blaise,
interrompant et pleurant - Me velà donc bien chanceux !
Merlin - Tais-toi donc, tout ceci est de la scène, tu
le sais bien.
Blaise - C'est que je vais gager que ça
est vrai.
Merlin - Non, te dis-je ; il faut ou quitter notre
projet ou le suivre ; la récompense que Madame Amelin nous a promise vaut bien
la peine que nous la gagnions. (Il recommence la scène) - Vous ne
vous souciez donc pas de Blaise, Colette, puisqu'il n'y a que vos parents qui
veulent que vous l'épousiez ?
Colette -
Non, il ne me revient point ; et si je pouvais, par queuque manigance,
m'empêcher de l'avoir pour mon homme, je serais bientôt quitte de li ; car il
est si sot !
Blaise,
interrompant, assis - Morgué ! Velà une vilaine comédie !
Merlin,
à Blaise - Paix donc ! À Colette. Vous n'avez qu'à dire à vos
parents que vous ne l'aimez
pas.
Colette
- Bon ! je li ai bien dit à li-même, et tout ça n'y fait rien.
Blaise,
se levant pour interrompre. C'est la vérité qu'alle me l'a dit.
Colette,
continuant - Mais, Monsieur Merlin, si vous me demandiais en mariage,
peut-être que vous m'auriais ? Seriais-vous fâché de m'avoir pour femme ?
Merlin - J'en serais ravi ; mais il faut
s'y prendre adroitement, à cause de Lisette, dont la méchanceté nous nuirait et
romprait nos mesures.
Colette
- Si alle n'était pas ici, je varrions comme nous y prenre ; fallait pas
parmettre qu'alle nous écoutît.
Lisette,
se levant pour interrompre - Que
signifie donc ce que j'entends là ? Car, enfin, voilà un discours qui ne peut
entrer dans la représentation de votre scène, puisque je ne serai pas présente
quand vous la jouerez.
Merlin - Tu n'y seras pas, il est vrai ;
mais tu es actuellement devant ses yeux, et par méprise elle se règle
là-dessus. N'as-tu jamais entendu parler d'un axiome qui dit que l'objet
présent émeut la puissance ? Voilà pourquoi elle s'y trompe ; si tu avais
étudié, cela ne t'étonnerait pas. À toi, à présent, Blaise ; c'est toi qui
entres ici, et qui viens nous interrompre ; retire-toi à quatre pas, pour
feindre que tu arrives ; moi, qui t'aperçois venir, je dis à Colette : « Voici
Blaise qui arrive, ma chère Colette ; remettons l'entretien à une autre fois. »
À Colette. Et retirez-vous.
Blaise ,
approchant pour entrer en scène - Je suis tout parturbé, moi, je ne sais
que dire.
Merlin - Tu rencontres Colette sur ton chemin, et tu
lui demandes d'avec qui elle sort.
Blaise ,
commençant la scène - D'où viens-tu donc, Colette ?
Colette
- Eh ! je viens d'où j'étais.
Blaise - Comme tu me rudoies !
Colette -
Oh ! Dame ! Accommode-toi ; prends ou laisse. Adieu.
( ScèneV. Merlin Blaise, Lisette et Colette,
assises.)
Merlin ,
interrompant la scène - C'est, à cette heure, à moi à qui tu as affaire.
Blaise - Tenez, Monsieur Merlin, je ne saurions
endurer que vous m'escamotiais ma maîtresse.
Merlin ,
interrompant la scène - "Tenez, Monsieur Merlin !"Est-ce comme
cela qu'on commence une scène ? Dans mes instructions, je t'ai dit de me demander
quel était mon entretien avec Colette.
Blaise - Eh ! Parguié ! Ne le sais-je
pas, pisque j'y étais ?
Merlin - Souviens-toi donc que tu
n'étais pas censé y être.
Blaise,
recommençant - Eh bian ! Colette était donc avec vous, Monsieur Merlin ?
Merlin - Oui, nous ne faisions que de nous
rencontrer.
Blaise - On dit pourtant qu'vous en êtes amoureux,
Monsieur Merlin, et ça me chagrine, entendez-vous ? Car elle sera mon accordée
de mardi en huit.
Colette,
se levant et interrompant - Oh ! Sans vous interrompre, ça est remis de
mardi en quinze, et d'ici à ce temps-là, je varrons venir.
Merlin - N'importe ; cette erreur-là n'est ici
d'aucune conséquence. Reprenant la scène. Qui est-ce qui t'a dit,
Blaise, que j'aime Colette ?
Blaise - C'est vous qui le disiais tout à l'heure.
Merlin,
interrompant la scène - Mais prends donc garde ; souviens-toi encore une
fois que tu n'y étais pas.
Blaise - C'est donc Mademoiselle Lisette qui me l'a
appris, et qui vous donne aussi biaucoup de blâme de cette affaire-là ? Et la
velà pour confirmer mon dire.
Lisette,
d'un ton menaçant, et interrompant - Va, va, j'en dirai mon sentiment
après la comédie.
Merlin - Nous ne ferons jamais rien de cette grue-là
: il ne saurait perdre les objets de vue.
Lisette
- Quand un homme perd sa maîtresse, il lui est permis d'être distrait, Monsieur
Merlin.
Blaise,
interrompant - Cette comédie-là n'est faite que pour nous planter là,
Mademoiselle Lisette.
Colette
- Eh bien ! Plante-moi là itou, toi, Nicodème !
Blaise,
pleurant - Morguié ! Ce n'est pas comme ça qu'on en use avec un fiancé de
la semaine qui vient.
Colette
- Et moi, je te dis que tu ne seras mon fiancé d'aucune semaine.
Merlin - Adieu ma comédie ; on m'avait promis dix
pistoles pour la faire jouer, et ce poltron-là me les vole comme s'il me les
prenait dans ma poche.
Colette,
interrompant - Eh ! Pardi, Monsieur Merlin, velà bian du tintamarre,
parce que vous avez de l'amiquié pour moi, et que je vous trouve agriable. Eh
bian ! Oui, je lui plais ; je nous plaisons tous deux ; il est garçon, je sis
fille ; il est à marier, moi itou ; il voulait de Mademoiselle Lisette, il n'en
veut pus ; il la quitte, je te quitte ; il me prend, je le prends. Quant à ce
qui est de vous autres, il n'y a que patience à prenre.
Blaise - Velà de belles fiançailles !
Lisette,
à Merlin, en déchirant un papier - Tu te tais donc, fourbe ! Tiens, voilà
le cas que je fais du plan de ta comédie, tu mériterais d'être traité de même.
Merlin - Mais, mes enfants, gagnons d'abord notre
argent, et puis nous finirons nos débats.
Colette
- C'est bian dit ; je nous querellerons après, c'est la même chose.
Lisette
- Taisez-vous, petite impertinente.
Colette
- Cette jalouse, comme elle est malapprise !
Lisette
- Que cette petite paysanne-là ne m'échauffe pas les oreilles !
Colette
- Mais, voyez, je vous prie, cette
glorieuse, avec sa face de chambrière !
Merlin - Le bruit que vous faites va amasser tout le
monde ici, et voilà déjà Madame Argante qui accourt, je pense.
Lisette,
s'en allant - Adieu, fourbe.
Blaise - Je m'en vais itou me plaindre à
un parent de la masque.
Colette
- Je nous varrons tantôt, Monsieur Merlin, n'est-ce pas ?
Merlin - Oui, Colette, et cela va à merveille ; ces
gens-là nous aiment, mais continuons encore de feindre.
Colette
- Tant que vous voudrais ; il n'y a pas de danger, pisqu'ils nous aimont tant.
Scène 5 : K.Valentin
Le mari , cherche partout, ouvre les tiroirs et hoche la tête - Fanny, où as-tu mis mon
bouton de col ?
La femme : Et voilà que ça recommence la chasse au bouton de
col, mais je t'en ai déjà ramené cent mille, des boutons.
Le mari : C'est trop, il m'en faut un seul.
La femme : Je serais curieuse de savoir ce que tu fais de tes
boutons de col, je crois que tu les avales tout cru.
Elle prend la boîte à boutons et la lui
montre ? - Le mari se rue sur elle, ils se cognent la tête, il fouille
avidement dans la boîte, finit par trouver un bouton de col et lui brandit
triomphalement sous le nez.
La femme : Maintenant, je me prépare – Ah il faut que je
retourne à la cuisine. (Elle sort.)
Le mari, (lui crie) : Mais où est donc mon col ?
La femme : Là où tu l'as mis hier !
Le mari, se torture pour fermer son col mais ne parvient pas
à faire passer le bouton dans la deuxième boutonnière du faux col : Fanny, mets-moi mon col avant que je devienne
fou.
La femme, entre en coup de vent, avec le fer à friser dans les
cheveux : Il faut que tu me fiches la paix , sinon je
ne serais pas prête – qu'est ce que je dois faire ?
Le mari : Tu dois me mettre mon col sinon je le jette par
derrière les fourneaux.
La femme : Alors tiens moi le fer ! Elle prend le fer à friser par le manche
et lui tend la partie brûlante en métal.
Le mari : Aïe ! Espèce d'empotée tu me donnes le fer brûlant comme ça dans la
main.
La femme : Comment veux-tu que je te le donne, je ne peux quand
même pas te le donner comme ça ! Elle prend le fer par la partie en
métal et lui tient le manche en biais sous le nez, ce faisant elle se brûle
elle aussi - Aïe !!
Le mari , laisse tomber son bouton de col par terre : Maintenant j'ai jeté mon bouton par terre.
Il tire à plusieurs reprises la lampe à poulie vers le bas et se cogne la tête.
La femme : Et le revoilà sans bouton – si ça continue comme ça,
on va arriver beaucoup trop tard c'est moi qui te le dis. ( Elle cherche le bouton) Peut-être qu'il est sous le canapé ?
Le mari : Il est tombé là, sous la commode .
Elle se baisse pour chercher, soulève un peu la
commode, la vaisselle et les bibelots tombent
La femme : Jésus-Marie-Joseph , ma belle vaisselle !
Le mari , rit :
Le voilà le bouton, où est mon col ?
La femme : Et le revoilà sans col, toujours pareil !
Le mari : Non, le col, il est là.
La femme : Maintenant je m'habille, qu'il y en ait au moins un
de prêt. Je mets ma robe noire ?
Le mari : Oui.
La femme : Ou la marron ?
Le mari : Oui.
La femme : Je ne peux tout de même pas mettre deux robes !
Le mari : Comme ça tu n'auras pas froid.
La femme : C'est bien la peine de te demander quelque chose –
je vais mettre la marron – on verra bien, et je pourrais toujours mettre la
noire ensuite.
Elle sort. Entre-temps, le mari a mis son col et sa
cravate. Il cherche ses chaussures et les trouve. Pendant qu'il en enfile une,
il pose l'autre sur la table. Il s'énerve contre ses lacets en nouant ses
chaussures.
La femme,entre en coup de vent, vêtue de
sa robe marron :
Tiens, ferme-moi donc ma robe, je n'y arrive pas toute seule.
Le mari : Oh là là...et revoilà les 500 petites agrafes
La femme : Non, non, n'aie pas peur, j'ai fait mettre une
fermeture éclair. Le mari tire sur la fermeture éclair. Avant c'était
horrible, quand on avait accroché une agrafe, l'autre s'était déjà défaite, et
pour se déshabiller, quand on en avait décroché une, l'autre s'était déjà
raccrochée.
Le mari : Ne parle pas tant, tâche d'être prête. Le lacet
lui casse entre les doigts, il peste et jure.
La femme : Ne sois donc pas si nerveux ! Je ne sais pas
moi, les autres vont aussi au théâtre.
Le mari : Et ça, ce ne sont pas des lacets.
La femme : La prochaine fois je mettrai du fil de fer – mais tu
le casseras quand même.
Elle sort. Le mari fait un nœud à son lacet, se
lève, frappe un peu des deux pieds, puis il met son gilet et sa veste.
La femme,entre à nouveau, son chapeau à la
main : Je
ne sais pas, je trouve que ce chapeau ne va pas très bien avec ma robe marron.
Le mari : Mets-en un autre, dépêche ! Il met son chapeau, il est prêt.
La femme : Et il me donne un air terriblement effronté ! Le
mari : Il ne m'a jamais plu.
La femme : Je vais mettre le foulard de théâtre, d'ailleurs il
me va mieux.
Le mari : C'est ça – mais va – et vite – on va être en
retard. (Il va et vient nerveusement à petits pas)
La femme, cherche son
sac à main Pompadour et son éventail :
Maintenant, il faut que je mette un peu d'ordre.
Le mari, bougonne :
A ta place je ferais l'escalier et je ferais les carreaux – quelle plaie cette
femme !
La femme,bougonne elle aussi :
Qu'est-ce que tu peux être grognon ! Je n'y peux rien moi, si on me
fait cadeau de deux billets !
Le mari : Cette sale
bête, la prochaine fois, elle n'aura qu'à y aller elle-même, au théâtre,
au lieu de déranger les autres avec ça ! (il lui jette par en dessous un regard furieux, la femme fait le geste
de le repousser).
La femme : Pour une fois que quelque chose me fait plaisir,
c'est bien comme ça chez nous – travailler toute l'année, là, pour ça je suis
assez bonne mais -
Le mari : Et moi pour gagner de l'argent.
La femme : Nous y revoilà, je te connais va, maintenant, on ne
t'arrêtera plus, maintenant pendant tout
le trajet, on va se disputer et au
théâtre on va se disputer, et on va encore se disputer pendant la moitié de la
nuit ! Mais je te le dis d'avance, je renonce à des réjouissances
pareilles. Je préfère rester à la maison, et toi, tu vas tout seul au théâtre.
Le mari : Comment veux-tu que j'aille tout seul au théâtre
avec deux billets ?
La femme , pleure et s'assied :
Mais enfin je n'y peux rien moi, si on m'a fait cadeau de deux billets.
Le mari : Ça, je l'attendais, en avant ! Direction, le
théâtre !
Scène 6 – Marivaux
(Scène
VI - Madame Argante, Éraste, Merlin, Angélique)
Madame
Argante -
Qu’est-ce que c’est donc que tout ce bruit que j’entends ? avec qui
criais-tu tout à l’heure ?
Merlin
- Rien ; c’est Blaise et Colette qui
sortent d’ici avec Lisette, madame.
Madame
Argante - Eh
bien ! est-ce qu’ils avaient querelle ensemble ? Je veux savoir ce
que c’est.
Merlin - C’est, madame, une comédie, et
nous vous ménagions le plaisir de la surprise.
Angélique - Et moi, j’avais promis à madame Amelin et à Éraste
de ne vous en point parler, ma mère.
Madame Argante - Une comédie !
Merlin - Oui, une comédie dont je suis
l’auteur ; cela promet.
Madame Argante - Éraste, vous n’y avez pas songé ; la comédie
chez une femme de mon âge, ce serait ridicule.
Eraste - C’est
la chose du monde la plus innocente, madame, et d’ailleurs, madame Amelin se
faisait une joie de la voir exécuter.
Merlin - C’est elle qui nous paie pour la
mettre en état ; et moi, qui vous parle, j’ai déjà reçu des arrhes,
madame. Il faudrait que je restituasse, et j’ai pris des arrangements qui ne me
le permettent plus.
Madame Argante - Ne te mets point en peine. Je vous dédommagerai,
vous autres.
Merlin - Sans compter douze sous qu’il
m’en coûte pour un moucheur de chandelles que j’ai arrêté, trois bouteilles de
vin que j’ai avancées au ménétriers du village pour former mon orchestre,
quatre que j’ai donné parole de boire avec eux immédiatement après la
représentation, une demi-main de papier que j’ai barbouillée pour mettre mon
canevas bien au net…
Madame Argante - Tu n’y perdras rien, te dis-je. Voici madame Amelin,
et vous allez voir qu’elle sera de mon avis.
(Scène VII MADAME AMELIN, MADAME ARGANTE,
ANGÉLIQUE, ÉRASTE, MERLIN)
Madame Argante, à madame Amelin. - Vous ne devineriez pas,
madame, ce que ces jeunes gens nous préparaient ? Une comédie de la façon
de monsieur Merlin. Ils m’ont dit que vous le saviez, mais je suis bien sûre
que non.
Madame Amelin - C’est moi à qui l’idée en est venue.
Madame Argante - À vous, madame !
Madame Amelin - Oui ; vous saurez que j’aime à rire, et vous
verrez que cela nous divertira ; mais j’avais expressément défendu qu’on
vous le dît.
Madame Argante - Je l’ai appris par le bruit qu’on faisait dans cette
salle ; mais, j’ai une grâce à vous demander, madame ; c’est que vous
ayez la bonté d’abandonner le projet, à cause de moi, dont l’âge et le
caractère…
Madame Amelin - Ah ! Voilà qui est fini, madame ; ne vous
alarmez point, c’en est fait, il n’en est plus question.
Madame Argante - Je vous en rends mille grâces, et je vous avoue que
j’en craignais l’exécution.
Madame Amelin - Je suis fâchée de l’inquiétude que vous en avez
prise.
Madame Argante - Je vais rejoindre la compagnie avec ma fille ;
n’y venez-vous pas ?
Madame Amelin - Dans un moment.
Angélique,
à part à madame Argante. - Madame Amelin n’est pas contente, ma mère.
Madame Argante, à part le premier mot. - Taisez-vous. (À
madame Amelin.) Adieu, madame ; venez donc nous retrouver.
Madame Amelin, à Éraste. - Oui, oui. Mon neveu, quand vous
aurez mené madame Argante, venez me parler.
Éraste - Sur-le-champ,
madame.
Merlin - J’en serai donc réduit à
l’impression ; quel dommage !
(Scène VIII – Madame Amelin, Araminte)
Madame Amelin, un moment seule - Vous avez pourtant
beau dire, madame Argante ; j’ai voulu rire, et je rirai.
Araminte- Eh bien ! ma chère, où en est notre
comédie ? Va-t-on la jouer ?
Madame Amelin- Non ; madame Argante veut qu’on rende
l’argent à la porte.
Araminte-
Comment ! elle s’oppose à ce qu’on joue cette pièce ?
Madame Amelin- Sans doute ; on la jouera pourtant, ou
celle-ci, ou une autre. Tout ce qui arrivera de ceci, c’est qu’au lieu de la
lui donner, il faudra qu’elle me la donne et qu’elle la joue, qui pis est, et
je vous prie de m’y aider.
Araminte-
Il sera curieux de la voir monter sur le théâtre ! Quant à moi, je ne suis
bonne qu’à me tenir dans ma loge.
Madame Amelin- Écoutez-moi ; je vais feindre d’être si
rebutée du peu de complaisance qu’on a pour moi, que je paraîtrai renoncer au
mariage de mon neveu avec Angélique.
Araminte-
Votre neveu est, en effet, un si grand parti pour elle…
Madame Amelin- Que la mère n’avait pas osé espérer que je
consentisse. Jugez de la peur qu’elle aura, et des démarches qu’elle va
faire ! Jouera-t-elle bien son rôle ?
Araminte- Oh ! d’après nature.
Madame Amelin, riant. -
Mon neveu et sa maîtresse seront-ils, de leur côté, de bons acteurs,
à votre avis ? Car ils ne sauront pas que je me divertis, non plus que le
reste des acteurs.
Araminte-
Cela est plaisant ; mais il n’y a que mon rôle qui m’embarrasse. À quoi
puis-je vous être bonne ?
Madame Amelin- Vous avez trois fois plus de bien
qu’Angélique ; vous êtes veuve, et encore jeune. Vous m’avez fait
confidence de votre inclinaison pour mon neveu ; tout est dit. Vous n’avez
qu’à vous conformer à ce que je vais faire. Voici mon neveu, et nous en sommes
à la première scène ; êtes-vous prête ?
Araminte
- Oui
(Scène IX Madame
Amelin, Araminte, Éraste)
Eraste-
Vous m’avez ordonné de revenir ; que me voulez-vous, madame ? La
compagnie vous attend.
Madame Amelin - Qu’elle m’attende, mon
neveu ; je ne suis pas près de la rejoindre.
Eraste-
Vous me paraissez bien sérieuse, madame ; de quoi s’agit-il ?
Madame Amelin , montrant Araminte. Éraste,
que pensez-vous de madame ?
Eraste-
Moi ? Ce que tout le monde en pense, que madame est fort aimable.
Araminte- La
réponse est flatteuse.
Eraste-
Elle est toute simple.
Madame Amelin - Mon neveu, son cœur et sa main,
joints à trente mille livres de rente, ne valent-ils pas bien qu’on s’attache à
elle ?
Eraste-
Y a-t-il quelqu’un à qui il soit besoin de persuader cette vérité-là ?
Madame Amelin - Je suis charmée de vous en voir
si persuadé vous-même.
Eraste- À propos de quoi en êtes-vous si charmée,
madame ?
Madame Amelin -
C’est que je trouve à propos de vous marier avec elle.
Eraste- Moi, ma tante ? Vous plaisantez, et je
suis sûr que madame ne serait pas de cet avis-là.
Madame Amelin -
C’est pourtant elle qui me le propose.
Eraste-
(surpris) De m’épouser ? vous,
madame ?
Araminte- Pourquoi non, Éraste ? cela me paraîtrait
assez convenable ; qu’en dites-vous ?
Madame Amelin -
Ce qu’il en dit ? En êtes-vous en peine ?
Araminte- Il ne répond pourtant rien.
Madame Amelin - C’est d’étonnement et de joie, n’est-ce pas,
mon neveu ?
Eraste- Madame…
Madame Amelin -
Quoi ?
Eraste- On n’épouse pas deux femmes.
Madame Amelin - Où en prenez-vous deux ? On
ne vous parle que de madame.
Araminte- Et vous aurez la bonté de n’épouser que moi
non plus, assurément.
Eraste- Vous méritez un cœur tout entier,
madame ; et vous savez que j’adore Angélique, qu’il m’est impossible
d’aimer ailleurs.
Araminte- Impossible, Éraste, impossible !
Oh ! Puisque vous le prenez sur ce ton-là, vous m’aimerez, s’il vous
plaît.
Eraste- Je ne m’y attends pas, madame.
Araminte- Vous m’aimerez, vous dis-je ; on m’a
promis votre cœur, et je prétends qu’on me le tienne. Je crois que d’en donner
deux cent mille écus, c’est le payer tout ce qu’il vaut, et qu'il y en a peu de
ce prix-là.
Eraste- Angélique l’estimerait davantage.
Madame Amelin -
Qu’elle l’estime ce qu’elle voudra, j’ai garanti que madame
l’aurait ; il faut qu’elle l’ait, et que vous dégagiez ma parole.
Eraste -
Ah ! madame, voulez-vous me désespérer ?
Araminte- Comment donc, vous désespérer ?
Madame Amelin -
Laissez-le dire. Courage, mon neveu, courage !
Eraste- Juste ciel !
(Scène X- Madame Amelin, Araminte, Madame Argante,
Angélique, Éraste )
Madame Argante - Je viens vous chercher, madame, puisque vous ne
venez pas. Mais que vois-je ? Éraste soupire ! Ses yeux sont mouillés
de larmes ! Il paraît désolé ! Que lui est-il donc arrivé ?
Madame Amelin - Rien que de fort heureux, quand
il sera raisonnable. Au reste, madame, j’allais vous informer que nous sommes
sur notre départ, Araminte, mon neveu et moi. N’auriez-vous rien à mander à
Paris ?
Madame Argante -À Paris ! Quoi ! est-ce que vous y
allez, madame ?
Madame Amelin - Dans une heure.
Madame Argante- Vous
plaisantez, madame ; et ce mariage ?…
Madame Amelin - Je pense que le mieux est de le laisser là. Le
dégoût que vous avez marqué pour ce petit divertissement, qui me flattait, m’a
fait faire quelques réflexions. Vous êtes trop sérieuse pour moi. J’aime la
joie innocente ; elle vous déplaît. Notre projet était de demeurer
ensemble ; nous pourrions ne nous pas convenir ; n’allons pas plus
loin.
Madame Argante-
Comment ! une comédie de moins romprait un mariage, madame ?
Eh ! qu’on la joue, madame ; qu’à cela ne tienne ; et si ce
n’est pas assez, qu’on y joigne l’opéra, la foire, les marionnettes, et tout ce
qu’il vous plaira, jusqu’aux parades.
Madame Amelin - Non ; le parti que je
prends vous dispense de cet embarras-là. Nous n’en serons pas moins bonnes
amies, s’il vous plaît ; mais je viens de m’engager avec Araminte, et
d’arrêter que mon neveu l’épousera.
Madame Argante- Araminte à
votre neveu, madame ! Votre neveu épouser Araminte ! Quoi ! ce
jeune homme !....
Araminte-
Que voulez-vous ? je suis à marier aussi bien qu’Angélique.
Angélique,
tristement - Éraste y consent-il ?
Eraste- Vous voyez mon trouble ; je ne sais plus
où j’en suis.
Angélique-
Est-ce là tout ce que vous répondez ? Emmenez-moi, ma mère,
retirons-nous ; tout nous trahit.
Eraste- Moi, vous trahir, Angélique ! moi, qui
ne vis que pour vous !
Madame Amelin - Y songez-vous, mon neveu, de
parler d’amour à une autre, en présence de madame que je vous destine ?
Madame Argante- Mais en vérité, tout ceci n’est qu’un rêve.
Madame Amelin - Nous sommes tous bien éveillés,
je pense.
Madame
Argante-
Mais, tant pis, madame, tant pis ! Il n’y a qu’un rêve qui puisse rendre
ceci pardonnable, absolument qu’un rêve, que la représentation de votre
misérable comédie va dissiper. Allons vite, qu’on s’y prépare ! On dit que
la pièce est un impromptu ; je veux y jouer moi-même ; qu’on tâche de
m’y ménager un rôle. Jouons-y tous, et vous aussi, ma fille.
Angélique-
Laissons-les, ma mère ; voilà tout ce qu’il nous reste à faire.
Madame Argante- Je ne serai pas une grande actrice, je n’en serai
que plus réjouissante.
Madame Amelin - Vous joueriez à merveille,
madame, et votre vivacité en est une preuve ; mais je ferais scrupule
d’abaisser votre gravité jusque-là.
Madame Argante- Que cela ne vous inquiète pas. C’est Merlin qui est
l’auteur de la pièce ; je le vois qui passe ; je vais la lui
recommander moi-même. Merlin ! Merlin ! approchez.
Madame Amelin - Eh ! non, madame, je vous
prie.
Eraste, à Madame Amelin. -Souffrez qu’on la joue,
madame ; voulez-vous qu’une comédie décide de mon sort, et que ma vie
dépende de deux ou trois dialogues ?
Madame Argante- Non, non, elle n’en dépendra pas.
Scène 7 – K.Valentin
La Femme - Je
me suis tellement énervée, tu sais que je ne peux pas supporter les disputes,
je ne veux plus sortir et je ne peux plus sortir ; tu peux bien aller au
théâtre avec qui tu veux ! Maintenant je me déshabille et je vais au lit,
j'ai attrapé un tel mal de tête … !
Le mari -
He bien prends un cachet contre le mal de tête ! (Il lui donne un
médicament.).
La Femme - Pour
ça je n’ai pas besoin de toi, vas-y puisque tu y tiens, moi je vais au
lit . (Elle avale le médicament et
sort).
Le mari - Halte !
Tu l'as déjà avalé ? Recrache-le !
La Femme - Tu
ne m'as pas donné ce qu'il fallait ?
Le mari - Mais
aussi, tu bouffes tout ce qu'on te donne !
La Femme - Parle !
Qu'est-ce que tu m'as donné ?
Le mari - Des
pilules Léo pour purger.
La Femme - Eh
bien, tu en as fait du propre, c'est des pilules Léo laxatives ! C'est
écrit : effet immédiat, agit dans une heure ! Maintenant, il est sept
heures et demie, et, à huit heures et demie, on sera justement au théâtre, et
c'est là que ça commencera.
Le mari - Ça
commence à sept heures et demie.
La Femme - Je
veux dire pour moi ; bon eh bien allons-y tout de suite, peut-être que
d'ici là on sera déjà rentrés. J'aimerais seulement savoir si, pour les autres,
quand ils sortent, ça se passe comme chez nous.
Le mari - Exactement
pareil !
La Femme - Nulle
part ça ne peut se passer comme ça !
Le mari - Ils
ne le disent pas, c'est tout. Bon, allons-y.
La Femme - Et
une fois de plus, tu es habillé comme un vieux dégoûtant, on ne te fera pas
perdre cette sale habitude, qu'est-ce que c'est que cette chemise ?
Le mari - Une
chemise d'homme.
La Femme - Tu
ne veux tout de même pas aller au théâtre avec cette chemise, c'est ta plus
vieille, ça fait quinze jours que tu l'as sur toi .
Le mari - Mais
ça ne se voit pas !
La Femme - Non,
je ne sors pas avec cette chemise, pas question, si jamais quelqu'un te voit,
les gens vont penser que je suis une souillon.
Le mari - Mais
ça ne fait rien.
La Femme - Non
– tu vas mettre immédiatement une autre chemise ! (Elle en sort une de
l’armoire à linge).
Le mari - Je
ne suis pas près de l'oublier cette journée ; jamais plus, jamais plus au
théâtre !
La Femme - Viens,
je vais t'aider !
Le mari - Mais
où est ma chemise ?
La Femme - Elle
est là, sur la chaise.
Le mari -(Prend
la chemise, la déplie, et la tient en l'air. On voit que c'est une chemise
d'enfant) Jésus, Jésus.
La Femme - Mais
c'est une chemise de gamin, il n'y en avait pas d'autre dans le tiroir, tu es
vraiment un gros dégoûtant, tu sais très bien que tu n'as que deux chemises –
et tu les prends toujours et tu n'en dis rien, mets donc un plastron – tiens,
voilà un plastron propre. (Elle lui donne un plastron à élastique)
Le mari - Il
est trop long.
La Femme - Eh
bien, tu le déchires ! (elle déchire la moitié inférieure du plastron
)
Le mari - Vite !
Il est sept heures et demie !
Il s'habille, ses mains ont des ailes, le plastron,
la cravate et la montre tombent par terre, il met la montre dans son pantalon,
elle tombe par la jambe ; la femme lui donne gilet, veste, chapeau,
parapluie et enfin le pardessus - il passe sa main dans la doublure, puis le
parapluie dans la manche ; il en résulte un effroyable méli-mélo.)
La Femme - Maintenant
on va arriver trop tard, maintenant il va falloir prendre le tram, et on va monter
dans la voiture de tête pour arriver plus tôt. Attends, il nous manque encore
les jumelles de théâtre, c'est toi qui les porte. (Elle sort d'un tiroir une
paire de jumelles dans son étui et la lui tend)
Le mari - (les
laisse tomber)
Elles sont foutues.
La Femme - C'est
le bouquet ! (Elle ouvre l'étui).
Ah, heureusement, elles n'étaient pas dedans, sinon elles seraient cassées. Bon
, on y va maintenant – tu as tout, les clefs, le porte-monnaie, un mouchoir,
ton tabac à priser – tu as fermé la fenêtre dans la chambre à coucher, si
jamais il y a un orage ?
Le mari - Viens,
viens !
La Femme - Bon,
éteins la lumière et ferme !
Le mari -( dans le noir) Tu as les billets ?
La Femme - Non,
c'est toi qui les as.
Le mari - Non,
c'est toi. Attends, allume.
La Femme - Ce
serait vraiment un comble si maintenant on n'avait pas les billets. (Elle
regarde dans son sac) Mais je ne l'ai même pas ouvert, mon sac. Tu étais
assis là-bas, et je t'ai donné les billets.
Le mari - Peut-être
que tu les as mis par là. (Il va à la commode et pose sa main dessus)
La Femme - Non,
j'en suis sûre. (Elle ferme violemment le tiroir et lui pince les doigts)
Le mari - Aïe
– Aïe !! (Il pleure et s'appuie sur sa femme)
La Femme -
Je ne peux te dire qu'une chose, c'est que je vais bientôt frémir d'horreur
rien qu'à l'idée d'aller au théâtre ! Si seulement on avait les billets,
sans billets ils ne nous laisseront pas entrer.
Le mari - Halte !
(Il sort les billets de sa poche de pantalon)
La Femme - Les
voilà ; maintenant, je les mets tout de suite dans mon sac, sinon tu vas
les perdre encore une fois. Tiens, regarde, on aurait pu le savoir tout de
suite, c'est marqué quand ça commence : début à huit heures – qui est-ce
qui avait raison une fois de plus – moi
– la femme à toujours raison – c'est
écrit noir sur blanc – début à huit heures.
Le mari - Oui,
exact, début à huit heures. Vendredi 17 Juillet.
La Femme - Comment
Vendredi ? Mais aujourd'hui on est seulement Jeudi ! (tous deux se
regardent, sidérés ; le rideau tombe)
Scène 7 – Marivaux
(Scène XI. Madame Amelin, Araminte, Madame Argante,
Éraste, Angélique, Merlin.)
Madame
Argante, continue. - La comédie que vous nous destinez est-elle bientôt
prête?
Merlin - J'ai rassemblé tous nos acteurs ; ils sont
là, et nous allons
achever de la répéter, si l'on veut.
Madame
Argante - Qu'ils entrent.
Madame
Amelin - En vérité, cela est inutile.
Madame
Argante - Point du tout, Madame.
Araminte
- Je ne présume pas, quoi que l'on fasse, que Madame veuille rompre
l'engagement qu'elle a pris avec moi ; la comédie se jouera quand on voudra,
mais Éraste m'épousera, s'il vous plaît.
Madame
Argante - Vous, Madame ? Avec vos quarante ans ! Il n'en sera rien, s'il
vous plaît vous-même, et je vous le dis tout franc, vous avez là un très
mauvais procédé, Madame ; vous êtes de nos amis, nous vous invitons au mariage
de ma fille, et vous prétendez en faire le vôtre et lui enlever son mari,
malgré toute la répugnance qu'il en a lui-même; car il vous refuse, et vous
sentez bien qu'il ne gagnerait pas au change ; en vérité, vous n'êtes pas
concevable : à quarante ans lutter contre vingt ! Vous rêvez, Madame. Allons,
Merlin, qu'on achève.
Scène XII.Tous les acteurs.
Madame
Argante, continue - J'ajoute dix pistoles à ce qu'on vous a promis, pour
vous exciter à bien faire. Asseyons-nous, Madame, et écoutons.
Madame
Amelin - Écoutons donc, puisque vous le voulez.
Merlin _ Avance, Blaise ; reprenons où nous en
étions. Tu te plaignais de ce que j'aime Colette ; et c'est, dis-tu, Lisette
qui te l'a appris ?
Blaise - Bon ! qu'est-ce que vous voulez que je dise
davantage ?
Madame
Argante - Vous plaît-il de
continuer, Blaise ?
Blaise - Non ; noute mère m'a défendu de monter sur
le thiâtre.
Madame
Argante - Et moi, je lui défends de vous en empêcher : je vous sers de
mère ici, c'est moi qui suis la vôtre.
Blaise - Et au par-dessus, on se raille de ma
parsonne dans ce peste de jeu-là, noute maîtresse ; Colette y fait semblant
d'avoir le cœur tendre pour Monsieur Merlin, Monsieur Merlin de li céder le
sien ; et maugré la comédie, tout ça est vrai, noute maîtresse ; car ils font
semblant de faire semblant, rien que pour nous en revendre, et ils ont tous
deux la malice de s'aimer tout de bon en dépit de Lisette qui n'en tâtera que
d'une dent, et en dépit de moi qui sis pourtant retenu pour gendre de mon
biau-père.
(Les dames rient.)
Madame
Argante - Eh ! Le butor ! On a bien affaire de vos bêtises. Et vous
Merlin, de quoi vous avisez-vous d'aller faire une vérité d'une bouffonnerie ?
Laissez-lui sa Colette, et mettez-lui l'esprit en repos.
Colette
- Oui, mais je ne veux pas qu'il me laisse, moi ; je veux qu'il me garde.
Madame
Argante - Qu'est-ce que cela signifie, petite fille ? Retirez-vous,
puisque vous n'êtes pas de cette scène-ci ; vous paraîtrez quand il sera temps
; continuez, vous autres.
Merlin - Allons, Blaise, tu me reproches que j'aime
Colette ?
Blaise - Eh ! Morguié, est-ce que ça n'est pas vrai
?
Merlin - Que veux-tu, mon enfant ? Elle est si jolie,
que je n'ai pu m'en empêcher.
Blaise,
à Madame Argante - Eh bian ! Madame Argante, velà-t-il pas qu'il le confesse
li-même ?
Madame
Argante - Qu'est-ce que cela te fait, dès que ce n'est qu'une comédie ?
Blaise - Je m'embarrasse, morguié ! Bian de la farce
; qu'alle aille au guiable, et tout le monde avec !
Merlin - Encore !
Madame
Argante - Quoi ! On ne parviendra pas à vous faire continuer ?
Madame
Amelin - Eh ! Madame, laissez-là ce pauvre garçon : vous voyez
bien que le dialogue n'est pas son fort.
Madame
Argante - Son fort ou son faible, Madame, je veux qu'il réponde ce qu'il
sait, et comme il pourra.
Colette
- Il braira tant qu'on voudra ; mais c'est là tout.
Blaise - Eh ! Pardi ! Faut bian braire, quand on en
a sujet.
Lisette
- À quoi sert tout ce que vous faites là, Madame ? Quand on achèverait cette
scène-ci, vous n'avez pas l'autre ; car c'est moi qui dois la jouer, et je n'en
ferai rien.
Madame
Argante - Oh ! Vous la jouerez ; je vous assure.
Lisette
- Ah ! Nous verrons si on me fera jouer la comédie malgré moi.
Scène XIII. Tous les acteurs de la scène précédente,
et Le Notaire qui arrive.
Le Notaire, s'adressant à Madame Amelin -
Voilà, Madame, le contrat que vous m'avez demandé ; on y a exactement suivi vos
intentions.
Madame
Amelin , à Araminte, bas - Faites comme si c'était le vôtre.
(À Madame Argante) - Ne voulez-vous pas bien honorer ce contrat-là de
votre signature, Madame ?
Madame
Argante - Et pour qui est-il donc, Madame ?
Araminte
- C'est celui d'Éraste et le mien.
Madame
Argante - Moi ! Signer votre contrat, Madame ! Ah ! Je n'aurai pas cet
honneur-là, et vous aurez, s'il vous plaît, la bonté d'aller vous-même le
signer ailleurs.
Au notaire - Remportez, remportez cela, Monsieur.
À Madame Amelin - Vous n'y songez pas, Madame ; on n'a point ces
procédés-là ; jamais on n'en vit de pareils.
Madame
Amelin - Il m'a paru que je ne pouvais marier mon neveu, chez
vous, sans vous faire cette honnêteté-là, Madame, et je ne quitterai point que
vous n'ayez signé, qui pis est ; car vous signerez.
Madame
Argante - Oh ! Il n'en sera rien ; car je m'en vais.
Madame
Amelin , l'empêchant - Vous resterez, s'il vous plaît ; le
contrat ne saurait se passer de vous.
À Araminte - Aidez-moi, Madame ; empêchons Madame Argante de
sortir.
Araminte
- Tenez ferme, je ne plierai point non plus.
Madame
Argante- Où en sommes-nous donc, Mesdames ? Ne suis-je pas chez moi ?
Eraste,
à Madame Amelin - Eh ! À quoi pensez-vous, Madame ? Je mourrais moi-même
plutôt que de signer.
Madame
Amelin - Vous signerez tout à l'heure, et nous signerons tous.
Madame
Argante - Apparemment que Madame se donne ici la comédie, au défaut de
celle qui lui a manqué.
Madame
Amelin , riant - Ah ! Ah ! Ah ! Vous avez raison ; je ne
veux rien perdre.
Le Notaire - Accommodez-vous donc, Mesdames ; car
d'autres affaires m'appellent ailleurs. Au reste, suivant toute apparence, ce
contrat est à présent inutile, et n'est plus conforme à vos intentions, puisque
c'est celui qu'on a dressé hier, et qu'il est au nom de Monsieur Éraste et de
Mademoiselle Angélique.
Madame
Amelin - Est-il vrai ? Oh ! Sur ce pied-là, ce n'est pas la peine
de le refaire ; il faut le signer comme il est.
Eraste
- Qu'entends-je ?
Madame
Argante -Ah ! Ah ! J'ai donc deviné ; vous vous donniez la comédie, et
je suis prise pour dupe ; signons donc. Vous êtes toutes deux de méchantes
personnes.
Eraste
- Ah ! Je respire.
Angélique
- Qui l'aurait cru ? Il n'y a plus qu'à rire.
Araminte,
à Madame Argante. - Vous ne m'aimerez jamais tant que vous m'avez haïe ;
mais mes quarante ans me restent sur le cœur ; je n'en ai pourtant que trente-neuf
et demi.
Madame
Argante - Je vous en aurais donné cent dans ma colère ; et je vous
conseille de vous plaindre, après la scène que je viens de vous donner !
Madame
Amelin - Et le tout sans préjudice de la pièce de Merlin.
Madame
Argante- Oh ! Je ne vous le disputerai plus, je n'en fais que rire ; je
soufflerai volontiers les acteurs, si l'on me fâche encore.
Lisette - Vous voilà raccommodés ; mais nous...
Merlin - Ma foi, veux-tu que je te dise ? Nous nous
régalions nous-mêmes dans ma parade pour jouir de toutes vos tendresses.
Colette
- Blaise, la tienne est de bon acabit ; j'en suis bien contente.
Blaise
, sautant -Tout de bon ? Baille-moi donc une petite franchise pour ma
peine.
Lisette
- Pour moi, je t'aime toujours ; mais tu me le paieras, car je ne t'épouserai
de six mois.
Merlin - Oh ! Je me fâcherai aussi, moi.
Madame
Argante - Va, va, abrège le terme, et le réduis à deux heures de temps.
Allons terminer.
FIN