« Si tu ne m'aimes pas, je t’aime ; et si je t'aime, prends garde à toi ! » : "Carmen la Cubana"

(copyright Châtelet)

« Si tu ne m'aimes pas, je t’aime ; et si je t'aime, prends garde à toi. »  Cette citation révèle parfaitement la vision de la bohémienne Carmen : Le désir amène l’amour et le confort tue le désir, tuant l’amour et amenant de nouveau du désir pour un autre. Carmen la Cubana est un spectacle de Mendoza inspiré de l’opéra-comédie Carmen écrit par George Bizet.  Cet opéra de 1875 raconte l’histoire de Carmen, jeune bohémienne pleine de fougue qui séduit tout d’abord le brigadier Don José puis le torero Escamillo. Cette pièce à priori comique termine mal, avec l’assassinat de Carmen. Ici nous avons une reprise contemporaine de 2016 marquée par la situation cubaine, vu que cette pièce se déroule juste avant l’arrivée de la Révolution Castriste. Carmen est maintenant une métisse américano-cubaine qui « règne sur la Havane », Don José devient militaire sous Batista et Escamillo porte le nom de El Nino Martinez, devenu le boxeur ayant le plus de prestige sur l’île.

 

Tout d’abord nous aborderons le spectacle avec ses décors pleins de vie, puis nous verrons un exemple précis avec la Havanera.

     Dans cette reprise, la pièce se déroule à Cuba et le décor en reprend donc les codes. Tout se déroule devant une maison, qui joue admirablement avec les couleurs pour retranscrire l’atmosphère cubaine. Le bleu utilisé parfois ainsi que le jaune permet d’aborder les maisons colorées latines, teintés de jaunes, bleus, roses.  La maison s’apparente d’ailleurs à une villa, avec des motifs très précieux et un gigantesque lustre. Nous trouvons assez impressionnants de nous trouver face à tant de grandeur et l’immersion est totale. L’effet chaleureux est montré par les costumes des comédiens, très typiques et représentant parfaitement l’Amérique du Sud pour des yeux Occidentaux. Si nous avions peur que cela puisse faire assez cliché et commercial, nous trouvons au contraire un aspect naturel très plaisant et ambitieux. Si les décors sont très ambitieux et bien trouvés, il n’en est pas de même pour les comédiens : Ceux-ci surjouent, s’agitent en permanence dans des chorégraphies brouillonnes et chaotiques au point qu’on finit par se demander s’il s’agit d’un spectacle ou d’un cirque. Ils sont souriants et prennent probablement un certain plaisir à jouer devant nous, mais leurs talents corporels sont loins d’égaler leurs compétences vocales.

   En effet ces “comédiens” sont surtout des chanteurs, et Luna Manzanares reprend ici la musique si célèbre “L’amour est un oiseau rebelle” en le renommant “La habanera”. Quels impressions se dégagent de cette musique ? La prestation est-elle réussie ? Oui, mais pas complètement.

 

        Tout d’abord le style jazz latino est frappant, c’est cohérent pour le lieu qu’est Cuba. Pour être plus précis, il s’agit de jazz afro-cubain : les codes du jazz sont respectés, avec notamment une utilisation forte de la trompette pour la partie jazz pure, donnant cet effet “swing” ici très chaleureux et enivrant. La marque cubaine est donnée par les percussions principalement, et nous voyageons à travers le rythme de la musique. Les pianos et instruments à corde sont moins mis en avant, autre caractéristique du jazz par rapport à la musique classe notamment. D’ailleurs il est intéressant de noter que le premier vrai groupe de jazz afro-cubain est référencé à la Havane, titre de la musique. Est-ce un hasard ou un hommage à ce style musical ? Chacun se fera son avis, mais nous privilégions le clin d'oeil. Quelque chose d’autre dans cette musique nous marque, et il s’agit de la voix de la chanteuse. Elle  est lyrique, et son timbre de voix alto convient parfaitement à la musique. Elle dégage une véritable prestance, avec une gestion des silences et de l’intensité sonore très bonne. Cette reprise ne peut nous laisser de marbre, malgré le fait que nous ne parlions pas l’espagnol et ne puissions par conséquent pas analyser les paroles revisitées. Nous nous contenterons donc de la forme, et cette forme est véritablement maîtrisée.

    Cependant et à l’image des décors, la danse nous détourne un peu de cette belle musique. Cela fait trop modeste, contrastant avec un sublime décor et une musique assez forte. C’est ici la limite de ce spectacle, et c’est pourquoi nous sommes presque frustrés que ce point n’est pas été plus travaillé, rendant la pièce plaisante au lieu d’excellente.

 

      Pour conclure nous ne pouvons que conseiller d’aller voir ce spectacle, divertissant avec quelques étincelles de talent. Le rythme est bon, on ne voit pas le temps passer et les musiques chaleureuses donnent à coup sûr le sourire. En plus de cet aspect là, le spectacle a le mérite d’aborder des thèmes profonds et intéressants : La révolution cubaine, les espoirs anti-autoritarisme et le banditisme, l’amour passionnel et son rapport avec le désir parfois criminel. Il rend hommage d’une belle manière au Carmen originel, mais nous ne pouvons que regretter que les détails soient si bâclés donnant cet aspect de pièce trop ambitieuse pour son budget et par rapport à ses comédiens. C’est un peu frustrant et c’est pour cela que ne pouvons pas caractériser cette pièce de chef d’oeuvre ou de spectacle magnifique, mais divertissant.

 

Nicolas et Vincent.