Le choix de Nor Alden (pp. 66-67) :

« Dehors est glacé, dedans est écrasant. La santé de Massiré se dégrade. Elle ne se plaint jamais des dialyses, ni ne nous parle de ses bilans. Mais la maladie s’est aggravée et son avenir dépend maintenant d’une greffe de rein. Elle qui peut se montrer si dure avec elle-même, qui exige tellement des enfants qui lui restent, est submergée par des vagues de douleur. Elle se reprend vite. Mais il a fallu que ses enfants cherchent des mots qui la consolent, qu’ils écoutent celle qui leur apprend à se taire.

Et puis il y a ce qu’elle me dit, elle y revient plusieurs fois, ces mots d’Africaine qu’elle utilise quand elle s’adresse à moi. Elle m’appelle « un diable ». Elle n’a pas pour habitude de parler à la légère, et c’est un poids de plus en plus lourd que cette accusation dont je devine, sans la comprendre, la gravité. Je demande des explications, j’insiste. Je finis par savoir ce que j’aurais peut-être préféré ne pas entendre. « Tu as mangé les petits. » Les enfants qui meurent ont été tués par celui qui les précède. Massou puis Moussa partis, il faut bien que ce soit moi qui les aie mangés. Voilà ce dont elle m’accuse quand elle est hors d’elle. Je suis le démon coupable de la mort de ma petite sœur et de mon petit frère. Je quitte probablement l’enfance à ce moment-là, quand j’interdis à Massiré de jamais répéter ce qu’elle vient de dire. Je crie pour la faire taire. Je hurle et elle se tait. Je sais, moi, ce que leur absence me coûte, et combien j’ai voulu échanger mon sort contre le leur. Mourir m’irait. Mourir est un sommeil. C’est ce qu’ils disent, n’est-ce pas ? « Ils dorment en paix. » Vivre ou mourir, personne ne m’a demandé de choisir. Je vis. Tant pis peut-être, mais c’est comme ça. J’ai neuf ans et je suis dans une solitude désespérée. »

 

L'analyse de Nor Alden :

J'ai choisi ce passage parce qu'on peut lire et ressentir la souffrance familiale et individuelle, surtout celle de Massiré. [...] Aya allume les projecteurs sur elle et accentue le désespoir qu'elle ressent. [...] Il y aussi autre chose qui m'a marqué,  c'est l'inversion des rôles. Massiré, qu'on a vue depuis le début du livre comme une mère protectrice qui veut à tout prix protéger ses enfants, tombe dans une sorte de dépression [...] : c'est au tour de ses enfants de l'aider.