Chapitre 6. Le projet d'une Europe politique depuis 1948
Introduction :
Rappel :
- Le terme Europe désigne le continent mais par métonymie (désigner un terme ou un objet par un autre terme), on applique ce mot à ce qui constitue en réalité l'union d'un certain nombre de pays européens depuis la fin de la GM2. Cela peut donc être la CECA* puis la CEE* et enfin l'UE*. Il ne s'agit donc pas de TOUTE l'Europe (50 pays) mais actuellement de l'UE (28 pays jusqu'au départ de la GB en 2018).
► La construction européenne correspond parfaitement à la mise au point d’une gouvernance* entre plusieurs pays européens dans le but d’aspirer à un avenir meilleur. En effet, le continent européen sort dévasté de la GM2. Les Etats du continent sont confrontés au défi de la reconstruction, mais aussi de la division rapide du continent dans un contexte de Guerre froide.
►Dès l'origine deux visions s'opposent : celle d'une coopération économique entre États et gouvernements, et celle de la création d'un État fédéral européen.
Toute la construction européenne depuis le congrès de La Haye en 1948 jusqu'au traité de Lisbonne en 2007 a hésité entre ces deux directions. Le projet d'union économique est aujourd'hui très avancé et a fait de l'Union européenne une grande puissance économique. Le projet de construction politique est plus ambigu, avec une Union européenne qui n'est pas un État mais qui en a les structures, et qui reste un « nain » diplomatique et militaire.
* « Gouvernance » est un terme qui appartient à la langue française mais qui n'était plus usité. Il est revenu par l'intermédiaire de l'anglais « governance » dans les années 90. C'est un terme qui ne fait pas consensus car il semble très ambigu.
Problématique :
► Comment et pourquoi l’Europe occidentale met-elle en place une union politique ?
► Comment les anciens « pays satellites de l'URSS » s’intègrent-ils dans cet ensemble après 1989 ?
► Quels sont les enjeux et les impasses actuelles de l’Europe unie ? En quoi la construction européenne oscille toujours entre un projet fédéral et une simple union économique ?
I. La naissance du projet politique européen (1948-1957)
A) Après la guerre, une union qui paraît impérative
B) Un premier pas : le Congrès de la Haye
C) L'échec du projet fédéral
II. La lente construction d'une union économique (1957-1989)
A) L'avènement de la Communauté Économique Européenne (CEE)
B) Un projet économique mais pas seulement...
C) La CEE est aussi un projet politique en construction qui suscite des réticences
III. L'évolution des institutions et de la gouvernance depuis 1989
A) Les répercussions de l’effondrement du bloc communiste sur la construction européenne
B) La naissance de l’Union européenne (1992-2007)
C) Un projet européen en crise
I. La naissance du projet politique européen (1948-1957)
A) Après la guerre, une union qui paraît impérative
► Après les deux guerres mondiales et les génocides, et conscients de leur responsabilité dans ce qui apparaît comme une sorte de « suicide » de l'Europe, l'union semble un impératif.
Il existait déjà des mouvements pro-européens avant la GM2 et l'idée a aussi fait son chemin pendant les années de résistance à l'occupation allemande notamment de la part de groupes non communistes. Cette idée est portée par des personnalités issues des mouvements démocrates-chrétiens comme par exemple Robert Schuman (France), Konrad Adenauer (Allemagne) ou encore Paul-Henri Spaak (Belgique). Ces personnages sont souvent considérés comme des « pères fondateurs » de l'Europe.
B) Un premier pas : le Congrès de la Haye
► 800 délégués de 18 pays se réunissent aux Pays-Bas à la Haye, sous la présidence de W. Churchill (ancien premier ministre de GB) pour le « Congrès de l'Europe » le 7 mai 1948. Plusieurs décisions sont adoptées :
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en mai 1949, naissance du conseil de l’Europe, organisation intergouvernementale pour favoriser la coopération politique, économique et culturelle en Europe (mais qui n'a aucun pouvoir décisionnel, siège à Strasbourg), défendre la démocratie et les Droits de l'Homme.
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élaboration d’une convention européenne des droits de l’homme* en 1950
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mais des divergences d’opinions entre fédéralistes* (partisans d’une Europe supranationale) et unionistes* (partisans d’une simple coopération entre gouvernements, respectant la souveraineté des États dans une logique intergouvernementale)
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* Convention européenne des Droits de l'Homme : Elle a pour but de protéger les droits de l'Homme et les libertés fondamentales en permettant un contrôle judiciaire du respect de ces droits individuels. (entrée en vigueur en 1953)
*Fédéralistes : partisans d’une fédération où les Etats renoncent à une large part de leur souveraineté* au profit d’une autorité politique supranationale.
*Unionistes : partisans d’une confédération (union d’Etats indépendants), voire d’une simple coopération intergouvernementale, au sein de laquelle la souveraineté de chaque Etat est conservée.
*Souveraineté : pouvoir suprême et exclusif, détenu et exercé par un Etat sur son territoire, et indépendance d’un Etat vis-à-vis des puissances étrangères.
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plusieurs adversaires :
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les partis communistes, sous la pression de l’URSS
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Les gaullistes qui sont opposés à toute idée de fédéralisme
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C) L'échec du projet fédéral
1) Les contraintes de la Guerre Froide
► Dans le contexte de la Guerre froide, l'expansion soviétique en Europe de l’Est pousse les États-Unis à soutenir l'idée européenne notamment par l'intermédiaire du plan Marshall (13 milliards de $) proposé par les États-Unis en 1947.
Accepté par l’Ouest et renforcé par la création de l’Organisation européenne de coopération économique en avril 1948 (OECE, devenue OCDE en 1960) pour répartir cette aide, il est refusé par le bloc de l'est. Ceci d'ailleurs marque le début effectif de la Guerre Froide.
► En 1948, le traité de Bruxelles crée l'Union de l'Europe occidentale (UEO : France, Royaume-Uni, Benelux), qui rejoint l'OTAN créé en 1949.
► La crainte de l'URSS et du bloc de l'est suscite chez les pays occidentaux un réflexe de recherche d'une protection américaine qui hypothèque en fait le projet d'une Europe fédérale autonome. C'est ce que l'on appelle « l'atlantisme » qui est donc le fait de mener une politique favorisant l'alliance américaine au détriment des projets européens.
2) une Europe de la démocratie libérale
► Néanmoins, si le projet fédéral semble peu réalisable dans un contexte de Guerre Froide, les valeurs communes forment un ciment pour l'idée européenne en général :
- L'Europe est le berceau de la démocratie parlementaire libérale : régimes parlementaires (gouvernements responsables devant les Parlements), constitutions, multipartisme, grandes libertés et droits de l’Homme. La démocratie s'impose
après 1945 ainsi les derniers régimes autoritaires disparaissent dans les années 1970 en Grèce, en Espagne (Franco meurt en 1975) et au Portugal (Révolution des Oeillets en 1974).
– Le choix de l’économie de marché, sur la base des libertés économiques, du droit à la propriété privée et de l’initiative individuelle ce qui n'interdit pas l’intervention des États dans l’économie dans le cadre d'un Etat tout puissant. Ceci passe par des nationalisations, le rôle accru des pouvoirs publics dans la reconstruction et le lancement de grands programmes d’équipement pour atténuer la loi du marché. Ce modèle a été partout plus ou moins appliqué notamment dans la GB de McMillan (1er ministre dans les années 50 mais aussi artisan de l'entrée de la GB dans la CEE) ou encore dans la France de la IVème République et des « plans » (voir chapitre Gouverner la France depuis 1946).
– Le choix de l’État-providence après 1945 aboutit au renforcement du système de protection sociale pour corriger les inégalités sociales, promouvoir la croissance et l’emploi : par ex. le nouveau gouvernement travailliste britannique formé en 1945 applique le programme de Welfare State (“État du bien-être” ou État-providence) élaboré par William Beveridge dès 1942 ou encore en 1945, la France crée la Sécurité sociale (couvrant tous les « risques » : maladie, vieillesse, maternité, chômage).
3) L'échec du projet politique
► Les années 50 sont marquées par des initiatives qui vont dans le sens d'une Europe fédérale :
- Favorable à des “États-Unis d’Europe”, Jean Monnet (Commissaire général au Plan en France) élabore un plan de construction d’une vraie Europe unie, autour du “noyau” franco-allemand, par une « stratégie des petits pas”, sur une action concrète portant sur un point
limité. Plus encore, le 9 mai 1950 Robert Schuman (ministre français des Affaires étrangères) lance un plan proposant de placer la production franco-allemande de charbon et d’acier (stratégiques pour la fabrication d’armes) sous une Haute Autorité commune supranationale ouverte à d’autres pays. Ainsi le 18 avril 1951, c'est la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) par la France, la RFA, l’Italie, le Benelux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg). Cette CECA est rapidement une réussite et fonctionne parfaitement, on peut véritablement la considérer comme l'ancêtre de la CEE (devenue donc ensuite UE).
- Le 27 mai 1952 : signature par les 6, à Paris d’un traité visant à créer une Communauté européenne de défense (CED) permettant de créer une armée commune sous l’autorité d’un ministre européen de la Défense (réarmement de la RFA sans armée allemande autonome) : c’est l’application du plan Pleven (président du Conseil français). 5 pays ratifient le traité, mais les Français se divisent entre partisans et adversaires (communistes, gaullistes partisans de la souveraineté nationale) de la CED. En août 1954, le Parlement français
rejette le traité. Les États-Unis recréent une armée allemande intégrée à l’OTAN en 1955, et la RFA adhère en 1954, avec l'Italie, à l’Union de l’Europe Occidentale (UEO). On peut dire que l'atlantisme gagne du terrain par rapport au fédéralisme européen.
T° : Le rejet de la CED marque ainsi l'échec de la construction politique d'une Europe fédérale, la construction européenne va donc être économique.
II. La lente construction d'une union économique (1957-1989)
A) L'avènement de la Communauté Économique Européenne (CEE)
► En juin 1955, la conférence de Messine est réunie pour relancer la construction européenne (nécessaire dans le contexte de l'affirmation des deux Grands et des débuts de la décolonisation qui affaiblit les puissances coloniales européennes). Les ministres des Affaires étrangères des 6 (France, RFA, Italie, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas) et des experts de la CECA font alors le choix de la construction européenne par élargissement de la coopération économique.
► Le 25 mars 1957, c'est l'acte de naissance de la CEE (Communauté économique Européenne) avec la signature du Traité de Rome créant un marché commun avec libre circulation des biens, des capitaux et des hommes par la suppression progressive des frontières entre États membres . Est également créé la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom).
B) Un projet économique mais pas seulement...
1) Un système institutionnel complexe
► Sa complexité s'explique par l'absence de choix réel entre fédéralisme et unionisme, on a donc des institutions qui sauvegardent la souveraineté des Etats mais qui, en même temps, créent une nouvelle entité supranationale qui leur enlève des compétences... :
- la Commission européenne (membres nommés par les gouvernements nationaux) est un organe supranational de proposition de règlements et de directives au Conseil. Elle applique les traités, les décisions du Conseil, et représente la CEE à l'extérieur.
- le Conseil des ministres incarne les intérêts des États. Il prend les décisions, à l’unanimité le plus souvent (aucune directive ne peut être imposée à un État contre son gré), plus rarement à la majorité qualifiée (2/3 des voix). En 1966, un accord permet à un État de s’opposer à une décision communautaire s’il estime ses intérêts vitaux menacés. À partir de 1974, un Sommet européen des chefs d’État et de gouvernement renforce la concertation.
- le Parlement européen n'est encore qu'essentiellement consultatif à l'époque, même si ses prérogatives vont croître (il contrôle la Commission, donne son avis sur les propositions de celle-ci, il vote surtout le budget). Ses membres sont nommés par les Parlements nationaux puis, à partir de 1979, il est élu pour 5 ans au suffrage universel direct. Ce sont les élections européennes où chaque député représente la population européenne, non celle de son pays d'origine (création de partis politiques européens supranationaux dont les partis nationaux sont membres et reflétant le clivage fédéralistes/souverainistes/unionistes). Financés par la CEE, ce sont plus des structures de coordination que de vrais partis : Parti socialiste européen (1974), Parti populaire européen (1976), Parti vert européen (1989).
- la Cour Européenne de justice, supranationale, vérifie que les lois européennes (directives) sont conformes aux traités et est une cour de justice pour la CEE.
► La CEE, entre État et super-administration a les symboles d'une nation : un drapeau à 12 étoiles depuis 1955, un hymne (L'Hymne à la Joie de Beethoven), un jour de fête depuis 1985 (le 9 mai, anniversaire de la déclaration Schuman. Après 1992 s'ajoutent la devise « Unie dans la diversité » (2000) et une monnaie unique, l'euro (2002) (les pays de la zone euro sont pour l'instant 19 sur 28).
2) L'accélération de l'intégration européenne (années 70-années 90)
► Cette période de très net essor de la construction européenne se caractérise par l'émergence et l'affirmation d'une intégration économique (mais pas seulement) réussie des Etats membres qui sont de plus en plus nombreux (voir élargissements successifs). Quelles sont les étapes principales de cette intégration ?
– Organisation d'une « Europe du marché commun» : disparition des barrières douanières intérieures achevée en 1968, la Politique Agricole Commune (PAC) est instaurée en 1962 (développer l'agriculture européenne : préférence communautaire en matière de commerce agricole, garantie des prix et revenu minimal garanti aux agriculteurs), des entreprises communes à plusieurs États se développent, comme Airbus (1970) ou Arianespace.
– Création progressive d'une union monétaire : zone de stabilité monétaire (1971 crise monétaire avec la dévaluation du $ et la fin de sa convertibilité en or => création du « Serpent monétaire européen » (1972-1978) (initiative de G. Pompidou) pour réduire les fluctuations entre les monnaies des pays membres), remplacé en 1979 par le « Système monétaire européen » (SME) pour stabiliser les taux de change en créant une unité monétaire européenne = l’ECU (European Currrency Unit, idée du président de la République française Valéry Giscard d’Estaing), véritable ancêtre de l'euro.
– Création d'un espace de libre circulation : en 1985 l'accord de Schengen supprime les contrôles aux frontières des pays signataires. Le président français de la Commission de 1985 à 1995, Jacques Delors, tente de relancer la construction dans le sens de la libre circulation des capitaux et des hommes. Ceci aboutit en février 1986 à la signature de l’Acte unique européen prévoyant au 1er janvier 1993 la constitution d’un “marché unique européen”. (+ 1987 programme “Erasmus” favorisant la circulation des étudiants des pays membres).
– Une ébauche d'Europe sociale : aide aux catégories sociales défavorisées et aux régions « sous-développées » par la création du Fonds social européen (FSE, 1957), puis du Fonds européen de développement régional (FEDER, en 1975) contre les inégalités régionales. Création d'une Charte européenne des droits sociaux en 1989, mise en place d'une aide au développement dans le monde dans un contexte de décolonisation achevée pour la plupart des Etats par des accords de coopération à Yaoundé (1963) puis à Lomé (1975, 1979, 1984) avec les pays ACP
(Afrique, Caraïbes, Pacifique : conditions commerciales préférentielles, aide alimentaire, assistance financière et technique).
- Résultat : Les 12 représentaient déjà en 1989 15% du commerce mondial et 30% de la production industrielle de la planète et s'imposent comme pôle majeur de l'économie mondiale (naissance du concept de « triade »).
c) Les élargissements successifs
► Même si le freins à l'intégration n'ont jamais cessé d'exister, les candidatures à l'entrée dans la CEE sont nombreuses des années 70 aux années 90.
(Source : http://www.diploweb.com/Carte-Construction-europeenne-1957.html)
- Toutefois, il faut rappeler que l'adhésion est un acte politique et correspond à une certaine forme d'abandon de souveraineté puisqu'on délègue à la Commission européenne une certain nombre de prérogatives réservées normalement aux Etats. Cette question a toujours fait l'objet d'un intense débat en Europe et à l'intérieur même des Etats, qu'ils soient membres ou non. Ainsi par exemple, le Royaume-Uni a longtemps refusé la construction européenne (en 1959, il crée l’Association européenne de libre-échange i.e AELE avec le Danemark, la Suède, la Norvège, le Portugal, la Suisse et l’Autriche).
- Mais les succès de la CEE ont entraîné finalement le ralliement du RU à « l'idée européenne ». Il demande en 1961 son adhésion, de Gaulle refuse (voir infra)... mais Pompidou accepte en 1973 ainsi que les adhésions de l’Irlande et du Danemark. La disparition des dictatures dans les pays méditerranéens permet ensuite les adhésions de la Grèce (1981), de l’Espagne et du Portugal en 1986, pour les ancrer dans la démocratie.
- Pour les adhésions successives et leur chronologie voir carte du manuel.
C) La CEE est aussi un projet politique en construction qui suscite des réticences
1) De Gaulle et la construction d'une Europe politique (1958-1969)
► De Gaulle revient au pouvoir en France en 1958. Bien qu'hostile aux premières organisations
européennes, il accepte les engagements des traités de Rome de 1957, voyant dans la CEE un moyen de moderniser l'économie française. Menant une politique d'indépendance et de grandeur de la France, il est partisan d'une « Europe européenne » plus indépendante des États-Unis : c'est pourquoi il rejette en 1963 et 1967 l'adhésion du Royaume-Uni, jugé trop proche des États-Unis, et privilégie l'axe franco-allemand en signant avec le chancelier Adenauer un traité d'amitié et de coopération entre les deux pays (1963) qui d'ailleurs reste plus ou moins lettre morte.
► De Gaulle est hostile à l'Europe supranationale. Face au projet du président de la Commission européenne de renforcer les pouvoirs de celle-ci et de réclamer le vote à la majorité qualifiée au Conseil (qui pourrait forcer les États à accepter des décisions qu'ils ne soutiennent pas), la France bloque le fonctionnement de la CEE pendant 6 mois en 1965 en pratiquant la « politique de la chaise vide » . En 1966 c'est l'« arrangement » de Luxembourg : pour les questions importantes, le vote se fera à l'unanimité.
2) La période post-gaullienne marque l'émergence d'avancées importantes
- En 1969, un nouveau Congrès de La Haye relance le projet d'une Europe politique.
Une Coopération politique européenne (CPE) est initiée en 1970, qui se réduit à une simple concertation intergouvernementale, avec déclarations communes quand il y a unanimité sur un problème de relations internationales.
- Puis les « couples franco-allemands » Georges Pompidou/Willy Brandt puis Valéry Giscard d'Estaing/Helmut Schmidt (après 1974) et enfin François Mitterrand/Helmut Kohl (après 1981) tentent d'accélérer l'intégration tout en réformant les institutions mais ce sont en fait les élargissements* successifs de la CEE qui permettent quelques avancées en rendant nécessaire un approfondissement* de la construction européenne, particulièrement dans le domaine institutionnel (mais l'hésitation persiste entre une Europe des États et une Europe supranationale voire fédérale) :
– 1974 : création d'un Conseil européen des chefs d'État et de gouvernement (4 réunions par an) chargé de définir les priorités de la construction européenne et de faire entendre la « voix de l'Europe »). Il devient l'instance majeure de la CEE.
– 1976 : élection au suffrage universel direct du Parlement européen (mais ses pouvoirs restent limités), dont la première présidente est la française Simone Veil.
– Dans les années 1980, la construction européenne piétine à cause de la crise économique et de la volonté de Margaret Thatcher de limiter la contribution financière britannique (d'où sa phrase historique : « I want my money back ») et d'une vague d'euroscepticisme*.
- Le Parlement vote ainsi en 1984 un projet de Constitution européenne prévoyant la création d'une Union politique à finalité fédérale, mais ce projet est rejeté par les Parlements nationaux des États membres.
* Ne pas confondre « élargissement » qui est le fait d'accepter l'adhésion d'un nouveau membre à la CEE et « approfondissement » qui est le fait de réformer les institutions pour accélérer l'intégration européenne.
3) Des intérêts nationaux divergents
► Pourquoi cette lenteur et ces atermoiements dans la construction européenne ?
- Tensions économiques et financières : poids de la PAC (Royaume-Uni très critique), concurrence agricole (vin : France/Italie, fruits et légumes : France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce)
- Débats permanents sur la nature de l’Europe : Les États membres ne sont pas disposés à accepter des mesures qui feraient de la CEE une organisation supranationale. Avec la crise économique après 1973 apparaissent des politiques économiques divergentes : par
ex. privatisations dans le Royaume-Uni de Thatcher à partir de 1979 et nationalisations dans la France de Mitterrand à partir de 1981.
- Pas de politique commune de défense : Les deux puissances nucléaires (France et RU) mènent une politique nationale et les autres (et surtout l'Allemagne, redevenue pourtant principale puissance économique du continent) dépendent des EU par l’OTAN (c'est le « parapluie nucléaire » américain ).
- Les rapports de force évoluent rapidement ainsi la France domine la CEE sous de Gaulle (il obtient en 1966 l’unanimité pour les décisions importantes du Conseil). La RFA prend le relais dans les années 1970 grâce à sa puissance économique retrouvée.
III. L'évolution des institutions et de la gouvernance (de 1989 à nos jours)
A) Les répercussions de l’effondrement du bloc communiste sur la construction européenne
► En 1989-1991 le Mur de Berlin s'effondre, l'Allemagne se réunifie, l'URSS disparaît. C'est la fin subite et inespérée de la Guerre froide. La construction européenne peut s'étendre à l'ensemble du continent, et se réoriente vers l'Est. Le Conseil de l’Europe encourage la démocratisation à l’Est en accueillant la Hongrie en novembre 1990, la plupart des autres pays de l’Est par la suite.
- L'Europe passe ainsi progressivement de 12 à 27 membres. En 1990 une Charte pour une nouvelle Europe est adoptée.
- En décembre 1994 est créée l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE : tous les pays d’Europe + États-Unis et Canada, pour prévenir les conflits en Europe et gérer les crises).
- Les ex-pays de l’Est négocient pour intégrer l’OTAN, se convertissent rapidement à l’économie de marché, avec l’aide des pays occidentaux. Mais cela s'accompagne d'un réveil des nationalismes à l'Est et du retour de la guerre en Europe, dans l'ex-Yougoslavie dans les années 1990. Les Européens et l’ONU sont impuissants (intervention de l’OTAN (États-Unis) en 1995 puis en 1999 au Kosovo), ce qui traduit la faiblesse politique de l'Europe.
► Ces élargissements posent aussi la question des limites de l'Europe (jamais définies) et de la définition d'une identité européenne (la question s'est posée avec acuité lors de la demande d'adhésion de la Turquie). Pour certains, les élargissements nuisent à la cohésion et au fonctionnement institutionnel de l'Union. En 1993 le sommet de Copenhague fixe des critères d’adhésion : économie de marché viable, institutions garantissant la démocratie et le respect des droits de l’homme, acceptation de tous les textes communautaires (prudence par rapport aux possibles candidats à l’est). La solution semble être dans une Europe supranationale, mais l'attachement à la souveraineté nationale reste très fort dans toute l'Europe.
B) La naissance de l’Union européenne (1992-2007)
► On assiste dans cette période à une deuxième phase de construction européenne en dépit des contradictions internes au projet. Comme souvent il s'agit d'abord d'une initiative franco-allemande (Mitterrand-Kohl) :
- Elle aboutit en 1992 à la signature du Traité de Maastricht qui crée l’Union européenne (application en 1993) en étendant les compétences de la Communauté à la politique étrangère (PESC : Politique étrangère et de sécurité commune), la monnaie (BCE : Banque centrale européenne en 1998 et euro en 2002), la défense (Eurocorps = corps d'armée européenne), la politique migratoire, l’environnement, la recherche, l’industrie, l’éducation, la santé, la culture...
- De plus, une citoyenneté européenne est créée (elle permet le droit de vote et d’éligibilité aux élections européennes et locales dans les pays membres). Mais en France , le “oui” au referendum sur Maastricht ne l’emporte que par 51% des voix exprimées. Le Danemark et le RU ne ratifient qu’après obtention de dérogations.
► Quelles sont les nouvelles institutions ?
- « 3 piliers » :
- 1er pilier : Les Communautés européennes (CE) et leurs politiques communes (le plus important, l’intégration la plus poussée : le Parlement et la Commission décident et appliquent.
- 2ème pilier : La politique étrangère et de sécurité commune (il s'agit d'une concertation intergouvernementale).
- 3ème pilier : La coopération policière et judiciaire (Europol).
- Le « moteur » exécutif reste le Conseil européen (chefs d’État et de gouvernement, décisions fondamentales), auquel on adjoint un Conseil de l’Union (ministres des États membres) qui, avec le Parlement, est la source des règlements et directives (« colégislation »).
Ils se prononcent sur les propositions de la Commission européenne (elle-même responsable devant le Parlement, la Cour de justice et la Cour des comptes)
- les pouvoirs du Parlement sont renforcés : avis, coopération et codécision avec le Conseil de l’Union.
C) Un projet européen en crise
1) Une UE qui a grandi trop vite ?
► Le débat sur les institutions (créées pour 6) se fait plus intense :
- C'est d'abord le problème du poids respectif des petits et des grands États dans les décisions,
- Le manque de transparence du fonctionnement des institutions,
- l'éternel débat sur la supranationalité au détriment de la souveraineté nationale que les traités d’Amsterdam en 1997 et Nice en 2001 tentent de surmonter. Quelques réformes sont adoptées pour le fonctionnement de l'UE :
- Comme notamment l'extension du vote à la majorité qualifiée (i.e nombre de voix proportionnel à la population des États)
► Mais, faute de consensus, il n'y a toujours pas de réforme de fond : Le système politique européen est complexe et peu compris par les citoyens européens, et les partis politiques nationaux rendent l'UE responsable de tous les problèmes (participation faible aux élections européennes, montée de l'euroscepticisme et des idées souverainistes voir infra).
2) Le rejet de la Constitution marque un tournant
► Un projet de traité constitutionnel européen est élaboré (2004) par l'UE pour améliorer son
fonctionnement et la rendre plus démocratique. Une partie des opinions publiques et les souverainistes y voient au contraire un projet non démocratique et supranational.
En 2005, la France et les Pays-Bas rejettent par referendum ce traité constitutionnel. L'UE adopte alors, en 2007, le « traité simplifié » de Lisbonne reprenant l'essentiel du projet précédent (renforcement du rôles des parlements nationaux et européen, droit d'initiative permettant aux citoyens d'inviter la Commission à présenter des propositions législatives, création d'un président du Conseil européen et d'un haut représentant de l'Union pour les
affaires étrangères et la politique de sécurité).
3) Un traité contesté, une UE en crise
► Le traité de Lisbonne prévoit l'extension des clauses d'exception : des États membres peuvent soit déroger, soit renforcer leurs coopérations (concept dit de « l'opting in/opting out » ou « Europe à la carte »).
Certains États refusent d'adopter l'euro, de collaborer aux accords de Schengen, de ratifier l'ensemble de la Charte des droits fondamentaux (2000 : elle assure à tout ressortissant d'un pays membre la liberté de circuler, d'étudier, de travailler dans l'UE + le droit de vote et d'éligibilité aux élections européennes et locales du pays de résidence...)
► Quelques exemples « d'Europe à la carte » :
Royaume-Uni, Suède et Danemark hors de la zone euro / RU et Irlande hors de Schengen / Danemark hors de l’Europe de la Défense / projets de coopérations renforcées (F-Allemagne).
Conclusion : Le projet européen est en panne et même menacé de disparition à plus ou moins long terme.
► L'UE est un « nain » diplomatique et militaire (voir texte de Michel Rocard : « Amis anglais, sortez de l'UE mais ne la faites pas mourir ! » Le Monde, 5 Juin 2014) : pas de politique étrangère commune : voir par exemple les divergences en 2003 sur l'intervention américaine en Irak. La France et l'Allemagne étaient contre, beaucoup d’autres pour. L’Europe a encore besoin de l’OTAN. D'autre part, l'UE n'est pas membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, elle y dépend de la France et du Royaume-Uni.
► A partir de 2008-2009, L'UE traverse une grave crise économique (crise américaine dite des « subprimes » qui se répercute en Europe et s'ajoute à la « crise de la dette »*) qui oppose ses membres du Sud (Portugal, Espagne, Italie, Grèce, Chypre, voire France) en grande difficulté aux membres du Nord et particulièrement à l'Allemagne, devenue la puissance européenne dominante et à laquelle les opinions publiques sont de plus en plus hostiles. Beaucoup ne veulent plus payer pour les autres et demandent la sortie de l'euro voire de l'UE elle-même, chose faite pour la GB avec le Brexit de 2016 qui prendra effet définitivement en 2018.
► Les opinions publiques se méfient de plus en plus de l'UE : institutions jugées complexes et peu démocratiques, manque d’Europe sociale dénoncé, dénonciation d’une Europe libérale. Les partis souverainistes sont de plus en plus entendus (UKIP en GB ou encore en France où de nombreux candidats présents au 1er tour de la Présidentielle française de 2017 s'en réclament : Le Pen, Mélenchon, Asselineau, Dupont-Aignan, Lassalle dans une certaine mesure...).
► Le retour des idées protectionnistes et nationalistes condamnent-elles définitivement le projet européen ? Qu'en est-il de la solidarité et de la cohésion européennes vis-à-vis des défis qui se concrétisent (Trump aux EU, Poutine en Russie, Erdogan en Turquie...) ?