Alors qu’un nouveau quartier est né sur le « Trapèze », les terrains Renault situés à Boulogne, il ne se passe toujours rien sur l’Ile Seguin. Des constructions éphémères ne parviennent pas à dissimuler les difficultés financières dont la seule issue est la densification.
Il ne reste pas grand-chose de la mémoire ouvrière des usines Renault, que d’aucuns auraient souhaité préserver à Boulogne Billancourt. A la place, déjà 5.000 habitants sur les 12.000 prévus en 2018 et au terme des chantiers, autant de salariés. Les promoteurs n’ont pas chômé. Ni la société d’économie mixte, la Saem Val-de-Seine, l’aménageur des parcelles situées en bord de Seine, contenues dans les 45 hectares du « Trapèze ».
Près de 4.000 logements, 195.000 mètres carrés de bureaux et 12.000 mètres carrés d’équipements publics sont sortis de terre en dix ans, un record. Le montage de l’opération, sous la houlette de Jean-Louis Subileau, était pourtant quasi expérimental : un urbanisme public sans acquisition foncière. « Tout simplement parce que personne n’avait les ressources pour payer les 580 millions d’euros auxquels étaient estimés les terrains Renault », explique un ancien cadre de la Saem. Au gré des permis de construire obtenus, le constructeur automobile a cédé - et continue de vendre -son patrimoine foncier aux promoteurs Hines, Icade, Nexity et Sorif (groupe Vinci), réunis au sein du groupement DBS (Développement Boulogne Seguin) vainqueur de l’appel d’offres lancé en 2001. De son côté, la Saem récupère gratuitement la moitié des surfaces vouées à devenir des espaces publics et à accueillir des équipements financés par les participations versées par les quatre mousquetaires. Ainsi était libellé le protocole négocié en 2001 entre Jean Pierre Fourcade, alors maire de Boulogne, et Pierre Linden, représentant de DBS et Renault, en échange de la modification du plan local d’urbanisme. Le PLU voté en 2003 transformait le plomb en or, autorisant à la place de ces mètres carrés industriels des bureaux et des logements. Sur cette rive, un quartier est né. Des routes ont été tracées, des équipements, construits, des espaces verts, plantés.
En face, le vide
Le contraste est frappant. Car, si ce nouveau morceau de ville a permis de réconcilier Boulogne avec la Seine, il lui a aussi ouvert les yeux sur un paysage au futur incertain : l’Ile Seguin, le joyau des « terrains Renault » est toujours vide. Un nouveau pont a bien été construit et plusieurs projets architecturaux ont été jugés, puis abandonnés. En 2008, c’est autour de ce projet urbain inabouti que le maire Jean-Pierre Fourcade a perdu son siège. C’est peut-être sur ce serpent de mer que son successeur, Pierre Christophe Baguet, pariera le sien en 2014.
Contrairement aux terrains du Trapèze, les 11 hectares allongés sur la Seine appartiennent en grande partie à la ville, qui a dépensé 43 millions d’euros pour les acquérir en 2005. « Nous avons ensuite financé la construction d’un pont et de deux parkings. la ville a déjà dépensé 126 millions d’euros pour l’Ile Seguin », explique le maire. Son nouveau projet doit équilibrer ces dépenses. « Par quel moyen ? », interroge Thierry Solère, son ancien adjoint démissionnaire, vice-président du Conseil général des Hauts-de-Seine. Ce dernier de répondre : « En vendant plus de droits à construire, c’est-à-dire en faisant exactement l’inverse du programme de dé-densification sur lequel il a été élu. »
De fait, les 175.000 mètres carrés prévus par l’ancien maire et dénoncés lors de la campagne de 2008 se sont mués en 330.000, dans le PLU approuvé en juin dernier. Le projet de l’architecte Jean Nouvel prévoit cinq tours de 95 à 120 mètres de hauteur. L’une d’elles est située sur un terrain du Conseil général. Son président, Patrick Devedjian, n’a aucune intention de lui faire une place. Le maire justifie ces nouveaux choix par un changement d’échelle. « Celle du Grand Paris, dont une station sera justement construite sur la rive. L’idée est de faire de l’île la tête de pont de la vallée de la culture. » Et d’énumérer les candidats à l’installation : les suisses Natural Le Coultre, le cirque numérique de Madonna Bouglione, la fondation Cartier, dont le bail, boulevard Raspail, échoit en 2016…
La vente de 140.000 mètres carrés de bureaux devrait permettre de financer les aménagements, évalués au total à 400 millions d’euros (dont les 126 déjà dépensés). « Les Boulonnais sont fiers de voir enfin quelque chose bouger, mais je sens bien leurs réserves sur les tours », déplore le maire. Plus d’une dizaine de recours gracieux ont été déposés le 5 août contre le projet, par des adversaires politiques ou de nouveaux habitants de la rive. Ils devraient se transformer en procédures contentieuses d’ici à quelques semaines. Pas sûr qu’en 2014, la campagne des municipales ne soit pas, à nouveau, polluée par les terrains Renault.
CATHERINE SABBAH, Les Echos