Compte rendu d'expérience par Isaline Braquehais, professeur de lettres classiques, en collaboration avec Amélie Ledu, professeur d’anglais et Samuel Houdayer, professeur de mathématiques au collège Alain-Fournier (Le Mans, 72)

Mes collègues et moi sommes en charge du dispositif relais interne de notre établissement, ciblant les élèves décrocheurs. Nous avons décidé de lier la participation au concours Cartographie ton quartier au thème plus vaste de notre première session d’intervention intitulé Etre né quelque part. Les six élèves avec lesquels nous avons entrepris ce projet étaient favorables à cette participation et y ont vu une opportunité pour parler d’eux à travers leur quartier.

Aucun des intervenants de ce dispositif n’est professeur d’histoire-géographie. Nous nous sommes donc fondés sur une démarche empirique mais tâtonnante pour engager le travail. A vrai dire, nous avons longtemps tourné autour de la réalisation cartographique à proprement parler, ne sachant trop comment lancer les élèves. Le choix a donc d’abord été fait de travailler à la verbalisation de leur ressenti vis-à-vis de leur quartier. Le premier temps d’écriture les a laissés « raconter leur quartier », et le deuxième affiner leur image du quartier à l’aide d’embrayeurs d’écriture (« on y entend… », « J’y fais… », « Le dimanche… », « Le cœur de mon quartier, c’est… »…). Nous leur avons ensuite proposé d’imaginer 24h dans un quartier de rêve puis de transposer leur récit en bandes dessinées. Cependant, comme nous nous adressions à un public décrocheur, la mise en écriture a été laborieuse.

Parallèlement, nous avons souhaité organiser des sorties dans le quartier pour prendre des photographies, nous intéresser à l’environnement sonore et cerner le regard que nous voulions porter sur lui. Rapidement, l’idée a germé que nous souhaitions associer à notre carte postale un padlet regroupant les photographies prises, des textes rédigés parlant du quartier, des bruits… Les éducateurs associés au dispositif ont proposé de participer à ce padlet en préparant des interviews de personnes représentatives de la vie du quartier (un commerçant et un agent scolaire). Indubitablement, la constitution parallèle de ce padlet a densifié le travail et développé des compétences TICE qui nous semblaient essentielles.

Après quelques errements, une collègue a démarré la spatialisation de la carte au tableau en démarche collective. Ensuite, j’ai proposé que les élèves listent ensemble les lieux qu’ils souhaitaient absolument voir figurer sur la carte, et à l’aide d’une carte IGN et d’une carte vue du ciel, nous avons choisi des contours de délimitation, une manière détournée de discuter avec eux de l’identité de leur quartier. Il se trouve que les élèves habitent aux Sablons, un quartier du Mans nourri de populations socialement en difficulté, qui contient en son sein une partition : deux collèges différents, une rocade au milieu, et le resserrement de la carte aux Sablons 1 avait pour eux une certaine importance. Examiner une carte leur a permis de découvrir autrement leur lieu d’habitat (s’apercevoir qu’il y a un cimetière dans leur quartier par exemple) et de se familiariser avec les figurés ponctuels. Chacun a ensuite tenté de représenter sa carte du quartier, une manière pour moi de les confronter à la difficulté de spatialiser des lieux à la bonne échelle, de discriminer les lieux à faire figurer (doit-on matérialiser trois boulangeries et quel intérêt ?) et de comprendre l’intérêt et la difficulté des figurés ponctuels (si je comprends ce que je représente moi, qu’en est-il des autres ?). Pour la rédaction du verso de la carte, j’ai proposé aux élèves de tirer au sort des papiers sur lesquels figuraient différentes possibilités de destinataire. Le nom de Donald Trump, très présent dans l’actualité, a d’abord été lancé comme une boutade par un élève, puis ce dernier s’est vraiment mis en tête de lui écrire.

Après un examen des premiers jets de carte et un nouvel essai, nous avons trouvé plus probant de faire travailler les élèves au gré de leur envie. Une élève s’est attelée à la rédaction d’un carnet de bord, un autre à la création du padlet, un autre à la rédaction du verso de la carte postale, les autres à l’amélioration du recto. D’autre part, chaque élève a dû prendre en charge la rédaction de plusieurs textes présentant les lieux du quartier représentés sur la carte.

Malgré nos efforts, nous avions du mal à faire évoluer les cartes, et les élèves face à nous, peu coutumiers à rendre un travail propre et fini, peinaient à remettre leur ouvrage sur le métier et à achever leurs tentatives. Ils se perdaient dans l’enchevêtrement des rues, les tentatives de simplification, la spatialisation et les figurés ponctuels. Nous avons donc engagé un virage radical en leur proposant de déstructurer leur carte pour accentuer le volet « sensible » du concours. Les élèves se sont sentis plus à l’aise dans l’exécution de leur carte en regroupant les lieux à représenter par usage, en explicitant leur rapport à eux. Au risque de pousser trop loin le concept de carte sensible, j’ai trouvé particulièrement intéressant et éclairant de les voir représenter ainsi leur quartier, d’autant que cette nouvelle appréhension du territoire a fait instinctivement sauter la délimitation Sablons 1/Sablons 2 décrite auparavant.

Le reste du travail a consisté en la finalisation des différentes tâches à effectuer. Nous nous sommes aperçus que le padlet supporterait mal l’insertion de textes : nous avons donc préféré les enregistrer, ce qui permet à mon sens de mieux incarner l’engagement des élèves dans le projet.

Nous avons ainsi trouvé ce projet parfait pour faire réfléchir les élèves sur le quartier et le voir autrement et pour briser la carapace de ces élèves en rupture avec l’univers professoral, qui se sont volontiers confiés par ce biais sur leur quotidien et leur vie, tout simplement. Nous avons apprécié mener en parallèle différentes tâches pour densifier la réalisation finale et sommes fiers de proposer notre regard sur ce concours à vocation géographique.