Le théâtre Alexandre Dumas a accueilli le 15 février 2019 une mise en scène de Hamlet, la fameuse tragédie de Shakespeare, par Xavier Lemaire. Hamlet était incarné par Grégori Baquet. 

            Qui ne connaît Hamlet et son « Être ou ne pas être… » ? Hamlet hésite à mourir, parce qu’il hésite à tuer. Le fantôme de son père lui révèle au début de la pièce qu’il a été assassiné par son propre frère, devenu roi du Danemark, et qui a en outre épousé la femme de sa victime et mère de Hamlet, la reine Gertrude : il enjoint à Hamlet de le venger, ce que ce dernier finit par faire après bien des atermoiements, laissant sur son passage une longue liste de morts, parmi lesquels la douce Ophélie.

            La mise en scène choisie par Xavier Lemaire est sobre. Elle repose avant tout sur deux éléments amovibles qui  représentent successivement une tour, les gradins d’une salle de spectacle, un rempart extérieur, un mur derrière lequel se dissimulent certains personnages, et même un cimetière. Les changements rapides de ce décor d’une scène à l’autre, soutenus par une musique contemporaine et par les fortes variations d’éclairage, permettent de se passer d’entractes. Au fond, un rideau transparent crée une autre répartition spatiale, divisant parfois la scène en deux pour opposer certains personnages à d’autres (les courtisans festoyant à Hamlet, par exemple). Le metteur en scène a modernisé la pièce, non seulement dans le choix d’une traduction faisant large place à un vocabulaire contemporain, mais aussi dans les costumes. Les hommes portent des jeans, et les soldats portent des fusils ; cet anachronisme est compensé par le choix de vestes imitant la fourrure, pour évoquer sans doute un Danemark médiéval rude et rustique, qu’on retrouve dans les étranges bois de cerf ornant la robe de Gertrude, ou de sortes de pourpoints à l’ancienne pour les nobles. Le mélange de l’ancien et du moderne fusionne en une sorte d'intemporalité. Modernisation enfin dans la transposition de la pièce de théâtre qu’Hamlet fait représenter devant son oncle afin de l’obliger à trahir son crime lorsqu’il verra les comédiens jouer l’assassinat d’un roi par son frère. Ce passage a été traité en effet sous forme de concert de rock, avec costumes, écran, guitare électrique, paparazzi et micros. Le rôle de la comédienne est tenu par un travesti, sans doute pour évoquer la réalité historique du théâtre anglais au temps de Shakespeare, où aucune femme ne montait sur les planches. N’oublions pas le recours à un tissu fluorescent pour rendre le fantôme, mélange de Darth Vador et de squelette, accompagné du traditionnel brouillard et d’obscurité, qui lui donne un côté surnaturel et spectaculaire très convaincant. 

            La pièce a pour elle une très grande lisibilité, grâce aux incessants changements de décor, aux éclairages, qui guident le spectateur vers tel ou tel personnage, et à la symbolique des costumes ; chaque personnage en effet a sa couleur : noir pour Hamlet, parfois en haillons, à mesure notamment que progressent sa tristesse et sa folie ; rouge pour sa mère, Gertrude, sous le signe de l’amour charnel ; bleu pour le roi Claudius ; vert pour Ophélie, en harmonie avec la nature à dont elle est proche. On ne peut qu’admirer l’ingéniosité du décor polymorphe, renforcé par des bruitages (bruits de mer, de mouettes, lorsque la scène se passe au port). La mise en scène se distingue aussi par son grand dynamisme. La musique, la modernité des paroles, la prestation magnifique de Grégori Baquet, qui incarne tour à tour avec fougue les émotions contradictoires traversant Hamlet, la scène enlevée du duel, l’interlude inattendu du concert, donnent un vrai rythme à une tragédie extrêmement longue dans sa version écrite. Les acteurs courent, sautent, dansent, se battent : le spectateur est entraîné. Il adhère à l’innocence très naturelle d’Ophélie, à l’inquiétude des soldats, à la soif de vengeance de Laërte, au cynisme de Claudius. La folie de Hamlet est présentée résolument comme un choix de sa part et une façade qu’il maintient, même face à Ophélie, pour donner le change à son oncle qui l’écoute. Enfin, cette mise en scène respecte la dualité inhérente aux tragédies de Shakespeare, qui font toujours une place à l’humour, voire à la bouffonnerie la plus extrême et aux grivoiseries. Polonius, personnage ridicule, est particulièrement réussi. Le duo de Rosencrantz et Guildenstern, contrastant par leurs statures, affublés pareillement de tenues roses et violette de grooms, est grotesque à souhait, dans son jeu de courbettes grimaçantes. Nul ne regrettera leur mort ! Quant à Hamlet, il sait faire rire comme il sait faire pleurer. 

            On peut ne pas adhérer au choix provocateur d’un travesti et aux mouvements parfois obscènes suggérant l’adultère entre le roi Claudius et sa belle-sœur Gertrude, d’autant plus que la musique se fait à cet instant extrêmement forte, presque gênante, et que les paroles des comédiens sont alors peu compréhensibles en dépit des micros. Cette violence du désir amoureux est cependant présente dans la pièce de Shakespeare. De même, les puristes déploreront l’absence de Fortinbras : en éliminant complètement le jeune prince de Norvège, rival et double de Hamlet, qui à la fin de la pièce devient roi du Danemark, le metteur en scène a considérablement allégé la pièce et réussi à la faire tenir en 2h30 sans incohérence ; il a du même coup ôté à la pièce une bonne part de sa dimension politique et notamment la réflexion sur le pouvoir et la guerre. Hamlet se transforme alors en une tragédie plus uniquement familiale, malheureusement assez mal servie par Gertrude, affectée par moments, guindée à d’autres, affublée de bois de cerf qui intriguent sans rien apporter. Ce personnage, certes très difficile, a ses moments, mais est inégal. 

            Le Hamlet de Xavier Lemaire, entraînant, inventif, non sans une grande noblesse due en grande partie à la performance de Grégori Baquet, demeure jubilatoire ; il démontre, une fois de plus, l’incroyable plasticité des pièces de Shakespeare, si riches qu’il faut à la scène y faire des choix. L’alternance entre la méditation sur la fragilité de la vie et les bouffonneries les plus exubérantes, entre la beauté de vers étranges et surprenants (« Le temps est disloqué »), les jeux de mots et les sentences paradoxales (« On peut sourire et toujours sourire et être un traître »), font de Hamlet un trésor inépuisable de la culture occidentale, que Xavier Lemaire et sa troupe savent faire briller pour le plus grand plaisir du spectateur. 

http://www.tad-saintgermainenlaye.fr/1080-901/fiche/hamlet.htm