Le soleil se levait enfin. Je n'attendais que ça depuis quelque temps. J'étais la première réveillée du pensionnat. J'avais l'air la seule excitée de retrouver mes parents. En même temps, ici, je ne me suis jamais fait d'amis. On n'allait plus m'appeler « béjaune ». J'en avais les larmes aux yeux. La dernière fois que j'ai vu mes parents, c'était chez le médecin, où l'on m'avait diagnostiqué bipolaire. On m'avait donc inscrit à une sorte d'asile en Californie au nom d'Alice MONFORT. Cela fait un an que j’étais dans ma prison ; un an que je n'avais pas vu mes parents.

 

          Je regardais ma montre et me rendis vite compte que la sonnerie n'avait pas retenti. Mes camarades ne l'avaient apparemment pas remarqué puisqu'ils dormaient tous. Soudain la porte du dortoir s'ouvrit, une ombre apparut et alluma brutalement la lumière. Je reconnus la directrice qui nous demanda d'être prêts dans une demi-heure dans la chambre.

          Dès quelle fut partie, je me précipitai sur ma valise, pris les vêtements nécessaires pour m'habiller et me lançai à la recherche d'une douche. Je passai devant la statue où l'on pouvait voir le créateur du pensionnat. Sa main droite était munie du règlement de l'établissement. Il avait l'air strict et d'un tempérament névrosé. Il se serait suicidé à cause des élèves qui lui menaient la vie dure ; enfin... d'après la légende. Tout à coup, il me semblait sentir quelque chose couler sur mes mains. Je l'essuyai et vis un liquide rougeâtre. Sans réfléchir, je courus jusqu'à l'infirmerie.

          Une fois arrivée, je m'assis dans la salle d'attente puis j'attendis, j'attendis très longtemps et trouvai que cette salle portait bien son nom. Je regardai dans le bureau de l'infirmière et aperçus un homme étrange ; on aurait dit qu'il était fait de cuivre. Je me frottai les yeux car cela me paraissait impossible, et il n'était plus là. Je frappai à la porte de son bureau, entrai puis expliquai ma venue. Elle me donna une compresse et me dis de déguerpir. Je lui demandai tout de même si avant elle n'était pas avec quelqu'un. Elle me répondit que j'étais impolie de poser cette question et aussi que c'était encore ma bipolarité qui me donnait des hallucinations. Enfin, je partis.

         

          Sortie, je n'avais plus le temps de prendre ma douche, donc je pris le chemin des dortoirs. Quand je fus arrivée, ils étaient désertiques. Alors, dans la plus grande discrétion, je me changeai sous mes draps, mis mon uniforme sobre, et pris un moment de réflexion afin de savoir où se trouvaient mes camarades. L'endroit le plus probable était la cantine pour prendre le petit déjeuner. Sans perdre une seconde, j'y filai.

          Arrivée au self, je découvris des visages ébahis et des yeux qui fixaient une chose que je ne pouvais distinguer. En me rapprochant, j'aperçus un élève couvert de sang frais, allongé sur le sol, où un vieux poignard rouillé était resté planté dans son ventre. J'eus à peine le temps de questionner mon entourage, que la police arriva.

 

          L'image était choquante. Au milieu d'une foule paniquée et des policiers sécurisant le secteur, se trouvait un corps que je ne pouvais regarder, trop effrayée, et dont je ne reconnaissais l'identité puisque de son visage étaient arrachés les yeux, le nez, les lèvres et les oreilles. Les policiers étaient perdus. Ils ne savaient ni pourquoi, ni comment s'était passé le crime. Un des agents nous dit de sortir afin qu'ils puissent enquêter dans des meilleures conditions. Nous sortîmes sans aucune opposition et nous dirigeâmes vers les dortoirs.

        

          Certains pleuraient, d'autres criaient. Moi je m'imaginais les pires scénarios. Je levai les yeux au ciel et tombai nez à nez avec la statue du pensionnat. Dans sa main ne se trouvait plus le règlement, mais les parties du visage du cadavre. Il les tenait d'une poigne ferme et d'un air cruel. Ma gorge commençait à se nouer, une sueur froide coulait sur mon front. Je voulais m'enfuir mais la peur me paralysait. La panique semblait me gagner et soudain je m'évanouissais, sous le soleil de la Californie.

         

          Au bout d'un moment, dont je n'avais pas idée, je me réveillai en sursaut comme dans un mauvais rêve. Malheureusement pour moi, ce n'était un mauvais rêve, c'était la réalité. J'étais sur une table, allongée, menottée et seule. Je me débattais en vain, jusqu'au moment où une personne arriva et m'affirma que j'étais en état d'arrestation pour meurtre et dégradation d'un établissement. J'avais beau lui dire que ce n'était pas moi, il ne me crut pas. Je n'avais droit qu'à une chose : le silence.

        

          L'homme m'emmena jusqu'à sa camionnette où d'autres hommes s'y trouvaient. Ils étaient aussi laids les uns que les autres. Je m'assis sur la banquette arrière et partis définitivement de cette pension. Je ne m'imaginais pas la quitter comme ça. Je pensais plutôt me sauver avec mes parents et retourner tranquillement chez moi. Après des heures de route, nous arrivâmes au commissariat. Ils commencèrent par m'enfermer dans une cellule. Puis je les vis discuter de ma situation et prendre une décision. Je devais reprendre la voiture pour que l’on m'enferme dans une prison le temps que l'on décida la date du jugement au tribunal.

 

Deux ans plus tard, au tribunal.

          La séance au tribunal commença. La première à m'accuser était l'infirmière qui déclara m'avoir vu avec le sang du cadavre dans les mains. Elle aurait fait des tests en comparant le sang de la compresse et celui de la victime : c'était le même. Moi, je ne fis pas objection. J'abandonnais tout espoir de gagner ce procès. Mes parents n'étaient même pas venus. J'étais devenue folle. Les juges l'avaient remarqué ; j'étais en train de rêvasser. L'audience se termina plus vite que prévu et le verdict tomba : coupable et condamnée à dix ans d'asile ferme.