Rats de bibliothèque
Par V. Gouzien le 17 juillet 2013, 14:49 - Fantaisies urbaines - Lien permanent
Le soleil se reflète dans la grande ouverture de verre, éclairant la coque aux teintes rougeâtres, l’embrassant dans toute sa splendeur, suivant les traînées sanglantes de ces rainures...
Le soleil se reflète dans la grande ouverture de verre, éclairant la coque aux teintes rougeâtres, l’embrassant dans toute sa splendeur, suivant les traînées sanglantes de ces rainures. Un flot de personnes gravit les marches de béton, prenant garde de ne pas toucher la rambarde de fer. En entrant, elles sont accompagnées par l’effluve de la pollution, qui s'attarde sur leurs vêtements imprégnés de sueur, semblable aux embruns de la mer. Une fois le ponton relevé, seul le ronronnement des ventilateurs reste, accompagné des cliquetis des touches de clavier et du grincement du parquet terne.
Le soleil traverse la baie vitrée et s’attarde sur la couverture plastifiée des BD, projetant leurs ombres à travers le rayon des DVD et à tribord sur l’étal de CD. A la poupe on distingue sous l’ombrage de l’imposant escalier du pont supérieur les tapis jaunes et verts pour les enfants, précédés par des couloirs aux écrits variés dédiés aux jeunes matelots. De toute cette encre s’échappe l’effluve de l’ennui; cette lecture délaissée se perd en deux étages enflammés par le réveil de la nuit. Sur le pont dominant, les étagères croulent sous le poids de ses reliures, inscrivant dans leurs lignes les allées oubliées, éclairées par quelques lampes négligées.
Dans un coin délaissé par les flammes du brasier, elle lit sous une chaude lumière, emportée par le courant de l’histoire. Quand le dernier rayon de cet éclat flambant quitte les romans policiers, elle se lève, éteint, son ampoule et s’en va. Sa silhouette descend les escaliers, passe devant la cale et s’enfonce dans la chaleur moite de cette soirée d’été. Dans son dos, elle sait le rayonnement des lampes laissées allumées et la couleur brûlée du bois de fin de soirée. Ce bâtiment « encré » sur l’avenue sert de mât aux rats de bibliothèque.
Emma P.