Révolte

Saori inspira. Expira lentement. Secoua ses épaules. Le moment était venu. Elle était prête.

     Affronter la Déesse ne serait certainement pas une mince affaire. On l'avait mise en garde, on lui avait demandé si elle était sure de ce qu'elle voulait. Mais elle s'était montrée déterminée, obstinée. Avait envoyé balader leurs recommandations. Et à présent, ils la regardaient d'en bas, inquiets, curieux et étonnés de savoir comment une jeune fille de douze ans allait s'y prendre pour défier la divinité toute-puissante qui gouvernait leur pays.


    Depuis que cette patrie existait, un Etre Suprême la dirigeait et décidait de tout. D'absolument tout. Qui travaillerait où, qui s'éprendrait de qui, quel enfant jouerait à la marelle et quel autre aux billes, qui tomberait malade ou se casserait une jambe, qui grillerait un feu rouge, qui prendrait l'avion, qui naîtrait, qui mourrait. Tout était sous Son contrôle. Le moindre petit incident était décidé par Elle. Rien n'échappait à Son œil inquisiteur. Et les gens ne pouvaient qu'obéir à Sa volonté, qu'ils le veuillent ou non.

  Mais un jour, Saori en avait eu assez. Assez que sa vie soit régie par quelqu'un d'autre, assez que ce quelqu'un lui dicte sa conduite dans les moindres détails, assez de ne pas pouvoir jouir de la liberté qui lui était due. Peu à peu, son ressentiment envers la Déesse s'était accru, se transformant en une fureur terrible, en une rage sans nom, en un courroux dévastateur qui avait embrasé son corps et que rien n'avait pu arrêter.  Elle avait donc décidé de se révolter, purement et simplement.

Avec la complicité de ses frère et sœurs, elle avait construit une montgolfière pouvant s'élever jusqu'à une hauteur encore inexplorée. Et elle s'y trouvait à présent, fusil en main, dents serrées et rage au ventre, bien décidée à aller dire ses quatre vérités à cette Divinité de pacotille.

 La montgolfière se mit en marche. Saori commença à monter dans le ciel d'un blanc immaculé, sous les cris et les ébahissements de la foule qui rétrécissait au fur et à mesure que son ascension progressait. Plus haut, toujours plus haut...Bientôt, Saori se retrouva entourée de blanc. Puis pendant un bref instant, tout devint noir...

  Et la jeune fille se retrouva au milieu d'un gigantesque et coquet salon. Tout y était énorme, surélevé, comme si ce salon appartenait à des géants.  Elle baissa les yeux et constata que la montgolfière flottait au-dessus de deux immenses feuilles de papier couleur crème, sur lesquelles étaient inscrites de grosses lettres noires. Saori les lut...et son sang se glaça. Les tout premiers mots de la feuille de gauche étaient : « Saori inspira. Expira lentement. Secoua ses épaules. Le moment était venu. Elle était prête. »

Lucie