Le survivant

Ce matin, Toto se levait encore pour une dure journée de labeur. Il était arrivé il y a maintenant une semaine, tout seul, puis ses compagnons l'avaient rejoint.

Ce terrain était en effet propice à la culture de la terre et au développement. En quelques semaines, ils avaient construit une vraie petite ville, comme leurs ancêtres l'avaient fait lors de la ruée vers l'or. Ils se trouvaient à l'orée d'une forêt tropicale. Des arbres verts, voire marrons, dont les feuilles se coloraient de toutes les teintes possibles et imaginables selon l'exposition au soleil, se dressaient majestueusement vers le ciel. On voyait de temps  à autre de petits chemins graveleux menant à une pauvre masure, souvent inhabitée. A toute heure du jour et de la nuit, on entendait des cris épars provenant de l'immense étendue d'arbres, sûrement des animaux agonisant. Cette forêt effrayait autant qu'elle fascinait Toto. Il rêvait de s'y aventurer, mais n'osait pas de peur de ne pas en revenir.

Ce matin, Toto était de bonne humeur. Une douce brise lui effleurait les narines et il sentait la nature se réveiller tout autour de lui. La rosée était encore fraîche et il apercevait de loin les plus matinaux de ses compagnons émerger doucement de leur nuit. Il se dirigeait vers son camp pour rejoindre les autres bûcherons lorsqu'une pluie diluvienne et brusque s'abattit tout autour de lui. Il contempla, d'un air stupéfait, le paysage habituellement splendide, se transformer sous l'effet du déluge en une atroce perspective. Il se réfugia sous le palier très travaillé d'un manoir victorien. Des bulles semblables à celles que produisent le savon étaient emportées au gré du vent et lorsqu'elles s'écrasaient dans un fracas terrible, elles creusaient de profonds sillons là où la civilisation était apparue quelques jours plus tôt.

Les jours suivants s'écoulèrent avec une rapidité effrayante et une lenteur effroyable. Les compagnons de Toto tombaient les uns après les autres, sous l'effet de ce curieux et redondant phénomène. Bientôt, il ne resta que lui.                   

Un jour, attiré par le manque de sommeil et de vivres, il s'aventura hors de sa cachette, construite en raison de l'horreur des évènements successifs, et alla chercher de quoi se nourrir. Il s'aventura entre les décombres d'une maison lorsqu'un autre de ces faits divins se produisit. Toto se retrouva pris au piège et là, ce fut la fin. Il se retrouva pris entre les débris de l'ancienne bâtisse ; il était pris au piège, la mort planait au dessus de lui. Aussi menaçante qu'elle puisse être, il n'avait plus peur. Elle était inévitable et il mourrait plein de dignité, dernier représentant de sa race. Les pluies acides l'avaient asphyxiées.

C'était le dernier pou de la colonie.


Etienne et Sylien