Le grand magasin
Par Lionel VIGHIER le 06 juillet 2013, 17:55 - Fantaisies urbaines - Lien permanent
Quand il arriva devant l'immense façade qui se dressait devant lui, il sut qu'il avait atteint son but...
Joël se guidait grâce à une canne blanche pliable. Il se rendait au grand magasin sur les Champs-Élysées, pour acheter un cadeau d'anniversaire à sa nièce. Hélas, il détestait ce genre de lieu bruyant et envahi d'une foule non attentionnée.
Quand il arriva devant l'immense façade qui se dressait devant lui, il sut qu'il avait atteint son but car son oreille perçut le mouvement agité de la foule à l'intérieur du magasin. Joël se tourna lentement vers l'entrée. Une fois qu'il aurait pénétré cet endroit infâme, il voudrait en sortir. Seulement il semblait résolu. C'était pour sa nièce. Ainsi, il tâtait le sol avec sa canne et entendit la résonance métallique du sol. Il entrait donc dans un enfer ardent, et une chaleur épouvantable l'enlaça. À ce moment, il faillit s'en retourner et sortir, mais il résista. À l'aide de sa canne, Joël trouvait son chemin dans un espace qui paraissait dégagé. Soudain, il se frotta sur un côté et caressa la chose avec sa main. Il avançait et suivait la paroi. Il comprit qu'il était contre un mur lorsqu'il dépassait un angle.
Il poursuivait le mur. Puis il s'en détacha et avançant avec une confiance trop certaine, percuta un meuble. Le choc le fit reculer de quelques pas et il discerna la chute d'objets qui, au bruit, semblaient lourds. Malgré sa situation, personne ne semblait venir en aide à Joël qui méprisait dès lors ces gens. Les personnes autour de lui feignaient de l'ignorer et poursuivaient leur conversation. Seul avec lui-même, il se pencha pour tenter de retrouver ce qu'il venait de faire tomber. Il cherchait, comme s'il creusait dans la terre afin de trouver le mystérieux squelette d'une créature légendaire. Enfin, sans émotion, il découvrit trois livres au sol. Il les ramassa. Le premier semblait épais, d'environ neuf cents pages. Cet ouvrage poche devait donc être pour les adultes. Sur le second, il put tracer des reliefs sur la couverture. Quant au troisième livre, il avait l'air classique, d'une épaisseur correcte pour un bon lecteur, mais, il possédait une... une odeur ensorcelante. Le parfum d'une femme qui embaumait. Joël prit un plaisir fou à humer.
Puis, il se releva et posant une main à terre sentit dessous une douce matière, un peu rappeuse mais agréable. Il comprit alors qu'il s'agissait de moquette. Maintenant il souhaitait savoir la couleur. Il supposa rouge car il représentait le grand magasin. Il se mit debout et tâtonnant de la main les étagères à sa gauche, il trouva une place et y plaça les trois livres. Puis il continua sa marche et se frayait un chemin en produisant des gestes exagérés avec sa canne. Il perçut à travers les nombreuses discussions des personnes autour de lui, les employés aux caisses du magasin. Joël put même ouïr le tapotement sur les touches des machines. La traversée du hall demeurait aussi difficile que celle d'un marais. Et elle fut compliquée par les plusieurs bousculades sans excuses des personnes à l'entour. Enfin, il passa son chemin et emprunta les escaliers. Il avait chaud et paraissait être au bord de la crise de nerf. Seulement il se méprisait. Il toucha du bout de sa canne la première marche. Il y posa le pied. D'une main il tenait son appui et de l'autre sillonnait l'espace. Quand avec soulagement il trouva la rambarde, il s'y tint et ne la lâcha plus. Cette barre semblait froide et métallique. Pour éviter de se faire pousser, il commença à agiter violemment sa canne devant lui pour écarter les quelques irrespectueux qui, détachés de toute perspicacité, ne prêteraient point attention à lui. Enfin les personnes avaient l'air inquiet et portaient aussi leur regard sur Joël qui passait pour un fou.
Il arriva au premier étage dont les bavardages devinrent un vacarme oppressant. De sa main gauche il s'appuya à un des étalages. Il voulait connaître les articles exposés sur ce rayon. Puis tâtonnant il prit un objet et constata que celui-ci semblait fin et rectangulaire. En tendant l'oreille Joël comprit qu'il s'agissait d'un DVD. Ce rayon paraissait s'étendre plus loin. Il put le remarquer grâce aux personnes qui parlaient autour de lui. Il marchait et sentit les rayons du soleil chauffés sur sa peau. Il supposa alors qu'il se trouvait près des vitres donnant vue sur l'avenue. Il avança et fit glisser sa main le long de la vitre chaude. Puis des vibrations le sortirent de ses pensées, celles des enfants qui couraient dans la magasin. Il rit, puis il passèrent juste à côté de lui. Il perçut un léger courant d'air. Enfin il se retourna pour rejoindre l'autre partie du premier étage. Les gens semblaient lui prêter attention car il ne les sentait plus le frôler. On aurait dit qu'il possédait une aura maléfique repoussant les personnes. Ceci l'arrangeait beaucoup.
Soudain il buta sur quelque chose de dur, très dur. Joël tomba au sol. Il ne tenait plus sa canne dans sa main et il la chercha, en rampant par terre. Les personnes autour, cruelles, ne prêtaient pas attention à lui. Malgré son handicap, il ramassa son appui et se releva. Le sol doux lui caressa la joue et il en éprouva presque une agréable sensation. À l'aide de sa canne il frappa d'un coup sec ce qui se trouvait devant lui et entendit un bruit sourd résonner. L'escalier de pierre s'était dressé sur son chemin. Joël savait ce que possédait le deuxième étage. Il contenait des matériaux d'art mais aussi des peluches et des jouets ainsi que des bandes-dessinées pour tous les âges. Il connaissait ce que voulait sa nièce. Un CD de musique qui se trouvait juste à sa droite même si ses repères semblaient inexistants, il pouvait se frayer un chemin à travers le bruit et le toucher.
Lucas L.P.