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introduction à la lecture des Âmes fortes

Introduction à la lecture des Ames fortes  de Giono

 

I- Contexte biobibliographique et historique : pessimisme, héroïsme et affabulation.

          Fils d’un cordonnier autodidacte, petit-fils d’une figure légendaire d’anarchiste d’origine piémontaise[1], et d’une repasseuse provençale, maîtresse femme amoureuse de la musique, Giono est de milieu modeste : la mort de son père lors de ses 16 ans l’oblige à arrêter ses études en 1ère pour entrer dans la banque et continuer son apprentissage en autodidacte. Il lit Homère, Virgile, Diderot, Balzac, Stendhal, mais aussi Dante, Cervantès et Shakespeare. Il ne quittera cet emploi pour se consacrer entièrement à la littérature qu’en 1929, après le succès de Colline, 1er des trois volumes de la trilogie de Pan (Colline, Un de Beaumugnes, Regain, entre 1928 et 1930), qui le fait connaître comme un écrivain du Pays, de la terre, des forces et des mystères d’une Nature panthéiste, sacralisée et cosmique et qui lui permet d’acheter une maison où il mène une vie simple avec sa femme, sa fille, sa mère et le frère de sa mère, vieil ivrogne pour lequel sa mère aura toujours beaucoup de tendresse, comme dans la figure des AF. Dans ces récits à la fois réalistes et poétiques, où sont mis en avant le travail artisanal, la renaissance du vivant par l’action de l’homme et la fécondité féminine, la puissance naturelle, sacralisée, est un personnage à part entière. Le Chant du monde, hommage au fleuve (1934) et Que ma joie demeure, évangile contre la civilisation qui s’adonne à la guerre, montrent l’homme aux prises avec une Nature où il éprouve une joie panique, au sein d’une simplicité populaire et rurale. Dans ce roman, où Giono veut « comprendre si la générosité, sans Dieu, n’atteignait pas trop facilement et trop vite la démesure qui conduit à la catastrophe » (Entretiens avec Jean Amrouche), Bobi, une sorte de guide capable de conduire à la joie, réveille les âmes endormies et leur donne le goût de vivre pleinement. Il persuade les paysans de mettre leurs outils en commun, mais l’utopie s’écroule, et, aimé de deux femmes, dont l’une se tue, Bobi est foudroyé par l’orage. En 1952, Giono comparera la générosité dans ce roman et dans les AF.

La guerre de 1914-1918, à laquelle il a participé comme simple soldat, notamment à la bataille de Verdun, au chemin des Dames (1917) et sur le Kemmel (1918), ayant fait de lui un pacifiste militant (Refus d’obéissance, 1939), ces valeurs pacifistes et naturalistes débouchent, dans les années précédant la 2ème guerre mondiale sur une œuvre théorique exprimant le rejet de la civilisation industrielle et marchande  sur l’expression (Les vraies richesses et  le poids du ciel en 1936 ;, Lettre aux paysans en 1938 ; Refus d’obéissance en 1939) ainsi que sur la création, dans la ferme du Cantadour, d’une communauté de jeunes gens en révolte contre la modernité, inquiets de montée des fascismes et désireux de retrouver « vraies valeurs » au contact de la nature : « maintenant les champs se lèvent pour le combat du peuple de la vie contre la société des faiseurs de mort. Nous sommes une forêt en marche. Nous emportons lourdement avec nous nos délices et nos terreurs ; notre implacable férocité et la douceur de nos mains de feuilles. A toutes les grandes époques, quand il a fallu lutter contre les mauvaises forces, l’imagination paysanne a à chaque fois inventé une forêt en marche » (Les vraies richesses). Cette utopie rousseauiste, qui condamne la civilisation de la machine, fait l’éloge d’une société agraire autarcique, oppose la pureté rurale au dévoiement urbain, vaut à Giono d’être emprisonné deux fois : en septembre 1939 à la caserne de Digne pour antimilitarisme ; en 1944 pour collaborationnisme, Deux cavaliers et l’orage ayant été publié, en 1943, dans La Gerbe et à la N.R.F de Drieu de la Rochelle.  Les engagements de Giono et son œuvre ont été perçus comme des préfigurations et des soutiens au régime de Vichy et à son idéologie du « retour à la terre qui ne ment pas », de la « mère nature ». Cela relève du contresens : l’amoralisme foncier de la Nature, dans AF, prouve combien Giono se situe aux antipodes de l’idéologie française d’extrême droite. Il recueille par ailleurs un compositeur polonais, Meyerovitz, qu’il va chercher après son arrestation comme étranger. Cette mise au ban radicalise un bouleversement déjà engagé dans l’écriture de Giono, dont l’œuvre prend alors deux directions : d’un côté le stendhalien « cycle du hussard », où Giono veut « réinventer le XIXème siècle pour mieux faire ressortir les tares du XXème siècle »[2] ; de l’autre les « chroniques », « centrées sur l’histoire familière d’un pays » et dont la thématique commune est le mal : Un roi sans divertissement (1946)[3], Noé (1948), Les Âmes fortes (e décebre 1948 à août 1949, Les Grands chemins (1951), Le Moulin de Pologne (1953), Ennemonde(1958), L’Iris de Suze (1970), qui devait initialement s’intituler L’invention du zéro, néant à couleur d’absolu vers lequel tendent les personnages..

 

ó Amertume profonde teinte œuvre de Giono, + sombre, + pessimiste malgré sens de farce+ admiration pour puissance de vie dégagée par caractères héroïques, qui savent résister, par leur puissance de création et d’affabulation, par ressources d’imagination + de parole, aux puissances de destruction et à la pente suicidaire que tout homme porte en lui.

 

II- L’art gionien de la chronique : un art au service de l’ambiguïté du mal

 1-La conception gionienne de la chronique

a/ Des « détails de l’histoire générale » au fait divers extraordinaire

è   Quand Robert Ricatte lui demande pourquoi il a regroupé un certain nombre de ses romans sous le titre générique de Chroniques romanesques ,Giono répond en 1966 qu’ « il y avait dans ces romans une sorte d’histoire du siècle dans lequel les drames se passaient. C’était par conséquent une sorte de chronique de ces moments là ». Cependant il n’entendait pas écrire l’histoire ni même des romans historiques. Quand le critique lui demande de préciser, il prend le Littré et lit la 1ère définition : « annales selon l’ordre du temps, par opposition à l’histoire où les faits sont étudiés dans leurs causes et dans leurs suites », et il ajoute : « détails d’une histoire générale –comme Froissart- quand on ne prend pas la peine d’écrire une histoire générale ». Ce qui intéresse Giono, dans la chronique, c’est donc l’absence de synthèse, l’opacité du réel, l’inscription du récit dans une époque par des détails, qui glisse vers anecdote, l’observation, le privé : « la chronique, les chroniques : ce qui se débite de petites nouvelles courantes, continue-t-il à lire dans le Littré, qui cite la Satire X de Boileau : «Ces histoires de morts lamentables, tragiques,/ Dont Paris tous les ans peut grossir ses chroniques ».

è   Nous en sommes donc aux faits divers : Giono est un grand lecteur des Causes célèbres et des Mémoires de Vidocq, bagnard devenu commissaire de police. « Par-dessous les événements publics, les hommes mènent leur vie de tous les jours, où les débats + ou – violents de la mort, du vol, des passions créent une histoire privée de la société, que la mémoire des groupes enregistre », commente Ricatte qui renvoie à la préface de 1962 : il s’agit de donner au « Sud imaginaire » que Giono a créé, « à cette invention géographique sa charpente de faits divers (tout aussi imaginaires) ». Car ces faits divers extraordinaires révèlent l’âme humaine, les mentalités. Ils éclairent des caractères singuliers, parfois inquiétants ou monstrueux. Giono présente des « âmes fortes », des êtres d’exception, habités de passions fortes et capables de se reconnaître dans leurs ennemis.

 

b) « l’histoire familière d’un pays »

Dans une lettre à Gallimard (02-01-1948), Giono définit ses Chroniques comme « des romans qui, sans être précisément des suites, sont centrés sur l’histoire familière d’un pays ». Une chronique romanesque élabore donc pour lui un espace-temps qui lie matériau historique et élaboration romanesque imaginaire. Ainsi, dans AF, c’est tout un pan de l’histoire du XIXème siècle qui nous devient familier, l’époque des auberges relais, des diligences, des maréchaux-ferrants, toute une civilisation qui est en train de disparaître au moment où les très vieilles récitantes participent à la veillée funèbre. La fiction se dresse à partir de la peinture d’une époque, dont elle devient la chronique, où elle puise son enracinement social, géographique, politique : la Drôme montagnarde des AF servira de cadre âpre au roman des « âmes noires », où on a affaire à une chronique villageoise : Clostre la bien nommée et sa forge ; les deux Châtillon de Th et du Contre ; le chantier du village nègre de Rampal.

 

c)      Une parole conteuse

Enfin ces « Chroniques se veulent des contes. Pour les AF, les faits sont rapportés par deux voix alternées, sans qu’aucun point de vue, transcendant, puisse être dégagé. La vivacité de la langue orale et des récits contés par des « familiers d’un pays » n’offre donc pas seulement au réalisme de l’histoire et de l’observation sociale un souffle romanesque hors du commun. Ce drame du Mal prend vie grâce à une langue populaire, imagée et pourtant claire, acérée. Tout vise à donner une dimension frappante, dramatique, émouvante, aux paroles ancrées dans une langue réaliste. Le début « in medias res » des AF crée par exemple un effet brutal d’immersion dans le dialogue : qui parle et à qui ? L’attention est dès lors portée sur le côté prosaïque de l’échange, partant sur le collectif villageois, l’ancestral d’une veillée mortuaire. Ces voix féminines racontent la mémoire d’un village vers la fin du XIXème siècle, articulant passé et présent. Ce gynécée renoue avec ce qui a caractérisé les 1ères œuvres de Giono (La Naissance de l’Odyssée), qui dit avoir lu l’Iliade « au milieu des blés purs » : l’influence de la littérature antique. En effet, on peut voir avec le personnage du « Contre » une réutilisation du chœur de la tragédie grecque, déjà présent dans Le Grand troupeau (1931), où les campagnardes pleurent également un défunt. Giono déploie ainsi tous les possibles du genre romanesque, campant la morale dans le dialogue des gens du peuple, déployant la force du récit oral pour hisser des humbles à la hauteur de la fable noire. Son art romanesque se dissimule pour donner toute sa mesure à la virtuosité. Le roman de Giono s’adresse ainsi à tous[4] et radicalise les techniques les + élémentaires du récit, pour suspendre le sens, la morale en jouant du « suspense », pour retenir et surprendre l’attention du lecteur

 

2-Les âmes fortes : une forme sens (1), l’organisation temporelle du roman

 

3-Les âmes fortes : une forme sens (2), les contours d’un « pays »

 

4-Une forme sens (3) : dialogisme et indécidabilité

 

III- Genèse  et titres des Âmes fortes

 1-Genèse

-> Une panne romanesque lors de la rédaction du cycle du Hussard sur le toitet la nécessité de subvenir aux besoins des siens en écrivant une série de contes pour l’Amérique conduisent Giono à rédiger, pour le recueil de nouvelles de Faust au village,, une nouvelle d’une vingtaine de pages : La Veillée ,que Giono pensait intégrer à un ensemble d’oeuvres brèves, sous le titre La Chose naturelle ou rien dans les mains.

-> Cette nouvelle devient un roman, à la surprise du romancier lui-même, qui se laisse surprendre par la tournure des événements et le surgissement des caractères. Cf entretien avec R. Ricatte d’août 1955 : « J’en étais là, je croyais mon livre presque terminé, j’ai pris le train pour Marseille. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais les secousses, le rythme du train, ça fertilise l’imagination…Parmi ces femmes qui bavardaient à la veillée, il devait bien y en avoir une qui racontait sa vie. L’histoire de cette femme…Alors je me suis dit : »ton roman, il n’est pas fini. Il est à peine commencé ». J’ai recommencé, comme ça, sans savoir où j’allais. J’ai fait parler la femme, et puis une autre qui racontait la même histoire, mais toute différente. Peu à peu Madame Numance s’est glissée dans l’histoire je ne sais comment ».

-> 2ème tournant de l’écriture correspond au moment où Giono décide de faire de Thérèse « la grande criminelle », en contradiction avec le portrait d’amoureuse passionnée de Madame Numance tracé par l’autre voix du récit. Giono gomme alors la férocité placée un temps chez Madame Numance (qui tue un chaton avec la pointe de son ombrelle) pour la concentrer sur Thérèse, qui offre +sieurs visages, selon les points de vue. Le principe de composition se découvre alors tout à coup : celui de la vérité plurielle cf R Ricatte : « le ciel romanesque n’a + un seul centre de gravitation, mais +sieurs ! C’est, dans l’ordre du récit, une révolution copernicienne »

ó Logique de la surprise, du surgissement, du dévoilement : le choix du titre définitif suit la même loi.

 

2- Titres

-> 1er titre, neutre, désigne seulement unité de temps et de lieu qui sert de cadre au récit et lui confère une certaine densité : La Veilléeó tradition du Décaméron de Boccace, de L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, où une situation donnée contraint les personnages à tuer le temps en échangeant des histoires.

 

-> La Chose naturelle semble vouloir nommer l’innommable : le mal. Celui-ci serait immanent, c.à.d. inscrit ici-bas, dans la nature des choses, ne dépendant d’aucun dieu, d’aucune force supérieure, d’aucune transcendance. Nécessité de la nature, le mal ne serait même pas « le mal », encore moins « le Mal », seulement « la » chose naturelle, banale, quotidienne, inscrite dans chaque vie et chaque lieu explorés dans les chroniques gioniennes. Ce 1er titre correspond au projet de départ de Giono : mettre l’accent sur l’universalité, la banalité du mal quotidien, entre familles et membres d’un village veillant un mort. Il renvoie aussi à la lecture de Hobbes par Giono : « et toujours revenir à Hobbes : l’homme est naturellement mauvais.

·        ó Les êtres masquent mal leur vraie nature : sous l’apparence sociale, la bête se révèle. Madame Numance, Firmin et Thérèse ont des regards de loups, rappel de l’adage de Plaute (« homo homini lupus ») ou apanage des êtres d’exception. Firmin est successivement comparé à un moineau, à un chien (302, 150 et 159) et à une tique (135). Thérès)e est un furet. Les 3 personnages sont hématophiles. Dans cette société sans vraie justice, seule compte la force pour se faire respecter de la ménagerie humaine (188). Les agneaux sont féroces dans le don

 

-> La chose naturelle ou rien dans les mains (manuscrit) : néant du désir et néant du savoir

-  vide existentiel, néant de passion + désir qui menace d’emporter être humain dans pulsion autodestructrice ó thèmes de l’ennui, du divertissement, notamment dans Un roi sans divertissement, où, confronté à la blancheur de la neige, à l’effacement du paysage durant les longs mois d’hiver dans la montagne, l’énigmatique M.V. répond à ce vide par la cruauté. Maculer le blanc par du sang répandu, le sang des victimes, permet de se « divertir », de détourner de ce rien menaçant. Ce roman peut aussi se lire comme une métaphore de l’écriture romanesque comme « divertissement », moyen de survie, art de laisser des traces sur la blancheur de la page, sauvetage de notre attirance pour les gouffres où nous entraîne l’ennui grâce aux puissances de l’imagination créatrice. Réécriture dans un sens matérialiste et athée de la formule de Pascal : « Un roi sans divertissement est un roi plein de misère ». Le salut n’est + dans le pari sur l’existence de Dieu : l’homme doit inventer les conditions de son propre sauvetage avec les moyens du bord…Au contact du mort déjà raide dans la chambre à côté, le chœur des veilleuses des AF bavardent, parlent, inventent, mentent : elles affirment, au bord du néant, leur humanité – leur vitalité concentrée dans leur verbe.

 

- Vérité qui se dérobe : au terme du roman, après avoir entendu ces voix discordantes et ces récits contradictoires, le lecteur ne possède rien d’assuré et de tangible. Il est renvoyé, s’il veut tenir en main qqch, à sa propre faculté d’affabulation.

 

-> L’âme forte : Thérèse, engagée dans un plan résolu de captation de biens, d’amour, d’être, de vampirisation de Madame Numance). Résonne alors « l’esprit fort » des libertins athées, le souvenir de Machiavel, que Giono est en train de relire et d’annoter au moment où il s’attelle à son roman, l’écho aussi de l’homme fort, supérieur, du vainqueur qui va au bout de ses désir dans la vulgate nietzschéenne. Comme le dit Thérèse elle-même : « je n’étais même pas méchante » (316). Elle est au-delà de la simple malveillance, orgueilleuse, dominatrice, avec une volonté de puissance hors du commun. Giono donne une trempe à son héroïne, en référence aux Réflexions et maximes de Vauvenargues, moraliste du XVIIIème siècle : « ce qui constitue ordinairement une âme forte, c’est qu’elle est dominée par quelque passion altière et courageuse à laquelle toutes les autres, quoique vives, soient subordonnées (, n° 588).  » Au cœur de Thérèse réside une insatiable passion d’orgueil, qui la fait s’aimer elle-même et jouir de sa propre existence au détriment des autres. Noter que chez Giono, cette passion dominante a le pouvoir de remplacer la réalité, de faire vivre sur un plan supérieur, celui de l’imaginaire qui est, face au vide et à l’ennui offerts par la pauvre « réalité », le Réel. cf P 349-350 « T était une âme forte. Elle ne tirait pas sa force de la vertu : la raison ne lui servait de rien ; elle ne savait même pas ce que c’était ; clairvoyante, elle l’était, mais pour le rêve ; pas pour la réalité. Ce qui était la force de son âme c’est qu’elle avait, une fois pour toutes, trouvé une marche à suivre. Séduite par une passion, elle avait fait des plans si larges qu’ils occupaient tout l’espace de la réalité. Elle pouvait se tenir dans ses plans quelle que soit la passion commandante ; et même sans passion du tout. La vérité ne comptait pas. Rien ne comptait que d’être la + forte et de jouir de la libre pratique de la souveraineté. Etre terre à terre était pour elle une aventure + riche que l’aventure céleste pour d’autres. Elle se satisfaisait d’illusions comme un héros. Il n’y avait pas de défaite possible. C’est pourquoi elle avait le teint clair, les traits reposés, la chair glaciale mais joyeuse, le sommeil profond ». ó Th = âme forte car maîtresse dans l’art de déployer la force qu’elle exerce elle-même en tant qu’œuvre. Pratique dépouillement, sacrifice de l’argent pour peaufiner l’artifice qu’elle construit en se prenant elle-même comme matière 1ère et chantier de son œuvre. Thérèse est portée par un désir d’être dévorant, violent et cruel. En décrivant une fille du peuple, avec pout passion centrale l’orgueil, Giono met en elle le moteur de l’héroïsme, vertu aristocratique par excellente, consciente de sa caste et de sa supériorité sur le commun des mortels. L’âme forte dépasse les autres, car elle se propulse à un autre degré de réalité : « Thérèse était une âme forte […] clairvoyante elle l’était, mais pour le rêve ; pas pour la réalité » (349-350)

 

-> Les âmes fortes : pluriel inclut d’autres personnages comme les Numance, dont la générosité démesurée est une manifestation paradoxale de leur puissance d’exister, concentrée dans une seule et grandiose passion. La grande originalité du roman réside en ce couple dont Giono a décidé de faire des âmes fortes : on n’est pas seulement dominateur et maître de soi dans le Mal ; on peut aussi être sublime dans le sacrifice : « quelle arme terrible, dit Mme N ! J’ai presque honte de m’en servir.- De quoi veux-tu parler ? Du plaisir de donner ».- Ah ! c’est une arme de roi » ; »ce que je peux avoir l’âme basse quand il s’agit de donner » (260). Mme N atteint une générosité aussi pure que le Mal suprême de Th. Th et Mme N se disjoignent de tout profit matériel : quand l’une donne pour donner, l’autre fait le Mal pour le Mal. Mme N tranche avec ces petits bourgeois qui font la charité à Th pour se donner bonne conscience, sans logique, sans âme. Elle se dérobe, intacte et magnifique dans sa noblesse d’âme : »qui aurait encaissé une avanie comme ça sans rien dire ? » (101), se demande T quand elle voit Mme N ne pas céder à la vengeance face à Me Carluque. Le Contre la définit comme altière, désintéressée : « Elle allait bien + loin que ce point là et, au lieu d’être bête comme on disait : « mon Dieu, qu’il y ait une femme comme ça sur la terre ! Mais ce n’est pas possible ! Ce que j’aimerais être cette femme-là, moi ! » (145). L’existence des Numance se consume en dons, générosité qui est aussi une entreprise résolue de possession de l’autre. Ces âmes fortes accèdent à une intensité de vie, dans laquelle se dévoile une vérité de l’existence : le travail obscur des forces, des pulsions et des passions universelles. Chez ces personnages, une réponse a été trouvée à la terreur d’exister, de se confronter au néant et à l’absurdité de l’existence : faire passionnément et absolument le mal ou le bien (l’un n’est que l’envers de l’autre) est une réponse à cet ennui qui fait le fond de la condition humaine cf note du 24-01-1949, dans le carnet de Giono : « s’il n’y avait pas de mal la vie ne voudrait rien dire. Il faut s’arranger pour que la vie ne soit pas trop terrifiante ».

è   Cette héroïsation à deux têtes fait la complexité du roman, son ambiguïté au point que les N sont les seuls qui surprennent les plans de Th et F : »Les Nu combinaient […] Il y avait même chez les N une férocité à laquelle F était loin de s’attendre » (152) On n’a pas un couple de bigots dupés, pratiquant la molle charité, mais deux amoureux sincères qui choisissent la générosité avec les mêmes convictions et force que Th, qui cherche la domination sur autrui. En face des combinaisons diaboliques se dressent les étranges combinaisons de la générosité. Au sublime dans le Mal répond le sublime dans le Bien, au point que Mme N aussi atteint la démesure : « à chaque instant elle avait l’occasion de donner en surplus de faire verser la mesure, elle é »tait comme une mère qui force son enfant à manger » (183).

è   Du coup Th est privée de sa victoire. Les N ne sont pas dupes, vont jusqu’au bout du sublime du sacrifice et retirent à Th le triomphe, ce qui la plonge dans une crise de rage face à l’impuissance à réduire ses + belles cibles : »j’étais loin de me douter qu’à la fin elle m’échapperait » (332).

è    

 

Epigraphe shakespearien

« Servant –Oh ! (The winter’s tale)” : en anglais, un “conte d’hiver” est un récit légendaire que les veilleurs se rapportent alors que la saison hivernale interdit les ravaux extérieurs et oblige au refuge autour de la cheminée. Les histoires récitées ont pour fonction d’accompagner l’attente du renouveau et mettent l’accent sur le cycle des saisons

 

ó le roman s’achève avec l’arrivée d’une nouvelle aube ouvrant un jour neigeux et venteux. Par ailleurs le roman ménage +sieurs allusions à la période à laquelle les commères sont censées se réunir : le pauvre Albert a tué ses cochons et préparé ses caillettes en prévision d’un hiver rigoureux ; Thérèse insiste sur la prodigalité de la nature au printemps. La mort est donc une étape nécessaire au renouvellement de la vie : nulle fécondité ne saurait surgir sans cette redistribution des énergies élémentaires que constitue la mort.

 

      Un paganisme épicurien sous-tend le roman : les atomes, après avoir été séparés durant le phase analytique que constitue la mort, la dissolution des organismes, se recomposent et donnent naissance, grâce à cette synthèse, à de nouvelles formes cf Giono, « aux sources mêmes de l’espérance », 1937 : « croyez-vous que la nature, reine de l’équilibre, serait tant dépensière si la mort é »tait vraiment une destruction ? Elle est un passage. Elle est une force de transformation, comme la force qui hausse, abaisse et balance les vagues de la mer ». La mort n’a donc rien de pathétique. Sauf pour celle qui « boit du caf » et fait la dégoûtée, il n’y a guère de raison d’entourer la mort de cérémonie particulière, de vouloir exclure de la vie le spectacle de la mort, d’expurger la représentation artistique des corps

 

 

Le récit, forme-sens

La forme du récit, porté par le concert des voix des veilleuses, permet de faire surgir le mal, révélé dans ses formes trompeuses et séduisantes.

 

 

Le texte va mettre en scène la confrontation entre des versions contradictoires des mêmes événements. La vérité est l’objet de transactions : on ne l’atteint, partiellement, qu’au bout d’un débat opposant les points de vue.

 

Ce dialogisme favorise un examen critique des us et coutumes habituellement respectés par la société. Dès la p.27, par exemple, une des veilleuses, qu’on tend à identifier à Thérèse pour sa liberté d’opinion et son horreur des conventions, présente la veillée funèbre et les rituels qui entourent la mort comme de simples « habitudes », « une affaire de convenance ». En suggérant qu’on enterre rapidement les cadavres, sans cérémonie, comme on le ferait de celui d’un chien, le personnage ébranle l’édifice de la civilisation humaine. Ce propos anarchiste atteste qu’il n’est aucune valeur, aucune croyance susceptible de résister à un examen critique des préjugés. Ce cynisme à la Diogène s’attaque aux tabous fondateurs de la société humaine.

 

L’irrespect des commères à l’égard du corps gisant dans la pièce voisine se manifeste ensuite dans un appétit insatiable qui les conduit à dévorer les caillettes. L’atmosphère, loin d’être compassée, religieuse ou élégiaque, est farcesque.

 

 

L’esthétisation romanesque du Mal

 

La construction complexe du roman, à empilement ne s’exhibe pas d’entrée de jeu, mais se dissimule pour mieux réserver toute son ampleur à la révélation du Mal.

è   On part du rien, du « oh » emprunté au Conte d’hiver de Shakespeare, du terre à terre, pour élever l’histoire au romanesque le + envoûtant. On entre peu à peu dans une perspective maléfique qui était comme écrasée au départ dans les détails quotidiens. La complexité, non affichée, fait passer le lecteur de la peinture d’une petite société mesquine – la banalité du mal quotidien- à une véritable fable maléfique. Le sol se dérobe toujours + sous nos pas. Est-on enfin arrivé au comble de l’horreur ? Giono affûte sa surenchère narrative, propulse le mal à un niveau inédit, brutal, crée un effet de répulsion en même temps que de fascination. Par strates on passe de la banalité du Mal au sublime dans le Mal. T devient une figure presque mythique, fantastique, magnifiée.

è   Le mal banal relève de la chronique, le maléfice sublime répond d’un romanesque magique et poétique. A partir du concret, une force fantastique émane du récit progressivement. Ainsi par exemple la thématique de l’agneau et du loup, reprise souvent dans le texte (152, 113) élève les manigances de Th à l’imaginaire sanglant du sacrifice : « maintenant, mes petits agneaux, vous allez voir ». La langue de Giono participe de cet effet, à la frontière entre oralité et fantastique : »si je te prenais dans mes pattes, tu ne tarderais pas à crier comme un goret » (314).  Une 1ère strate de cette langue imagée populaire lui confère une valeur réaliste : reproduire le langage des gens du peuple ; mais la violence du bestiaire et de l’imaginaire transforme l’homme en animal. De paysanne, Th devient cantatrice, magicienne, portée par une cruauté sublime, hors du commun.

è   Le sublime, ce qui « dépasse les limites », provoque la fascination et caractérise l’action du héros. Le maléfice ne reste alors pas au niveau de la médiocrité du commun, mais propulse le réel dans des dimensions surnaturelles. Thérèse emprunte à la sorcière, tant elle refuse tout sentiment, tout instinct convenu, comme la maternité, qu’elle décide de jouer. La fin du roman lui offre une puissance toute virile, puisqu’elle y bat F au point de lui ouvrir le ventre. Son art de comédienne lui confère le pouvoir de changer d’apparence : »je me disais : pourvu que tu n’aies pas la grossesse fleurie ! Mais quelque temps après, je fus rassurée sur ce sujet. Le ciel me bénissait, je n’étais pas malade, j’avais toute ma tête, mon état me donnait +tôt un peu + de santé qu’avant (notamment pour les rêves) mais j’avais un masque magnifique. J’avais perdu mes joues pleines ! tout mon visage pointu et blanc comme un navet pouvait tenir dans le creux de la main et mes yeux étaient devenus immenses. Je pouvais y faire flotter quantité de choses tristes » (322).  Th en vient à un tel degré de contrôle de soi que c’est comme si son esprit malin parvenait à modifier son corps. Alors que la nature implique qu’une femme grossisse, devienne + pleine lorsqu’elle attend un enfant, Th pâlit, son visage s’efface et maigrit, lui permettant ainsi d’apitoyer les bourgeois : »aucun bourgeois ne résistera à ça » (322). T rêve, s’évade de la réalité, crée un monde mythifié.

è   L’esthétisation de son machiavélisme lui fait ainsi acquérir des pouvoirs de sorcière. Elle manie son corps comme un objet : »j’étais servie par la nature » (308). Lorsqu’elle parle, elle anime le monde comme un bestiaire imaginaire et s’identifie à un furet assoiffé de sang p.316-317. La comparaison avec le furet devient peu à peu une métaphore qui contamine le réel d’une poésie maléfique, qui nous fascine et nous rebute. D’abord comparée à l’animal, l’héroïne le devient, comme ces esprits malins qui prennent différentes formes pour apparaître. On pense à Circé ou à d’autres magiciennes qui transforment les hommes en bêtes. La langue magnifie alors l’abjection : Th croit à ses images, qui ensorcellent son esprit et galvanise son désir de faire le Mal, son sadisme. L’héroïne gionienne ne fait pas des discours sur la passion comme la Merteuil, mais l’auteur porte son héroïne à un souffle sublime à travers la puissance magique des images qu’elle utilise pour peindre sa réalité. Il ne dit pas seulement qu’elle est une criminelle : elle se révèle une « âme forte », capable de rivaliser avec de grands mythes et de défier toutes les peurs et superstitions populaires.

è   L’âme forte dépasse les autres, car elle se propulse à un autre degré de réalité : « Thérèse était une âme forte […] clairvoyante elle l’était, mais pour le rêve ; pas pour la réalité » (349-350). Thérèse est mauvaise jusqu’au sublime, jusqu’à défier les lois du réel pour entrer dans l’antre de la magie noire et de ses rêves, de sa démesure.

è   Le sublime la porte à défier l’enfer, la prétendue justice divine, à laquelle elle ne croit pas : « si c’est l’enfer, le rôtirai. Et je donnerai faim à tout le monde. […] Les péchés qu’on ne commet pas sont affreux ; ceux qu’on commet :0, poussière […] Si vous n’en avez pas profité, c’est que vous êtes bête » (290-291). Cela fait d’elle un personnage luciférien, un diable sans peur ni reproche. Elle ne croit pas à l’âme et fait profession d’athéisme.

è   En face de ce sublime inédit du Mal, Giono ne dispose pas une Tourvel. Il ne met ni Dieu ni religion. Son coup de génie est de créer le couple Numance qui fait s’arc-bouter deux sublimes : le Mal absolu échoue en regard d’une générosité pure, de l’amour partagé d’un homme et d’une femme qui résistent au Mal parce qu’ils ne sont pas des médiocres. Thérèse n’a pas prise sur la grandeur d’âme de Madame Numance.

 

Le sublime dans le sacrifice : le couple Numance

è   Pour dialectiser le Mal, Giono choisit de ne pas faire des Numance des victimes. C’est un couple fort dans l’amour (« tellement ils s’aiment », 147), la générosité, le sacrifice : ils ont une volonté et on ne peut pas les dominer comme des médiocres cf « nous sommes d’accord depuis le début et absolument sur tout : sans un regret, sans un soupir, sans une larme » (250-251). Beaux et amoureux, ils rivalisent avec le couple des diaboliques : « ils s’étaient trouvés. Et quand je dis la bonté sur terre c’est qu’il n’y a pas d’autres mots. C’étais inscrit sur son visage » (145). Ils rayonnent de bonheur et de complicité.

è   Cette héroïsation à deux têtes fait la complexité du roman, son ambiguïté au point que les N sont les seuls qui surprennent les plans de Th et F : »Les Nu combinaient […] Il y avait même chez les N une férocité à laquelle F était loin de s’attendre » (152) On n’a pas un couple de bigots dupés, pratiquant la molle charité, mais deux amoureux sincères qui choisissent la générosités avec les mêmes convictions et force que Th, qui cherche la domination sur autrui. En face des combinaisons diaboliques se dressent les étranges combinaisons de la générosité. Au sublime dans le Mal répond le sublime dans le Bien, au point que Mme N aussi atteint la démesure : « à chaque instant elle avait l’occasion de donner en surplus de faire verser la mesure, elle é »tait comme une mère qui force son enfant à manger » (183).

è   Du coup Th est privée de sa victoire. Les N ne sont pas dupes, vont jusqu’au bout du sublime du sacrifice et retirent à Th le triomphe, ce qui la plonge dans une crise de rage face à l’impuissance à réduire ses + belles cibles : »j’étais loin de me douter qu’à la fin elle m’échapperait » (332).

è   La fuite de Mme N n’est donc pas un échec, comme celle de Tourvel dans Les Liaisons dangereuses de Laclos : c’est sa victoire qui réduit à néant le pouvoir du fort. Elle se dérobe, intacte et magnifique dans sa noblesse d’âme : »qui aurait encaissé une avanie comme ça sans rien dire ? » (101), se demande T quand elle voit Mme N ne pas céder à la vengeance face à Me Carluque. Le Contre la définit comme altière, désintéressée : « Elle allait bien + loin que ce point là et, au lieu d’être bête comme on disait : « mon Dieu, qu’il y ait une femme comme ça sur la terre ! Mais ce n’est pas possible ! Ce que j’aimerais être cette femme-là, moi ! » (145).

è   Le rire énigmatique de Sylvie Numance lors de la scène avec l’huissier de Valence (91) est un rire d’indifférence, de supériorité sur les circonstances matérielles, l’écho et l’inverse du rire machiavélique de Th.

è   En regard T reste une calculatrice n’ayant prise que sur les médiocres, les vils idiots qui croient à son jeu. Mme N reste nimbée de mystère avec ses yeux de loup (90, 95) qui symbolisent  l’intelligence, la beauté, la clairvoyance. Ces yeux changent la proie en rivale de Th : Mme N, « la bonté sur terre, jolie comme un cœur » (145), n’est pas un « agneau », une victime. Elle lui résiste en opposant sa générosité, don pur, à tous les calculs, disant : » j’ai ce que je donne » (147), maîtresse d’elle-même et non dupe :: « il ne faudrait pas non + prendre Mme N pour in imbécile. Cette ruine, ils l’ont prévue » (150). Elle veut le don, s’accomplit dans sa morale, trouve ce « plein » de l’être, une grandeur authentique à laquelle Th n’accèdera jamais. Face à la droite et fière Mme N, Th se révèle comme un vide

 

Les points de vue et leur contradiction

En offrant des mêmes événements +sieurs versions contradictoires, Giono démontre l’importance du point de vue et entretient une forme de relativisme. Le récit est en effet dévolu tantôt à Thérèse, tantôt à la voix du « contre », qui a recueilli la version collective des mêmes événements, désormais entrés dans la légende du pays. Or le dialogisme du récit, assuré par les seules voix des personnages, interdit de trancher en faveur de l’une ou l’autre des versions : il n’y a pas d’incarnation du savoir qui nous permettrait de démêler le vrai du faux ; aucune position de surplomb n’est adoptée. Le lecteur est ainsi invité à faire lui-même le choix, à moins qu’il ne désire laisser coexister ces visions hétérogènes.

Cette technique narrative nous permet de comprendre comment, à partir d’un même événement, des interprétations divergentes peuvent naître.

Elle suggère aussi que notre perception des événements est fortement prédéterminée par des catégories stéréotypées : parce qu’il affectionne les contes moraux, le lecteur interprétera les relations entre Thérèse et les Numance en fonction du schéma de la bienfaisance récompensant la vertu malheureuse. Dans cette perspective, défendue par la voie du contre, Thérèse ne peut être qu’une innocente en butte à la malignité et à l’ingratitude d’un époux calculateur, corrupteur et cruel… La spoliation des Numance, loin d’être ourdie par Thérèse, serait manigancée à son insu par son mari cupide. De même le rapt de Thérèse par Firmin est fortement inspirée d’un topos romanesque : celui des amours contrariées, que le sort parvient à faire s’épanouir. Pourtant la version qu’on offre Thérèse est moins chevaleresque. De même, le refuge des deux amants en fuite à l’auberge est dépeint tantôt avec candeur par Thérèse, tantôt comme servant de décor à une scène de beuverie et de dépravation, dans la version du contre.

 

La force de ce procédé est aussi de nous interdire d’assigner à chaque fragment du récit un objectif moral particulier : Thérèse ne cherche pas à jouer les beaux rôles ; le contre ne trace pas systématiquement un portrait maléfique ou défavorable de Thérèse. Certes, il ressort des anecdotes colportées par la rumeur publique que Thérèse ne fut ni une jeune fille pudique et prude, ni un parangon de vertu. Cependant elle peut jouer à +sieurs reprises le rôle de victime : des mensonges et des infidélités de Firmin ; de l’inconséquence d’une bienfaitrice qui lui fait jouer inopportunément le rôle de fille adoptive…Or c’est contre cette représentation d’elle-même comme victime que Thérèse semble décidée à s’insurger avec constance. Sa propre version des faits est loin de la présenter sous un jour flatteur : responsable de la mort de son mari, observatrice impitoyable de la folle passion qu’elle aurait suscitée dans le cœur de Mme Numance, Thérèse aurait mené avec persévérance une vie vouée à la conquête de son autonomie. Sachant avec quelle puissance la comédie des sentiments peut gouverner le monde social, elle aurait sciemment joué avec les sentiments d’autrui, alors même qu’elle serait demeurée indifférente, inaccessible à aucun affect. Elle aurait trouvé dans la haine de quoi feindre l’amour. Son unique motivation aurait été de refuser toute posture passive, de vouloir conserver coûte que coûte la maîtrise de la situation. L’important est pour elle de ne pas déchoir à ses propres yeux. L’héroïne substitue l’estime de soi à toute considération sur les motivations qui lui dictent ses actes. Suprêmement orgueilleuse, elle se place au-delà des catégories morales.

 

Le dynamisme d’un roman d’apprentissage

Par-delà sa division en points de vue contradictoires, le roman recourt au modèle du roman d’initiation : le lecteur est invité à suivre les aventures d’une jeune femme d’extraction pauvre, depuis l’instant où elle quitte sa famille pour rentrer au service d’autrui jusqu’à la conquête finale de son indépendance.

Cette fragile position sociale initiale permet au romancier de déployer un regard critique sur les dessous de la société : le monde sera décrit depuis ses coulisses, conformément au topos de l’arrière du décor.

De fait le personnage, si tant est qu’il eût au départ des illusions, va rapidement les perdre.

Or ce savoir qu’elle conquiert, malgré sa violence et sa radicalité, suscite chez Thérèse un réel plaisir : sans être effarouchée par ce qu’elle découvre, elle paraît avide de poursuivre son éducation. Même le récit du meurtre de Firmin paraît dicté par un indéniable plaisir du récit, loin de tout remord, comme si la narratrice Thérèse se réjouissant d’accompagner le personnage qu’elle a été dans ce suprême effort pour conquérir sa liberté.

 

« Persister dans son être » : le « caractère » et son obstination

« J’imitais tous les sentiments sans rien sentir. Et même, j’utilisais ces imitations, instinctivement quand elles étaient nécessaires. Quel bonheur ! Personne ne pouvait être mon maître » (p.306). L’exaltation de la narratrice témoigne de la plénitude soudain atteinte par le personnage, passé maître dans l’art de feindre et qui n’offre + aucune prise au monde extérieur : personne ne peut la deviner, percer le secret de ses attitudes. Elle a acquis une totale maîtrise dans l’affectation des émotions et peut constamment donner le change. Cette métaphore cinégétique et théâtrale dit bien qu’elle est désormais celle qui maîtrise parfaitement les échanges, impose les transactions. Pour en arriver là, elle a d’abord observé, décelé dans une attitude sa singularité, sa valeur particulière : elle a ainsi pu contempler avec sagacité les gestes de Mme Numance, écouter les intonations de sa voix, contrefaire ses mimiques. Elle a opéré une véritable lecture de la société, avant de décider de s’en rendre maître. Elle a opéré un décryptage du monde pour mieux y conquérir sa souveraineté. Le récit des AF est d’abord un portrait de Thérèse en majesté Un caractère se dessine, avec sa ténacité, sa volonté, sa tension, son obstination à être à tout prix, par-delà le bien et le mal.

 

 

Banalité et universalité du mal

Les vices de la société 

Médiocrité d’un Mal sans échappatoire : le mal est partout, à l’origine des sociétés les + élaborées comme des sociétés les + élémentaires : le petit village de Lalley, où prend place la veillée d’Albert, Lus, Châtillon, « le village nègre » ou les microcosmes de l’auberge ou de la cantine sont les antres de mesquineries abjectes et d’escroqueries en tous genres. Chacun  a son niveau cherche à jouer de son petit pouvoir, à tromper par de petites ruses + ou moins fines celui dont il fait instinctivement son adversaire.  Cf p.132 à propos du village nègre « Naturellement, ici, il y a des combines…Vous ne voudriez pas que ce soit le séjour des anges ? » ; « Châtillon ne faisait pas de bruit. Tout le monde y battait doucement son beurre […] Tout ça, parce qu’on savait étouffer les cris » (287). L’hypocrisie sociale met un voile d’apparences sur les actions et les sentiments les + sordides : »regarde la cravate et la redingote de Châtillon : c’est correct. Regarde la jupe et le corsage de Châtillon, et sa croix de ma mère : c’est correct. Regarde un peu dessous le corsage et la jupe et dessous la croix de ma mère : là, il y a à qui s’adresser » (294). La société se pare des atours de la civilité et de la civilisation, des choses qui se font, d’autre pas ; mais au fond, la noirceur émerge et Thérèse peut actionner ses pièges.

 

Les petites mains du Mal

C’est que la société repose sur la compétition, la rivalité, la comparaison des uns et des autres.

-> Pour preuve, la structure même du récit, faite de commérages de vieilles femmes et de médisances qu’on se transmet de génération en génération.

-> Tout le monde sait et observe tout : rivalités et amour-propre, dénoncés par Rousseau, triomphent : « Ici, à Châtillon, [où] si tu dépenses un sou, tout le monde le sait » (87).

-> L’épisode où Madame Carluque se pavane en ville avec le cheval préféré que Madame Numance, ruinée, a dû laisser son mari vendre, témoigne des jalousies, de l’envie, de l’esprit de rivalité permanente (98-99). Pour quelques minutes de gloire médiocre, elle cherche à humilier et à heurter la sensibilité de celle qu’elle prend pour une rivale.

-> La banalité de ces pratiques méchantes sert de trame au projet diabolique de T : il est si facile d’attiser les bas instincts. Dès qu’entre en jeu un héritage, un profit, la lutte se met en marche : »à qui veut patrouiller, rien ne manque. Des salauds, y en a livraison » (290) cf conflit d’héritage sordide entre les sœurs Marie et Rose, p.46-52. Les observations de T dressent le constat d’une humanité vile, médiocre, âpre au gain : »je savais que tous ces messieurs étaient égoïstes » (288) ; « c’était tous des cochons, bien entendu »289).

-> Les bassesses de chacun conduisent ainsi à la mise en œuvre des grands desseins machiavéliques de T, vecteur de l’observation du romancier fouillant l’âme humaine : »je n’avais pas mes yeux dans ma porche » (113). A l’auberge, T apprend à reconnaître les caractères à travers les accoutrements, les manières, les façons de boire ou de manger : les voyageurs manquent de volonté, de constance, de retenue et se ruent comme des animaux sur la nourriture ou le feu cf 78 « c’était un spectacle. Ils se battaient pour aller se fourrer dans la cheminée. Pas devant : dedans…et je m’enlève mes souliers, et je me frotte les pieds, et je me les flanque dans le feu à me roussir les bas, et je me mouche, et je crache ». T méprise la faiblesse de ceux qui ne réfléchissent pas et a, par contraste, un sens de la dignité : elle attend d’être seule pour « se mettre à son aise ».

-> T fait de ces hommes machines des émissaires du Mal. Elle manipule les « âmes faibles », dominées par passions et vices dont elles ne savent pas tirer profit. Les ruses de Cartouche restant médiocres, T peut user de son penchant à la boisson et au sexe, instrumentaliser le Mal pour le planifier : »à la longue, l’alcool usait les facultés ; et même les vices, ce sui est + grave. De Cartouche, il ne restait en réalité que quatre murs et la façade. A l’intérieur, il n’y a avait + grand-chose, à part l’habitude »( 127). T compose aussi la jalousie du muet : »j’ai peut-être un pêu trio d’outils, mais celui-ci est très bon et il ne faut pas le jeter ».

-> Réveillard (suffixe négatif), qui vit des ruines et des dettes des autres, profitant du moindre malheur pour faire du profit, est une figure de l’abjection, qui pratique le mal au grand jour et se fait détester : « habitués aux âpres combat au cour desquels il arrachait aux paysans leur fortune, leurs économies ou le maigre produit de leur travail jusqu’au dernier sou, il ignorait la pitié. C’était un capitaine de guerre. Il avait organisé la combinaison dans laquelle devaient périr les Numance avec la froide minutie de son art » (270).

ó Giono montre ainsi que sans la vilenie sociale, le machiavélisme –l’orchestration raisonnée du Mal en haut lieu- serait impossible à mettre en œuvre.  Il n’y a pas de tyrannie sans complicité des vulgaires tyranneaux, disait La Boétie. Le complot du mal surgit sur fond d’ignominie ordinaire. Le mal prend racine parce que chacun tient son menu rôle dans son expansion.

 

 

Les personnages

 

4 personnages principaux sont répartis en deux couples à la fois symétriques et opposés.

Là où règne, entre M et Mme Numance, une parfaite harmonie, les relations entre Firmin et Thérèse sont placés sous le signe de la discorde et de la dissimulation.

Retirés à Châtillon après avoir dépensé la + grande partie  de leur fortune en offrandes charitables, les Numance sont unis par une parfaite compréhension mutuelle. Aussi M. Numance devine-t-il aussitôt les intentions de sa femme à propos de Thérèse et de Firmin : Mme Numance n’a pas besoin d’expliciter son dessein sacrificiel pour qu’il prépare la donation, se réjouissant d’offrir à celle qu’il vénère la suprême occasion de manifester sa générosité. Sa délicatesse va jusqu’à mourir d’une crise cardiaque au moment où l’usurier véreux vient prendre possession de ses biens : il s’éclipse devant ceux que sa femme a élus comme feudataires.

A l’inverse Thérèse et Firmin dissimulent constamment leurs intentions et voient dans leur conjoint(e) le 1er ennemi à piéger. La violence n’épargne pas leur relation, marquée à +sieurs reprises par l’échange de coups.

 

L’originalité du couple diabolique : le machiavélisme du peuple

Comme Laclos dans Les Liaisons dangereuses ou Barbey d’Aurévilly dans Le bonheur dans le crime, Giono met en scène un couple soudé autour de mauvaises action, qui s’entraîne au Mal et mélange principe masculin et féminin de la perversité. Mais en face d’aristocrates maîtres d’eux-mêmes et manipulateurs, comme chez Sade, Thérèse et Firmin sont des gens du peuple, qui se hissent jusqu’à l’abjection revendiquée du bonheur sans remords dans le Mal, recherchant leur fortune aux dépens des autres : »quel bonheur ! Personne ne pouvait être mon maître » (306). Comme chez les libertins ou les sadiques, la tromperie, attribut diabolique, fait jouir et symbolise la supériorité : « dans n’importe quoi, il m’était facile de tromper tout le monde » (306). Cette duperie doit être portée à un niveau inouï d’hypocrisie et de raffinement pour procurer le + de plaisir possible : »je me disais : il faudra tromper quoi, en grand, pour gagner les vrais galons ? » (307). La domination, qui repose sur une absence de remords, de pitié, exacerbe le mal fait à autrui.

Les figures de Thérèse et de Firmin croisent alors celles de la marquise de Merteuil et du vicomte de Valmont : figures machiavéliques, les unes issues du peuple, les autres de l’aristocratie. Cela fait exister une véritable grandeur paysanne, ces deux fourbes de village accédant à un Mal mythifié, capable d’aliéner l’autre aussi intelligemment que les héros de Laclos. Thérèse attire Madame Numance dans ses filets avec un génie de la mise en scène : »je n’avais rien laissé au hasard » (331). Cette planification du Mal provoque sa jouissance : »il fallait que je me tienne à 4 pour ne pas frissonner de plaisir (330).

De même, Firmin est présenté par le Contre comme détenteur d’une « science » (140) de la tromperie : »passé maître dans quantité de choses. Il est même passé roi. Mais qui ne sait ? Car il doit prendre soin de ne jamais figurer. Il met soigneusement la main à être l’image même du bon homme » (133). Le maléfice vient du talent de duper le monde, de faire croire qu’on est benêt, alors que Firmin « vous connaît comme sa poche ». Dans la révélation de la nature démoniaque de Firmin, le « Contre » utilise un vocabulaire qui magnifie ce « roi des vessies et des lanternes ». Face à ce portait qui fait horreur, Thérèse rit et atteste de la fourberie : »c’est lui craché »(135).  Ce risque témoigne de la complicité et de l’admiration pour ce masque de vertu qui cache toutes les manigances de la noirceur.

Dès leur fuite du château, Thérèse raconte qu’elle aime Firmin parce qu’il est malin et calculateur : »vous ne pouvez pas vous imaginer ce qu’il était beau, ce bandit, en racontant sa petite histoire ! »(61). Comme chez Laclos et Barbey d’Aurévilly, le Mal est imbriqué dans l’entente à mettre en œuvre le stratagème, à nuire, à avilir.  Le compagnonnage du vice permet les pires manigances : l’homme ruse (Firmin calcule tout, compte au sou près) ; la femme met ses plans en œuvre par la mystification du sentiment féminin par excellence et par la transgression de ce qui fait le couple heureux et vertueux : l’amour, incarné par les Numance. « J’en arrivais à cette conclusion qu’il faudrait tromper l’amour » (307).  Alliance pour faire le Mal, le couple maléfique subvertit ce qui pourrait souder deux amoureux : au lieu de l’amour, c’est la perversité qui les unit. L’épisode des couches de Thérèse , p.137-140 l’atteste : le couple joue à merveille aux parents méritants, mimant scandaleusement «la sainte Vierge et le forgeron de la paix », Marie et Joseph. La jeune accouchée dose avec doigté son rôle de jeune mère courageuse pour attirer la pitié d’autrui. Rien n’est vrai, tout est mystifié avec malice et finesse. Thérèse et Firmin ont compris comment soulever les leviers du cœur humain : ils travestissent l’amour, la maternité, le courage, la tendresse. De l’entente sexuelle parfaite entre Serlon et Hauteclaire chez Barbey à l’accord politico-tactique de Valmont et de la marquise de Merteuil en passant par l’ambition de Firmin et de Thérèse : tout relève de l’échange et jamais du don. Ces couples trouvent leur accomplissement et leur bonheur non dans l’amour, mais dans la comédie du vice, qu’ils disposent pour piéger autrui. L’union repose sur un pacte maléfique.

Ainsi Giono n’héroïse pas ses personnages dans le sens d’un populisme, avec une sorte de revendication sociale, même si cette dimension n’est pas absente. Il fait accéder deux vauriens à l’héroïsme noir. Et de d’autant + qu’il finit par donner toute la lumière à Thérèse. C’est la loi du genre : les méchants finissent par se désunir, car l’un veut être + fort que l’autre.

Alors que Firmin n’est finalement qu’un cupide demi-habile, manipulé part sa comparse, Thérèse ressort comme animée d’un pur désir maléfique. Le couple diabolique l’est à un tel point que le principe de rivalité et de méchanceté le fait exploser de l’intérieur. Merteuil envoyait une déclaration de « guerre » à Valmont ; Thérèse blesse Firmin et le fait tuer d’une manière particulièrement répugnante. C’est elle qui va jusqu’au bout du « bonheur dans le crime », comme s’il ne pouvait en définitive y avoir qu’un vainqueur : »eh ! bien, vous, alors, on peut dire que la vie vous plaît » (28). Thérèse a perpétré sa volonté de puissance toute sa vie, elle est vieille et heureuse parce qu’elle est restée seule à contempler son œuvre diabolique. Quand on lui demande si elle ne souffre pas de sa solitude et du fait qu’elle n’aime personne, elle répond : «qui t’a dit que j’étais malheureuse ? » (53). La litote exprime le délice suprême : avoir éliminé celui a été son bras, son complice dans le mal, qu’elle n’aimait pas et qui la dégoûtait (307). Thérèse règne sur sa solitude heureuse après avoir orchestré le meurtre de son mari et avoir enterré tous ceux qui n’on jamais été que les instruments de sa volonté de puissance. Contrairement à Laclos, Giono ne fait pas gagner in fine la société et punir l’héroïne. Il rejoint +tôt Barbey et montre que le diabolique atteint la sérénité glorieuse, imperméable à tout remords. Le scandale du méchant impuni sert de conclusion au roman : « pourquoi voudrais-tu que je ne sois pas fraîche comme une rose ? » (370).

Le roman fonctionne donc sur une dynamique de couple, maléfique –masculin/ féminin- et fait triompher le Mal suprême, machiavélique, comme proprement féminin.

 

Une fascination pour la monstruosité féminine

Alors que Firmin incarne l’intéressé, motivé par l’argent, tenté par le sexe (« son sucre », comme le dit cyniquement Thérèse, p.309 ou 311 : « il avait envie de son petit sucre et quand il avait bien travaillé, je le lui donnais ») en la figure féminine seule réside le pur mystère du Mal pour le Mal. Thérèse n’agit pas pour de basses raisons matérielles, par calcul d’intérêt. Elle n’aime pas l’argent, la rétribution des faibles : « mais les sous ne m’intéressaient pas outre mesure. On m’aurait donné des millions, je les aurais pris, mais l’intérêt n’aurait pas été dans les millions. Il aurait été dans la manière de me les faire donner »(306). La victoire n’est pas dans le gain : « je me foutais de l’argent » (315). Car la cupidité asservit à l’argent et la sensualité au sexe. Tous sont attirés à leur perte dans l’appât du gain ou la luxure : le mal des hommes réside dans leurs passions vilement et mesquinement motivées. Thérèse comprend le ressort des actions humaines, comme Merteuil analysait les passions féminines et masculines pour réduire ses proies par une séduction facile : leur faire croire à chacun que c’est la 1ère fois qu’elle n’est + vertueuse pour l’un d’eux. Cette intelligente lucidité permet à la simple fille de basse extraction de tous les tromper : »un tel, que l’on disait si puissant, une simple petite blanchisseuse le menait par le bout du nez rien qu’avec la promesse de rester cinq minutes tranquille. L’autre, avec de bons repas, on le faisait courir où l’on voulait. On l’aurait fait se précipiter dans un sac. L’un était tenu par sa langue ; l’autre était tenu par ses pantoufles ; la +part étaient tenus par l’argent. La gourmandise, l’argent ; les femmes, l’argent ; la méchanceté, l’argent » (314-315). Autrement dit, les humains sont aliénés et la puissance consiste à profiter de leur aliénation pour les duper et les perdre. La femme maléfique traite les hommes comme des machines aux ressorts rudimentaires.

« L’âme forte » ne tombe pas dans le piège des sens et de la cupidité : elle domine parce qu’elle se maîtrise (valeur aristocratique), parce qu’elle sait contrefaire les passions : »j’appris très soigneusement à haïr avec le sourire. Et une chose beaucoup + importante : j’appris à faire exactement le contraire de ce que mon cœur me commandait de faire » (301-302). Dans le code des valeurs aristocratiques, on ne se soumet pas aux besoins naturels et aux faiblesses vulgaires : paraître y est le maître mot. Thérèse contemple son art achevé de la séduction : »je me regardais dans leur vitrine et je me disais : oui, mes agneaux, c’est cette petite bonne femme là, avec ses grands yeux innocents, c’est ce bébé qui peut vous posséder jusqu’au trognon si l’idée lui en prend » (314). Le thème du miroir, du dédoublement, fait naître l’opposition entre être et paraître, source de la tromperie et du Mal. On fait croire qu’on est autre que ce qu’on est : c’est une des tactiques du diable, qui apparaît sous des traits plaisants. + et mieux que Firmin, finalement mauvais comédien,  Thérèse peaufine son art de comédienne et utilise l’image de l’agneau pour désigner ses proies, victimes offertes au sacrifice par leur crédulité qu’elle méprise. La langue de Giono sert ici la violence de la révélation : le « trognon » désigne, sous une forme prosaïque et dégradante, le tréfonds de l’âme humaine.

Comme toutes les séductrices maléfiques, elle joue la mascarade amoureuse : « j’avais même inventé de toutes pièces des larmes et des petits soupirs de bonheur très réussis, je pensait: « s’il savait toute la gymnastique qu’il a fallu faire pour arriver à pleurer er à soupirer, il aurait le caquet bien rabattu. »Je m’aperçus que cette réflexion me le faisait mépriser [. ..] celles qui font l’amour avec de l’amour sont bien bêtes. Elles risquent gros et elles n’ont même pas la moitié du plaisir que tu as » (305). Thérèse démystifie les parades de l’amour et se sert de tous les signes sensibles pour tromper l’homme. Elle prend le pouvoir en se faisant passer pour l’aliénée par excellence : l’amoureuse. Thérèse n’est donc ni vénale, ni libidineuse ni amoureuse. Elle dépasse toutes les passions de la soumission féminine par son talent d’imitatrice. Pourtant on ne saurait parler de guerre des sexes : c’est une figure purement individuelle, comme toutes les grandes figures du Mal. L’égoïsme est à la base de ses actions, qui empruntent à la figure de l’athée, de l’aristocrate, avec un profond mépris pour la masse, le commun, le « menu fretin » (314).

C’est une sorte d’artiste du mal, apprenant par un travail silencieux, soigneux et acharné, à nuire, dominer, jouir d’avoir trompé, sans être jamais contaminé par le calcul d’intérêt matériel, trompant son monde avec une fausse bêtise, une candeur feinte. La femme semble donc + mystérieuse que l’homme, car l’origine de ses désirs demeure obscur : en privant Thérèse de la loi de l’intérêt calculateur qui réside en tout individu, Giono la pare de mystère et d’absolu. Il y a quelque chose d’insatiable dans son désir d’être : un vide vertigineux de son être où elle engouffre ses proies. Elle est, dans la profession de foi de son machiavélisme, d’une clairvoyance confondante : »je me dis : le monde est quand même bien fait. Les gens que tu vises ne tiennent à rien, sauf à aimer ; et ils te tombent dans les pattes. L’amour c’est tout inquiétude. C’est du sang le + pur qui se refait constamment. TU vas t’en fourrer jusque-là […] Alors, à la fin, je me montre nue et crue. Et ils voient que rien ne peut me combler. + on en met, + je suis vide. C’est bien leur dire : vous n’êtes rien. Vous avez cru être quelque chose : vous êtes de la pure perte » (318). Il s’agit de faire le vide en soi pour avoir toujours le dessus et sucer le sang de ses victimes comme un vampire. Mais cette volonté de puissance est aussi une passion poussée jusqu’à son comble, l’orgueil : « ce fut pour moi un coup terrible Je me dis : l’orgueil peut te perdre Tu t’es montée la tête Tu te crois quelqu’un. Tu ne seras rien si tu n’es pas humble » (318).

 

La passion de l’âme forte : l’orgueil

Thérèse règne sur elle-même et façonne son petit monde à l’aune de ses désirs. Elle devient le maître de Firmin, son créateur, mimant les plans divins de la construction du monde’ : »le monde ne s’est pas fait en un jour » (298). Son cri de guerre rappelle le « à nous deux Paris » de Rastignac, à la fin du Père Goriot : »au retour, je vis Châtillon devant moi. J’étais prête. Je me dis : « en avant ! » (317). Elle tisse avec patience ses machineries et fait de Firmin son pantin : « mets simplement un pied devant l’autre quand je te le dirai » (299). On découvre peu à peu qu’elle est le cerveau de l’œuvre maléfique : « cervelle, c’était moi. Je me savais forte à peu près en tout » (300). A l’orgueil, Giono ajoute donc le raffinement d’une rationalité exacerbée, utilisée pour nuire. Le parachèvement machiavélique de la ruse appartient à celle qui raisonne, quand Firmin ne suit que sa mauvaise nature de fripon. « Quand la malignité a la raison de son côté, elle devient fière et étale la raison dans tout son lustre » (Pascal). On n’est pas dans la simple ruse avec Thérèse, mais dans la raison mise au service du Mal.

 

Thérèse transgresse ainsi toutes les lois de son rang social et de soin sexe : elle est l’âme forte car supérieure, orgueilleuse, l’âme noire, la femme dénaturée qui mime l’amour et la maternité pour dépasser sa nature. Mais elle ne peut advenir à une telle noirceur que sur le fond d’une médiocrité humaine généralisée, qu’elle révèle par contraste et sur laquelle elle s’appuie pour mettre en œuvre ses plans diaboliques.

La place faite aux femmes dans la communauté rurale

Formidable créateur de personnages féminins, Giono campe en Thérèse une servante qui perçoit en tout homme un prédateur prêt à s’emparer sexuellement de sa proie. Dans une société encore régie par une stricte morale sexuelle, le déshonneur guette celle qui serait engrossée hors mariage, marquée à jamais du sceau de l’infamie. C’est pour échapper à cette marginalité que Thérèse se fait épouser par Firmin. Choisissant pour refuge après leur fuite le lieu le + misérable du bourg –une infâme cabane à chèvres susceptible de faire naître la commisération publique- T met en scène sa grossesse et son dénuement. Contrefaisant, non sans blasphème, une scène de Nativité, elle joue sur la corde sensible des spectatrices éventuelles et se fait l’ordonnatrice d’une crèche vivante.

Thérèse, reine de l’illusion, parie sur la solidarité féminine et en escompte un profit, symbolique autant que financier. Son projet se réalise : les femmes de la bourgeoisie lui offrent de quoi subvenir à ses besoins et à ceux du nouveau-né. Mais surtout, elles attirent sur elle l’attention de la génèreuse mécène : Mme Numance. Celle-ci se prend d’une passion d’autant + intense pour celle qu’elle transforme immédiatement en sa « fille » que la société ne peut concevoir le rôle d’une femme en dehors de la procréation. Thérèse n’attire autant Mme Numance que parce qu’elle est ce qu’il lui a toujours été refusé de devenir : une mère. La nostalgie de cet état auquel elle a toujours aspiré se manifeste du reste dans l’étrange jeunesse que conserve son visage malgré les ans.

ó La seule manifestation véritable du mal dans le monde naturel représenté par Giono serait-elle d’être femme et stérile, donc exclue du cycle de la vie par une fatalité) irrémédiable ? Contre ce mal, il n’y aurait pas de remède, car Mme Numance chercherait à substituer, dans la demeure cossue qu’elle occupait jusqu’alors, le cors maternel de Thérèse à son vieux corps, volatilisé. Le roman se donnerait à lire comme une réécriture du mythe de Narcisse, fondé sur la vue et la possible projection de soi en autrui. A moins que le couple Numance ne soit frappé de stérilité par sa trop grande proximité : leurs caractères sont si proches l’un de l’autre, leurs pensées sont si réciproquement lisibles, qu’ils forment un couple) quasi fraternel, au regard étonnamment bleu. De là à penser à la sanction d’une tendresse incestueuse…

 

Ordre et démesure

Malgré l’éloignement de leurs conditions respectives, Thérèse et Madame Numance se ressemblent par certains traits. Elles sont dotées de caractères entiers et déploient une volonté farouche pour parvenir à leurs fins.

Il y a en effet, chez Mme N, une dimension sacrificielle : toute sa vie est gouvernée par le désir de faire le bien, dût-elle en pâtir. Cette pensée chasse toute autre préoccupation et exerce une totale hégémonie sur son esprit : c’est une monomaniaque qui s’efforce d’atteindre la + haute générosité. Elle conçoit lucidement ss dons, en dehors de tout espoir de reconnaissance ou de gratitude. Elle sait à quel point ceux qu’elle oblige voudront oublier ses bienfaits, la fuir pour ne pas se sentir toujours débiteurs. Cette perspicacité ne l’accable pas : elle ne veut pas être une sainte. L’irrespect, l’ingratitude, la malveillance de ses « protégés » ne suscitent donc en elle aucune rancœur. L’acte de donner, pour peu soit pensé dans l’absolu, n’exige aucune contrepartie. Elle envisage même sa propre disparition comme la suprême et ultime manifestation de ses sentiments. Pour réellement offrir à autrui un bienfait, il faudrait se supprimer, faire disparaître ainsi la dette. Le don se consumerait dans un présent immédiat, sans souci aucun de l’avenir.

 

Un détournement de la charité

Avec les époux Numance, nous sommes donc loin de la conception chrétienne de la charité, vertu théologale, au même titre que la foi et l’espérance. Dans une optique religieuse, la charité soulage la souffrance et participe au dessein de Dieu : donner aux pauvres permet de participer à leur humilité et de témoigner d’un amour fraternel pour les démunis, proches du Christ par le cœur et l’esprit. La charité est une œuvre par laquelle il est possible qu’on soit justifié, que l’on conquière des droits à la survie des bienheureux, que l’on soit digne de la grâce. L’acte de charité permet de participer à la communion des saints.

Or la générosité de Mme Numance échappe à cet univers de piété. Elle se conçoit en dehors de tout souci de transcendance et d’éternité. La religion constitue dans le roman de Giono une culture et un spectacle, un divertissement, non un fons doctrinal ni un objet de foi. Elle appartient au monde environnant, mais la question de la survie de l’âme s’efface devant les plaisirs épicuriens du monde campagnard qui les entoure. La dimension carnavalesque vaut aussi pour cette composante paillarde. Le lecteur est convié à un banquet.

 

Le pourvoir imaginaire de Mme Numance atteint son paroxysme avec son évanouissement mystérieux : personne ne sait ce qu’elle est devenue, ne trouve trace de son corps. Son existence semble s’être consumée dans le suprême don : Mme Numance ‘est faite geste, offrande.

Or ce prodige la rapproche de Lucifer et de Thérèse, autre être de passion, autre être souverain : « rien dans les mains », ni l’une ni l’autre ne sera saisie sur le fait, car si Thérèse a bien été, comme elle le raconte, homicide et a su tuer Firmin à force de malignité, son crime est resté impuni jusqu’au moment du récit.

La question n’est donc pas celle de l’innocence ou de la culpabilité : le roman n’a pas à proposer une mis en accusation d’un personnage, ni à entamer son jugement. Ne sont dignes d’attention que les être pour qui la réalité n’a pas de consistance, qui sont capables, par la force de leur caractère, de substituer à ce que les autres nommes réalité, une représentation : « Séduite par une passion, elle avait fait des plans si larges qu’ils occupaient tout l’espace de la réalité. Elle pouvait se tenir dans ses plans quelle que soit la passion commandante ; et même sans passion du tout. La vérité ne comptait pas. Rien ne comptait que d’être la + forte et de jouir de la libre pratique de la souveraineté. » Ce qui fait du personnage un caractère, ce n’est donc pas seulement la force de sa volonté, mais sa faculté de détruire la fausse substance de la réalité en lui substituant une représentation, une vérité plurielle, de dissoudre le monde environnant par leurs projections imaginaires. Elles sont, à leur échelle, les romancières de leur propre vie.  Leur souveraineté est moins une volonté de puissance, la conquête d’une santé surhumaine, qu’un exercice périlleux et héroïque pour lutter contre le naturel, pour se contraindre à jouer le rôle qu’elles se sont assigné.

 

ó Conte dépourvu de toute morale édifiante, sociale ou religieuse. Pourvu que sa paix soit respectée, la communauté villageoise semble disposée à faire silence sur les crimes dont elle a eu vent, sur les turpitudes dont bruit la rumeur. Tout juste la disparition de Mme Numance aura-t-elle permis à la petite communauté de Châtillon de se reconstituer, une fois dissipée la cause de la perturbation… Généreuse jusqu’au bout, Mme Numance, tel le bouc émissaire, prend sur elle toute la violence de Châtillon pour l’en délivrer. La valeur sacrificielle de la générosité paraît indissolublement liée à une pulsion de mort irrépressible.  Si Mme Numance peut faire figure de « Christ de la maternité », aucune complaisance n’accompagne le récit de ses malheurs, car sa ruine est aussi son apothéose. Elle ne devient pleinement mère qu’en sachant que son amour restera à jamais incompris. La seule manière de donner sans rendre l’autre débiteur est d’assumer sa violence et sa stérilité. Peut-on appeler mal cet envers d’un « bien » trop démonstratif pour ne pas être suspect ?

 

La conquête de l’autonomie est au centre du combat mené par l’héroïne pour échapper à sa condition de femme, de pauvre et de domestique. Sa ténacité, fondée sur une énergie vitale jamais en défaut, la conduit à se défaire de tout scrupule pour dénouer peu à peu tous les liens qui entravent sa libération. Le mal peut sembler résulter de cet art de transformer autrui en simple moyen utilisé à des fins personnelles.

 

 

A la cruauté naturelle répondent les vices humains : « les serpents se réveillent dans la terre, ils sont en train de se désengluer les dents. L’image du serpent renvoie à la Bible comme au venin des méchancetés humaines. Châtillon, « inaccessible par temps des avalanches de boue et de dégel » (272) est un endroit dur et insalubre, une sorte d’enfer. Comme une sorcière sortie de sa tanière, Thérèse jouit d’une nature où l’ordre se fait par la force et l’extermination des faibles par des prédateurs : »Ah ! les corbeaux arrivaient. Ils venaient du sud. Ils allaient voir leurs villes sur le sommet des montagnes et remettre tout en ordre à coups de bec » (273).

 

 

 

Structure

1-      Veillée funèbre (7-53) à lumière tremblante des cierges

-         3 femmes rassemblées autour de dépouille du « pauvre Albert », dt mort renvoie à réminiscences mortuaires concernant d’autres défunts du passé : ceux du grand incendie ; le fils des Bertrand mort en Indochine (13) ; soldat pendu ds bois (14). Ms Albert, lui, « est mort simplement parce que c’était son heure » (19).

-         Commérages et ragots suggèrent société primitive, close, où contrôle social est important. Avarice, égoïsme, violence, soupçon, ivrognerie, goinfrerie, appétit de dominer cf « chut ! Rendez-vous compte qu’on veille un mort » (27) vs « on ne fait pas de mal », « si l’Albert l’entendait, il serait le 1er à rire »

-          Débat sur rites mortuaires : cérémonies, simple expression de la coutume, les morts n’ayant + besoin de rien vs « Au moins une caisse » et un prêtre (27) ; « on n’est pas des chiens » ; nature de l’homme demande dignité et respect (31) : « la mort, c’est sacré » (34).

-         Ms autour des morts et de leurs successions rôdent ds vautours qui s’abattent s dépouilles : « gros blond » fait rabattage derrière cercueil pr rafler bien des morts : cochons, moutons rachetés à bas prix aux endeuillés.

-         De +, celles qui dénoncent rapacité chez autres n’en st pas exemptes (42-45). On veut fre exception à la loi pr soi-même (46-50) : on ne s’entretue pas pr simple peut du gendarme (51) ; on est prêt à scier en deux armoires, lit, commodes, pendules, à déchirer draps et mouchoirs (50).

ó chœur de tragédie/ de pleureuses + avant-goût de société où Th, qui ne fait js que semblant de dormir, va évoluer.

      1er aperçu du perso de Th : 90 ans ; n’aime guère belles-filles et supporte 5’ seulement petits-enfants. « Alors, qu’est-ce qui vous reste ?/ Il me reste moi » (cf aussi 324 : « moi, il y avait d’abord moi » vs « Je ne serai pas comme vous » (53) : sans personne à aimer, la + jeune serait malheureuse

 

Histoire de Th p elle-même / interlocutrice de veillée (53-332)

 2-1 fuite du château (57-64)

- mariage refusé et choix d’une bonne éducation, pour que cadette sache, comme tante, broder, repasser, repriser le linge, tailler. Au départ, Th vient d’une famille ordinaire, où on souhaite pr fille éducation convenable pr jf d’origine populaire + mariage qui ne fasse pas déchoir ds hiérarchie sociale cf F molesté par frère de Th, p.55 « si tu ne laisses pas notre sœur tranquille, on te règle ton compte » + chez Charmasson « on vous serrait la vis ou alors, on ne faisait pas long feu ».

 - Th séduite par allure, robustesse et gentillesse de F, « gentil comme une fille » et qui « n’aurait pas fait de mal à une mouche ». Noter qu’interlocutrice complétera tableau en racontant présumée liaison avec fille de Prébois (73-74). Elle l’a entrepris et il s’est laissé faire : elle cherchera tjs à récupérer l’initiative, F ayant eu l’idée de l’évasion romanesque par la fenêtre, à l’aide d’une échelle et la nvelle qu’il est « compagnon passant dévorant du devoir » la laissant bouche bée, mais prête à lui «rabattre son caquet » ds que possible (66). Rapport de force

- Elle a 22 ans, lui 25. Sans le sou. 1ère dispute éclate : Th veut retourner au château, mais F a place à Châtillon. Th, saisie de peur, voit « des catastrophes, du malheur partout, des misères, jusqu’à imaginer des choses auprès dsq la mort n’est rien » (61).

 

 2-2 Arrivée chez Gourgeon

Peur du « trimard » ne la quittera pas, même si, invités à table du maître, Th se voit « déjà dans le monde » : « tu sais que tu es une belle bourgeoise » qd T met tablier neuf « pour faire la dame » (65) vs « Est-ce que tu aurais le front de me faire passer pour ta femme à la table de cet homme ? Est-ce que tu serais si malhonnête ? Où est le maire, où est le curé, où sont les sacrements ? Qu’est-ce qu’on est ? Des bêtes ? » (67).

 

- T à auberge de Châtillon (75)

- Stratégie pr déceler causes ds dettes ds N -87-120)

- Intervention d’interlocutrice sur Clostre et « village nègre » (120-135) , épisode ultérieur.

 

3-      Reprise de parole p tierce na

3-1 Mise au pt de stratégie de F (135-141)

3-2 Châtillon  (141-145)

3-3 Ls N (« ils se cachent ») (

3-4 Amr entre Th et Mme N (151-222)

3-5 F tombe entre mains de Réveillard (222-231)

3-6 Projet de F, financement et échec (231-249)

3-7 N, ultime recours + derniers mois de jouissance de ce qui leur reste de biens : « leurs 4 murs » (249-267)

      3-8 R chez les N : mort de M. N et disparition de Mme N (267-272)

 

      4-Retr en  arrière : version de Th

      4-1 apprentissage de vie à auberge (272-299)

 - Réflexions sur nature (272-274)

 - Th et ls sous (274-276)

 - T et la socio ds voyageurs (276-287)

 -  T « moraliste » : Châtillon et ss familles (287-292)

 - T directrice de cs : conseils à Artemare et Laroche (292-299)

 

   4-2 Discours de la méthode : Th ou le malin génie de la dissimulation.

 4-2-1 : préparation du terrain et 1ers exercices de simulation.

- prise de pv sur F : « la cervelle, c’était moi » (299)

- 1ers ex pratiq de dissociation ê/ paraître : âme (cœur, cervelle) et corps (300-303)

- 1ère déclaration d’amr selon cs pcipes : jouissance de Th transformée en dieu trompeur (303-309)

- prise en main de F, pantin de T (309-313)

- revanche sociale fantasmée et volonté de puissance de Th (313­-315)

 

4-2-2 méditations de Th : progression méthodique dans « connais-toi toi-même ». Levée du doute et idées claires óparodie des Méditations métaphysiques de Descartes ; archéologie des coulisses mentales de la romance avec Mme N.

 4-2-3 Sacrifice de l’argent offert comme l’hostie à la messe (317-318)

 4-2-4 « Néant incomblable » de T, révélateur de l’essence de ss victimes : de la pure perte ó Cette révélation fait advenir Th à son essence pure : « je suis qui je suis », parodie de la définition que Dieu donne à lui-même à Moïse sur le Mont Sinaï

4-2-5 ex d’application de méthode et ruse hyperbolique : imiter des choses vraies (319-326)

- grossesse instrumentalisée à fins de captation d’autrui.

- jeu pervers de T avec cscience de Mme N (326-332)

 

5- Reprise de l’histoire par interlocutrice : chute finale

5-1 Le deuil impossible de Mme N (332-339)

5-2 Lutte pr domination, violence et brutalité entre Th et F (339-343)

5-3 Clostre : démon de domination + violence (343-349)

5-4 Th et le muet. Scénarios de meurtres et d’évitements de meurtre (349-352)

5-5 Naissance ds enfants de Th et du muet + ténacité de volonté meurtrière de Th (353-356)

5-6 Episode du village nègre : Th instrumentalise Rampal et jouit de ss idées meurtrières (357-365)

 

6- Th reprend parole et termine récit de son histoire : mort de F comme dernier acte et dernier spectacle (365­- fin)

 

 

--Lectures et références)

Giono conteur nourri du conte des autres : Stendhal, Balzac, Dostoïevski, Faulkner.

 

Giono et La volonté de puissance de Nietszche, trad. en fçais en 1935 et dt on a retrouvé un exemplaire annoté dans la bibli de G :

-         G fasciné  par analyse n de désir inné + instinct violent d’accroître puissance, d’asseoir emprise sur monde : « le monde est volonté de puissance, volonté du faux qui s’effectue sous des puissances diverses ».

-         Ms N voit excellence par-delà Bien/ Mal vs T en-deçà du Bien et du Mal et Mme Numance au-delà.

-         Ds roman de G, ho ne st pas fils de Nature, ms ds humains qui ls ont engendrés : macération de rancoeurs et de rivalités fam, passions infernales, invivables : démesure comme variation d’une constante à l’œuvre jusque dans les médiocres existences.

 

G lecteur de Vistor Poirel : Essais sur le discours de Machiavel avec les considérations de Guicciardini : « tous les hommes sont enclins au mal : quand ils font le bien, c’est par quelque raison secrète qui se découvre avec le temps, père de toute vérité ».

 

Lieu

Drôme, paysage âpre et rude.

 

Etre et paraître : décor de figuration

Châtillon (141), « tréteau de 100 000 théâtres » : bourg de province vivant au rythme de la fin du XIXème s. vs 123 où jeune interlocutrice souligne passage à car + ch de fer.

 

Auberge ouverte à ts vents : carrefour où se croisent gens venus de partt et allant au-delà ds montagnes. Pt d’intersection ds trajectoires : Valence-Briançon- Italie ; malle d’Italie venant d’Avignon par La Charce, pr revenir vs Grenoble + Saint-Bernard. Fait résonner échos du monde ds leq le bourg est serti.

 

Personnages

Noirceur et force des  caractères inscrits dans une nature cosmique travaillée par des mouvements obscurs de création et de destruction.

 

Thérèse

-         F habitée par passion qui l’écarte du réel : Bovary ancillaire. Csciente de ne pvoir fuir réalité terne et médiocre ds laq elle est appelée à vivre, s’en sert comme d’une scène de théâtre où elle se fait metteur en scène de son propre personnage. Simulation, contrefaçon des sentiments pour manip pantins que dev pr elle autres.

-         Ambivalence dedans (« je me disais »)/ dehors/ ce que T imagine qu’il se passe au-deds d’autrui («elle se disait »)

-         Ayt voulu tromper amr maternel, T, prise à son pr piège, se met à aimer, ss emprise d’une force irrésistibe qui s’empare de son âme, de tt son être.

-         Décision d’abord informulée, puis de mx en mx perçue, de solder cptes avec F, qui est à origine de cata qui l’a arrachée à seule pers qu’elle ait js aimée ó pte paysanne dev « âme forte », càd résolue, allant jusqu’à fre tuer mari.

 

Thérèse et Mme Numance

-         feu dévorant d’absolu.

-         « P.ê. dans AF la petite Thérèse n’apparaît-elle que pour permettre, à travers la passion que celle-ci lui porte, à Mme N d’aller jusqu’au bout d’elle-même ds la générosité et le dépouillement de soi, tout comme cette dernière, en s’effaçant et disparaissant, va permettre à T de devenir une sorte de jumelle noire- un négatif- de son initiatrice, se réalisant dans la violence et la cruauté ».

 

M. et Mme Numance

- poussent au paroxysme générosité et don de soi, jusqu’à se laisser entièrement dépouiller, avec constance ds résolution de suivre pcipes jusqu’au bout.

 

Couple

-         Couple se déchire (lutte interne pr dominance) tt en montant stratégie visant, de manière cyniquement utilitaire, à tirer meilleur parti des gens.

-         Conception utilitariste du compagnonnage : dès le début, s’instrumentalisent l’un l’autre.

-         F + intéressé matér que T, qui se joue des autres, joue avec sa pr vie, selon motivations qui ne st pas claires pour elle-même. Joue avec puissance et ce qui la masque.

-          

 

Intrigue

2 jeunes domestiques décident de fuguer pour se soustraire au refus parental de leur mariage.

 

Fuite nocturne semble inaugurer romance idyllique que roman dément.

 

Forme

Roman en forme de dialogue autour d’Roman en forme de dialogue autour d’un mort que l’on veille.

 

Polyphonie

Vx de Th dblée par 2ème na qui a autre pt de vue.

ó G s’extrait du drame, maintenant ss pers de telle faç que leur ambiguïté déroute lecteur sur qui mystère rejaillit. G malin génie qui tire ficelles de pers en ls forçant à jouer son rôle : ê à la fois la victime et son destin. Se dner spectacle de lui-même ds incertitudes + tribulations d’existence et fre comme s’il était maître de la situation ; projet démiurgique de cstruire monde où excès = passage à limite qui pd distances à égard de prudence du juste milieu.

 

Vx de Th= vx cruelle

vx de F= vx brutale

vx de Mme N : vx de l’amour.

Vx de M.N = vx de générosité + amr partagé.

 

Th s’invente scénario intérieur qui se prolonge ds théâtre du monde extérieur.

 

Origines du mal

Fasciné par la violence (faits divers, crimes, déchaînements naturels), G se défie des déterminismes historiques et sociaux pour expliquer l’origine du mal : sa vision semble désigner un fond naturel traversé de soubresauts indomptables. Par-delà son individualité et sa situation, l’homme semble en quête d’un retour à ce tout originel que constitue l’être. Telle est la pulsion de destruction (pulsion de mort ?= que gouverne souterrainement ce que les hommes nomment, par habitude, le mal.

 

 

Théâtralité et contrefaçon : « faites tt pr sembler bonne » suppose qu’elle possède critères du bien, du bon.

T s’amuse à contrefaire expression ds sentiments : sourire ext qd haine habite intér.

T s’invente masques pr instrumentaliser discours sentimentale et amx simulé.

Ds adresses à son âme, met en sc acte de se masquer en anticipant puissance d’illusion.

Jouir d’être seule détentrice de clé d’intelligibilité de son comportement

 

Théâtre à dble scène : théâtre mental se prolonge dans théâtre du monde extérieur.

Lgage emprunté au registre théâtral : »Joue donc un peu  voir ta 1ère scène » (320).

 

Châtillon, théâtre d’opérations militaires, où Th déploie tte la force dt elle est cap pr dominer adversaire.

 

Scission  apparence donnée p vêtement/ absence de véritable moi chez bcp de gens ó Ebranlement âme de Th qd elle découvre bonté de l’amour

 Cf p.296 : « Je me disais bien que l’habit ne devait pas faire le moine, mais de là à en être sûre ! Tout le monde dit : Monsieur a un chapeau et a une redingote. C’est à force de jugeote que tu finis par te poser la question : qu’est-ce qu’il y a sous le chapeau ? Qu’est-ce qu’il y a sous la redingote ? »

 p.276 « l’important, c’était de figurer ».

« si vous n’en avez pas profité, c’est que vous êtes bête. Dans ce cas-là, rien ne sert à rien » (291).

 

vs souveraineté du sourire de ceux pour qui l’apparence n’est pas le cœur des choses et qui permet de discerner le vrai du faux, le modèle de la copie : »être et paraître, la différence que c’est ! Tu vas, tu viens, tu es quelqu’un ; et puis un beau jour ça éclate » (19), les coulisses, l’ombre de l’être qui se cache derrière l’apparaître, les machinations que Th a eu tout le loisir d’observer, si bien qu’elle décide de monter à son tour sur les planches, de jouer la comédie humaine, sciemment, als que les pantins qu’elle observe st mus p des passions mimétiques propre à la foule.

 

Au départ, la technique mise au point dans le secret de son intériorité s’articule aux fins poursuivies par F, dblées ds siennes propres, que ns n’apprenons qu’à la fin du roman. A peine installé à Ch, couple infernal s’entend sur « plan de travail » pr  tromper son « public » afin de se servir : F simule « forgeron de la paix », bon époux ramenant « tendrement la sainte Vierge à son bras jusqu’à leur nid », bon père de famille qui s’in quiète pr santé d’enfant, déclenchant inquiétude théâtralement mise en sc par Th.

Mise en œuvre de cette stratégie date de grossesse de T, grossesse délibérément décidée à fins de manipulation.

 

Th : faire sans âme, avoir l’air sans être. Imiter ce qui est +tivement «évalué par sens commun qui continue à servir de norme, de critère d’évaluation. Choisit transgression clandestine, ms opte pr maintien de norme qui permet de transgresser. Relativisme relatif : le chaos ne règne pas ds son esprit, son cœur, son corps, mais l’inversion volontaire de l’ordre.

 

Mme N ne prise que la face invisible des êtres : ce qui compte pr elle, c’est la beauté de l’âme



[1] Son grand père paternel, né en 1795, militaire et chef d’atelier sur un chantier de chemin de fer, devient un révolutionnaire carbonaro sous la plume de Giono, qui en fait le modèle d’Angelo dans le cycle du « hussard »

[2] Le Hussard sur le toit présente un monde atteint par une gigantesque épidémie de choléra, image de la guerre et symbole du mal auquel un héros stendhalien est confronté

[3] Réécriture du fragment des Pensées de Pascal sur le divertissement, ce roman est une sorte de polar métaphysique, dans lequel l’assassin tue par « ennui », le sang sur la neige étant un divertissement qui dissipe le néant de la condition humaine. Le mal n’est donc + extérieur, mais intérieur à l’homme. Le héros du roman, le capitaine de gendarmerie envoyé enquêter sur cette série de meurtres gratuits, finit par se tuer pour ne pas devenir semblable au meurtrier qu’il a pourchassé avant de mener une battue au loup.

[4] Il n’y a pas besoin de décrypter le miroir que le genre se tend à lui-même pour comprendre l’histoire racontée, contrairement aux Faux Monnayeurs de Gide, pionnier d’un métaroman qui devient, avec Nathalie Sarraute ou Alain Robbe-Grillet, le « nouveau roman ».