31 janvier 2020

LE HARENG SAUR

 

LE HARENG SAUR


Il était un grand mur blanc - nu, nu, nu,
Contre le mur une échelle - haute, haute, haute,
Et, par terre, un hareng saur - sec, sec, sec.

Il vient, tenant dans ses mains - sales, sales, sales,
Un marteau lourd, un grand clou - pointu, pointu, pointu,
Un peloton de ficelle - gros, gros, gros.

Alors il monte à l'échelle - haute, haute, haute,
Et plante le clou pointu - toc, toc, toc,
Tout en haut du grand mur blanc - nu, nu, nu.

Il laisse aller le marteau - qui tombe, qui tombe, qui tombe,
Attache au clou la ficelle - longue, longue, longue,
Et, au bout, le hareng saur - sec, sec, sec.

Il redescend de l'échelle - haute, haute, haute,
L'emporte avec le marteau - lourd, lourd, lourd,
Et puis, il s'en va ailleurs - loin, loin, loin.

Et, depuis, le hareng saur - sec, sec, sec,
Au bout de cette ficelle - longue, longue, longue,
Très lentement se balance - toujours, toujours, toujours.

J'ai composé cette histoire - simple, simple, simple,
Pour mettre en fureur les gens - graves, graves, graves,
Et amuser les enfants - petits, petits, petits.

 

Charles CROS
1842 - 1888

13 janvier 2020

Cher frère blanc

Cher frère blanc

 

Quand je suis né, j’étais noir

Quand j’ai grandi, j’étais noir,

Quand je vais au soleil, je suis noir,

Quand j‘ai peur, je suis noir,

Quand je suis malade, je suis noir,

Quand je mourrai, je serai noir

Tandis que toi, Frère Blanc,

Quand tu es né, tu étais rose,

Quand tu as grandi, tu étais blanc,

Quand tu vas au soleil, tu es rouge,

Quand tu as froid, tu es bleu,

Quand tu as peur, tu es vert,

Quand tu es malade, tu es jaune,

Quand tu mourras, tu seras gris.

Et c’est encore toi qui as le toupet

De me traiter d’homme de couleur !

Anonyme

14 novembre 2019

LE MAKI MOCOCO

Le Maki Mococo

 

Le Maki Mococo

Son kimono a mis

Pour un goûter d'amis :

Macaque et Okapi.

L'Macaque vient d'Macao,

L'Okapi d'Bamako.

Le Maki Mococo

Fait goûter ses amis

Pas de macaronis

Mais d'un cake aux kiwis

D'esquimaux au moka

Et kakis en bocaux

Quart de lait de coco

Cacao ou coca

Dans des bols en mica.

« Qui joue au mikado ? »

Dit l'Maki Mococo

Le Macaque dit oui

L'Okapi ne dit mot.

L'Macaque est un coquin

L'acolyte Okapi

Est du même acabit.

Le Macaque qu'a un coup

Pour gruger les gogos

Rafle tous les kopeks

Du Maki Mococo.

« Ah, mais, quoqu'c'est quoqu'ça ?

Dit l'Maki Mococo

Ton bien est mal acquis. »

Le Macaque dit « quoi ? quoi ? »

« Qui ? Qui ? » dit l'Okapi.

Le Macaque démasqué

Par le Maki Mococo

Prit sa kalachnikoff

Acquise à Malakoff

De Pépé le Moko

Qu'en canne il maquilla

C'est kif kif Chicago.

Mais le Maki Mococo

Au menton les boxa

Le Macaque est K.O.

L'Okapi dans l'coma.

« Ah mes jolis cocos

Comme vous êtes comiques ! »

Dit le Maki Mococo

Saisissant son kodak

Pour immortaliser

Cette scène à jamais

En un bel emaki

A vendre sur les quais

Conti ou Malaquais

Et qu'on ne l'oublie plus.

Le Maki Mococo

Est né à Mexico.

Il s'appelle Dudu.

 

Jacques Roubaud

 Les animaux de personne

03 septembre 2019

L'ALBATROS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’albatros

 

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

Charles Baudelaire (1821 - 1867)