Solena : "Papy, je dois mener une enquête historique auprès de mon entourage. Je dois inscrire le témoignage dans l’histoire de la société française. Je t’ai préparé quelques questions:

- Quel est le pays d’origine de tes parents ?

- Où ont-ils émigré ?

- Quand et comment sont-ils arrivés en France ?

- Pourquoi ont-il rejoint la France ?

- Où ont-ils vécu, quels étaient leurs métiers ?

- Dans quel contexte politique se trouvait la France à leur arrivée ?

- Ont-ils réussi à s’intégrer ? Si oui, comment ?"

Papy : "C'est une longue histoire d'amour entre l'Espagne, l'Algérie et la France.

La France conquiert l'Algérie entre 1830 et 1847. Puis l'Algérie est annexée à la France en devenant départements français. S'ensuit alors une colonisation de l'Algérie, d'abord par les militaires français qui y installent des exploitations agricoles, puis par des Corses, des Alsaciens, des Lorrains (qu'on appellera par la suite les Pieds Noirs) et enfin des immigrants étrangers (Maltais, Italien, Siciliens, et surtout Espagnols).

Ensuite tout se joue en Oranie, la région de la ville d'Oran.

Cette ville, fondée en 902 par des Arabo-Andalous, a été conquise et occupée par des Espagnols de 1505 à 1792. Oran est donc marquée par la présence et la culture espagnoles.

Avec l'arrivée des Français, une forte population d'exilés espagnols s'installe dans le département d'Oran vers les années 1890.

La misère pousse des Espagnols du sud de l'Espagne, qui travaillent dur, à s'exiler dans l'Oranais pour mettre en valeur des marécages, impropres à la culture, afin d'en faire des vergers et des jardins potagers florissants.

Deux choses sont à noter :

Le nom de notre famille, Ortola, vient du latin « orthus », ce qui veut dire jardin ou potager et laisse supposer que mes aïeux étaient des maraîchers de la région de Valence, où ce nom est très répandu.

Alméria est le nom d'une ville espagnole du sud de l'Espagne où est née ma grand mère maternelle. Non loin d'Alméria se trouve le port de Garrucha. Ce port était le point de départ pour de nombreux migrants qui partaient pour l'Algérie, essentiellement vers Oran.

Ainsi, l'histoire de ma famille commence avec l'arrivée de mes arrières grands parents à Oran.

Du coté paternel, il s'agit de la famille Ortola, celle de mon arrière-grand père, qui exerçait le métier de cantonnier, et de son épouse.

Du côté maternel, il s'agit de la famille Bastianini, celle de mon arrière-grand mère, avec ma grand- mère, prénommée Giovanna et sa sœur cadette Isabella.

Ces aïeux ont été naturalisés français.

Mon grand-père paternel, peintre en bâtiment, fait la guerre de 14/18 et épouse Félicie, Emilie Labeyrie veuve Martin, née à Niort, devenue professeure de chant et de piano à Oran.

Ils ont deux garçons, Emile mon oncle, et René, mon père, né en 1912.

Ma grand-mère maternelle, épouse Juan Jose Huerta et a deux filles, Lina, et Suzanne, ma mère née en 1921.

Puis la famille Ortola se déplace au Maroc où les opportunités d'améliorer sa situation économique sont plus nombreuses. Mais elle n'oublie pas de revenir de temps en temps à Oran voir sa famille. C'est lors d'une de ces visites que mes parents se rencontrent à Oran.

Il se marient et s'installent au Maroc à Meknès où je suis né en 1940. Mon frère, Yvon est né à Fès, et mes soeurs, Christiane et Marie-Thé, à Meknès.

A Meknès, mon père travaille à la Banque Populaire de Meknès. Cette banque mutualiste avait été créée par les commerçants et les agriculteurs de la région de Meknès. Mon père y est sous-directeur.

Depuis 1912, le Maroc est sous la tutelle de la France, conformément à un traité de protectorat. En 1955, le sultan Mohamed V obtient la fin du protectorat, le Maroc devient alors indépendant.

La banque de mon père procède à des restructurations, le poste de sous-directeur est supprimé. On propose à mon père une mutation à Agadir ou un licenciement avec dédommagement. Il choisit le dédommagement et nous rentrons en France.

Arrivé en France, il s'attache à trouver du travail dans la comptabilité, sa spécialité, à loger sa famille et à assurer les études des enfants.

Mon père ne se plaignait jamais. Je sais maintenant qu'il a été très courageux. En plus de son travail, il se levait très tôt le matin pour faire des comptabilités à la maison.

Mes parents d'abord, puis moi quelques mois plus tard, sommes arrivés en France en 1958, au début de la V ème République, sous la présidence de son fondateur, Charles De Gaulle.

Nous n'avons pas eu, à vrai dire, de réels problèmes d'intégration.

Nous étions Français depuis quatre générations, éduqués dans des écoles françaises.

Amoureux et admiratifs de la France et de sa culture".

Papy,

le 15/01/2017