Il y aura un siècle, le 31 mars 1917, lors de la première Guerre mondiale, naissait mon arrière-grand-mère, Marie, dans une petite ferme de montagne isolée près de Grenoble.

Elle vit sa jeunesse au milieu de ses six frères et sœurs et, à quatorze ans, obtient le Certificat d’Études Primaires. Lors de l'épreuve de dictée, les enseignants préviennent les candidats qu'un mot anglais figure dans le texte, et de ce fait, l'écrivent au tableau. Il s'agissait du mot "football" !

A 17 ans, elle part travailler en usine. Elle devient ourdisseuse. Ce travail consiste à préparer les fils et à les monter sur la trame des métiers à tisser. Son entreprise de tissage est située dans la vallée, à trois heures de marche. Comme beaucoup d'autres jeunes ouvrières, elle est logée sur place la semaine et ne rentre que le week-end pour aider aux travaux de la ferme.

Le samedi soir, pour se distraire avec ses frères et sœurs, elle va danser dans les petits bals organisés dans chaque village, voire dans de nombreux hameaux. C'est le règne de l'accordéon, du musette et de la java.

Septembre 1939 ! La guerre est déclarée et les frères et beaux-frères de Marie sont mobilisés. Les uns sur les fronts de l'Est et du Nord, d'autres sur celui des Alpes. Le front des Alpes défend les frontières franco-italiennes, repoussant les assauts de l’Armée italienne et lui infligeant de nombreuses pertes.

Pour le front Nord-est, dès le 4 septembre 1939, des soldats de l’armée française avancent jusqu’à la ligne de défense allemande, la ligne Siegfried, située juste après la frontière allemande, à Saarbrücken(Sarrebruck). L’opération ne fait pas de morts. Les 7 et 8 septembre 1939, les troupes françaises continuent leur avancée en Allemagne. Elles occupent rapidement 40 villages en Sarre sans rencontrer beaucoup de résistance. Le 12 septembre, Gamelin, général de l'armée française, donne l'ordre aux troupes françaises de stopper leur avance. Le 21, il donne l'ordre de repli. Lorsque les Français repassent la frontière, le bilan est de 27 tués, 22 blessés, 28 disparus.

La vie continue normalement pendant la "Drôle de guerre" où il ne se passe rien. Seule manifestation, des masques à gaz sont distribués aux populations. Ils doivent être disponibles à tout moment.

Mai 1940 ! Les armées allemandes déferlent sur la France et balaient les troupes françaises. L'Italie déclare à son tour la guerre mais ne peut briser la résistance du front des Alpes. L' Armistice met fin aux combats et la France est occupée. Mais un des frères de Marie et son beau-frère sont faits prisonniers. Ils le resteront durant cinq ans.

Un nouveau gouvernement, dirigé par le Maréchal Pétain se met en place et prend de nouvelles mesures dans le cadre d'une "collaboration" avec le régime nazi de Berlin. Ces mesures sont dirigées principalement contre les Juifs, les Tziganes, les communistes et les Francs-Maçons.

La France est alors victime d'un pillage systématique de ses richesses et de sa production agricole. Le ravitaillement en nourriture devient problématique dans tout le pays. Le régime de Vichy prend également une autre mesure en créant les "Chantiers de Jeunesse" destinés à remplacer le service militaire des jeunes hommes français entre 1940 et 1944, notamment à travers des tâches d'intérêt général. Ces jeunes hommes vivent en camps près de la nature, à la manière du scoutisme et accomplissent des travaux d’intérêt général, notamment forestiers.

Un de ces Chantiers s'installe à proximité de la ferme. Son activité est tournée vers la production de charbon de bois, indispensable pour alimenter en carburant les gazogènes des véhicules privés.

Bien évidemment, les jeunes du Chantier se retrouvent aussi aux bals du samedi et ce qui devait arriver arrive : Marie fait la connaissance d'un jeune Lyonnais, Paul, qui deviendra mon arrière-grand père.

Du 17 juillet 1942 au 2 février 1943, la Bataille de Stalingrad fait rage. Il s'agit d'une bataille entre les forces de l'URSS et celles du Troisième Reich et de ses alliés, afin de prendre le contrôle de la ville. Elle a coûté la vie à environ 750 000 militaires et à 250 000 civils, venant de 6 pays. Ce fut une des batailles les plus meurtrières de l'histoire.

Marie et Paul se marient en 1943, un mois après la victoire soviétique de Stalingrad, et viennent vivre à Lyon. Marie retrouve immédiatement du travail dans une des plus grandes entreprises de tissage de sa nouvelle ville, alors que Lyon est encore considérée comme la capitale de la soierie. Paul, lui, est mobilisé dans les rangs de la Croix-Rouge; il connaît les horreurs des bombardements en participant aux déblaiements et aux secours apportés aux victimes, mortes ou blessées.

A une époque où la pénurie est la règle dans tous les domaines de la vie courante, s'installer en ménage représente une véritable gageure : trouver un logement : ce sera une seule pièce ! Quelques meubles ? Ils seront prêtés par des parents et amis ! De la vaisselle et quelques ustensiles de cuisine ? Là encore, merci aux parents et amis !

Mais la plus grosse difficulté est de trouver à se nourrir ! Le ravitaillement est une hantise et une obsession pour tout le monde; rien ne peut être obtenu sans tickets de rationnement ! Les perdre serait une catastrophe! Pour pouvoir acheter quoi que ce soit, il faut faire la queue, des heures durant parfois ; et lorsque son tour arrive enfin, voir quelques soldats allemands munis de bons de réquisition, prendre le peu qui reste dans la boutique n'est pas rare. Marie racontait souvent l'anecdote d'une distribution exceptionnelle de volaille d'où elle revint avec un cou d'oie !

Il arrive quelquefois que l'on sonne à la porte ; c'est le facteur qui apporte un colis de victuailles envoyé par ses parents de la ferme. On n'aura pas faim, ni aujourd'hui, ni demain.

Pour les jours d'après, on verra !

Et puis, la vie de tous les jours ce sont les alertes régulières aux bombardements qui nécessitent de se mettre à l'abri dans les caves, le claquement des chaussures à semelle de bois sonnant sur les trottoirs (puisqu'il n'y a plus de cuir), les coupures trop fréquentes du gaz et de l'électricité, le froid des hivers où l'on ne peut se chauffer faute de charbon, les Ersatz palliant les produits disparus, le Marché Noir et la présence permanente et suspicieuse de l'Occupant et de la Milice. Le Marché Noir est un marché clandestin destiné à ceux qui veulent échanger des marchandises à coûts plus bas. La Milice, quant à elle, est une organisation ayant pour but de lutter contre la Résistance. La Milice participe aussi à la traque des Juifs et des autres « nuisances » des Nazis.

1944 ! Marie est enceinte de mon grand-père et bénéficie de ce fait, d'un repas chaud fourni par l'entreprise. Lorsqu'elle revient de la maternité au tout début de janvier 1945 avec son fils nouveau-né, le logement que Paul avait pourtant chauffé du mieux qu'il avait pu, marquait une température de zéro degré.

Les événements se précipitent: après le débarquement du 6 juin 1944 et la libération de Paris, les Alliés débarquent en Provence et remontent les vallées du Rhône et de la Saône. Les Allemands refluent en détruisant tous les ponts.

Durant trois jours, Marie voit défiler cette armée en déroute utilisant tous les véhicules possibles, et même un vélo sans pneus. Elle voit également des femmes être tondues pour avoir eu des relations avec des Allemands.

La France libérée, les difficultés d'approvisionnement dureront encore plusieurs années, et il faudra atteindre le début des "Trente Glorieuses" pour mener une vie normale.

Marie a eu deux enfants et quatre petits-enfants, dont ma mère, Claire !

Elle est décédée en août 2011 à l'âge de 94 ans.