Il y a malheureusement sur Terre des enfants qui naissent dans des familles brisées, décomposées, en manque de moyens ou de temps pour s'occuper d'eux, ou bien qui se font abandonner, puis adopter quand ils ont de la chance ou au contraire qui restent de longues années seuls. Ils grandissent parfois dans des pays qui leur offrent des conditions de vie difficiles, parce qu'ils sont en guerre, ou rongés par la pauvreté. Mais ces enfants ont, quoi qu'il arrive, une histoire, forcément différente de celle des autres, qui a contribué au déroulement de l'Histoire en général. J'ai eu la chance de naître dans un pays où la Liberté est une valeur fondamentale, et où les conditions de vie sont relativement simples, à une époque où la guerre n'était plus d'actualité. La misère n'a jamais touché ma famille, que certains pourraient qualifier de ''normale''. J'ai grandi entourée de mes deux parents et de ma grande sœur. Je n'ai jamais été réellement seule. Je n'ai jamais connu de divorces, de séparation, je n'ai jamais perdu de proche, je n'ai jamais vu la violence telle que d'autres ont pu la voir. J'estime qu'il est important de perpétuer nos souvenirs, que notre vie ait été facile ou non. J'ai encore des choses à faire, à voir, à ressentir, à vivre ; c'est pourquoi j'ai décidé de parler de ceux qui, au contraire, ont déjà une vie bien remplie. J'ai encore avec moi mes quatre grands-parents, et je souhaite raconter leur histoire, qui, peut être, a eu lien avec la vôtre, d'une manière ou d'une autre.

Ma grand mère maternelle s'appelle Marie-Louise Charpentier (de son nom de jeune fille Delaporte). Je l'appelle aujourd'hui mamie, et j'ai passé une grande partie de mon enfance avec elle, elle a toujours été un modèle pour moi. Elle est née le 15 décembre 1940 à Tlemcen en Algérie, avec ses deux parents pour l'éduquer. Elle avait aussi à ses côtés ses quatre frères et sœurs : Jean-François, né en 1935 en France à Confolens en Charente (16), Jeanne-Marie, née en 1938 à Tlemcen, Jean-Charles, né en 1943 à Tlemcen, et Marie-Thérèse, née en 1945 à Tlemcen.

 

Ses parents s'appelaient Angèle Champion et Michel Delaporte. Sa mère est née en 1912 à Manot en Charente, et son père en 1904 à Saverdun dans l'Ariège (09) en France. Ils se sont rencontrés à Tlemcen, où ils étaient partis vivre dans le cadre de leur travail. Angèle était institutrice et on lui avait proposé un poste en Algérie, et Antoine était militaire pour l'armée française. Ils ne sont restés là-bas qu'une dizaine d'années. Ils sont rentrés en 1945 à cause des tensions qui montaient en Algérie sous l'occupation française, et parce que tout le reste de leur famille vivait en France.

Angèle arrête de travailler à la naissance de Marie-Thérèse, la petite dernière, afin de s'occuper de ses cinq enfants. À leur retour en France, ils s'installent en Charente chez le père d'Angèle, mais n'y restent que quelques mois. Par la suite, la famille rejoignent les parents de Michel en Ariège, jusqu'à ce qu'ils trouvent une maison et un travail. Antoine obtient finalement une place en tant qu'ouvrier dans une usine de fabrication d'aluminium, dans un village non loin du domicile parental. Ils s'installent dès lors dans leur maison en 1947. Trois ans plus tard, Angèle demande un poste d'institutrice, mais le seul qu'on lui propose est en Seine Maritime (76), ce qui vaut à la famille un nouveau déménagement.

En 1950, Marie-Louise quitte pour six ans sa famille pour faire des études en Ariège afin de devenir institutrice elle aussi.

« J'étais très triste d'avoir quitté mes frères et sœurs, je ne m'amusais pas beaucoup, mais bon, c'était comme ça. Et puis ils étaient partis en pension pour étudier eux aussi, sauf ma petite sœur, Marie-Thérèse, qui était encore jeune. Tout se passait bien pour mes parents. On s'écrivait régulièrement des lettres puisqu'on n'avait pas le téléphone à cette époque, c'était trop cher. Un jour, cinq ans après mon départ, j'ai appris que ma petite sœur était morte. Elle était inscrite à l'école du village où ma mère enseignait, et, à une récréation, alors qu'elle jouait avec ses camarades, elle s'est cognée la tête avec un petit garçon. Ma mère n'a pas vu le choc parce qu'elle s'était absentée quelques minutes, et en revenant elle a trouvé Marie-Thérèse les mains devant son visage, et le petit garçon par terre. Ça a été un peu douloureux, mais ils sont retournés jouer rapidement. Et puis le soir, à table, la petite s'est plainte d'un mal de tête. Mais mes parents lui ont dit que ce n'était sûrement pas grave, et que ça irait mieux le lendemain. Tu sais, à ce moment là quand on avait un peu mal quelque part on n'en faisait pas tout un plat, et puis il n'y avait pas tous les médicaments d'aujourd'hui. Alors elle est allée se coucher. Mais au réveil, maman l'a trouvée morte. Elle avait tout juste 10 ans. Ça semblait impossible pour moi, on m'a prévenue le jour même, mais j'avais reçu une lettre d'elle la veille, et elle était en pleine forme. Le jour de sa mort les enfants du village sont allés à l'école mais maman leur a dit ''rentrez chez vous et dites à vos parents qu'il n'y a pas école aujourd'hui, Tatou est morte''. Tout le monde connaissait ma mère et ma petite sœur, alors ça a été un drame. On ne s'y attendait absolument pas, et puis si jeune... Je suis rentrée à la maison pour son enterrement, et mes frères et sœurs aussi. Je me souviens, il y avait un monde fou... », Sur ses mots ma grand-mère s'est tu, et j'ai vu dans ses yeux que c'était comme si c'était hier.

Après le décès de Marie-Thérèse, Angèle ne peut plus vivre dans leur maison familiale, c'est trop dur. Alors, avec Michel, ils déménagent dans un village voisin.

En 1956, Marie-Louise est admise à l’École Normale de Foix, toujours dans l'Ariège. Elle obtient son diplôme d'enseignante en 1960 et part à Sèvres pour se rapprocher de sa famille ? C'est là qu'elle rencontre mon grand-père, et depuis, ils ne se sont plus quittés.

La deuxième sœur de ma grand-mère, Marie-Jeanne donne naissance à une petite fille en 1960. Elle n'a jamais révélé qui était le père. Un an après sa naissance, Marie-Jeanne décède, elle n'a que 22 ans. C'est à nouveau très dur pour Angèle et Michel, qui se retrouvent à devoir élever l'orpheline prénommée Nathalie. Elle a aujourd'hui 57 ans.

Les parents de Marie-Louise ne déménagent plus jusqu'en 1972, l'année de la retraite de sa mère. À ce moment-là, Michel est devenu handicapé moteur (on a su plus tard qu'il avait la maladie d'Alzheimer, et qu'elle a eu des conséquences sur son handicap). Il doit désormais se déplacer en fauteuil roulant. Ainsi, lorsqu'ils ont fait construire leur nouvelle maison, ils prévoient des portes assez larges pour le passage du fauteuil ainsi que des pièces adaptées. Mais Michel décède avant même que la construction de la maison ne soit terminée. Angèle y vit seule jusqu'en 1991 puis lorsqu'elle tombe malade, elle vient s'installer chez Marie-Louise au Mesnil-Saint-Denis. Elle y décède la même année. L'année suivante, c'est son fils Jean-François, le frère de ma grand-mère, qui meurt d'un cancer.

 

Aujourd'hui, il ne reste des cinq enfants que ma mamie et son deuxième frère Jean-Charles.

 

Mon grand-père maternel s'appelle Paul Charpentier, je l'appelle papi, et je n'ai jamais été très proche de lui, malgré le fait que j'ai passé du temps avec. Il est très silencieux, et semble renfermer des milliers de souvenirs. Il est impressionnant, surtout pour les enfants, parce qu'il a l'air très sérieux à première vue, peut être même sévère. Mais comme ma mamie, c'est un modèle pour moi.

Il est né le 10 septembre 1932 en France, à Auriat, dans la Creuse (23). Il vit là-bas pendant 20 ans, avec son frère et sa sœur : François, né en 1926 à Moulins, et mort en 2007 ; et Madeleine, née en 1928 à Moulins aussi, et toujours en vie à ce jour.

Son père s'appelle Julien Emile Charpentier, mais on l'appelait Emile. Il est né en 1899 à Saint Amand Jartoudeix dans la Creuse aussi. Il était jardinier et gardien de château. Il possédait 5 vaches dont il vendait les veaux. Il cultivait aussi des légumes.

Sa mère s'appelait quant à elle Solange Maynial, elle est née en 1905 à Auriat et n'a travaillé qu'en tant que lingère dans sa jeunesse. La vie était très chère à cette époque, et ils ne gagnaient pas beaucoup.

Emile a connu la Première Guerre mondiale, mais il ne participe pas aux combats puisqu'il n'a pas 18 ans à cette période, mais il est appelé pour occuper l'Allemagne après la victoire de l'armée française. Il a aussi connu la Seconde Guerre mondiale, tout comme mon grand-père, mais ils vivaient en zone libre. Ils ont caché des maquisards dans le château que Emile gardait, et une fois, les Allemands sont venus visiter ce dernier. Heureusement, les maquisards n'étaient pas présents ce jour-ci.

Mon papi quitte le domicile familial pour aller travailler en tant qu'enseignant à Issy-les-Moulineaux dans les Hauts-de-Seine (92). Il n'a pas le choix, c'était ce métier ou rien, et puis, même si il avait eu d'autre alternatives, il n'a pas idée du métier qu'il veut faire à cette époque. Ainsi, il part vivre là-bas, puis déménage à Sèvres dans le cadre de son travail, où il rencontre ma mamie. Ils se marient en 1962, puis s'installent à Versailles. Mon grand-père voulait enseigner dans le public, mais il ne gagnait pas beaucoup. Ils vivaient dans un petit appartement. Quelques temps après, ils partent à Feucherolles, toujours dans la région parisienne, parce que Paul doit passer d'un poste d'instituteur remplaçant à un poste d'instituteur titulaire. Là-bas, ils ont deux enfants : ma maman, Françoise, Anne, née le 6 juin 1964 à Versailles ; et mon oncle, Pierre, né le 17 septembre 1965, lui aussi à Versailles.

Ils restent à Feucherolles pendant quelques années, et en 1974, ils achètent une maison au Mesnil- Saint-Denis, suite à une erreur de la part d'un notaire, parce que les logements à Feucherolles sont trop chers. Aujourd'hui, ils vivent toujours dans cette maison, qui serait désormais vendue bien plus cher que son prix initial. Mon papi est à la retraite depuis 1987, et ma mamie depuis 1996.

Malgré des dizaines d'opérations, trois cancers et d'autres malheurs, ils sont tous les deux en vie et peuvent me raconter leur passé, pour que jamais nous n'oublions pas qui ils sont et ce qu'ils ont vécu, et pour que nous gardions à l'esprit qu'avec leur famille, ils ont fait partie de l'Histoire.