Lectures analytiques 2016-2017.
Par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91)) le 14 septembre 2016, 16:17 - Lien permanent
Voici les lectures analytiques pour le Bac de Français
Par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91)) le 14 septembre 2016, 16:17 - Lien permanent
Voici les lectures analytiques pour le Bac de Français
Commentaires
Lecture analytique 1: les Bijoux de Baudelaire.
I. Un "bijou" littéraire: un beau texte.
a) le corps de la femme est sublimé:
- insistance sur les parties du corps par
- la beauté de la femme envahit la poème
= un éloge, un hymne à la beauté du corps de la femme. Le poète reprend la tradition poétique du BLASON (déf: Le "blason" est un court poème célébrant une ou plusieurs parties du corps féminin. Mode du blason date du XVIème siècle).
- un poète envoûté
= mélange des sens fréquent dans la poésie de Baudelaire: LA SYNESTHESIE
II. Un texte qui a vraiment choqué en son temps (1857)
a) un texte érotique
b) une femme troublante
c) un texte qu'on a pu être considéré comme une offense à la religion: référence du poème au Cantique des cantiques (partie de la Bible): "nous verrons si la vigne bourgeonne... alors je te ferai don de mes amours"
Texte:
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, XX. LES BIJOUX.
LES BIJOUX
La très-chère était nue, et, connaissant mon cœur,
Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores,
Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur
Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures.
Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,
Ce monde rayonnant de métal et de pierre
Me ravit en extase, et j’aime avec fureur
Les choses où le son se mêle à la lumière.
Elle était donc couchée, et se laissait aimer,
Et du haut du divan elle souriait d’aise
À mon amour profond et doux comme la mer
Qui vers elle montait comme vers sa falaise.
Les yeux fixés sur moi, comme un tigre dompté,
D’un air vague et rêveur elle essayait des poses,
Et la candeur unie à la lubricité
Donnait un charme neuf à ses métamorphoses.
Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
Polis comme de l’huile, onduleux comme un cygne,
Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ;
Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne,
S’avançaient, plus câlins que les anges du mal,
Pour troubler le repos où mon âme était mise,
Et pour la déranger du rocher de cristal,
Où calme et solitaire elle s’était assise.
Je croyais voir unis pour un nouveau dessin
Les hanches de l’Antiope au buste d’un imberbe,
Tant sa taille faisait ressortir son bassin.
Sur ce teint fauve et brun le fard était superbe !
– Et la lampe s’étant résignée à mourir,
Comme le foyer seul illuminait la chambre,
Chaque fois qu’il poussait un flamboyant soupir,
Il inondait de sang cette peau couleur d’ambre !
Charles Baudelaire, « Les Bijoux », Les Fleurs du Mal, 1857.
Lecture analytique 2: les métamorphoses du vampire.
1) une femme toute-puissante et dominatrice.
a) elle est omniprésente et omnisciente (elle sait tout).
- discours direct qui prend plus de 10 vers: elle a le pouvoir de la parole, aucune communication avec le poète.
- Pronom de la première personne en position sujet et en début de vers: "moi" répété au début et à la fin de la tirade et renforcé à la rime par "émoi" + pronom "je" sujet des actions. Narcissisme désagréable au lecteur.
- la gradation v. 10 "Le lune, le soleil...": la femme prend des dimensions cosmiques. Elle éclipse Dieu. Défaite de la religion exprimée aussi par "les anges impuissants" qui s'oppose à "mannequin puissant" v. 23. ou "triomphants" v. 7
- une femme orgueilleuse qui prétend tout connaître: double diérèse sur "science" et "conscience", intensif" si" dans l’expression "si docte" v. 11. Elle semble supérieure, écrasant le poète dont elle se moque "mon cher savant" en le rabaissant. Elle semble prendre plaisir à la régression des hommes avec l'antithèse "fais rire les vieux du rire des enfants", voire à la mort de ses proies "j'étouffe un homme" v. 12, qu'elle dévore (champ lexical du cannibalisme: "sucé toute la moelle"v. 17, "fait provision de sang" v. 24). Elle détient des pouvoirs mystérieux dont elle se vante, elle semble une prédatrice irrésistible et invincible
b) son corps est sublimé
- les parties du corps évoquées sont sexuellement connotées comme les "seins" répété v. 3 et 7, "la lèvre humide" v. 5, "sa bouche" v. 1. Reprise de la tradition du blason
- "la femme" premier mot du texte est capable de provoquer des désirs et des sentiments violents: allitération en m: "matelas", "pâment", "émoi" et lexique de l'amour "languissamment", "un baiser d'amour". Son propre désir est exhibé: "se pétrissant les seins" v. 3
- elle éveille les sens: le goût avec "fraise", l'odorat avec le parfum "musc", la vue "qui me voit nue et sans voile"...un mélange des sens caractéristique de la synesthésie.
c) la double visage de la femme: un mélange de force et de faiblesse.
- série d'antithèses "timide", "libertine", "fragile", "robuste": une femme insaisissable et troublante.
- à la fois prédatrice: "j'étouffe un homme" et proie" morsures mon buste"
- à la fois consolatrice, maternelle "je sèche tous les pleurs" et méprisante "fais rire les vieux du rire des enfants".
2) un texte fantastique.
a) une vision infernale
La femme incarne le Mal:
- comparaison avec le "serpent" v. 2, "étouffe" v. 12: allusion au serpent tentateur d'Eve dans la Genèse
- défaite de dieu: "les anges impuissants se damneraient pour moi": la femme est une figure satanique et ensorcelante.
- "la braise" évoque le feu de l'enfer et le corps de la femme qui se tord (v. 2) rappelle les tortures de l'enfer.
b) le brusque retour à la réalité.
- le poète semble se réveiller d'un rêve: opposition entre "je fermai les deux yeux" et "je les rouvris". Mais, c'est la réalité qui semble un cauchemar: "froide épouvante"
- une vision qui provoque l'horreur: assonance en u et allitération en l: "pus", "plus", "gluants", "une" v. 20. Enjambement et point d'exclamation qui montre le dégoût.
- une vision dégradée de la femme, l'inverse de sa splendeur: des sonorités désagréables: "cri", "débris". la femme réduit à un "squelette" puis à une chose "girouette", "enseigne". Des termes concrets, de la vie laide, quotidienne et réelle comme "girouette", "tringle de fer" qui tranchent avec par exemple le vers 10: "la lune, le soleil....".
- la rime en "ette" semble ridicule. On peut penser que c'est le poète qui se moque de ce que la femme est devenue, une sorte de vengeance.
Texte:
Les métamorphoses du vampire
La femme cependant, de sa bouche de fraise,
En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise,
Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc (1),
Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc :
" Moi, j'ai la lèvre humide, et je sais la science
De perdre au fond d'un lit l'antique conscience.
Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants,
Et fais rire les vieux du rire des enfants.
Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,
La lune, le soleil, le ciel et les étoiles !
Je suis, mon cher savant, si docte aux Voluptés,
Lorsque j'étouffe un homme en mes bras redoutés,
Ou lorsque j'abandonne aux morsures mon buste,
Timide et libertine, et fragile et robuste,
Que sur ces matelas qui se pâment d'émoi,
Les anges impuissants se damneraient pour moi ! "
Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,
Et que languissamment je me tournai vers elle
Pour lui rendre un baiser d'amour, je ne vis plus
Qu'une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus !
Je fermai les deux yeux, dans ma froide épouvante,
Et quand je les rouvris à la clarté vivante,
A mes côtés, au lieu du mannequin puissant
Qui semblait avoir fait provision de sang,
Tremblaient confusément des débris de squelette,
Qui d'eux-mêmes rendaient le cri d'une girouette (2)
Ou d'une enseigne, au bout d'une tringle de fer,
Que balance le vent pendant les nuits d'hiver.
(1): busc: lame de baleine ou d'acier qui maintient, devant, la rigidité d'un corsage ou d'un corset.
(2) Instrument muni d'une flèche, mobile sur un pivot, placé au sommet d'un édifice pour indiquer la direction du vent.
Le Léthé.
IMAGES DE LA FEMME
Femme à plusieurs visages ; maternelle, douce/dangereuse, vide, sans émotion. Femme = porteuse et guérisseuse du spleen, elle est le remède, le baume (népenthès) et le poison (ciguë). L'élément liquide, caractéristique de la femme, domine le texte.
1) la femme apaisante.
lexique de la souffrance du poète "sanglots", "tête endolorie": femme consolatrice. Poète = un enfant qui vient trouver refuge dans les jupes de sa mère "Dans tes jupons remplis de ton parfum". De même "je sucerai" dans la dernière strophe renvoie à un état de nourrisson, nourri au sein de sa mère.
le poète s'adresse directement à la femme avec le pronom "tu": la femme lui est familière.
La femme aimée éveille les sens du poète: on retrouve l'idée de synesthésie qui provoque l'ivresse du poète en le plongeant ici dans un état d'abandon proche de l'effet d'une drogue (opium)
- le toucher avec "plonger mes doigts tremblants/ Dans l'épaisseur de ta crinière lourde" ou "ton beau corps poli comme le cuivre"
- l'odorat avec "remplis de ton parfums". Cependant, un lien avec la mort: allitération en "f": "fleur flétrie", "défunt". De même "doux relent" renvoie à une odeur écoeurante, désagréable.
- le goût avec "je sucerai", "le népenthès" "la bonne ciguë": là encore antithèse entre le médicament et le poison
Eloge du corps de la femme: elle est d'abord vêtue "jupons" puis nue "beau corps poli comme le cuivre":
- on retrouve la tradition du blason: vocabulaire mélioratif comme "beau" ou "charmants" associé aux parties du corps fortement érotisées: "bouche" renforcé par la rime riche "couche", "gorge" (= seins), "corps", "crinière" (= cheveux).
- le sentiment amoureux est donc central et semble partagé: on retrouve le lexique de l'amour avec "adoré", "mes baisers", "tes baisers", "délice". Les adjectifs possessifs "mes" et "tes" témoignent de cette réciprocité dans l'échange amoureux. Passion, fascination et dévotion du poète pour sa muse.
= la femme serait donc le moyen d'échapper au spleen (= mélancolie) car elle est capable de le faire oublier par ses baisers.
2) la femme symbole de mort.
La femme est déshumanisée et animalisée avec "tigre" ou "monstre" pourtant associé à des termes positifs comme "adoré". Cet oxymore montre la caractère ambigu de la femme, mélangeant douceur et bestialité violente.
Analyse du premier et du dernier vers: antithèse du premier vers ; "Viens sur mon cœur"=appel à l'amour/"âme cruelle et sourde"=échec de la relation amoureuse: malgré l'impératif "viens", la femme est "sourde" à l'appel. La sonorité en "k" renforce la dureté. La fin du poème reprend cette sonorité avec "coeur" et "rancoeur". La négation "qui n'a jamais emprisonné de coeur" montre une femme dénuée de sentiment, insensible et froide, contrairement au poète qui dès le départ offre son "coeur" v. 1.
La sonorité discordante et désagréable "ciguë" et "aiguë" met en valeur une menace: les seins de la femme donnent à la fois le soulagement du népenthès mais aussi la mort avec le poison de la "ciguë". Le plaisir érotique évoqué dans "je sucerai (les) [...] bouts charmants" se change en poison.
= CENSURE ; sexualité, érotisme, mort
LA SYMBOLIQUE DES ENFERS GRECS.
La descente aux Enfers (ou catabase en grec) est un passage attendu dans les épopées antiques comme l'Odyssée d'Homère ou l'Enéide de Virgile. Le héros (comme Ulysse) doit descendre dans le royaume des morts pour être guidé par un de ses ancêtres. Il parcourt donc les Enfers, composés de plusieurs "régions" traversées de fleuves.
Cependant, ici, Baudelaire ne choisit pas le Styx comme sujet de son poème mais le Léthé, fleuve qui permet aux morts d'oublier leur vie passée avant leur réincarnation. C'est donc un fleuve qui permet de sortir des Enfers mais le poète en fait plutôt un fleuve qui l'engloutit ici.
1) le corps de la femme, symbolique des Enfers.
La mort est omniprésente dans le poème:
- un lexique funèbre comme "mort", "défunt", "abîme". Plusieurs verbes également peuvent avoir une connotation morbide: "ensevelir", "engloutir", "noyer". Le poème semble une descente lente mais continue.
- la mort est adoucie et atténuée:
* elle est comparée au sommeil: "dormir" est répété et renforcé par le point d'exclamation comme une forte aspiration. Rappel du monologue d'Hamlet "To be or not to be" qui assimile la mort à un sommeil "to die...to sleep" pour se rassurer. Tentation du suicide dans le texte.
* la mort n'est pas violente: pas de sang. La lenteur du poème se compare à la lente progression du poison. La mort passe aussi par le plaisir érotique: "le Léthé coule dans tes baisers". L'adjectif "doux" est répété.
Le corps de la femme est donc une image des Enfers: sa bouche est comparée au Léthé. Elle est celle qui amène vers la mort.
2) le destin tragique du poète.
L'avant dernière strophe peut aussi rappeler les suppliciés du Tartare (Sisyphe, Prométhée, Tantale), autre lieux des Enfers où se tiennent les damnés.
Lexique de la torture "martyr", "condamné", "supplice" mêlé à un lexique positif "docile", "innocent", "ferveur" qui implique la soumission du poète. = Fatalité omniprésente ("mon destin"="mon délice", poète conscient mais passif, dépendant de la femme). Le poète ferait donc penser aux suppliciés du Tartare: il implore l'amour de la femme aimée qui l'apaise de son spleen mais il ne peut obtenir satisfaction car elle n'a "jamais emprisonné de coeur". Une sorte de cercle vicieux sans fin.
- Destin tragique, poème = vie du poète ; poème scellé dès le vers liminaire: antithèse entre "mon coeur " et "âme cruelle"
= Poète solitaire et mélancolique, figure pathétique
Le Léthé
Viens sur mon coeur, âme cruelle et sourde,
Tigre adoré, monstre aux airs indolents ;
Je veux longtemps plonger mes doigts tremblants
Dans l'épaisseur de ta crinière lourde ;
Dans tes jupons remplis de ton parfum
Ensevelir ma tête endolorie,
Et respirer, comme une fleur flétrie,
Le doux relent de mon amour défunt.
Je veux dormir ! dormir plutôt que vivre !
Dans un sommeil aussi doux que la mort,
J'étalerai mes baisers sans remord
Sur ton beau corps poli comme le cuivre.
Pour engloutir mes sanglots apaisés
Rien ne me vaut l'abîme de ta couche ;
L'oubli puissant habite sur ta bouche,
Et le Léthé coule dans tes baisers.
A mon destin, désormais mon délice,
J'obéirai comme un prédestiné ;
Martyr docile, innocent condamné,
Dont la ferveur attise le supplice,
Je sucerai, pour noyer ma rancoeur,
Le népenthès et la bonne ciguë
Aux bouts charmants de cette gorge aiguë
Qui n'a jamais emprisonné de coeur.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857.
Lecture analytique 4: à celle qui est trop gaie.
1) Fleur
La femme idéalisée domine les quatre premières strophes.
- en harmonie avec la nature: "ballet de fleurs", "beau paysage", vent frais" et "ciel clair". La femme est lumineuse et rayonnante: elle peut être assimilée au soleil: "ébloui", "jaillit comme une clarté" = joie de vivre contagieuse car transmet sa gaieté au "passant chagrin". Vitalité de la nature = vitalité de la femme.
- muse inspiratrice des poètes "jettent dans l'esprit des poètes l'image d'un ballet de fleurs': le poète décrit ici ce qu'il fait dans les premières strophes: les octosyllabes = légèreté de la danse d'un ballet. De nombreuses comparaisons "comme un beau paysage", "comme un vent frais" = ravissement poète charmé et inspiré par cette femme qui est un monde à explorer.
- éloge du corps de la femme (blason): premier vers: allitération en T + rythme ternaire = grâce de la femme. "tes bras" et "tes épaules". Haut de corps. Mélange des sens (synesthésie): la vue "couleurs", la toucher "que tu frôles", ouïe "retentissantes". Pas de nudité: originalité des robes colorées. Cela évoque un portrait moral: la femme = dynamique, libre, fantasque, coquette, insouciante, généreuse (beauté du corps = beauté de l'âme).
= une femme divinisée, capable de redonner vie aux mélancoliques, une magicienne, une nymphe.
- cependant, absence du poète du début du texte: malgré le tutoiement, pas d'intimité entre eux. La femme semble ignorer le poète qui reste anonyme.
2) du Mal.
- Bascule du texte avec l'apparition du pronom "je": élément perturbateur. Opposition entre "hais" et "je t'aime": tonalité lyrique et paradoxale du texte.
- le poète et la femme sont très différents: "rire" s'oppose à "ironie" (plus grinçant), "atonie" à "bariolé", "nuit" à "ciel clair": la femme est une vision insupportable de la vitalité pour lui, femme qu'il ne pourra jamais atteindre. Le titre = un reproche "trop gaie". Le poète, victime du spleen, sent le "soleil", "le printemps et la verdure" ( = la femme) lui "déchirer" le "sein". Insistance sur la blessure morale du poète avec la diérèse "humilié".
- 1ère vengeance du poète: une destruction de l'emblème de la femme: la fleur "j'ai puni sur une fleur" puis 2ème vengeance fantasmée du poète (le conditionnel "je voudrais"): une destruction et une création. vocabulaire de la violence "châtier" (diérèse), "meurtrir", "blessure" = sadisme du poète qui éprouve une certaine jouissance : ponctuation expressive et vocabulaire mélioratif "vertigineuse douceur!". le corps de la femme est ici nu et érotisé: "voluptés", "flanc", "chair", "lèvres". Les enjambements des dernières strophes peuvent montrer aussi une euphorie dans le mal.
- le poète s'assimile à un serpent avec "ramper" et "venin": animal à sang froid, symbole de la lâcheté et du mal (serpent tentateur de la Genèse dans la Bible).
- Cependant, le poète crée un nouvel être à partir de cette "blessure": il façonne une nouvelle femme avec un nouveau corps "lèvres nouvelles", qu'il pourrait posséder car il la façonne à son image, (comme Dieu a crée l'homme à son image): appellation finale "ma sœur!" (dernier mot du texte, renforcé par la ponctuation expressive). Le poète transmet son venin (= son spleen) à la femme, qui va ainsi lui ressembler. Identification finale femme/ poète.
- Cette création est valorisée par le poète avec les superlatifs "plus éclatantes et plus belles": la nouvelle femme est plus belle que celle du début du texte. Au coeur du Mal, surgit une beauté supérieure. Citation célèbre de Baudelaire: "Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or".
La fin du texte est une image de la poésie moderne opposée à la poésie classique du début du poème où la femme est comparée à une fleur.
Lecture analytique 1 : Le Bourgeois acte III, scène 12.
1) Madame Jourdain, femme moderne.
- prend le pouvoir dans cette scène :
elle n'obéit pas aux impératif « taisez-vous ma femme », « Ne me répliquez pas davantage »
Répond en tenant tête : parallélisme de construction « C'est une chose que j'ai résolue » (M.Jourdain) opposé à « C'est une chose, moi, où je ne consentirai point » (Mme Jourdain) avec le pronom de la 1ère personne en relief : dignité, fierté de sa personne qui ne se laisse par rabaisser. Expression d'une volonté très ferme « Je ne veux point » (Mme Jourdain) opposée à son mari « je veux avoir un gendre gentilhomme »: entêtement obstiné de Mme Jourdain.
- elle défend les sentiments de sa fille : Mme Jourdain se fait l'avocate des jeunes , contre le mariage arrangé. Noblesse de coeur de Mme Jourdain, altruiste, ange gardien protecteur de sa fille : elle tente de lui transmettre sa force de caractère en lui donnant l'idée du chantage « si vous ne l'avez, vous ne voulez épouser personne »: elle éduque sa fille à la rébellion contre le père. Pour elle, le mariage de Lucile avec un gentilhomme représente une déchéance morale car l'honnêteté de la famille serait remise en cause « on ne devient guère si riches à être honnêtes gens ». Cette mésalliance serait vécue comme une trahison sociale et morale, une sorte de malédiction tragique. C'est la même honte que M.Jourdain ressent pour son ascendance: il est dans le déni de l'origine sociale de son père.
2) Madame Jourdain, personnage plus traditionnel qu'on ne pense.
- garante de l'ordre social d'Ancien Régime :
- aussi égoïste que M.Jourdain?
- Mme Jourdain, attachée à sa réputation :
MONSIEUR JOURDAIN.- Touchez là , Monsieur. Ma fille n’est pas pour vous.
CLÉONTE.- Comment ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Vous n’êtes point gentilhomme, vous n’aurez pas ma fille.
MADAME JOURDAIN.- Que voulez-vous donc dire avec votre gentilhomme ? Est-ce que nous sommes, nous autres, de la côte de saint Louis ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Taisez-vous, ma femme, je vous vois venir.
MADAME JOURDAIN.- Descendons-nous tous deux que de bonne bourgeoisie ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Voilà pas le coup de langue ?
MADAME JOURDAIN.- Et votre père n’était-il pas marchand aussi bien que le mien ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Peste soit de la femme. Elle n’y a jamais manqué. Si votre père a été marchand, tant pis pour lui ; mais pour le mien, ce sont des malavisés qui disent cela. Tout ce que j’ai à vous dire, moi, c’est que je veux avoir un gendre gentilhomme.
MADAME JOURDAIN.- Il faut à votre fille un mari qui lui soit propre , et il vaut mieux pour elle un honnête homme riche et bien fait, qu’un gentilhomme gueux et mal bâti.
NICOLE.- Cela est vrai. Nous avons le fils du gentilhomme de notre village, qui est le plus grand malitorne et le plus sot dadais que j’aie jamais vu.
MONSIEUR JOURDAIN.- Taisez-vous, impertinente. Vous vous fourrez toujours dans la conversation ; j’ai du bien assez pour ma fille, je n’ai besoin que d’honneur, et je la veux faire marquise.
MADAME JOURDAIN.- Marquise !
MONSIEUR JOURDAIN.- Oui, marquise.
MADAME JOURDAIN.- Hélas, Dieu m’en garde.
MONSIEUR JOURDAIN.- C’est une chose que j’ai résolue.
MADAME JOURDAIN.- C’est une chose, moi, où je ne consentirai point. Les alliances avec plus grand que soi, sont sujettes toujours à de fâcheux inconvénients. Je ne veux point qu’un gendre puisse à ma fille reprocher ses parents, et qu’elle ait des enfants qui aient honte de m’appeler leur grand-maman. S’il fallait qu’elle me vînt visiter en équipage de grand-dame, et qu’elle manquât par mégarde à saluer quelqu’un du quartier, on ne manquerait pas aussitôt de dire cent sottises. "Voyez-vous , dirait-on, cette Madame la Marquise qui fait tant la glorieuse ? C’est la fille de Monsieur Jourdain, qui était trop heureuse, étant petite, de jouer à la Madame avec nous : elle n’a pas toujours été si relevée que la voilà ; et ses deux grands-pères vendaient du drap auprès de la porte Saint-Innocent. Ils ont amassé du bien à leurs enfants, qu’ils payent maintenant, peut-être, bien cher en l’autre monde, et l’on ne devient guère si riches à être honnêtes gens." Je ne veux point tous ces caquets, et je veux un homme en un mot qui m’ait obligation de ma fille, et à qui je puisse dire : "Mettez-vous là, mon gendre, et dînez avec moi".
MONSIEUR JOURDAIN.- Voilà bien les sentiments d’un petit esprit, de vouloir demeurer toujours dans la bassesse. Ne me répliquez pas davantage, ma fille sera marquise en dépit de tout le monde ; et si vous me mettez en colère, je la ferai duchesse.
MADAME JOURDAIN.- Cléonte, ne perdez point courage encore. Suivez-moi, ma fille, et venez dire résolument à votre père, que si vous ne l’avez, vous ne voulez épouser personne.
Lecture analytique 2 Bourgeois gentilhomme. Acte V, scène 1.
- Un dialogue de sourds.
* des répliques constituées de courtes phrases: rythme vif de l'échange: une scène de STICHOMYTHIES
* beaucoup de répétitions: 15 interrogatives dans les répliques de Mme Jourdain. Reprise de l'interjection au début du dialogue "mon dieu!" l1 et à la fin "mon Dieu!" l. 34, de même pour l'interrogative "Qu'est-ce donc que cela?" l. 1 reprise ligne 30 "Qu'est-ce que c'est donc que tout cela?" ou "Qu'est-ce que cela veut dire? "l. 18 et "Que voulez-vous donc dire?" l. 26: le dialogue stagne. Mme Jourdain reste dans l'incompréhension totale car absence d'explications de la part de M. Jourdain: plus il tente de répondre à sa femme, moins elle comprend. M. Jourdain répète quand t à lui 5 fois "Mamamouchi". Absence de progression du dialogue = un dialogue absurde. Comique de répétition qui fait penser à des personnages mécaniques, des automates, incapables de dialoguer.
* le langage ne sert plus à communiquer:
. fantaisie verbale de la part de M. Jourdain: le galimatias de son discours (juxtaposition de plusieurs langues: le français et l'italien: la langue franque) qui annonce le ballet des Nations final: son discours est compréhensible pour lui et pour le spectateur qui a assisté à la cérémonie turque mais pas pour Mme Jourdain. Cohérence des propos de M. Jourdain, malgré les apparences: ce sont exactement les mots du muphti. Déconstruction syntaxique et décomposition du discours "hou la ba ba": une suite de monosyllabes qui ne servent qu'à rythmer la danse qu'il exécute (ligne 32).
. Mme Jourdain tourne en dérision le pseudo titre de noblesse "Paladin" avec une paronomase comique le transformant en "Baladin". Jeu de mot qui annonce la danse et le chant de M. Jourdain ligne 31: parodie de la comédie ballet que donne à voir le Bourgeois gentilhomme. M. Jourdain est la caricature des danseurs et des chanteurs des intermèdes.
= Ne trouvant plus d'interlocuteur, Mme Jourdain se tourne vers le public, devenu son confident, rompant ainsi la règle du 4ème mur: aparté: "Hélas! mon Dieu! mon mari est devenu fou!" l. 33. M. Jourdain sort de scène l. 34 officialisant l'échec du dialogue. Un dialogue vide de contenu: la séparation physique des 2 personnages entérine le fossé qu'il y a entre eux.
- M. et Mme Jourdain, personnages antagonistes (= opposés).
* perte de contrôle de Mme Jourdain: des tentatives inutiles. Un personnage impuissant.
. Se montre agressive au début du dialogue: mépris perceptible avec des termes dépréciatifs "momon", "masque" "fagoté" devant le costume de mamouchi, "bête", "êtes-vous en âge de danser des ballets?", "jargon". Raillerie, moquerie, voire méchanceté envers son mari qu'elle cherche à dégrader alors qu'il se sent anobli. Le démonstratif "ce jargon-là" est méprisant. Deux remarques sur la régression de son mari: "est-il temps d'aller en masque?" et "êtes-vous en âge de danser des ballets?": enfantillages de M. Jourdain. Vêtement de carnaval puéril selon Mme Jourdain. Dans son discours, M. Jourdain est en position objet "qui vous a fagoté comme cela": sous entend que M. Jourdain s'est fait manipuler, incapable de résistance.
. Cependant, évolution de ce personnage: affolement, angoisse, inquiétude et désespoir perceptible au fur et à mesure: "mon mari est devenu fou": le déculpabilise. Impératif final "Courons l'empêcher de sortir" peut se lire à 2 niveaux: pour l'empêcher d'être vu dans cet état dans le quartier et éviter la honte ou pour le protéger (Mme Jourdain serait alors plus maternelle).
= Mme Jourdain, le seul personnage qui ne comprend pas la scène. Exclue de la mascarade dont elle n'a pas les codes. D'un certain côté, c'est le personnage pitoyable de la scène, voire le personnage comique car décalée. C'est un personnage étranger. Elle n'ajoute rien à l'histoire ici: elle n'est que le faire-valoir de M. Jourdain. Annonce le dénouement dans lequel Mme Jourdain est le personnage trompé, victime de la ruse, dont l'incompréhension provoque le malaise du spectateur. Isolement et solitude du personnage souligné ici.
* libération de M. Jourdain.
. a l'autorité d'un maître: gagne en assurance. C'est lui qui transmet un savoir (reflet déformé des maîtres du 1er acte): répétition de "c'est-à-dire" l. 12 et 19 ou "vous dis-je", un discours didactique. On remarque aussi la forte présence des voyelles dans le discours du mamamouchi. Mme Jourdain est transformée en écolière stupide: trois insultes "impertinente", "ignorante", "insolente" qui rappellent les rapports hiérarchiques entre un élève et son maître qui lui fait la leçon. Des phrases qui s'imposent (= péremptoires): "Je suis Mamamouchi" l. 10. La noblesse de ce titre est renforcée par la majuscule qui implique un ton particulier+ "Monsieur" l. 35. Détient un savoir dont il exclut Mme Jourdain: possessif "notre langue" l. 11: M.Jourdain appartient à un monde différent de sa femme qu'il considère comme un interlocuteur inférieur et indigne.
. marque sa supériorité: lexique du respect "parler de la sorte", "il me faut porter du respect maintenant", "dignité", "portez respect": comique de situation naît du contraste entre le respect qu'il veut imposer et son accoutrement. Ressemble au roi des fous dans le carnaval médiéval. Dans les didascalies de l'édition de 1682, M. Jourdain chute à la ligne 31.
. la sortie de scène et fantaisie du langage montrent aussi une libération de toute contrainte rationnelle incarnée par Mme Jourdain, personnage complément disqualifié ici. M.Jourdain au contraire semble se réaliser: libération du corps et du langage. Il échappe à Mme Jourdain en sortant du foyer et en l'ignorant.
MADAME JOURDAIN, MONSIEUR JOURDAIN.
MADAME JOURDAIN.- Ah mon Dieu, miséricorde ! Qu’est-ce que c’est donc que cela ? Quelle figure ! Est-ce un momon que vous allez porter ; et est-il temps d’aller en masque ? Parlez donc, qu’est-ce que c’est que ceci ? Qui vous a fagoté comme cela ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Voyez l’impertinente, de parler de la sorte à un Mamamouchi !
MADAME JOURDAIN.- Comment donc ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Oui, il me faut porter du respect maintenant, et l’on vient de me faire Mamamouchi.
MADAME JOURDAIN.- Que voulez-vous dire avec votre Mamamouchi ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Mamamouchi, vous dis-je. Je suis Mamamouchi.
MADAME JOURDAIN.- Quelle bête est-ce là ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Mamamouchi, c’est-à-dire en notre langue, Paladin.
MADAME JOURDAIN.- Baladin ! Ètes-vous en âge de danser des ballets ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Quelle ignorante ! Je dis Paladin ; c’est une dignité dont on vient de me faire la cérémonie.
MADAME JOURDAIN.- Quelle cérémonie donc ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Mahameta per Iordina.
MADAME JOURDAIN.- Qu’est-ce que cela veut dire ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Iordina, c’est-à-dire Jourdain.
MADAME JOURDAIN.- Hé bien quoi, Jourdain ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Voler far un Paladina de Iordina.
MADAME JOURDAIN.- Comment ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Dar turbanta con galera.
MADAME JOURDAIN.- Qu’est-ce à dire cela ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Per deffender Palestina.
MADAME JOURDAIN.- Que voulez-vous donc dire ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Dara dara bastonara.
MADAME JOURDAIN.- Qu’est-ce donc que ce jargon-là ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Non tener honta questa star l’ultima affronta.
MADAME JOURDAIN.- Qu’est-ce que c’est donc que tout cela ?
MONSIEUR JOURDAIN danse et chante.- Hou la ba ba la chou ba la ba ba la da .
MADAME JOURDAIN.- Hélas, mon Dieu, mon mari est devenu fou.
MONSIEUR JOURDAIN, sortant .- Paix, insolente, portez respect à Monsieur le Mamamouchi.
MADAME JOURDAIN.- Où est-ce qu’il a donc perdu l’esprit ? Courons l’empêcher de sortir.
Lecture analytique 3: acte III, scène 3.
Un rapport de force inégal: M. Jourdain seul (le laquais est muet: absence de solidarité masculine) contre Mme Jourdain et Nicole, écho caricatural de sa maîtresse. Une joute verbale. Registre polémique.
- Mme Jourdain et Nicole attaquent.
* monopolisent la parole, malgré les ordres de M. Jourdain : M. Jourdain n'a que 6 répliques, alors que c'est le maître de la maison. Les deux femmes l'assaillent de remarques désagréables, blessantes et dégradantes: ironie marquée avec "voici une nouvelle histoire" l. 1, le rire moqueur de madame Jourdain "ah! ah!" l. 1. Une suite de questions rhétoriques dans la premières répliques qui vise à exprimer la honte: la honte sur son mari déteint sur elle. Ses paroles indignées, qui montrent son exaspération et son agacement: comme des coups. Insistance méprisante sur l'âge de M. Jourdain à travers son intérêt puéril pour la danse qu'elle condamne: "ce que vous pensez faire d'un maître à danser à l'âge que vous avez" l. 18 et "apprendre à danser quand vous n'aurez plus de jambes" l. 22. Humiliation de M. Jourdain à travers ces affirmations autoritaires et hautaines: Mme Jourdain fait la leçon à son mari comme à un enfant (remise en cause de la hiérarchie traditionnelle), elle défend son idéal de vie, bousculé par la folle ambition de son mari.
* solidarité féminine: Nicole, une alliée dévouée à sa maîtresse, son reflet plus populaire (voir sa prononciation "biaux", "carriaux" l. 20) . Leurs répliques sont construites en miroir: parallélisme de construction "Est-ce que vous voulez apprendre à danser" l. 22 et "Est-ce que vous avez envie de tuer" l. 23. Elles se soutiennent: "Madame parle bien" l. 13 et "Nicole a raison, et son sens est meilleur que le vôtre" l. 17: comparatif de supériorité qui montre la sagesse du peuple. Mme Jourdain est le porte-parole de la doxa (l'opinion commune) qu'elle valorise avec la répétition de "monde": "un monde qui a raison et qui est plus sage sur vous", garant de la bonne réputation de la famille bourgeoise, le "voisinage" l. 11. On peut y voir aussi les spectateurs, pris à parti à ce moment-là dans une mise en scène possible. Désignation d'une communauté invisible et vague que M.Jourdain remet en cause "qui est donc tout ce monde-là"l. l7.
* sarcasmes dirigés contre les maîtres: la servitude volontaire de M. Jourdain est critiquée par sa femme avec le verbe "enharnacher" l. 2 qui animalise le bourgeois en le transformant en cheval docile qu'on peut facilement soumettre et dompter. Il semble dépossédé de toute volonté (en position grammaticale d'objet "de vous être fait" l. 2), jouet consentant de parasites mal intentionnés. Vocabulaire de la fête, du spectacle de carnaval et du bruit: "carême prenant", "vacarmes de violons et de chanteurs": à noter l'allitération en v et l'exagération qui visent le maître de musique. Cependant, ce lexique du divertissement est celui du théâtre et de la comédie ballet de Molière: on peut se demander si le dramaturge n'est pas du côté de ce "vacarme" si dérageant pour Mme Jourdain. Même exagération concernant le maître d'armes "ébranler toute la maison", "déraciner tous les carriaux" l. 20. Opposition ironique entre les "biaux maîtres" et le vocabulaire de la saleté "boue", "crotter": manque de savoir-vivre des maîtres, de purs profiteurs selon Nicole.
- M. Jourdain sur la défensive: il tente maladroitement de parer les coups:
* il remet en cause l'autorité qui le juge: interrogative "Qui est donc tout ce monde-là, s'il vous plaît?" l. 7 et les insultes "sots et sottes" l. 4.
* le rabaissement de ses ennemies: rappel de l'infériorité sociale de Nicole "notre servante", "une paysanne", qui contraste avec sa liberté de parole. L'interjection "ouais" montre son mépris. Insulte commune "vous êtes des ignorantes" l. 24. Cependant, le langage de M. Jourdain trahit aussi son origine sociale peu éloignée de celle de Nicole: "le caquet bien affilé" est une expression familière.
* l' impératif "Taisez-vous" répété l. 21 et 24 montre son impuissance à se faire respecter, sa faiblesse face à des femmes qui lui désobéissent. Assimilation entre Mme Jourdain et Nicole "ma servante, ma femme", confondues dans le pronom "vous". Manque de considération pour sa femme.
* montre son égoïsme lors de la réplique finale: mise en valeur du pronom"je" répété: "je veux songer aussi à apprendre de belles choses": l'expression très vague "belles choses" révèle sa propre ignorance, son admiration béate et stupide car il est incapable de les nommer précisément.
Lecture analytique 3 : Le Bourgeois gentihomme, acte III, scène 3.
MADAME JOURDAIN, MONSIEUR JOURDAIN, NICOLE, LAQUAIS.
MADAME JOURDAIN.- Ah, ah, voici une nouvelle histoire. Qu’est-ce que c’est donc, mon mari, que cet équipage-là ? Vous moquez-vous du monde, de vous être fait enharnacher de la sorte ? et avez-vous envie qu’on se raille partout de vous ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Il n’y a que des sots, et des sottes, ma femme, qui se railleront de moi.
MADAME JOURDAIN.- Vraiment on n’a pas attendu jusqu’à cette heure, et il y a longtemps que vos façons de faire donnent à rire à tout le monde.
MONSIEUR JOURDAIN.- Qui est donc tout ce monde-là, s’il vous plaît ?
MADAME JOURDAIN.- Tout ce monde-là est un monde qui a raison, et qui est plus sage que vous. Pour moi, je suis scandalisée de la vie que vous menez. Je ne sais plus ce que c’est que notre maison. On dirait qu’il est céans carême-prenant tous les jours ; et dès le matin, de peur d’y manquer, on y entend des vacarmes de violons et de chanteurs, dont tout le voisinage se trouve incommodé.
NICOLE.- Madame parle bien. Je ne saurais plus voir mon ménage propre, avec cet attirail de gens que vous faites venir chez vous. Ils ont des pieds qui vont chercher de la boue dans tous les quartiers de la ville, pour l’apporter ici ; et la pauvre Françoise est presque sur les dents, à frotter les planchers que vos biaux maîtres viennent crotter régulièrement tous les jours.
MONSIEUR JOURDAIN.- Ouais, notre servante Nicole, vous avez le caquet bien affilé pour une paysanne.
MADAME JOURDAIN.- Nicole a raison, et son sens est meilleur que le vôtre. Je voudrais bien savoir ce que vous pensez faire d’un maître à danser à l’âge que vous avez.
NICOLE.- Et d’un grand maître tireur d’armes, qui vient, avec ses battements de pied, ébranler toute la maison, et nous déraciner tous les carriaux de notre salle ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Taisez-vous, ma servante, et ma femme.
MADAME JOURDAIN.- Est-ce que vous voulez apprendre à danser, pour quand vous n’aurez plus de jambes ?
NICOLE.- Est-ce que vous avez envie de tuer quelqu’un ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Taisez-vous, vous dis-je, vous êtes des ignorantes l’une et l’autre, et vous ne savez pas les prérogatives de tout cela.
MADAME JOURDAIN.- Vous devriez bien plutôt songer à marier votre fille, qui est en âge d’être pourvue.
MONSIEUR JOURDAIN.- Je songerai à marier ma fille, quand il se présentera un parti pour elle ; mais je veux songer aussi à apprendre les belles choses.
Lecture analytique 4: acte IV, scène 2.
- Mme Jourdain, trouble-fête.
* s'invite dans une fête à laquelle elle n'était pas conviée: joue le rôle du fâcheux, c'est-à-dire de l'importun inattendu. Retournement de situation: celle qui devait être la victime d'une duperie arrive en situation de force sur la scène. C'est une sorte de victoire pour elle car elle peut confondre Dorante.
. Parle le plus (5 répliques).
. ironie incisive et mordante au début de la scène: interjection "Ah!ah!": elle surprend le bon tour qu'on voulait lui jouer. Adjectifs mélioratifs: "bonne compagnie" l. 1 et "belle affaire"l. 2 qui sont des antiphrases pour mieux condamner la situation honteuse. "Belle affaire" est assez vague pour qu'on puisse y deviner les connotations d'adultère. Raillerie contenue dans le respect feint (majuscule) "Monsieur mon mari" l. 2: rappel amer du lien conjugal bafoué.
* distribue les reproches, démasque les supercheries: on se retrouve dans une scène de procès.
. contre M. Jourdain: pronom accusateur "vous" très présent en opposition avec le pronom de la première personne: lexique du divertissement "vous dépensez votre bien", "vous festinez les dames", "vous leur donnez la musique et la comédie" avec une insistance teintée de moquerie amusée en opposition avec "'m'envoyer dîner chez ma soeur", "en mon absence", "vous m'envoyer promener". Mme Jourdain tourne en dérision le stratagème grossier et naïf mis en place par son mari, bêtement pris sur le fait. Supériorité de Mme Jourdain sur son mari qui est la vraie dupe de Dorante "prêter la main comme vous faites aux sottises de mon mari" l. 18. Le ton d'une mère/infantilisation de M. Jourdain.
. contre les nobles: Mme Jourdain pointe leur malhonnêteté et leur absence de noblesse d'âme. Là encore, omniprésence du pronom"vous" accusateur, comme un doigt pointé contre eux: "Cela est fort vilain à vous", "cela n'est ni beau, ni honnête à vous". Vocabulaire négatif comme "vilain" ou des négations "ni beau" en opposition avec le rang social sur lequel Mme Jourdain insiste ironiquement avec la répétition de l'adjectif "grand": "grand seigneur"l. 18 et "Madame, pour une grande Dame" l. 19. Manipulateurs, profiteurs, parasites, bref des imposteurs selon Mme Jourdain qui se caractérise par une franchise et une assurance courageuse. Peut-être considérée comme une héroïne ici.
* Madame Jourdain, personnage obstacle de la comédie-ballet.
Vilipende la fête comme divertissement aristocratique, déplacée dans un intérieur bourgeois: heurte ses valeurs et son idéal d'ordre. Sa présence signifie la fin de la fête comme l'indique la didascalie: "On ôte la table" l. 30
Met en parallèle la turquerie qui s'annonce "Je viens de voir un théâtre là-bas"l. 3 et le "banquet à faire noces"l. 4 qu'elle déjoue. A le même rôle dans ces deux moments de la pièces: extérieure, résiste au plaisir, obstacle, ce qui peut la rendre pitoyable ou négative aux yeux du dramaturge. Son humiliation serait aussi une leçon que Molière pourrait lui donner, en arrière plan de la punition de M. Jourdain.
- Mme Jourdain, humiliée.
* absence de solidarité féminine. Solitude de Mme Jourdain, privée de son soutien Nicole.
.Dorimène ne daigne pas s'adresser directement à elle, ce qui est d'autant plus blessant (Mme Jourdain n'est pas une égale, mépris face à l'infériorité sociale): vocabulaire péjoratif "sottes visions" et "extravagante" l. 22, voulant ainsi assimiler Mme Jourdain à M. Jourdain, dans sa folie.
.différence de traitement entre Dorimène que l'on désigne par "Madame" et que l'on rattrape quand elle sort et Mme Jourdain, appelée "Madame Jourdain" par Dorante l. 7 et 15, soulignant sa bourgeoisie, et dont personne ne se soucie quand elle sort l. 31. De même, son mari l'insulte "impertinente" répétée deux fois l. 11 et 25, accompagné de "maudite"l. 28. Il est même menaçant de façon grotesque: "fend la tête avec les pièces du repas" révélant ainsi son caractère bilieux et sa vulgarité, opposée au rang auquel il aspire.
* Dorante, un Don Juan antipathique: il se fait l'avocat de M. Jourdain, parlant à sa place. Veut berner Mme Jourdain, comme il le fait avec M.Jourdain.
. Dorante défend en attaquant: condescendance marquée face à Mme Jourdain avec la métaphore filée de l'aveuglement "mieux regarder" l. 10, "meilleures lunettes" l. 15 alors que Mme Jourdain est le seul personnage lucide. Mensonge sans scrupule de Dorante qui passe pour un personnage immoral, hypocrite et habile. Insistance sur sa supériorité face à Mme Jourdain avec les impératifs "Apprenez" l. 9 et la répétition méprisante "prenez" l. 15. Remise en question des accusations par les deux interrogatives "Que voulez-vous dire" l. 7 et "quelles fantaisies sont les vôtres...?" l. 7.
. M. Jourdain, le reflet caricaturé de Dorante: ne fait que répéter les propos de Dorante "qui donne tout ceci", "ma maison", "Madame". Il répète aussi deux fois "personnes de qualité"l. 12 et 26, sa marotte dans la pièce. N'a aucune prise sur la situation. Rappel de la scène de la dispute des maîtres. On sent la rancoeur de sa déception avec l'expression ironique "voilà de vos beaux faits"l. 25: c'est Mme Jourdain qui se retrouve coupable de l'échec de son adultère! C'est à Dorimène qu'il faut faire des "excuses" l. 24 et non à Mme Jourdain!
* la défense de Mme Jourdain:
.elle tente de résister avec les négations "Je n'ai que faire de vos lunettes", "je ne suis pas une bête" l. 16 et 17. Cependant, elle répète assez maladroitement "je me moque" l. 27 et 31, "je sais ce que je sais" l. 14, sans véritable argumentation. Ses répliques sont de moins en moins longues.
. la réplique finale montre qu'elle ne s'avoue pas vaincue, se reconstituant fièrement une communauté universelle imaginaire avec le pluriel "les" "j'aurai pour moi toutes les femmes" qui ne manque pas de noblesse, ni de dignité. Porte-parole des femmes trompées. On peut imaginer qu'elle s'adresse au public, comme d'une tribune. Cependant, ne pas oublier que le rôle à l'origine est tenu par un homme, ce qui peut aussi avoir un effet comique.
Lecture analytique 4 : Le bourgeois gentilhomme, acte IV, scène 2.
MADAME JOURDAIN, MONSIEUR JOURDAIN, DORIMÈNE, DORANTE, MUSICIENS, MUSICIENNE, LAQUAIS.
MADAME JOURDAIN.- Ah, ah, je trouve ici bonne compagnie, et je vois bien qu’on ne m’y attendait pas. C’est donc pour cette belle affaire-ci, Monsieur mon mari, que vous avez eu tant d’empressement à m’envoyer dîner chez ma sœur ? Je viens de voir un théâtre là-bas , et je vois ici un banquet à faire noces. Voilà comme vous dépensez votre bien, et c’est ainsi que vous festinez les dames en mon absence, et que vous leur donnez la musique et la comédie, tandis que vous m’envoyez promener ?
DORANTE.- Que voulez-vous dire, Madame Jourdain ? et quelles fantaisies sont les vôtres, de vous aller mettre en tête que votre mari dépense son bien, et que c’est lui qui donne ce régale à Madame ? Apprenez que c’est moi, je vous prie ; qu’il ne fait seulement que me prêter sa maison, et que vous devriez un peu mieux regarder aux choses que vous dites.
MONSIEUR JOURDAIN.- Oui, impertinente, c’est Monsieur le Comte qui donne tout ceci à Madame, qui est une personne de qualité. Il me fait l’honneur de prendre ma maison, et de vouloir que je sois avec lui.
MADAME JOURDAIN.- Ce sont des chansons que cela ; je sais ce que je sais.
DORANTE.- Prenez, Madame Jourdain, prenez de meilleures lunettes.
MADAME JOURDAIN.- Je n’ai que faire de lunettes, Monsieur, et je vois assez clair ; il y a longtemps que je sens les choses, et je ne suis pas une bête. Cela est fort vilain à vous, pour un grand seigneur, de prêter la main comme vous faites aux sottises de mon mari. Et vous, Madame, pour une grande Dame, cela n’est ni beau, ni honnête à vous, de mettre de la dissension dans un ménage, et de souffrir que mon mari soit amoureux de vous.
DORIMÈNE.- Que veut donc dire tout ceci ? Allez, Dorante, vous vous moquez, de m’exposer aux sottes visions de cette extravagante.
DORANTE.- Madame, holà Madame, où courez-vous ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Madame. Monsieur le Comte, faites-lui excuses, et tâchez de la ramener. Ah, impertinente que vous êtes, voilà de vos beaux faits ; vous me venez faire des affronts devant tout le monde, et vous chassez de chez moi des personnes de qualité.
MADAME JOURDAIN.- Je me moque de leur qualité.
MONSIEUR JOURDAIN.- Je ne sais qui me tient, maudite, que je ne vous fende la tête avec les pièces du repas que vous êtes venue troubler.
On ôte la table.
MADAME JOURDAIN, sortant.- Je me moque de cela. Ce sont mes droits que je défends, et j’aurai pour moi toutes les femmes.
Lecture analytique 1 Charlotte.
- un incipit surprenant.
* le lecteur dispose d'un certain nombre d'informations comme dans un incipit classique: la date "novembre 1913" qui se précise: on nous dit que la scène inaugurale du roman a lieu "la nuit", lors d'un "hiver précoce", "si froid" alors que Charlotte vient d'avoir "dix-huit ans". Opposition entre l'idée de jeunesse, de vie et la symbolique de mort liée à la nuit d'hiver, à la veille d'un grand conflit mondial.
Lieu inconnu: on nous parle d'un "pont" mais on en ignore le nom.
Les personnages: la cellule familiale (thématique classique): "leur père" "leur mère", sans prénom opposés à "Franziska et Charlotte" les deux soeurs. Cependant confusion dans les personnages : qui est Charlotte ? Personnage éponyme du roman. Même nom que sa tante maternelle « la première Charlotte » l. 16. Lecteur déstabilisé, dans la même situation de recherche identitaire que le personnage principal. Brouillage des repères dans cet incipit. Description physique de Charlotte "Elle est belle, avec de longs cheveux noirs comme des promesses": c'est le seul personnage décrit comme pour souligner le contraste entre "promesse" et le suicide.
Schéma attendu: un père sévère, froid, distant et coupé du monde avec la connotation péjorative "un intellectuel rigide" opposé à la mère "plus douce". Rapports entre les soeurs complexes: fusionnels au premier abord avec l'énumération et l'adverbe "ensemble": "chantent ensemble, dansent, rient aussi", de même le terme "leur union". Cependant cette première énumération évoquant l'insouciance et la joie de vivre s'oppose à une autre énumération plus loin: "elle fait tout plus lentement: manger,marcher, lire" qui montre l'envers du décor. L'"union" se fissure déjà avec le comparatif de supériorité "L'une est tout simplement plus souriante que l'autre". Franziska se laissera aussi tromper par les apparences: les négations "Elle n'a rien vu, rien compris à la lenteur" attestent de son incompréhension.
= un incipit qui va au-delà des clichés simplificateurs et qui fait apparaître les failles des personnages.
* un lecteur déstabilisé par cette entrée en matière brutale
1ère phrase in medias res isolée qui confronte la jeunesse sous entendue par "appris à lire" et la mort avec "une tombe".
La place du narrateur est difficile à cerner: à la fois extérieur avec l'utilisation du modalisateur "peut-être" et avec l'évocation d'autres points de vue: pronom "on": "On compare les deux soeurs" qui désigne vaguement un environnement proche de la famille et celui des "journaux" qui prennent en compte l'anecdotique, le fait divers de façon superficielle.
Cependant, le narrateur semble aussi proche de ses personnages et du lecteur avec lequel il joue avec le futur (effet de prolepse): "Il sera bien utilise de les énoncer plus tard" alors que nous sommes dans un retour en arrière et l'impératif "restons avec Charlotte" qui suggère son implication personnelle dans le récit: il guide son lecteur et maîtrise le fil de son récit. Il adopte le point de vue interne de ses personnages en montrant leurs pensées intimes "Elle sait depuis longtemps qu'il sera le dernier pont. dans la nuit noire, sans témoin, elle saute". Le narrateur s'impose de fait comme le seul "témoin" de cette tragédie. Il va même jusqu'à imaginer sa mort "un supplice".
Le style également peut surprendre le lecteur: le roman ressemble plus à un poème avec des vers. On peut repérer des rimes aussi comme "pleure" et "douleur" ou "lenteur" et coeur". La disposition a son importance comme avec la question "Pourquoi?" isolée sur la ligne, en suspens témoignant de l'état de sidération de la famille. Le présent de narration rend le récit vivant, comme se passant au moment de notre lecture. Le style est enfin très épuré, simple. Des phrases nominales comme "la première Charlotte". Aucun point d'exclamation malgré le situation: refus du lyrisme comme dans le crescendo: "Le père se fige dans le silence. La soeur pleure. La mère hurle sa douleur". Le récit ressemble à ses personnages caractérisés par leur retenue pudique: "Ce n'est jamais extravagant. Il y a une pudeur dans l'exercice du bonheur".
- Un incipit tragique:
- Lenteur de la lecture : une descente progressive vers la mort : lexique de la lenteur : « c'est par la lenteur que tout commence » l. 18, « Progressivement » (long adverbe en -ment), « ralentit » l. 20. Crescendo dans le mal-être avec l'adjectif "ravageuse" qui annonce la destruction inexorable. Cette lenteur rappelle un poison ou un parasite avec les mots "infiltration" ou "insidieux". Opposition avec la détermination impressionnante de la première Charlotte qui la pousse vers le suicide : volonté inébranlable que l'on sent à travers le lexique « rapidement » l. 36, « sans la moindre hésitation » l. 42. Une grande force du personnage qui semble avoir trouvé sa place ou sa vocation dans la mort.
- fatalité tragique qui commence par la mère : « Sa vie a été une succession de drames. / Il sera bien utile de les énoncer plus tard » : le futur suggère des strates de malheurs évoqués par le pluriel. Pour l'instant, le lecteur a le côté visible mais mystère et profondeur de cette famille qui transmet le malheur aux générations. Importance du lexique de la famille : « la mère », « le père », « la sœur », lieu traditionnel de la tragédie (voir la famille maudite d'Oedipe par exemple). Le père semble aussi marqué par la mort avec "poussière romaine"
= horreur et pitié : les ressorts du tragique. Le lecteur s'identifie et en même temps est choqué par le lien intime entre les personnages et la mort.
= Charlotte lit son nom sur une tombe : première ligne du roman qui scelle une destinée. Rapport avec Vincent Van Gogh. Elle s'inscrit ainsi dans une généalogie tragique. Elle est l'héritière de la tragédie familiale, du poids de la culpabilité de sa mère et du désespoir de ses grands-parents. Ce rituel du recueillement sur la tombe de Charlotte montre l'impossibilité pour la mère d'oublier. Elle ne cherche pas à protéger sa fille ni à taire un secret de famille.
- douceur du texte mêlé à cette ambiance tragique : harmonie qui règne dans cette famille : lexique mélioratif « chantent ensemble, dansent, rient aussi », « bonheur » l. 7. Famille modèle en apparence. Douceur de l'amour quasi fusionnel entre les deux sœurs : « leur union » l. 55. Couple primitif et fort. Rythme du texte lu par l'acteur. Opposition avec la violence du suicide, vécue comme une trahison par la mère : insistance sur ce terme : « la violence ajoutée à la violence » l. 53, « scandale », « hurle », « pleure ».
= cet incipit nous permet de comprendre dans quel environnement a grandi l'héroïne. Pour le lecteur, le roman semble cependant commencer par la fin.
Séquence sur le roman.
Lecture analytique 1 : Charlotte, D. Foenkinos (2014).
Charlotte a appris à lire son prénom sur une tombe.
Elle n’est donc pas la première Charlotte.
Il y eut d’abord sa tante, la sœur de sa mère.
Les deux sœurs sont très unies, jusqu’à un soir de novembre 1913.
Franziska et Charlotte chantent ensemble, dansent, rient aussi.
Ce n’est jamais extravagant.
Il y a une pudeur dans leur exercice du bonheur.
C’est peut-être lié à la personnalité de leur père.
Un intellectuel rigide, amateur d’art et d’antiquités.
A ses yeux, rien n’a davantage d’intérêt qu’une poussière romaine.
Leur mère est plus douce.
Mais d’une douceur qui confine à la tristesse.
Sa vie a été une succession de drames.
Il sera bien utile de les énoncer plus tard.
Pour l’instant, restons avec Charlotte.
La première Charlotte.
Elle est belle, avec de longs cheveux noirs comme des promesses.
C'est par la lenteur que tout commence.
Progressivement, elle fait tout plus lentement : manger, marcher, lire.
Quelque chose ralentit en elle.
Sûrement une infiltration de la mélancolie dans son corps.
Une mélancolie ravageuse dont on ne revient pas.
Le bonheur devient une île dans le passé, inaccessible.
Personne ne remarque l'apparition de la lenteur chez Charlotte.
C'est bien trop insidieux.
On compare les deux sœurs.
L'une est simplement plus souriante que l'autre.
Tout au plus souligne-t-on, ici ou là, des rêveries un peu longues.
Mais la nuit s'empare d'elle.
Cette nuit qu'il faut attendre, pour qu'elle puisse être la dernière.
C'est un soir si froid de novembre.
Alors que tout le monde dort, Charlotte se lève.
Elle prend quelques affaires, comme pour un voyage.
La ville semble à l'arrêt, figée dans un hiver précoce.
La jeune fille vient d'avoir dix-huit ans.
Elle marche rapidement vers sa destination.
Un pont.
Un pont qu'elle adore.
Le lieu secret de sa noirceur.
Elle sait depuis longtemps qu'il sera le dernier pont.
Dans la nuit noire, sans témoin, elle saute.
Sans la moindre hésitation.
Elle tombe dans l'eau glaciale, faisant de sa mort un supplice.
On retrouve son corps au petit matin, échoué sur une berge.
Complètement bleu par endroits.
Ses parents et sa sœur sont réveillés par la nouvelle.
Le père se fige dans le silence.
La sœur pleure.
La mère hurle sa douleur.
Le lendemain, les journaux évoquent cette jeune fille.
Qui s'est donné la mort sans la moindre explication.
C'est peut-être ça, le scandale ultime.
La violence ajoutée à la violence.
Pourquoi ?
Sa sœur considère ce suicide comme un affront à leur union.
Le plus souvent, elle se sent responsable.
Elle n'a rien vu, rien compris à la lenteur.
Elle avance maintenant la culpabilité au cœur.
Lecture analytique 2 Charlotte "sur le chemin du retour...".
C'est le texte qui raconte la genèse d'une oeuvre et l'aboutissement d'une quête créatrice.
1) la progression d'une artiste.
A) Cet aboutissement prend d'abord la forme d'un cheminement physique
Métaphore filée du chemin parcouru "chemin du retour" l. 1 (référence métaphorique possible aux "souvenirs" qui seront la matière de son oeuvre autobiographique), "en marchant" l. 3, "le chemin", l. 17 ou "ce tunnel" l. 8 qui connote l'obscurité, symbole des souffrances endurées par le personnage évoquées aussi dans l'expression "vie abîmée" l. 42.
Cela s'oppose à "tout est limpide"l. 25: Charlotte a trouve "une issue" l. 5 de secours à travers une oeuvre salutaire pour elle qui lui permet d'exorciser sa tragédie en l'utilisant comme matière artistique. Opposition entre "mourir" et "sourire"l. 20 renforcée par la rime interne et l'absence de transition, ellipse du lien logique entre les deux verbes (parataxe). Lexique de la renaissance présent dans le texte: "la naissance" l. 2, "revivre"l. 7, "survivre"l. 4, "seule possibilité de vie"l. 12
= parcours physique de Charlotte qui marche = parcours de l'artiste qui cherche sa voie.
B) importance du corps
La découverte intime de son oeuvre passe non par un effort intellectuel mais par le corps. Lexique du corps avec le vocabulaire de la marche mais aussi "sa chair" l. 14, "ses mains" l. 27, son intuition "cette union intuitive" l. 38. La vie tragique de Charlotte est comparée à un corps en convalescence, soigné par son oeuvre: "Cette union des arts nécessaire à la cicatrisation d'un vie abîmée". L'art agit comme un pansement, un baume réparateur. A noter aussi que Moridis est médecin.
II. Charlotte trouve sa voie.
A) un moment crucial dans sa vie.
le narrateur nous fait ressentir la gravité et le côté solennel de cet instant créatif, marqué par la première phrase et l'adverbe: "elle respire profondément" l. 1: un tournant crucial pour le personnage, pour son oeuvre et pour le roman et le lecteur. On partage son émotion: point de vue interne avec répétition constante du pronom "elle" en position sujet, présent de narration qui rend la scène actuelle, comme se passant sous le regard du lecteur. Le narrateur facilite l'identification. On entend aussi la voix de Charlotte avec un effet polyphonique: citation de Vie? ou Théâtre? l. 10: "je dois aller". Mise en scène dramatique de la naissance de l'oeuvre.
B) la force du personnage.
Lecteur impressionné par la force de détermination du personnage avec la répétition presque obsessionnelle du verbe devoir: "elle doit faire revivre" l. 7, "elle doit peindre" l. 4, "je dois aller" l. 10 ou l. 26 "elle doit faire". Cela est suggéré aussi par "elle le répète encore et encore" ou la répétition "plus rien" l. 21-22. Injonction intime très forte: Charlotte a conscience d'une mission à accomplir qui va être une ligne directrice très ferme. Idée d'autorité, d'abscence de concession. Le style épurée et simple renforce ce côté percutant et catégorique, presque sec: "Peindre et écrire" par exemple, 2 objectifs exclusifs: Charlotte ne semble plus s'appartenir, entièrement dévouée à son oeuvre. Rappelle une détermination mais plus noire: celle de sa tante dans son suicide. Ici, au contraire, puissance destinée à la création: moment unique renforcé par des expressions qui montrent que Charlotte vise un absolu: deux adverbes en italique "entièrement", "totalement" l. 33-34, "Rares sont les oeuvres" (adjectif antéposé qui accentue son importance), "Dans un tel degré" l. 24 (intensif "tel").
C) Charlotte touchée par la grâce.
Cette mission de l'artiste a des connotations religieuses importantes:
* le terme "une révélation"l. 16 évoque une illumination mystique, de l'ordre de la grâce
* répétition de "faire revivre les morts": rappel de la résurrection ou du mythe d'Orphée allant chercher Eurydice aux enfers
* le renoncement au monde rappelle celui d'un ermite ou d'un saint "Je dois aller plus profondément dans la solitude" l. 10: Charlotte s'impose une ascèse sévère, proche du sacrifice. Lexique de la violence "au bout du supportable" l. 11 ou "arrachement au monde" l. 34.
= La création d'une oeuvre est comparée à la création d'un monde. L'artiste est un dieu qui crée une oeuvre: il a un rôle de démiurge: parallélisme de construction dans la citation de Kandinski "créer une oeuvre, c'est créer un monde" l. 36.
III. La modernité de l'oeuvre de Charlotte Salomon.
Vie? ou Théâtre? Une oeuvre originale aux confluences de plusieurs arts dont le narrateur fait une sorte de préface, il nous en donne le monde d'emploi. Mise en abyme d'un roman (Charlotte) qui va parler d'un autre roman (Vie? ou Théâtre?). Vie? ou Théâtre? = à lire sous le signe du tissage et du mélange "union" l. 42 et 38, "conversation" l. 40, de l'abolition des frontières entre les arts pour atteindre un langage universel alors que cela part d'un récit autobiographique "elle va peindre ses souvenirs de manière romanesque" l. 27. Utilisation du futur "seront" l. 29: présentation d'un projet artistique moderne. Une sorte de profession de foi artistique.
* mélange des arts = mélange des sens "synesthésie" l. 37: les sons "musique", "mots", la vue "peinture", "couleurs": les arts s'inspirent entre eux: "la musique guidait" l. 39.
*mélange des inspirations: Kandinski, considéré comme le fondateur de l'art abstrait, mais aussi Moridis =des "pairs" artistiques: "cela rejoint", "ce que Moridis a dit, elle le ressentait".
Lecture analytique 3 (séquence roman): chapitre VIII L'Oeuvre. Zola.
1) une scène dramatique.
- Une succession d'actions dans ce texte: de nombreux verbes d'action énumérés au passé simple comme "Et elle sembla lui tomber au cou, il la reçut dans son étreinte, serra les bras..." l. 22. 4 temps repérables: la contemplation admirative des deux artistes montrée par la ponctuation expressive l. 4-5 (fierté, admiration, exaltation exprimées dans le discours indirect libre), l'animation de la statue qui concentre les verbes d'action, la réaction de Mahoudeau, retour à la contemplation avec changement d'état émotionnel vers la consternation et la déception "contemplation navrée" l. 44.
- des rythmes différents indiqués par des repères temporels opposés: la lenteur "peu à peu" l. 11, "d'un coup", "brusquement" (la statue s'anime), la rapidité "Une seconde" (la chute)l. 18 et de nouveau la lenteur avec l'adverbe "lentement" l. 40 (la recomposition de la statue). Effet de suspens chez le lecteur.
= l'effondrement de la statue= fin du rêve de Mahoudeau qui s'écroule en même temps que sa statue, condamnée à être "couchée" l. 46 faute d'argent "le bois trop faible de l'armature" l. 16. Statue et créateur se retrouvent à terre "Lui, retombé sur le derrière" l. 43: dignité refusée.
2) une scène fantastique.
- un cadre réaliste: l'atelier du sculpteur. Des détails réalistes: le poêle, un vocabulaire technique de sculpture: "l'armature" l. 16, "la planche" l. 19, "en coquille", "pli","renflement" l. 5, "petits plans" l. 9. Les artistes apprécient la sculpture en connaisseurs qui ont étudié l'anatomie féminine. Des éléments du corps énumérés comme "échine", "jarrets", "nuque", "ventre", "hanche gauche", "reins", "seins"...Une sorte de blason grivois: un regard d'homme également qui "s'excitait", "la caressait de loin" l. 4. Erotisme, sensualité et beauté attachés à la statue, devenue une idole. Cependant, manque d'élégance dans le propos qui rompt le mythe de l'artiste inspiré: du vocabulaire familier comme "bougre!" répété ou "elle se fout par terre" qui trahit l'appartenance populaire des personnages.
- une hallucination fantastique: personnification de la statue avec les verbes pronominaux "la gorge se gonflait" l. 11, "la statue s'animait". Les choses inanimées s'animent et échappent aux humains. Impression de surnaturel: lexique de la vie "s'animait", "roulaient", "gonflait", "chute vivante". La statue est également pourvue de sentiments, comparée à "une femme qui se jette" l. 13 à cause de l'"angoisse" et de la "douleur"
= Reprise du mythe de Pygmalion et de Prométhée (qui a crée les humains) mais sur le mode de l'échec.
3) une scène pathétique.
- une scène d'amour morbide: chute de la statue qui met fin à l'hallucination: explication réaliste: "En dégelant, la terre avait rompu le bois trop faible de l'armature" qui renvoie à la misère des personnages. Cependant, Mahoudeau reste dans l'hallucination: une scène d'amour avec le lexique "étreinte", "grande nudité de vierge", "premier éveil de la chair", "gorge amoureuse", "cuisses", une scène érotique mêlée à une scène macabre car démembrement de la statue, de nouveau chosifiée: "tronçon"l. 26 ou "la tête, détachée", évocation du suicide: "une femme qui se jette", "ces suicidées d'amour, qui se sont fracassées du haut d'un monument"l. 42, "morgue", "cadavre mutilé", énumération des parties du corps qui s'oppose à la splendeur de la Baigneuse: "la gorge défoncée", "ce sein aplati". Des termes violents et agressifs, réalistes qui provoquent le dégoût, le malaise et l'horreur du lecteur.
- On retrouve les mêmes mots pour désigner la statue et son créateur comme des doubles : "grand soupir" l. 11 et 45. De même ils sont blessés tous les deux: "le sang" de Mahoudeau coule sur "la plaie" et "les blessures" l. 35 de la statue. De même, évocation du suicide pour les deux "une femme qui se jette" et "si ce n'est pas à se ficher à l'eau" l. 30: une façon de parler certes, mais qui résonne ironiquement avec le nom de l'oeuvre "la Baigneuse"
- une déploration élégiaque: une scène cruelle pour Mahoudeau. Expression du chagrin poignant avec une gradation "Ses sanglots redoublaient, une lamentation d'agonie, une douleur hurlante d'amant" l. 32. Révolte contre la fatalité de la misère: "Chienne de misère" l. 30. Une scène larmoyante: "il éclata en gros sanglots" l. 28, "larmes" qui gagnent son compagnon "L'émotion avait gagné Claude, dont les yeux se mouillaient". L'émotion est perceptible aussi par le verbe de parole "bégaya-t-il" l. 37. Personnage pathétique qui "se traînait à genoux", recueille les reliques sacrées de son amour: "prenait les morceaux un à un". Douceur, attention méticuleuse pour reconstituer la statue qui n'en sera qu'une caricature "comique et lamentable", extrême compassion du sculpteur pour son oeuvre: "on ne peut pas la laisser comme ça". Regret de l'être aimé: Mahoudeau se comporte comme un amant jaloux, craignant "la brutalité" de son camarade.
= regard du narrateur sur ce personnage? entre compassion et moquerie. Mahoudeau, un Pygmalion ridicule et sans noblesse.
Autre possibilité d'analyse:
Comparaison avec le mythe de Pygmalion:
Points communs.
Le personnage de sculpteur : Mahoudeau. Vocabulaire de la sculpture : « la terre », « le bois », « deux tringles », « planche ». Regard du sculpteur : vocabulaire technique « le ventre en coquille », « joli pli à la taille », « renflement de la hanche », « petits plans »
La beauté de la statue : vocabulaire du corps féminin « reins », « gorge », « ventre »...des parties très sensuelles du corps. Blason.
La métamorphose de la statue : succession de verbes d'action comme « bougeait », « avait frémi », « s'était tendue » : des énumérations, des personnifications : les choses s'animent seules : « la jambe droite allait se mettre en marche ». Registre fantastique. La statue prend vie et est assimilée à une femme pourvue de sentiments : « angoisse », « douleur ».
Mahoudeau, un sculpteur amoureux :
* admiration du connaisseur pour son chef d'oeuvre : ponctuation expressive « Ah ! C'est ça que j'ai soigné ! » + métaphore méliorative « la peau, c'est du satin » enthousiasme et satisfaction de l'artiste.
* le désir : « s'excitait dans sa joie, la caressait de loin » : rappelle la convoitise érotique d'un homme pour une femme.
* le partage des sentiments : « la gorge amoureuse » et « amant » l. 39.
* l'acte sexuel évoqué crûment « Il y entra » l. 28, « les cuisses vinrent battre les siennes » : un contact charnel.
Différences.
- présence de Claude, témoin de la catastrophe : compassion pour l'échec de Mahoudeau mais jalousie du sculpteur : « voulait être seul à ramasser ».
- vocabulaire familier qui manque de noblesse : réalisme « nom de Dieu ! », « elle se fout par terre ! », « chienne de misère »., discours indirect libre « Hein ? Le ventre en coquille... » l. 6. Contraste avec le merveilleux de la mythologie.
- la pauvreté et la misère qui expliquent la chute de la statue « ne pouvoir seulement acheter deux tringles »
Chute de la statue qui fait penser à un suicide : « une femme qui se jette », « la Morgue », « cadavre ». Figure pathétique « comiques et lamentables » : absence de dignité symbolisée par la posture couchée acceptée comme une fatalité « je la ferai couchée ».
Manque de sublime dans l'expression familière « ma pauvre bonne femme »
Le corps est détruit, privé de vie : statue décapitée « la tête, détachée, roulait par terre », énumération «la tête, le torse, les bras » : dispersion des membres, vocabulaire de la déformation et de la laideur : « gorge défoncée, ce sein aplati, comme opéré d'un mal affreux ».
Mahoudeau, un sculpteur anéanti :
Un personnage désemparé : vocabulaire des larmes omniprésent. Les larmes se mêlent au sang. Identification sculpteur/ sculpture : blessures de la statue = sang de Mahoudeau ; chute de la statue = Mahoudeau à terre, « retombé sur le derrière ».
Une étreinte morbide : une amoureuse sans tête, « tronçon de femme » l. 31 : la statue, après avoir été personnifiée, est de nouveau chosifiée. Pitié et horreur du lecteur = registre tragique.
Fin d'un rêve pour Mahoudeau.
Séquence sur le roman.
Lecture analytique 3 : L'Oeuvre, Zola (1886). Chapitre VIII.
Le poêle commençait à rougir, une grosse chaleur se dégageait. Justement, la Baigneuse, placée très près, semblait revivre, sous le souffle tiède qui lui montait le long de l’échine, des jarrets à la nuque. Et tous les deux, assis maintenant, continuaient à la regarder de face et à causer d’elle, la détaillant, s’arrêtant à chaque partie de son corps. Le sculpteur surtout s’excitait dans sa joie, la caressait de loin d’un geste arrondi. Hein ? le ventre en coquille, et ce joli pli à la taille, qui accusait le renflement de la hanche gauche !
À ce moment, Claude, les yeux sur le ventre, crut avoir une hallucination. La Baigneuse bougeait, le ventre avait frémi d’une onde légère, la hanche gauche s’était tendue encore, comme si la jambe droite allait se mettre en marche.
— Et les petits plans qui filent vers les reins, continuait Mahoudeau, sans rien voir. Ah ! c’est ça que j’ai soigné ! Là, mon vieux, la peau, c’est du satin.
Peu à peu, la statue s’animait tout entière. Les reins roulaient, la gorge se gonflait dans un grand soupir, entre les bras desserrés. Et, brusquement, la tête s’inclina, les cuisses fléchirent, elle tombait d’une chute vivante, avec l’angoisse effarée, l’élan de douleur d’une femme qui se jette.
Claude comprenait enfin, lorsque Mahoudeau eut un cri terrible.
— Nom de Dieu ! ça casse, elle se fout par terre !
En dégelant, la terre avait rompu le bois trop faible de l’armature. Il y eut un craquement, on entendit des os se fendre. Et lui, du même geste d’amour dont il s’enfiévrait à la caresser de loin, ouvrit les deux bras, au risque d’être tué sous elle. Une seconde, elle oscilla, puis s’abattit d’un coup, sur la face, coupée aux chevilles, laissant ses pieds collés à la planche.
Claude s’était élancé pour le retenir.
— Bougre ! tu vas te faire écraser !
Mais, tremblant de la voir s’achever sur le sol, Mahoudeau restait les mains tendues. Et elle sembla lui tomber au cou, il la reçut dans son étreinte, serra les bras sur cette grande nudité vierge, qui s’animait comme sous le premier éveil de la chair. Il y entra, la gorge amoureuse s’aplatit contre son épaule, les cuisses vinrent battre les siennes, tandis que la tête, détachée, roulait par terre. La secousse fut si rude qu’il se trouva emporté, culbuté jusqu’au mur ; et, sans lâcher ce tronçon de femme, il demeura étourdi, gisant près d’elle.
— Ah ! bougre ! répétait furieusement Claude, qui le croyait mort.
Péniblement, Mahoudeau s’agenouilla, et il éclata en gros sanglots. Dans sa chute, il s’était seulement meurtri le visage. Du sang coulait d’une de ses joues, se mêlant à ses larmes.
— Chienne de misère, va ! Si ce n’est pas à se ficher à l’eau, que de ne pouvoir seulement acheter deux tringles !… Et la voilà, et la voilà…
Ses sanglots redoublaient, une lamentation d’agonie, une douleur hurlante d’amant devant le cadavre mutilé de ses tendresses. De ses mains égarées, il en touchait les membres, épars autour de lui, la tête, le torse, les bras qui s’étaient rompus ; mais surtout la gorge défoncée, ce sein aplati, comme opéré d’un mal affreux, le suffoquait, le faisait revenir toujours là, sondant la plaie, cherchant la fente par laquelle la vie s’en était allée ; et ses larmes sanglantes ruisselaient, tachaient de rouge les blessures.
— Aide-moi donc, bégaya-t-il. On ne peut pas la laisser comme ça.
L’émotion avait gagné Claude, dont les yeux se mouillaient, eux aussi, dans sa fraternité d’artiste. Il s’empressa, mais le sculpteur, après avoir réclamé son aide, voulait être seul à ramasser ces débris, comme s’il eût craint pour eux la brutalité de tout autre. Lentement, il se traînait à genoux, prenait les morceaux un à un, les couchait, les rapprochait sur une planche. Bientôt, la figure fut de nouveau entière, pareille à une de ces suicidées d’amour, qui se sont fracassées du haut d’un monument, et qu’on recolle, comiques et lamentables, pour les porter à la Morgue. Lui, retombé sur le derrière, devant elle, ne la quittait pas du regard, s’oubliait dans une contemplation navrée. Pourtant, ses sanglots se calmaient, il dit enfin avec un grand soupir :
— Je la ferai couchée, que veux-tu !… Ah ! ma pauvre bonne femme, j’avais eu tant de peine à la mettre debout, et je la trouvais si grande !
Lecture analytique 4: fin chapitre IX-début chapitre X de l'Oeuvre.
Une étrange veillée funèbre...
- un père effondré par le décès de son fils: une scène tragique.
Lexique de la mort omniprésent: "petit cadavre" l. 3, "les yeux fixes" l. 3, "fils glacé" l. 8 avec l'évocation des rituels traditionnels "cimetière" l. 15, "enterrement" l. 16, même si cela n'est pas raconté.
Malaise de Claude montré par son instabilité causée par le chagrin: "besoin nerveux de changer de place" l. 1, "la face convulsée", répétition du même geste nerveux: "qu'il essuyait régulièrement", "il continuait de les essuyer": témoigne d'un chagrin ravageur face à un spectacle poignant contenu dans l'expression " petit cadavre" l. 3 qui associe l'enfance, symbole d'innocence "petit" à la mort "cadavre" alors que les deux notions devraient être séparées. La fébrilité du père contraste avec l'immobilité de l'enfant: "les yeux fixes".
Lexique de la tristesse très présent: "grosses larmes"l. 2, "ses larmes"l. 6: le chagrin le submerge. Trouble se lit dans ses gestes malhabiles: "pinceau tremblant"l. 7 et la métaphore hyperbolique "noyant tout d'un brouillard" l.7. Perte des repères qui montre son bouleversement.
Le fait de peindre son fils peut être interprété au début comme une volonté de lui rendre hommage: le choix du support "petite toile" renvoie à son fils "petit cadavre". On peut aussi comprendre que le travail dont le lexique est très présent "travail" l. 7, "besogne" l. 12, "travailla" l. 15 est un moyen d'exorciser son malheur, même si on remarque que le travail remplace les larmes au fur et à mesure du texte.
- un peintre charognard: la double métamorphose.
Une fascination morbide pour le cadavre: une attirance quasi diabolique "Les yeux fixes grands ouverts, semblaient exercer sur lui une puissance" l. 4. Les yeux de l'enfant ne sont pas fermés (négligence du père, manque de respect de la dépouille de l'enfant défunt): ambiguïté entre la mort et la vie qui favorise une atmosphère fantastique.
Progression dans la folie du personnage de Claude: connecteurs temporels comme "d'abord" l. 4, "enfin" l. 5, "pendant les premières minutes" l. 6, "puis" l. 7 et "bientôt" l. 8. Le personnage a conscience d'une transgression, d'un interdit, d'une profanation du corps sacré de l'enfant mort et d'une tentation avec les verbes opposés "résista" et "céda", ce qui rappelle une tentation diabolique. Métamorphose du personnage: des séries d'oppositions: "pinceau tremblant" s'oppose à "assura sa main", "souriait" et "sécha" s'oppose à "de grosses larmes". Appétit esthétique du peintre qui se nourrit de la mort de son enfant comme l'indique l'expression "de cette petite toile dont il était plein" (fin du texte). La monstruosité de Claude s'exprime dans l'énumération de verbes connotant la satisfaction: "il se reculait, se complaisait, souriait". Il réagit en esthète sans coeur: la mort de son fils lui a redonné la vie, proche de la jouissance "le passionna". On note l'opposition entre "son fils glacé" et "le chauffait d'une flamme" qui préfigure peut-être la damnation.
= une sorte de coup de foudre artistique. L'émotion ressentie est une émotion esthétique et non plus paternelle.
L'enfant est transformé en nature morte: parallélisme de construction fondé sur la négation: "il n'y eut plus là son fils glacé", négation restrictive: "il n'y eut qu'un modèle". Transformation de l'enfant en objet déshumanisé. Claude le voit avec des yeux de peintre: sensible aux couleurs: "ce ton de cire des chairs", aux formes: "ces yeux pareils à des trous", au "dessin". Claude désigne ensuite l'oeuvre par un démonstratif quasi méprisant "ça" l. 20. Aucune valeur affective attachée à la peinture, qui entre dans un rapport marchant avec Fagerolles. Une scène intime est exhibée sans émotion "je vais envoyer ça au Salon". Claude, un père dénaturé.
- la réaction des autres personnages:
Christine, la mère: couple désuni face à la mort de leur fils. Chacun est dans sa solitude: annonce d'une rupture proche. Expression du désespoir tragique avec la ponctuation expressive "Ah!", "il ne bougera plus!". La reprise des larmes= Christine constate le manque d'amour du père, qui a symboliquement tué son fils une deuxième fois.
Sandoz: l'ami qui aide à surmonter les épreuves "le ramena du cimetière". Expression d'émotions fortes: hyperboles "frémit de pitié et d'admiration", "la vie mourant de la mort de cet enfant". Pour lui, la force de l'oeuvre vient de la "tristesse" de Claude. Or, opposition avec la distance froide de Claude, aveuglé par sa soif de succès et de reconnaissance du "Salon". Désignation méprisante "l'autre machine" qui annonce "palais de l'Industrie", "ça": le titre "l'Enfant mort" montre bien que cet enfant ne représente plus rien pour lui avec l'article généralisant "l'".
Fagerolles: même utilisation du démonstratif "ça", un double de Claude. Claude ne se confie pas à lui sur la mort de son enfant mais parle "de son envoi". Aucune confidence intime. Inhumanité de ces deux personnages pris dans un rapport marchand.
Séquence sur le roman.
Lecture analytique 4 : L'Oeuvre, Zola (1886). Chapitre IX- début du chapitre X
Claude s’était mis à marcher, dans un besoin nerveux de changer de place. La face convulsée, il ne pleurait que de grosses larmes rares, qu’il essuyait régulièrement, d’un revers de main. Et, quand il passait devant le petit cadavre, il ne pouvait s’empêcher de lui jeter un regard. Les yeux fixes, grands ouverts, semblaient exercer sur lui une puissance. D’abord, il résista, l’idée confuse se précisait, finissait par être une obsession. Il céda enfin, alla prendre une petite toile, commença une étude de l’enfant mort. Pendant les premières minutes, ses larmes l’empêchèrent de voir, noyant tout d’un brouillard : il continuait de les essuyer, s’entêtait d’un pinceau tremblant. Puis, le travail sécha ses paupières, assura sa main ; et, bientôt, il n’y eut plus là son fils glacé, il n’y eut qu’un modèle, un sujet dont l’étrange intérêt le passionna. Ce dessin exagéré de la tête, ce ton de cire des chairs, ces yeux pareils à des trous sur le vide, tout l’excitait, le chauffait d’une flamme. Il se reculait, se complaisait, souriait vaguement à son œuvre.
Lorsque Christine se releva, elle le trouva ainsi à la besogne. Alors, reprise d’un accès de larmes, elle dit seulement :
- Ah ! tu peux le peindre, il ne bougera plus !
Durant cinq heures, Claude travailla. Et, le surlendemain, lorsque Sandoz le ramena du cimetière, après l’enterrement, il frémit de pitié et d’admiration devant la petite toile. C’était un des bons morceaux de jadis, un chef-d’œuvre de clarté et de puissance, avec une immense tristesse en plus, la fin de tout, la vie mourant de la mort de cet enfant.
Mais Sandoz, qui se récriait, plein d’éloges, resta saisi d’entendre Claude lui dire :
- Vrai, tu aimes ça ?… Alors, tu me décides. Puisque l’autre machine n’est pas prête, je vais envoyer ça au Salon.
X
La veille, Claude avait porté l'Enfant mort au Palais de l'Industrie, lorsqu'il rencontra Fagerolles, un matin qu'il vaguait du côté du parc Monceau.
- Comment ! C'est toi, mon vieux ! S'écria cordialement ce dernier. Et qu'est-ce que tu deviens, qu'est-ce que tu fais ? On se voit si peu !
Puis lorsque l'autre lui eut parlé de son envoi au Salon, de cette petite toile, dont il était plein, il ajouta :
- Ah ! Tu as envoyé, mais alors je vais te faire recevoir ça. Tu sais que, cette année, je suis candidat au jury.
Les intro sur les textes: Méthode pour une introduction à l'oral. Valable pour les textes de la séquence (les bijoux, les métamorphoses du vampire, le léthé, à celle qui est trop gaie). 1) Des éléments biographiques importants sur l'auteur 2) Des connaissances sur l'oeuvre (les Fleurs du Mal) 3) présentation du texte 4) présentation de la question posée par l'examinateur 5) proposition de plan 6) lecture du texte.
BAUDELAIRE
1) éléments biographiques Naît en 1821. A 6 ans, mort du père. Remariage rapide de sa mère avec le général Aupick que Baudelaire détestera toujours. Vie de bohème : voyage à la Réunion : sensible à la beauté exotique. De retour à Paris, fréquente l'actrice Jeanne Duval. Dilapide l'héritage paternel : mis sous tutelle donc doit travailler. Journaliste (rédige des Salons) et traducteur de Poe. 1857 : publie les Fleurs du Mal.
2) L'oeuvre Dès sa parution, procès. Maître Pinard, procureur, avait requis contre Madame Bovary. Accuse le recueil d'offense à la religion et à la morale publique. Auteur et son éditeur condamnés à une amende et doit retirer 6 pièces. Tente de les publier sous le titre Les Epaves en Belgique mais nouveau procès. Faudra attendre 1949 pour l'annulation de la condamnation. Poète sort meurti de cette expérience : se sent incompris, rejeté de la société.
3) présentation du texte Poème censuré Forme ? (alexandrins ? Décasyllabes ? Quatrains?) thématique générale
4) présentation de la question posée par l'examinateur
5) proposition de plan
6) lecture du texte.
MOLIERE
Intro Molière: Intro Bourgeois : - Présentation auteur : Célèbre dramaturge du XVIIème siècle. Père tapissier du roi. Carrière d’acteur, metteur et scène et chef de troupe. Bénéficie de la protection du roi Louis XIV (parrain de son fils). Création de comédies-ballets qui correspondent aux goûts du roi pour les fêtes de Versailles : collaboration avec LULLI (musique) et BEAUCHAMP (danse). - Contexte historique : France d’Ancien régime : deux ordres privilégiés : le clergé et la noblesse ≠la bourgeoisie (habitant des villes) : haute bourgeoisie (finance…), moyenne bourgeoisie (profession libérale…), petite bourgeoisie (commerçant…). Aspire aux privilèges de la noblesse. Noblesse et bourgeoisie en rivalité dont la pièce se fait l’écho. - La pièce : 23ème pièce de Molière sur 26. Pièce de 1670 et meurt en 1673. Incident diplomatique : venue du diplomate turc Soliman Aga reçu avec fastes à la cour mais n'exprime aucune admiration. Louis XIV vexé. Commande à Molière un ballet à la turque pour se venger. Dans cette comédie-ballet, M. Jourdain veut à tout prix s’élever au-dessus de sa condition de bourgeois. Sa femme, Mme Jourdain, tente de s’opposer à la folie de son mari. - présentation du passage : situation dans l’oeuvre, ce qui s’est passé avant, en quoi ce passage est important...
CHARLOTTE
Introduction aux lectures analytiques. - D. Foenkinos: un auteur contemporain - Charlotte: roman biographique sur femme peintre allemande Charlotte Salomon morte pendant la guerre à Auschwitz, en 1943 alors qu'elle était enceinte. Artiste méconnue, qui a fasciné D. Foenkinos. Vie tragique marquée par les nombreux suicides dans sa famille. Isolement de Charlotte dans le contexte historique de l'Allemagne sous Hitler. Grand amour pour Alfred qu'elle doit quitter pour fuir la guerre. Auteur de Vie? ou Théâtre?, une oeuvre autobiographique qui mélange de peinture (1300 gouaches), de mots et de musique. D. Foenkinos raconte aussi sa quête, sur les traces de Charlotte Salomon: 8 ans de travail, voyages en Allemagne et dans le sud de la France. Style particulier (une phrase par ligne) comme: un souffle qui permet la respiration du lecteur. Hommage et portrait de Charlotte Salomon.
ZOLA
Intro Zola. - 1840-1902 : * jeunesse difficile à Aix en Provence, difficultés financières. * employé chez Hachette où côtoie des écrivains * cycle des Rougon-Macquart qui suit l'histoire d'une famille sous le second empire, qui explore tous les milieux sociaux. Personnages marqués par une hérédité. * chef de file du Naturalisme * écrivain engagé dans l'affaire Dreyfus. * meurt dans des circonstances tragiques. Présentation de l'oeuvre : * Zola proche des milieux artistiques : critique d'art. Défend Manet. Hommage de celui-ci par un portrait. * l'Oeuvre date de 1886 : une part autobiographique sous les traits de Sandoz. Le peintre Cézanne a effectivement été son ami d'enfance (Cézanne rejettera le roman : brouille entre les deux hommes). Claude peut aussi rappeler Manet ou Monet.
Lecture analytique 1 Pascal « grandeur », « contrariétés », « transition »
Un discours logique, ferme et rigoureux ?
Un raisonnement condensé et concis: le discours grave et sérieux d'un philosophe qui ne cherche pas à plaire à son lecteur.
des connecteurs logiques :: « donc », « mais » très souvent présent dans le texte. Présence du raisonnement par syllogisme
par exemple fragment 130
l’homme est un roseau, plus faible que l’univers
or, l’homme le sait tandis que l’univers ne connaît pas sa supériorité sur nous
donc, notre force réside dans la pensée
une définition de l’homme : article défini « l'homme », répétition de « l’homme », verbe d’état « être », présent de vérité générale : « l'homme n'est qu'un roseau pensant »
beaucoup de questions rhétoriques pour faire réfléchir le lecteur et remettre en cause ses certitudes
→ C’est le discours d’un moraliste qui s’adresse directement au lecteur (pronom « nous » et impératif) pour lui indiquer une ligne de conduite
→ Un ton qui s’impose, tranchant, catégorique et péremptoire: un art de la formule qui en impose : Pascal cherche à convaincre son lecteur en faisant appel à sa réflexion pour comprendre ses raisonnements et donc à sa pensée, prouvant ainsi sa dignité. Pascal semble supérieur en s'excluant de l'humanité avec laquelle il n'a aucune complaisance "s'il se vante, je l'abaisse"...il tient le lecteur à distance et en même temps semble le contrôler.
2. cependant, des indices qui montrent une émotion. Pascal est aussi un poète.
dernier fragment « m’effraie » → angoisse, implication personnelle. Le pronom « je » a un statut différent dans ce fragment: c'est Pascal lui-même : une confidence intime, un ton sincère qui témoigne d'une inquiétude profonde, et d'une solitude touchante d'une âme perdue dans l'infini.
des effets poétiques : rythme, allitérations en "s", métaphore : « Le silence de ces espaces infinis m'effraie », « L'homme n'est qu'un roseau pensant ».
→ Pascal cherche aussi à persuader son lecteur en créant en lui une inquiétude existentielle, une émotion qui le touche.
L’énigme de l’homme : un être complexe, mélange de grandeur et de misère. Un phénomène déconcertant alors que c’est un sujet banal pour chacun d’entre nous
La misère de l’homme
métaphore du roseau, négation restrictive : « L'homme n'est qu'un roseau », superlatif : « le plus faible de la nature » → une leçon d’humilité pour le lecteur
lexique de la vulnérabilité, comparaison « comme un point », hyperbole, lexique de la destruction → l’univers semble hostile, menaçant et tout-puissant (il est d’ailleurs personnifié), en position sujet ≠ homme : COD : « une vapeur, une goutte d'eau suffit pour le tuer »
→ Dramatisation avec des termes hyperboliques pour frapper l’imagination du lecteur : répétition du verbe « écraser » pour impressionner le lecteur, voire lui faire peur.
fragilité et solitude de l'Homme sans Dieu: le fragment 201 sonne comme un cri de désespoir. Pessimisme de Pascal janséniste
2.la grandeur de l’homme
sa grandeur vient de sa faculté de penser, activité de l’esprit : lexique de l’intelligence, lexique de la fierté et de la supériorité comme "juge", "gloire"
Paradoxe : la prise de conscience de son malheur fait de lui sa supériorité
Par rapport à l’arbre, à l’univers (la nature) : négations l. 22 et 5-6. supériorité physique de l’univers/ supériorité morale de l’homme.
mais l'homme redevient sujet « il sait qu'il meurt »
→ Cependant, cette intelligence ne le rend pas plus heureux : il sait qu’il n’est rien (voir fragment 201): dimension tragique de l'existence humaine.
3.L’homme : un entre-deux entre grandeur et misère
une série d’antithèses : lexique dévalorisant : « rebut » et valorisant « gloire », un éloge et un blâme. Un discours violent et polémique (animalisation proche de l’insulte et de l’humiliation: le ver de terre). Pourtant, rythme binaire : un équilibre dans l’écriture alors que profond déséquilibre de la nature humaine, tiraillée entre grandeur et misère.
l’homme devient un sujet d’étonnement et de questionnement : lexique de l’étrangeté (= une impasse pour Pascal : « quelle nouveauté, quel monstre, quel sujet de contradictions, quel prodige ? ») et hyperbole alors que cela pourrait passer pour un sujet banal ou familier. La construction du texte très labyrinthique est à l'image de l'homme "incompréhensible" lui-même. Le texte est un portrait de la condition humaine.
Pensées (1670), Pascal
Extraits de « Grandeur », « Contrariétés », « Transition »
GRANDEUR.
113 Roseau pensant. – Ce n’est point de l’espace que je dois chercher ma dignité, mais c’est du règlement de ma pensée. Je n’aurai pas davantage en possédant des terres : par l’espace, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point ; par la pensée, je le comprends.
114 La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable ; un arbre ne se connaît pas misérable. C’est donc être misérable que de se connaître misérable, mais c’est être grand que de connaître qu’on est misérable.
CONTRARIETES.
124 Contrariétés. L’homme est naturellement crédule, incrédule, timide, téméraire.
130 S’il se vante je l’abaisse.
S’il s’abaisse je le vante.
Et le contredis toujours.
Jusqu’à ce qu’il comprenne
Qu’il est un monstre incompréhensible.
131 […] Quelle chimère1 est-ce donc que l’homme ? Quelle nouveauté, quel monstre, quel sujet de contradictions, quel prodige ? Jude de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque2 d’incertitude et d’erreur, gloire et rebut de l’univers. Qui démêlera cet embrouillement ?
TRANSITION.
200 L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais, quand3 l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever et non de l’espace et de la durée, que nous ne serions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale4.
201 Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie.
1 être hybride, composite
2 endroit qui recueille les eaux sales
3 même si
4 code de conduite.
Lecture analytique 2: Maupassant, "Solitude".
I. un confession intime :
omniprésence du pronom personnel de la 1ère personne : introspection (observation d'une conscience individuelle par elle-même ). Faire son introspection: explorer sa vie intime. Nous sommes à l'aube de la psychanalyse (Maupassant contemporain de Charcot (fin XIXème siècle), professeur à la Salpêtrière où Freud fut son élève: fit des recherches sur les pathologies nerveuses et sur l'hypnose). Le personnage se livre et se dévoile avec une forme de lyrisme comme le montre la ponctuation expressive: "Misère! Misère!" Favorise la proximité avec le lecteur devenu confident. D'ailleurs, utilisation de la citation d'un poème (forme lyrique par excellence, propre à l'expression des sentiments) de "Sully Prudhomme" pour appuyer son propos comme argument d'autorité. Le style de Maupassant est lui-même poétique ce qui permet au lecteur de comprendre le personnage : beaucoup de comparaisons "comme un éclair dans la nuit", "comme une graine de feu"et de métaphores dans le texte qui ressemble à un poème en prose et qui peut toucher le lecteur.
le vocabulaire de l'intériorité : « mon cœur » l. 14, « mon âme » l. 22, « ce lieu secret du Moi » l. 23: importance de la majuscule. et cependant, le texte ne dit que l'échec de toute confession avec la négation : « je ne me sens jamais plus seul que lorsque je livre mon cœur à quelque ami » : paradoxe entre la solitude et l'intimité, la proximité affective de « ami ». Pas de communication, ni de partage possible. Parle même de ses rapports intimes avec une femme: "nous n'allons faire qu'un", "descendu jusqu'au plus profond de l'âme" symbole de fusion charnelle et spirituelle. Pourtant constat que l'intimité d'autrui est impénétrable "nous n'avons jamais connu la pensé intime et banale"
Vocabulaire de la souffrance extrême : comparatif de supériorité « quelque chose de plus affreux » l. 8, hyperbole « souffrance atroce »l. 8, « plus tourmenté » l. 36 et « mon horrible et subtile souffrance » l. 28 qui s'oppose au bonheur éphémère « heureux, une seconde, peut-être » : une disproportion qui montre le registre pathétique du texte. Le locuteur se plaint "Misère! Misère!", on a la sensation qu'il vit un enfer, toujours tenté de lier une relation mais toujours frustré: "Sais-tu quelque chose de plus affreux que ce constant frôlement des êtres que nous ne pouvons pénétrer!"
II un constat d'échec : une confession très pessimiste.
Omniprésence de la négation, avec beaucoup de répétition de l'adverbe « jamais » et du nom « personne » : le début est assez brutal avec "Non" et la répétition de "personne": "personne ne connaît personne" : la répétition évoque une sorte d'impasse, un cercle vicieux dont on ne trouve pas l'issue. On le voit avec les préfixes négatifs: « l'infranchissable obstacle » l. 15, "désintéressé", "invisible", "inexplorée" l. 62. Un repli final inquiétant, proche de la mort. Résignation , renoncement à la vie symbolisée par l'énumération: "les opinions, les querelles, les plaisirs, les croyances": le personnage semble détachée, voire misanthrope, n'attendant plus rien de l'humanité.
le discours ne progresse pas : l. 1 « personne ne comprends personne » et ligne 25 « personne ne me ressemble parce que personne ne comprend personne » : un soliloque qui tourne à vide. Le locuteur reste sur un constat catégorique au présent de vérité général. Lucidité de celui qui apparaît comme un moraliste qui n'est plus victime d'"erreur"l. 35 ni d'"illusion" l. 32.
Le personnage ne trouve aucun réconfort :
* ni dans l'amitié: vocabulaire de la dépendance avec "enchaînement", "torturant besoin" l. 10 qui transforme l'homme en esclave d'autrui. Une illusion de communion : une série d'antithèses : « mêler » et « heurter », « enchaînés » et « aimons » + rythme binaire qui associe un terme positif "confidences" avec un terme négatif "infructueuses" renforcé par une accumulation « tous nos efforts restent stériles... » l. 11. C'est la déception qui se lit.
* ni dans l'amour : constat amer d'une promesse non tenue: "Quand on entre dans l'Amour, il semble qu'on s'élargit" l. 33 qui aboutit à "après chaque baiser, après chaque étreinte, l'isolement s'agrandit" l. 44. Vocabulaire du bonheur "une félicité surhumaine", "immense bonheur" hyperbolisé qui suscite l'espoir et qui contraste avec le dépit que provoque l'échec de cette communion parfaite tant attendue: répétition de "quelle illusion!", "quelle erreur!": l'exclamation exprime une forme de dégoût face à la naïveté de croire en l'amour.
Une sorte de vertige existentiel qui s'exprime avec la comparaison avec les planètes : Vocabulaire cosmique: "espace", "infini", "terre", étoiles". l.2 qui rappelle la réflexion de Pascal entre les deux infinis. L'éloignement entre la terre et les étoiles serait comparable à l'éloignement entre deux êtres : une dramatisation de la solitude qui devient une fatalité tragique contre laquelle l'homme est impuissant.
III. une confession à sens unique : les interlocuteurs restent muets et donnent raison implicitement à celui qui parle : personne ne lui répond :
volonté de communication : des marques d'un discours oral « Eh bien » l. 7
Pronom « tu » très souvent présent (= le narrateur confident? le lecteur?) et des questions rhétoriques« Me comprends-tu? »répété l. 26 et 65 : l'interlocuteur est très souvent sollicité. C'est la dernière phrase du texte comme une bouteille à la mer: le texte est en même temps pessimiste et en même temps plein d'espoir.
cependant, des questions qui restent sans réponse, la plupart du temps : « Me comprends-tu, au moins, en ce moment, toi ? » l. 26 laisse place au silence. Une absence de transcendance : Dieu n'est jamais évoqué dans le texte, la religion n'est d'aucun secours.
reconstitution d'un dialogue fictif : « Qu'est-ce qu'il a ce soir ? » pour rompre la solitude : dédoublement. Une sous conversation se met en place: le personnage reconstitue les pensées qu'on peut avoir quand on parle à autrui. Cependant, suspicion face à l'autre, plein d'arrière-pensée et de mauvaise foi: accumulation d'interrogations et de termes négatifs « il me hait peut-être ? Ou me méprise ? » : l'autre est un ennemi, un danger, en même temps que la seule issue pour sortir de la solitude. Le personnage a peur de la liberté ! : « la pensée cachée et libre, que nous ne pouvons ni connaître, ni conduire, ni dominer, ni vaincre ! » vocabulaire de la domination qui montre qu'il est dépendant du regard d'autrui. Une sorte de folie : le personne devine notre pensée : « Non, tu me juges fou ! », ce qui remet en cause son texte : « l'homme ne sait pas davantage ce qui se passe dans un autre homme ».
Texte Maupassant:
Non, personne ne comprend personne, quoi qu'on pense, quoi qu'on dise, quoi qu'on tente. La terre sait-elle ce qui se passe dans ces étoiles que voilà, jetées comme une graine de feu à travers l'espace, si loin que nous apercevons seulement la clarté de quelques-unes, alors que l'innombrable armée des autres est perdue dans l'infini, si proches qu'elles forment peut-être un tout, comme les molécules d'un corps ?
Eh bien, l'homme ne sait pas davantage ce qui se passe dans un autre homme. Nous sommes plus loin l'un de l'autre que ces astres, plus isolés surtout, parce que la pensée est insondable.
Sais-tu quelque chose de plus affreux que ce constant frôlement des êtres que nous ne pouvons pénétrer ! Nous nous aimons les uns les autres comme si nous étions enchaînés, tout près, les bras tendus, sans parvenir à nous joindre. Un torturant besoin d'union nous travaille, mais tous nos efforts restent stériles, nos abandons inutiles, nos confidences infructueuses, nos étreintes impuissantes, nos caresses vaines. Quand nous voulons nous mêler, nos élans de l'un vers l'autre ne font que nous heurter l'un à l'autre.
Je ne me sens jamais plus seul que lorsque je livre mon coeur à quelque ami, parce que je comprends mieux alors l'infranchissable obstacle. Il est là, cet homme ; je vois ses yeux clairs sur moi ; mais son âme, derrière eux, je ne la connais point. Il m'écoute. Que pense-t-il ? Oui, que pense-t-il ? Tu ne comprends pas ce tourment ? Il me hait peut-être ? ou me méprise ? ou se moque de moi ? Il réfléchit à ce que je dis, il me juge, il me raille, il me condamne, m'estime médiocre ou sot. Comment savoir ce qu'il pense ? Comment savoir s'il m'aime comme je l'aime ? et ce qui s'agite dans cette petite tête ronde ? Quel mystère que la pensée inconnue d'un être, la pensée cachée et libre, que nous ne pouvons ni connaître, ni conduire, ni dominer, ni vaincre !
Et moi, j'ai beau vouloir me donner tout entier, ouvrir toutes les portes de mon âme, je ne parviens point à me livrer. Je garde au fond, tout au fond, ce lieu secret du Moi où personne ne pénètre. Personne ne peut le découvrir, y entrer, parce que personne ne me ressemble, parce que personne ne comprend personne.
Me comprends-tu, au moins, en ce moment, toi ? Non, tu me juges fou ! tu m'examines, tu te gardes de moi ! Tu te demandes : "Qu'est-ce qu'il a, ce soir ?" Mais si tu parviens à saisir un jour, à bien deviner mon horrible et subtile souffrance, viens-t'en me dire seulement : Je t'ai compris ! et tu me rendras heureux, une seconde, peut-être.
Ce sont les femmes qui me font encore le mieux apercevoir ma solitude.
Misère ! Misère ! Comme j'ai souffert par elles, parce qu'elles m'ont donné souvent, plus que les hommes, l'illusion de n'être pas seul !
Quand on entre dans l'Amour, il semble qu'on s'élargit. Une félicité surhumaine vous envahit. Sais-tu pourquoi ? Sais-tu d'où vient cette sensation d'immense bonheur ? C'est uniquement parce qu'on s'imagine n'être plus seul. L'isolement, l'abandon de l'être humain paraît cesser. Quelle erreur !
Plus tourmentée encore que nous par cet éternel besoin d'amour qui ronge notre coeur solitaire, la femme est le grand mensonge du Rêve.
Tu connais ces heures délicieuses passées face à face avec cet être à longs cheveux, aux traits charmeurs et dont le regard nous affole. Quel délire égare notre esprit ! Quelle illusion nous emporte !
Elle et moi, nous n'allons plus faire qu'un, tout à l'heure, semble-t-il ? Mais ce tout à l'heure n'arrive jamais, et, après des semaines d'attente, d'espérance et de joie trompeuse, je me retrouve tout à coup, un jour, plus seul que je ne l'avais encore été.
Après chaque baiser, après chaque étreinte, l'isolement s'agrandit. Et comme il est navrant, épouvantable.
Un poète, M. Sully Prudhomme, n'a-t-il pas écrit :
Infructueux essais du pauvre amour qui tente
L'impossible union des âmes par les corps...
Et puis, adieu. C'est fini. C'est à peine si on reconnaît cette femme qui a été tout pour nous pendant un moment de la vie, et dont nous n'avons jamais connu la pensée intime et banale sans doute !
Aux heures mêmes où il semblait que, dans un accord mystérieux des êtres, dans un complet emmêlement des désirs et de toutes les aspirations, on était descendu jusqu'au profond de son âme, un mot, un seul mot, parfois, nous révélait notre erreur, nous montrait, comme un éclair dans la nuit, le trou noir entre nous.
Et pourtant, ce qu'il y a encore de meilleur au monde, c'est de passer un soir auprès d'une femme qu'on aime, sans parler, heureux presque complètement par la seule sensation de sa présence. Ne demandons pas plus, car jamais deux êtres ne se mêlent.
Quant à moi, maintenant, j'ai fermé mon âme. Je ne dis plus à personne ce que je crois, ce que je pense et ce que j'aime. Me sachant condamné à l'horrible solitude, je regarde les choses, sans jamais émettre mon avis. Que m'importent les opinions, les querelles, les plaisirs, les croyances ! Ne pouvant rien partager avec personne, je me suis désintéressé de tout. Ma pensée, invisible, demeure inexplorée. J'ai des phrases banales pour répondre aux interrogations de chaque jour, et un sourire qui dit : "Oui", quand je ne veux même pas prendre la peine de parler.
Me comprends-tu ?
Extrait de Micromégas "Ô atomes intelligents"
Intro:
- Voltaire (1694-1778): une vie longue qui occupe presque tout le XVIIIème siècle. Symbolise la philosophie des Lumières.
* tour à tour aimé et haï par le pouvoir royal: un courtisan brillant dont les oeuvres sont appréciées par la cour mais aussi un esprit satirique qui n'hésite pas à dénoncer les dysfonctionnements de sa société = il est plusieurs fois emprisonné à la Bastille ou contraint à l'exil.
* Il finit par s'établir à Ferney en Suisse: sa propriété des "Délices" devient un lieu d'accueil des intellectuels de son temps. Voltaire y continue sa lutte contre l'intolérance comme le montre son engagement lors de l'affaire Calas (Protestant accusé à tort du meurtre de son fils).
- Micromégas: conte philosophique de 1752. (voir l'étude faite sur la lecture cursive).
- présentation de l'extrait: dernier chapitre. Micromégas s'entretient avec les philosophes qui lui dressent un tableau pessimiste de l'humanité: Voltaire utilise le regard extérieur et étranger du géant pour montrer l'étrangeté des comportements humains. Actualité du texte: conflit entre les Russes et les Turcs depuis 1736.
Lecture analytique.
I. Un dialogue didactique vivant.
- les marques du dialogue: omniprésence du discours direct ou indirect: dynamisme et vivacité de la scène. Aspect théâtral du texte qui permet de donner une réflexion philosophique en divertissant le lecteur. Des verbes de parole comme "s'écria" ou "répondit-on". Ponctuation expressive présente: "Ah! malheureux!", question rhétorique l. 12 qui témoigne d'un échange animé. Pronom "vous" domine le dialogue. Le comique est également présent avec la caricature des conflits grotesques entre ceux qui portent des "turbans" et ceux qui portent des "chapeaux", le lyrisme de l'interjection "Ô" l. 1 alors que les hommes ne sont que de "chétifs animaux", changement d'humeur radicale de Micromégas qui fait penser à un enfant "il me prend envie de faire trois pas" alors qu'il valorisait l'esprit au début du texte.
- répartition inégale de la parole: discours grandiloquent de Micromégas au début qui laisse penser qu'il aura la place dominante du discours d'autant que c'est un géant qui doit avoir plus d'importance que les hommes. Or, renversement des rapports de force car Micromégas parle de moins en moins (le géant est l'ignorant). Les philosophes au contraire ont un discours didactique (= qui a pour objectif d'instruire) par les impératifs "sachez que" répété l. 23-24, ou les explications "savez-vous bien, par exemple" l. 9. Reprise des termes de Micromégas "matière", "esprit", "animaux" pour réfuter son idéalisation naïve de l'espèce humaine. Ils apparaissent comme des sages lucides dans leur pessimisme: opposition entre "bonheur" l. 4 et "malheureux" l. 7. Les philosophes sont unanimes (contrairement aux autres hommes qui se déchirent): ils sont valorisés puisque le texte souligne leur honnêteté: "franc", "bonne foi". Ils s'incluent dans cette humanité détestable avec le pronom " nous" puis prennent de la distance: pronom "ils" l. 23. Ils sont les porte-parole de Voltaire.
- évolution du personnage de Micromégas: a) de l'admiration pour les hommes: le géant surestime les hommes:
* oxymore du début "atomes intelligents": périphrase méliorative, à l'image du nom "Micromégas"
* lexique de l'intelligence et du savoir "intelligents", "esprits" répétés qui conduit au bonheur "joies bien pures", "à aimer et à penser", "le vrai bonheur" qui souligne la dignité, la grandeur et la noblesse de l'homme désigné comme une créature divine parfaite puisque l"Etre éternel s'est plu à vous manifester son adresse et sa puissance" = déisme de Voltaire qui croit que Dieu est le créateur de l'univers. Cet éloge optimiste est renforcé par la petitesse physique de l'homme "petite race humaine" réduite à un "atome" sur "peu de matière". Micromégas pense que tous les hommes sont comme les philosophes: malentendu de départ.
b) mais désillusion, colère et pitié de Micromégas: évolution dans les verbes: "frémit", "s'écria avec indignation", "se sentait ému de pitié". L'utopie initiale fait place à la déception: la désignation méliorative "atomes intelligents" évolue en un decrescendo: "si chétif animaux" et "fourmilière d'assassins ridicules". La pulsion d'extermination comique par son excès: "d'écraser de trois coups de pied" s'oppose à l'éloge de l'"esprit" du début. Dévalorisation des hommes.
II. la satire de la guerre.
La guerre est présentée comme symbolisant le mal sur terre: un texte polémique. Un réquisitoire contre les hommes.
- la guerre est horrible dans son déroulement:
* vocabulaire de la mort: "tuent", "massacrés", "ruine", "emportent", "s'égorgent".: description réaliste. Antithèse entre "travaillent" et "ruine"l. 23: absurdité dans l'attitude quasi suicidaire des hommes qui vivent déjà dans des conditions de vie difficile: énumération de termes négatifs "la faim", "la fatigue ou l'intempérance" l. 25. Mépris des philosophes pour l'homme avec les démonstratifs péjoratifs: "ces misérables", "ces millions d'hommes" l. 15. Déshumanisation avec la métaphore filée des animaux qui souligne la sauvagerie et la folie meurtrière de la nature humaine.
* la guerre: un fléau universel. est généralisée dans le temps "immémorial" et dans le lieu "toute la terre" l. 12. Présent de vérité générale: "il y a cent mille fous de notre espèce". Constat fataliste et impuissant des philosophes. Automatisme sanguinaire des soldats.
- la guerre est dérisoire dans ses finalités:
* des causes dérisoires: parallélisme entre "chapeaux" et "turbans" (la seule différence entre des ennemis est ce détail vestimentaire: belligérants mis sur un même pied d'égalité), entre "Sultan" et "César" (deux chefs qui sont mis sur le même plan grâce à la majuscule), antithèse entre des hyperboles comme "cent mille fous", "millions d'hommes" et la raison de leur combat: des territoires qualifiés de "quelques tas de boue", "ces tas de boue", "le petit coin de terre" dont la relativité apparaît comparé au "talon" de Micromégas. Inverse du discours épique traditionnel.
* les hommes apparaissent comme soumis, ignorant des raisons de leur combat: répétition de la négation: "n'a jamais vu ni ne verra le petit coin de terre", "n'a jamais vu l'animal pour lequel ils s'égorgent"
- la guerre est scandaleuse par l'inconscience criminelle des responsables: mise en cause audacieuse des dirigeants.
* appellation dévalorisante: "animal" l. 19. Opposition entre le pluriel "ces animaux" et le singulier "animal" qui montre le sacrifice disproportionné des toutes ces victimes pour un seul homme.
* dénonciation de l'hypocrisie des gouvernements soucieux de leur sécurité et de leurs intérêts "du fond de leur cabinet" qui connote le confort. Voltaire démasque leur violence avec l'oxymore "barbares sédentaires", la mention de leur vulgaire "digestion" qui les associe à des ogres dévorant la race humaine et l'opposition entre "le massacre d'un million d'hommes" et "font remercier Dieu solennellement". Voltaire dénonce la complicité de la religion dans les guerres.
Conclusion: ouvrir sur la suite du conte: discrédit de ces savants qui se disputent dans une cacophonie comique quand ils débattent de métaphysique. La belle unanimité du texte vole en éclat. Image finale du livre blanc, leçon d'humilité donné aux humains.
« Ô atomes intelligents, dans qui l’Être éternel s’est plu à manifester son adresse et sa puissance, vous devez sans doute goûter des joies bien pures sur votre globe ; car, ayant si peu de matière et paraissant tout esprit, vous devez passer votre temps à aimer et à penser, c’est la véritable vie des esprits. Je n’ai vu nulle part le vrai bonheur, mais il est ici sans doute. »
À ce discours, tous les philosophes secouèrent la tête ; et l’un d’eux, plus franc que les autres, avoua de bonne foi que, si l’on en excepte un petit nombre d’habitants fort peu considérés, tout le reste est un assemblage de fous, de méchants et de malheureux. « Nous avons plus de matière qu’il ne nous en faut, dit-il, pour faire beaucoup de mal, si le mal vient de la matière, et trop d’esprit, si le mal vient de l’esprit. Savez-vous bien, par exemple, qu'à l'heure que je vous parle il y a cent mille fous de notre espèce, couverts de chapeaux, qui tuent cent mille autres animaux couverts d'un turban, ou qui sont massacrés par eux, et que, presque par toute la terre, c'est ainsi qu'on en use de temps immémorial ? »
Le Sirien frémit et demanda quel pouvait être le sujet de ces horribles querelles entre de si chétifs animaux. « Il s'agit, dit le philosophe, de quelques tas de boue grands comme votre talon. Ce n'est pas qu'aucun de ces millions d'hommes qui se font égorger prétende un fétu sur ces tas de boue. Il ne s'agit que de savoir s'il appartiendra à un certain homme qu'on nomme Sultan ou à un autre qu'on nomme, je ne sais pourquoi, César. Ni l'un ni l'autre n'a jamais vu ni ne verra jamais le petit coin de terre dont il s'agit, et presque aucun de ces animaux qui s'égorgent mutuellement n'a jamais vu l'animal pour lequel ils s'égorgent.
– Ah, malheureux ! s'écria le Sirien avec indignation, peut-on concevoir cet excès de rage forcenée ? Il me prend envie de faire trois pas, et d'écraser de trois coups de pied toute cette fourmilière d'assassins ridicules.
– Ne vous en donnez pas la peine, lui répondit-on ; ils travaillent assez à leur ruine. Sachez qu'au bout de dix ans il ne reste jamais la centième partie de ces misérables ; sachez que, quand même ils n'auraient pas tiré l'épée, la faim, la fatigue ou l'intempérance les emportent presque tous. D'ailleurs, ce n'est pas eux qu'il faut punir : ce sont ces barbares sédentaires qui, du fond de leur cabinet, ordonnent, dans le temps de leur digestion, le massacre d'un million d'hommes, et qui ensuite en font remercier Dieu solennellement. »
Le voyageur se sentait ému de pitié pour la petite race humaine, dans laquelle il découvrait de si étonnants contrastes.
Lecture analytique: Pensées d'un biologiste de Jean Rostand.
Intro:
- Jean Rostand:
* fils d'Edmond Rostand, dramaturge du XIXème connu pour son oeuvre Cyrano de Bergerac.
* biologiste et écrivain du XXème siècle, connu pour ses ouvrages de vulgarisation scientifique (= volonté de faire accéder le plus grand nombre de lecteurs aux connaissances scientifiques).
- son oeuvre:
* référence à Pascal avec le titre Pensées: une relation entre Rostand et le penseur janséniste du XVIIème siècle.
* Pensées d'un biologiste: écrit en 1954, soit peu de temps après la 2ème guerre mondiale: conflit qui a sans doute influencé sa façon de considérer l'Homme.
- présentation du passage:
* mélange d'humour et de gravité
* mélange entre connaissance scientifique et distance ironique
* l'auteur est à la fois un biologiste, un philosophe et un poète.
I. Un regard amusé sur l'Homme?
- une intention didactique (= volonté d'apprendre quelque chose au lecteur, en prenant le rôle d'un professeur).
* invite le lecteur à faire une expérience en s'adressant directement à lui (pronom "nous"): marques de l’injonction (ordre): l'impératif "demandons-nous" l. 2, le subjonctif d'exhortation"qu'il situe" l. 10. L'enjeu est d'adopter un point de vue différent, de prendre de la hauteur et de considérer l'homme avec une distance critique: pronom "il" et l'article défini à valeur généralisante "l'homme" l. 2. Le lecteur doit procéder à un retour réflexif sur sa propre condition, l'objectif étant de nous prendre nous-même comme objet d'analyse avec objectivité et lucidité. L'auteur met en scène l'homme réfléchissant sur lui-même.
* texte s'ouvre sur une volonté de rupture avec le discours traditionnel du moraliste qui vise l'individuel: dévalorisation contenue dans "les douleurs et les satisfactions individuelles" évoquant une forme narcissime? Pascal est-il visé? Opposition entre "individuelles" et "membre de l'espèce" qui est désignation biologique et scientifique.
* un vocabulaire scientifique, qui nous place dans une chaîne biologique: généalogie animale "petit-fils de poisson", "arrière-neveu de limace", lexique des animaux avec "dinosaures", "stégocéphales", "protoplasme" : un decrescendo qui nous fait remonter aux origines de l'homme: référence également à la préhistoire avec "l'homme du Néanderthal" l. 20. Ces mots aux consonances inhabituelles peuvent créer un effet d'étrangeté pour le lecteur. Référence aussi au "télescopes" l. 11.
- une intention humoristique:
* distance ironique contenue dans la double antiphrase: "il a bien sujet de se considérer avec complaisance" (= avec satisfaction). l. 4 et "a droit à quelque orgueil de parvenu" (= Personnage qui s'est élevé rapidement au-dessus de sa condition première sans avoir acquis les manières, le ton et le savoir-vivre qui conviennent à son nouveau milieu). Rostand démonte la prétention et l'assurance de l'Homme en l'associant à des animaux peu glorieux: "poisson", "limace"
* un portrait de l'homme ivre de sa grandeur: "sa réussite a de quoi lui tourner un peu la tête" l. 10: image puérile d'un être dans l'auto-satisfaction, sans esprit critique: un ambitieux égocentré. Proche de la caricature et de la satire.
* L'auteur adopte la posture qu'il préconise: ne pas se prendre au sérieux (l. 12). Notre petitesse nous invite plutôt à rire de nous-mêmes plutôt qu'à nous vanter. La dimension humoristique du texte en est une illustration.
- le fatalisme tragique final:
* omniprésence des points de suspension à la fin, beaucoup de répétitions et de parallélisme de construction "aventure", "mêmes", "aussi": aucune progression possible. Homme dans une impasse tragique, a seulement conscience de son impuissance. L'Homme est pris dans un mouvement ininterrompu, un cycle infini qui le dépasse.
* une énumération de termes péjoratifs montrant le pessimisme de l'auteur: "illusions", "tourments", "absurde", "vaine". la condition humaine n'a rien d'enviable, on a plutôt le sentiment d'une malédiction ou d'un cercle vicieux. Aucune référence à la religion, qui n'est d'aucune aide ici. Sensation de solitude existentielle qui peut être angoissante.
* les derniers mots du texte sont forts: "échec final", "ténèbre infinie" qui font référence à la mort et au néant, comme une fatalité contre laquelle l'homme ne peut rien.
II. la pseudo grandeur de l'Homme
- un conquérant fanfaron (= personne qui se vante).
* un être sûr de lui et de sa propre puissance: énumération de verbes d'action au futur "libérera", "voyagera", "prolongera". Le pronom "il" est en position sujet: l'homme domine son environnement. Reprise du registre épique: on a la sensation de lire les "aventures" d'un héros, doté de pouvoirs extraordinaires, dignes d'admiration, qui font rêver.
* L'homme repousse ses limites dans le temps "il prolongera la durée" et dans l'espace: l'infiniment petit avec "énergie intra atomique" et l'infiniment grand "espaces interplanétaires". Il devient une sorte de surhomme, qui ne connaît plus de faiblesse "il combattra la plupart des maux qui l'assaillent". Les deux questions rhétoriques l. 5-6 = ouvre un champ de possibilités infinies. L'Homme ressemble à un nouveau Prométhée.
- un délire de toute-puissance
* une déshumanisation inquiétante: image d'une perfection angoissante et dangereuse: "il prolongera la durée de sa propre vie": l'homme atteint l'éternité quasi divine.
* référence à la tyrannie avec "en instaurant un monde meilleur dans ses collectivités": le terme "ordre" connote l'absence de liberté individuelle, le pouvoir et la domination sur autrui, une politique coercitive. Le terme "collectivités" rappelle également des systèmes politiques autoritaires comme le stalinisme ou le nazisme.
= L'auteur détruit cette dystopie (contraire d'utopie) qui rappelle les romans d'anticipation avec l'oxymore "royaume dérisoire" l. 10, effaçant d'un trait le rêve de l'homme de vouloir tout dominer.
III. la misère de l'Homme dans l'univers: "un néant à l'égard du tout" (Pascal).
- disproportion de l'homme
* dimension cosmique: Rostand élargit la perspective avec le lexique des planètes: "gouffres glacés" (on retrouve le style poétique de Pascal: "le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie"), "nébuleuses spirales", "espaces sans bornes", "d'autres mondes"
* lexique de la petitesse: "misérable grain de boue" pour désigner la terre, "petite étoile" pour le soleil, "ce minuscule coin de l'univers": leçon de relativisme pour le lecteur: ce que nous considérions comme grand se révèle ridiculement petit. Dévalorisation de notre monde avec le terme "boue", "astre périmé": un produit dont on ne peut plus se servir car il est usé, hors d'usage.
- un discours eschatologique (= discours sur la fin du monde).
* opposition entre l'énumération "découvertes, philosophie, idéaux, religions" (= connaissances humaines renforcées par le pluriel qui en montrent la diversité et la richesse) et le constat sans appel et tranchant avec le mot "rien": "rien ne subsistera", opposition également entre "l'homme de Néanderthal" et "quelques débris" qui invite à l'humilité, et à une réflexion sur le côté éphémère de notre condition.
* lexique de la disparition avec les négations: "rien ne subsistera", "il ne restera même pas" et le lexique de la fin: "abandonnera", "sera annulée", "s'est achevée": les futurs donnent au discours une allure implacable et le ton ressemble à celui d'un prophète. L'Homme n'a aucune prise sur son destin.
Conclusion: texte à rapprocher des deux infinis de Pascal (mais ici, absence de la dignité que l'homme acquiert par sa pensée et absence de Dieu) ou à rapprocher d'un roman d'anticipation connu comme 1984 de G. Orwell ou le meilleur des mondes d'A. Huxley.
Objet d’étude : la question de l’Homme
Lecture analytique: Jean Rostand, Pensées d’un biologiste, 1954.
Mais, laissant au moraliste le soin de peser les douleurs et les satisfactions individuelles, demandons-nous ce que l'homme, en tant que membre de l'espèce, peut penser de lui-même et de son labeur.
Certes, à se souvenir de ses origines, il a bien sujet de se considérer avec complaisance1. Ce petit fils de poisson, cet arrière-neveu de limace, a droit à quelque orgueil de parvenu. Jusqu'où n'ira-t-il pas dan sa maîtrise des forces matérielles ? Quel secret ne dérobera-t-il pas à la nature ? Demain, il libérera l'énergie intra-atomique, il voyagera dans les espaces interplanétaires, il prolongera la durée de sa propre vie, il combattra la plupart des maux qui l'assaillent, et même ceux que créent ses propres passions, en instaurant un ordre meilleur dans ses collectivités.
Sa réussite a de quoi lui tourner un peu la tête. Mais, pour se dégriser aussitôt, qu'il situe son royaume dérisoire parmi les astres sans nombre que lui révèlent les télescopes : comment se prendrait-il encore au sérieux, sous quelque aspect qu'il s'envisage, une fois qu'il a jeté le regard dans les gouffres glacés où se hâtent les nébuleuses spirales2 !
Quel sort, au demeurant, peut-il prédire à son oeuvre, à son effort ? De tout cela, que restera-t-il, un jour, sur le misérable grain de boue où il réside ? L'espèce humaine passera, comme ont passé les dinosaures et les stégocéphales3. Peu à peu, la petite étoile qui nous sert de soleil abandonnera sa force éclairante et chauffante... Toute vie alors aura cessé sur la terre qui, astre périmé, continuera de tourner sans fin dans les espaces sans bornes... Alors, de toute la civilisation humaine ou surhumaine - découvertes, philosophies, idéaux, religions-, rien ne subsistera. Il ne restera même pas de nous ce qui reste aujourd'hui de l'homme du Neandertal, dont quelques débris au moins ont trouvé un asile dans les musées de son successeur. En ce minuscule coin d'univers sera annulée pour jamais l'aventure falote4 du protoplasme5... Aventure qui déjà, peut-être, s'est achevé sur d'autres mondes … Aventure qui, en d'autres mondes peut-être, se renouvellera... Et partout soutenue par les mêmes illusions, créatrice des mêmes tourments, partout aussi absurde, aussi vaine, aussi nécessairement promise dès le principe à l'échec final et à la ténèbre infinie...
1 avec satisfaction.
2 galaxie, ensemble d’étoiles, de poussières et de gaz
3 amphibien fossile de la fin de l’ère primaire.
4 terne, banale
5 terme de biologie désignant un des éléments constitutifs de la cellule