Préparer l'exposé oral 1ère STMG 11

Vous trouverez sur cette page tous les textes et les lectures analytiques à apprendre pour cette année.

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1. Le 10 novembre 2017, 09:19 par mme baudry

Séquence 1
Lecture analytique 1 : Entretien d’un père avec ses enfants, Du danger de se mettre au dessus des lois, Diderot, 1773.

MOI. C'est qu'il y a tant de méchants dans ce monde, qu'il n'y faut pas retenir ceux à qui il prend envie d'en sortir.
LE DOCTEUR BISSEI. Mon affaire est de le guérir, et non de le juger ; je le guérirai, parce que c'est mon métier; ensuite le magistrat le fera pendre, parce que c'est le sien.
MOI. Docteur, mais il y a une fonction commune à tout bon citoyen, à vous, à moi, c'est de travailler de toute notre force à l'avantage de la république1 ; et il me semble que ce n'en est pas un pour elle que le salut d'un malfaiteur, dont incessamment les lois la délivreront.
LE DOCTEUR BISSEI. Et à qui appartient-il de le déclarer malfaiteur ? Est-ce à moi ?
MOI. Non, c'est à ses actions.
LE DOCTEUR BISSEI. Et à qui appartient-il de connaître de ces actions2 ? Est-ce à moi ?
MOI. Non ; mais permettez, docteur, que je change un peu la thèse, en supposant un malade dont les crimes soient de notoriété publique. On vous appelle ; vous accourez, vous ouvrez les rideaux, et vous reconnaissez Cartouche ou Nivet3. Guérirez-vous Cartouche ou Nivet ?
Le docteur Bissei, après un moment d'incertitude, répondit ferme qu'il le guérirait ; qu'il oublierait le nom du malade, pour ne s'occuper que du caractère de la maladie ; que c'était la seule chose dont il lui fût permis de connaître; que s'il faisait un pas au delà, bientôt il ne saurait plus où s'arrêter ; que ce serait abandonner la vie des hommes à la merci de l'ignorance, des passions, du préjugé, si l'ordonnance devait être précédée de l'examen de la vie et des mœurs du malade. «  Ce que vous me dites de Nivet, un janséniste me le dira d'un moliniste4, un catholique d'un protestant. Si vous m'écartez du lit de Cartouche, un fanatique m'écartera du lit d'un athée. C'est bien assez que d'avoir à doser le remède, sans avoir encore à doser la méchanceté qui permettrait ou non de l'administrer... »
-Mais, docteur, lui répondis-je, si après votre belle cure5, le premier essai que le scélérat fera de sa convalescence, c'est d'assassiner votre ami, que direz-vous ? Mettez la main sur la conscience ; ne vous repentirez-vous point de l'avoir guéri ? Ne vous écrierez-vous point avec amertume : Pourquoi l'ai-je secouru ! Que ne le laissais-je mourir ! N'y a-t-il pas là de quoi empoisonner le reste de votre vie...
LE DOCTEUR BISSEI. Assurément, je serai consumé de douleur ; mais je n'aurai point de remords.
MOI. Et quel remords pourriez-vous avoir, je ne dis point d'avoir tué, car il ne s'agit pas de cela ; mais d'avoir laissé périr un chien enragé... Docteur, écoutez-moi. Je suis plus intrépide que vous ; je ne me laisse point brider par de vains raisonnements. Je suis médecin. Je regarde mon malade ; en le regardant, je reconnais un scélérat, et voici le discours que je lui tiens : «  Malheureux, dépêche-toi de mourir ; c'est tout ce qui peut t'arriver de mieux pour les autres et pour toi. Je sais bien ce qu'il y aurait à faire pour dissiper ce point de côté qui t'oppresse, mais je n'ai garde de l'ordonner ; je ne hais pas assez mes concitoyens, pour te renvoyer de nouveau au milieu d'eux, et me préparer à moi-même une douleur éternelle par les nouveaux forfaits que tu commettrais. Je ne serai point ton complice. On punirait celui qui te recèle6 dans sa maison, et je croirais innocent celui qui t'aurait sauvé ! Cela ne se peut. Si j'ai un regret, c'est qu'en te livrant à la mort je t'arrache au dernier supplice. Je ne m'occuperai point de rendre à la vie celui dont il m'est enjoint7 par l'équité naturelle, le bien de la société, le salut de mes semblables, d'être le dénonciateur. Meurs, et qu'il ne soit pas dit que par mon art et mes soins il existe un monstre de plus. »

2. Le 10 novembre 2017, 09:20 par mme baudry

Introduction Diderot:

1) le contexte:

Le mouvement des Lumières du XVIIIème siècle qui se caractérise par la volonté de diffuser les savoirs à un grand nombre de personnes, par la valorisation de la Raison et par les combats contre les injustices: les philosophes des Lumières vont s'engager pour défendre les protestants par exemple ou les esclaves.

2) la biographie de l'auteur.

Ses dates: 1713-1784: Diderot est né à Langres. Il est d'origine bourgeoise: son père est artisan, il est coutelier.

Commence une carrière de droit mais se tourne vers les milieux mondains et littéraires. A cause de ses écrits, il connaîtra plusieurs fois la prison. Manque d'argent + mort de ses enfants.

Il écrit des romans, des pièces de théâtre et des articles sur des tableaux (des Salons). Il est le rédacteur en chef de l'Encyclopédie, l'oeuvre phare des Lumières qui réunit tous les grands intellectuels de son temps. L'Encyclopédie sera plusieurs fois censurée.

3) présenter l'oeuvre.

Entretien d'un père avec ses enfants publié en 1771 dans un journal de Grimm.

S'inspire de la vie de Diderot car ce dialogue met en scène son propre père, sa soeur et son frère aîné, abbé, avec lequel il ne s'entend pas bien.

Le dialogue présente une succession de cas de conscience évoqués par le père de Diderot ou présentés par les différents visiteurs de la famille.

Lecture analytique 1 : Diderot, Entretien d'un père avec ses enfants.
Le dialogue entre « Moi » et le docteur Bisséï.
I. La forme du texte.
- Un dialogue de théâtre : le nom du locuteur en majuscules.
- Un dialogue de récit :

  • des guillemets l. 18, des tirets l. 23
  • des verbes de paroles l. 23 : « lui répondis-je ».
  • des passages de narration qui reproduisent les paroles de façon indirecte : « Le docteur Bisséï, après un moment d'incertitude, répondit ferme... » l. 14.

- Un dialogue à l'intérieur du dialogue : des guillemets dans la dernière réplique de « Moi » : l. 33 et 42.
- un échange vif vivant et dynamique avec des répliques courtes au début, un rythme rapide :

  • chacun des personnages reprend les mots de son interlocuteur comme « malfaiteur » l. 7 et 8 ou « actions ».
  • série de questions au début formulées par le docteur puis par Moi qui cherche à le pousser dans ses retranchements.
  • ponctuation expressive l. 26.

→le lecteur est libre de choisir son camp, il est invité à participer au dialogue : Diderot ne lui impose rien, il le laisse réflechir par lui-même sans lui imposer une vérité (= philosophe des Lumières).

II. Le personnage du docteur.
- ses idées :

  • le métier de médecin est de guérir et non de juger ses semblables : antithèse entre « guérir » et « juger » l. 3
  • le criminel est un malade avant tout : vocabulaire de la maladie : « guérir »l. 3, « malade » , « maladie »l. 15, « ordonnance » l. 17, « doser le remède » l. 21.

→il respecte le serment d’Hippocrate
- sa façon de s'exprimer :

  • il s'appuie sur le raisonnement logique: propos simple et clair : répétition de « parce que » l. 3-4.
  • il montre une certaine assurance « ferme » l. 14 qui n’empêche pas la réflexion « après un moment d’incertitude » l. 14 et la concession : « Assurément, je serai consumé de douleur, mais je n’aurai point de remords » l. 28. Un point de vue nuancé qui montre son honnêteté, sa sincérité.
  • il utilise des exemples qui montrent une France divisée à travers des oppositions « janséniste »≠« moliniste », « catholique »≠« protestants » l. 19, « fanatique »≠« athée » l. 20. Danger de juger selon ses préjugés: chacun peut juger criminel celui qui ne partage pas ses idées !

A travers le personnage du docteur, Diderot dénonce les conflits religieux qui agitent son époque dominée par l’intolérance religieuse.

III. Le personnage de Diderot « Moi ».
- ses idées :

  • Un médecin ne doit pas porter secours à un malfaiteur dans l’intérêt de la société : vocabulaire de l’Etat : « république » l. 6, « bien de la société » l. 42, « bon citoyen » l. 5, « mes concitoyens » l. 36, « mes semblables »l. 41
  • Le criminel est un coupable désigné par un vocabulaire péjoratif : « méchants » l. 1, « malfaiteur » l. 8, « scélérat » l.33, « chien enragé » l. 31,  « un monstre » l. 57 = exagération, images frappantes : déshumanisation avec « chien » qui exclut le criminel de la société.

- sa façon de s'exprimer : il parle le plus !

  • Des exemples qui sont des criminels connus de tous: « Cartouche », « Nivet » l. 13
  • il joue sur les sentiments :

il cherche à toucher son interlocuteur en prenant un exemple qui lui est cher «votre ami » l. 24, répétition de « vous » l. 12, impératif « écoutez-moi »l. 31
se met à la place du docteur : « je suis médecin », l. 32
il crée des scènes inventées : effet de suspens avec l'énumération des verbes d'actions « vous accourez…. » et le rideau l. 12 qui rappelle le rideau du théâtre : il dramatise la scène.
il provoque la peur et des émotions comme la culpabilité « amertume » l. 25, « remords »l. 30, « empoisonner »l. 26
Il dévalorise son adversaire : « Je suis plus intrépide que vous ; je ne me laisse pas brider par de vains raisonnements »l. 31, « belle cure » l. 23 (antiphrase ironique)
Cependant, montre une habileté dans son raisonnement :
change la thèse quand se trouve en difficulté l. 11
atténue ou exagère : « tuer » / « laisser périr » l. 30.

3. Le 10 novembre 2017, 09:20 par mme baudry

Séquence 1
Lecture analytique 2 : Entretien d’un père avec ses enfants, Du danger de se mettre au dessus des lois, Diderot, 1773.
mon père. Quelle scène, quelle scène, mes enfants, que celle qui suivit ! Je frémis de la rappeler. Il me semble que j’entends encore les cris de la douleur, de la fureur, de la rage, le hurlement des imprécations1… Ici, mon père portait ses mains sur ses yeux, sur ses oreilles… Ces femmes, disait-il, ces femmes, je les vois ; les unes se roulaient à terre, s’arrachaient les cheveux, se déchiraient les joues et les mamelles2 ; les autres écumaient, tenaient leurs enfants par les pieds, prêtes à leur écacher3 la tête contre le pavé, si on les eût laissé faire ; les hommes saisissaient, renversaient, cassaient tout ce qui leur tombait sous les mains ; ils menaçaient de mettre le feu à la maison ; d’autres, en rugissant, grattaient la terre avec leurs ongles, comme s’ils y eussent cherché le cadavre du curé pour le déchirer ; et, tout au travers de ce tumulte, c’étaient les cris aigus des enfants qui partageaient, sans savoir pourquoi, le désespoir de leurs parents, qui s’attachaient à leurs vêtements, et qui en étaient inhumainement repoussés. Je ne crois pas avoir jamais autant souffert de ma vie.
Cependant j’avais écrit au légataire de Paris, je l’instruisais de tout et je le pressais de faire diligence4, le seul moyen de prévenir quelque accident qu’il ne serait pas en mon pouvoir d’empêcher.
J’avais un peu calmé les malheureux par l’espérance dont je me flattais, en effet, d’obtenir du légataire une renonciation complète à ses droits ou de l’amener à quelque traitement favorable ; et je les avais dispersés dans les chaumières les plus éloignées du village.
Le Frémin de Paris arriva ; je le regardai fixement et je lui trouvai une physionomie dure qui ne promettait rien de bon.
Moi. De grands sourcils noirs et touffus, des yeux couverts et petits, une large bouche, un peu de travers, un teint basané5 et criblé de petite vérole6 ?
mon père. C’est cela. Il n’avait pas mis plus de trente heures à faire ses soixante lieues7. Je commençai par lui montrer les misérables dont j’avais à plaider la cause. Ils étaient tous debout devant lui, en silence ; les femmes pleuraient ; les hommes, appuyés sur leurs bâtons, la tête nue, avaient la main dans leurs bonnets. Le Frémin, assis, les yeux fermés, la tête penchée et le menton appuyé sur sa poitrine, ne les regardait pas. Je parlai en leur faveur de toute ma force ; je ne sais où l’on prend ce qu’on dit en pareil cas. Je lui fis toucher au doigt8 combien il était incertain que cette succession lui fût légitimement acquise ; je le conjurai par son opulence9, par la misère qu’il avait sous les yeux ; je crois même que je me jetai à ses pieds ; je n’en pus tirer une obole10. Il me répondit qu’il n’entrait point dans toutes ces considérations ; qu’il y avait un testament ; que l’histoire de ce testament lui était indifférente, et qu’il aimait mieux s’en rapporter à ma conduite qu’à mes discours. D’indignation, je lui jetai les clefs au nez ; il les ramassa, s’empara de tout ; et je m’en revins si troublé, si peiné, si changé, que votre mère, qui vivait encore, crut qu’il m’était arrivé quelque grand malheur… Ah ! mes enfants ! quel homme que ce Frémin !

4. Le 10 novembre 2017, 09:21 par mme baudry

Lecture analytique 2 Diderot Entretien d'un père avec ses enfants.

I. Ce texte est le contraire d'un conte de fées !
A) Une image contrastée des pauvres
- ce sont d'abord les victimes  d'une injustice: ils sont dépossédés d'un héritage !

  • les adjectifs « misérables » l. 21 et « malheureux » l. 13
  • champ lexical de la douleur « désespoir » l. 9, « cris de douleur » l. 2 et « pleuraient » l. 22
  • mise en avant des « femmes » et des « enfants » l. 9 = des personnages fragiles et vulnérables.

Compassion du lecteur face à ces personnages pathétiques, victimes de l'acharnement d'un destin très cruel.
- des personnages humbles et respectueux : énumération l. 21-22 : « pleuraient...la main dans leurs bonnets » qui montre une attitude digne : pour apitoyer Frémin ?
- mais aussi...des barbares deshumanisés et incontrôlables :

  • champ lexical du bruit : « cris » ou « hurlements » l. 2
  • champ lexical de la violence renforcé par l'énumération : « les unes se roulaient à terre... » l. 4
  • exagération : lexique de la bestialité avec « mamelles » l. 4, « rugissant » l. 7, « rage » l. 2, « grattaient la terre » l. 7.

Une scène très visuelle (= une hypotypose) et horrible qui montre la folie destructrice des pauvres qui peuvent même aller jusqu'à l'infanticide à cause de l'argent.

B) Une image négative de Frémin.
- sa laideur physique est à l'image de sa laideur morale :

  • expressions péjoratives : « de travers » l. 18, « dure » l. 16, « petite vérole » l. 19
  • des oppositions « grands sourcils », « large bouche » l. 18 s'opposent à « yeux petits »

Un portrait disgracieux, presque caricatural qui annonce la cruauté du personnage.
- il est indifférent face à la détresse des pauvres : « yeux  fermés », négation « ne les regardaient pas » l. 23, « il les ramassa, s'empara de tout » l. 29 = égoïsme, détachement, insensibilité scandaleuse du personnage qui cependant est victorieux.

= Les pauvres comme Frémin sont deshumanisés par l'argent.

II. Le personnage du père de Diderot
A) un personnage ému aux larmes

  • ponctuation expressive : « Ah ! Mes enfants ! » répété au début et à la fin du texte. Le père a besoin d'être soutenu par ses enfants. Image d'une famille soudée et solidaire à l'inverse des familles des pauvres.
  • présent « j'entends encore les cris » l. 1, « je les vois » l. 3 : le père est encore sous le choc, il revit la scène comme s'il était encore spectateur de ce drame. C'est comme un cauchemar que le père tente d'oublier « portait ses mains sur ses yeux, sur ses oreilles » l. 3
  • répétition de « si » et énumération « si troublé... » l. 30 : le père se met à la place des victimes : il montre son empathie.

Le père de Diderot est durablement bouleversé. C'est l'opposé de Frémin.

B) Une attitude admirable
Il est sujet des verbes d'action : « J'avais à plaider la cause » l. 21, « je le conjurai » l. 25, « je me jetai à ses pieds » l. 26 = engagement personnel très fort dans sa mission. Il se présente comme l'avocat des plus faibles en prenant leur défense = solidarité et altruisme. Il est révolté face à sa propre impuissance.

= Une image très valorisante du père qui montre ses qualités humaines et son implication. Un modèle pour les philosophes des Lumières.

5. Le 10 novembre 2017, 09:23 par mme baudry

Lecture analytique : Antigone, Jean Anouilh, 1944.

Créon : Un matin, je me suis réveillé roi de Thèbes. Et Dieu sait si j’aimais autre chose dans la vie que d’être puissant…
Antigone: Il fallait dire non, alors !
Créon: Je le pouvais, seulement, je me suis senti tout d’un coup comme un ouvrier qui refusait un ouvrage. Cela ne m’a pas paru honnête. J’ai dit oui.
Antigone : Et bien, tant pis pour vous. Moi, je n’ai pas dit « oui » ! Qu’est-ce que vous voulez que cela me fasse, à moi, votre politique, votre nécessité, vos pauvres histoires ? Moi, je peux dire «non» encore à tout ce que je n’aime pas et je suis seul juge. Et vous, avec votre couronne, avec vos gardes, avec votre attirail, vous pouvez seulement me faire mourir parce que vous avez dit « oui ».
Créon : Écoute-moi.
Antigone : Si je veux, moi, je peux ne pas vous écouter. Vous avez dit « oui ». Je n’ai plus rien à apprendre de vous. Pas vous. Vous êtes là à boire mes paroles. Et si vous n’appelez pas vos gardes, c’est pour m’écouter jusqu’au bout.
Créon: Tu m’amuses !
Antigone : Non. Je vous fais peur. C’est pour cela que vous essayez de me sauver. Ce serait tout de même plus commode de garder une petite Antigone vivante et muette dans ce palais. Vous êtes trop sensible pour faire un bon tyran, voilà tout. Mais vous allez tout de même me faire mourir tout à l’heure, vous le savez, et c’est pour cela que vous avez peur. C'est laid un homme qui a peur.
Créon, (sourdement) :Et bien, oui j’ai peur d’être obligé de te faire tuer si tu t’obstines. Et je ne le voudrais pas.
Antigone : Moi, je ne suis pas obligée de faire ce que je ne voudrais pas ! Vous n’auriez pas voulu non plus, peut-être, refuser une tombe à mon frère ? Dites-le donc, que vous ne l’auriez pas voulu ?
Créon : Je te l’ai dit.
Antigone : Et vous l’avez fait tout de même. Et maintenant, vous allez me faire tuer sans le vouloir.
Et c’est cela, être roi !
Créon : Oui, c’est cela !
Antigone :Pauvre Créon ! Avec mes ongles cassés et pleins de terre et les bleus que tes gardes m’ont faits aux bras, avec ma peur qui me tord le ventre, moi je suis reine.

6. Le 10 novembre 2017, 09:24 par mme baudry

Lecture analytique : Antigone d'Anouilh.

Introduction orale sur le texte de Antigone.
Contexte historique: retour aux mythes tragiques: face aux guerres du XXème siècle, les auteurs ont une vision tragique de l'homme. Pendant la guerre, beaucoup de représentations théâtrales autour des mythes pour s'échapper de la vie quotidienne pénible + moyen d'éviter la censure allemande.
Eléments biographiques: Anouilh né en 1910, très tît intéréssé par le théâtre (mère musicienne). Après des années de misère, connaît le succès: a consacré sa vie au théâtre. Meurt en Suisse en 1987.
La pièce: A eu l'idée d'Antigone dans la salle d'attente d'un dentiste en voyant dans une revue allemande la photo de jeunes résistants arrêtés. Pièce crée en février 1944 dans des conditions très difficiles mais aura 500 représentations.
La pièce fait penser au contexte de la guerre: Créon = Pétain et Antigone = résistants. Eloge de la résistance. Cependant, Anouil n'est pas un auteur engagé et se méfie des idéologies. Pas de messages directs donnés par la pièce.
Présentation du passage: dialogue animé entre Antigone et Créon: rapports de force entre les personnages avec renversement qui montre le sacre d'Antigone et l'abdication de Créon.

1) Une scène de confrontation.

- un duel verbal : les personnages s'affrontent.

  • Beaucoup de signes de ponctuation expressive (points d'interrogation et d'exclamation) = un dialogue animé, très vif où chacun veut avoir le dessus sur l'autre. On imagine des cris de colère sur scène. Le ton monte. Chacun veut avoir raison comme le montre la répétition : « Et c'est cela être roi ! / Oui, c'est cela ! » l. 27-28.
  • des personnages en désaccord, qui se disputent frontalement : série d'oppositions entre « oui » et « non » : le « oui » du côté de Créon pour dire son acceptation et le « non » du côté d'Antigone pour dire sa rébellion. La négation est également très présente dans le discours d'Antigone : « je n'ai pas dit « oui » », « je peux ne pas vous écouter » l. 12 : c'est une image de la désobéissance, de l'orgueil et du refus de l'ordre établi. Elle met le « oui » de Créon à distance avec les guillemets « oui » l. 10 en exprimant son mépris.

- mais, une Antigone fragile, en situation d'infériorité.

  • son destin est entre les mains de Créon : elle est en position COD : « Vous allez me faire tuer » l. 26, « vous essayer de me sauver » l. 16, elle n'est plus maîtresse de ses actions. Le roi a pouvoir de vie et de mort sur elle.
  • c'est une prisonnière victime de la violence : vocabulaire du corps blessé et martyrisé « bleus » aux « bras », « ma peur », « ventre » (dernière réplique). On voit la torture physique et psychologique qu'elle subit en tant que condamnée à mort.

- Créon, le maître.

  • lexique de la royauté : « roi » répété plusieurs fois, « tyran ». Les attributs de la royauté sont énumérés par Antigone : « votre couronne », « vos gardes », « votre attirail » l. 9.
  • Créon tente d'imposer le silence à sa nièce avec l'impératif « Ecoute-moi » l. 11, de la faire plier voire de l'écraser avec la dévalorisation « Tu m'amuses ! » l. 15. Antigone est réduite au rang de bouffon, de clown chargé du divertissement royal.

2) L'inversion des rapports de force.

- Créon, un roi soumis.

  • son rang royal est dévalorisé : c'est un travail, une charge qui n'a rien d'attirant, presque une sorte de punition. « Un matin, je me suis réveillé roi de Thèbes » : c'est l'inverse d'un conte de fées puisqu'on a l'impression que Créon a fait le deuil de son rêve : voir les points de suspension : « j'aimais autre chose dans la vie que d'être puissant... » l. 2. C'est un anti-héros qui n'a aucune ambition. En prenant la couronne, il a abdiqué tout idéal.

Comparaison « comme un ouvrier qui refusait un ouvrage » : aucune noblesse, aucun prestige attaché à la fonction royale. Créon semble un exécutant, quelqu'un qui obéit. Il rend service mais n'en retire aucune gloire, ni aucune dignité.

  • Pour Antigone, Créon est un personnage pathétique  avec la répétition de l'adjectif « pauvre »: « Pauvre Créon » l. 29, « pauvres histoires » l. 7. Il lui fait pitié mais elle ne lui pardonne pas d'avoir abandonné ses rêves : elle l'accuse avec les énumérations et la répétition de l'adjectif possessif : « votre politique, votre nécessité, vos pauvres histoires », « votre couronne, vos gardes, votre attirail ». Elle démasque toute la comédie ridicule et dérisoire du pouvoir. Pour elle, Créon est un roi de pacotille, un roi fantoche (= une marionnette).
  • D'ailleurs, il avoue lui-même sa défaite : la didascalie « sourdement » l. 20 (= caché, peu sonore) est comme un aveu. Il obéit : on note le lexique de la soumission : « j'ai peur », « être obligé », « je ne le voudrais pas ». Il n'a aucune liberté, c'est lui le prisonnier.

- l'affirmation du pouvoir d'Antigone.

  • Importance du pronom personnel de la première personne placé très souvent au début des répliques : « Moi, je » l. 6, 23...Elle parle plus que Créon. Elle a également le dernier mot « moi, je suis reine » qui contraste avec la première réplique sans fierté de Créon : « Un matin, je me suis réveillé roi de Thèbes ». La supériorité d'Antigone est affirmée haut et fort.
  • Antigone ne correspond pas aux attentes : « une petite Antigone vivante et muette » l. 17 puisqu'elle va mourir « vous allez me faire tuer » et elle domine Créon par la parole. En revanche, Créon, lui, apparaît comme passif car il a accepté d'être ce qu'on attendait de lui. Il en perd sa légitimité : négation : « je n'ai plus rien à apprendre de vous » l. 13.
  • Antigone devient un guide pour Créon, une sorte de modèle de ce que Créon aurait voulu être : on note l'opposition entre l'impératif inefficace « écoute-moi » l. 11 et le verbe : « c'est pour m'écouter jusqu'au bout » l. 14. Antigone soupçonne la facination de Créon et l'exprime par la métaphore de l'eau : « vous êtes là à boire mes paroles » l. 13.
  • force du personnage d'Antigone qui inspire le respect et montre son charisme : la peur change de camp : « je vous fais peur », « et c'est pour cela que je vous fais peur ». Elle a une parole de vérité qui ressemble à un défi.
7. Le 27 novembre 2017, 17:28 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Lecture analytique 1 scène d'exposition "art" de Y. Reza.

1) une scène qui répond aux attentes d'une scène d'exposition:

a) la présentation des personnages et de leurs relations.

Des personnages symétriques:

- des répliques de mêmes longueurs

- ils utilisent les mêmes expressions comme "mon ami", "est un ami depuis longtemps": proximité affective des deux personnages comme en témoignent le pronom "tu" du dialogue ou le vocabulaire familier comme "ouais", "merde", "mon vieux". Une amitié qui semble durable et solide.

- Marc et Serge sont des prénoms qui appartiennent à une même génération. Ils apparaissent comme des alter ego.

- même situation sociale favorisée: "un garçon qui a bien réussi", "médecin dermatologue", "belle situation", "ingénieur dans l'aéronotique": utilisation d'un vocabulaire positif avec "bien réussi", "belle situation": les personnages semblent s'estimer et s'apprécier mutuellement.

b) présentation du lieu.

La didascalie indique que le lieu sera déterminé par le tableau exposé: le tableau est un prolongement du personnage.

On sait que pour Serge = le monochrome, symbole de modernité

Pour Marc: un tableau représentant un paysage de Carcassone: des goûts plus traditionnels

Pour Yvan: une "croûte" peinte par son grand-père: pour souligner le côté "anti-héros" du personnage.

c) la présentation de l'intrigue.

1ère ligne du texte: l'achat du tableau.

Marc le présente comme si c'était un autre personnage. Il le décrit de façon objective: sa couleur et ses dimensions, sa texture "fins liserés blancs".

Répétition de l'adjectif "blanc" 5 fois pour montrer que c'est un monochrome. Mais, répétition suspecte qui montre une critique.

2) des failles apparaissent déjà dans cette amitié de façade.

a - dans le monologue et l'aparté.

Les personnages s'adressent au public pour dévoiler leur véritable pensée et non pas à leur ami.

Ironie de Marc: "art" en italique traduit une distance moqueuse, c'est une antiphrase ironique car pour lui, c'est loin d'être de l'art! Répétition de l'adjectif "blanc" traduit l'absurdité et la stupidité de l'achat de Serge selon lui.

L'aparté de Serge montre une rupture dans la communication: elle interrompt le dialogue. Beaucoup de termes péjoratifs comme "ennemis de la modernité", "vanité incompréhensible", "arrogance vraiment stupéfiante". On observe différents contrastes: niveau de langue élevé contraste avec le registre familier du dialogue; le vocabulaire élogieux comme "garçon intelligent" contraste avec les expressions négatives. Serge a été blessé par la réaction de Marc: sa critique est plus violente car elle intervient après l'insulte de Marc "cette merde"

b - le dialogue montre une véritable opposition entre les deux personnages:c'est un dialogue de sourds

1.Les didascalies révèlent cette distance entre Marc et Serge: répétition du verbe "regardent" mais:

* l'adjectif "réjoui" présent pour Serge est absent pour Marc qui ne partage pas le sentiment de son ami

* les personnages ne se regardent pas

* Serge est à l'affût du jugement de Marc: il attend son approbation ce qui explique son amertume à la fin du texte.

2.L'enthousiasme de Serge: répétition de noms propres comme "Handigton" ou "Antrios" avec une insistance par les majuscules: ce sont des références incontournables pour lui, des autorités.

Exclamations.

Augmentation: de "deux cents mille" à "vingt deux": l'achat de l'Antrios est un bon placement et il en est fier.

3.Les réticences de Marc: beaucoup de points de suspension qui montre qu'il est dubitatif: il hésite à donner le nom de "peintre" à l'auteur du tableau.

Marc évoque d'emblée le prix sans parler du tableau proprement dit. Champ lexical de l'argent dès le départ avec "Cher?", puis "deux cents mille" pour éviter de dire ce qu'il pense du tableau.

Marc n'a plus les mêmes références que Serge: on le voit par la négation "connais pas" et l'interrogation "connu?"

Contraste entre "cette merde" et "deux cent mille francs" qui déclenche le rire du spectateur en associant "ce tableau" à "cette merde".

De très nombreuses répétitions comme "Handington", "très très" ou "Tu n'as pas acheté ce tableau..." qui montrent que le dialogue stagne. Un dialogue qui repose sur les non-dits.

8. Le 27 novembre 2017, 19:44 par mme baudry

rt » Y. Reza. Extrait 1 (pages 14 à 17).

PERSONNAGES
MARC
SERGE
YVAN
Le salon d’un appartement.
Un seul décor. Le plus dépouillé, le plus neutre possible.
Les scènes se déroulent successivement chez Serge, Yvan et Marc.
Rien ne change sauf l’œuvre de peinture exposée.

Marc, seul.
MARC : Mon ami Serge a acheté un tableau.
C’est une toile d’environ un mètre soixante sur un mètre
vingt, peinte en blanc. Le fond est blanc et si on cligne des
yeux, on peut apercevoir de fins liserés blanc transversaux.
Mon ami Serge est un ami depuis longtemps.
C’est un garçon qui a bien réussi, il est médecin dermato-
logue et il aime l’art.
Lundi, je suis allé voir le tableau que Serge avait acquis
samedi mais qu’il convoitait depuis plusieurs mois.
Un tableau blanc, avec des liserés blancs.

Chez Serge.
Posée à même le sol, une toile blanche, avec de fins liserés blancs
transversaux.
Serge regarde, réjoui, son tableau.
Marc regarde le tableau.
Serge regarde Marc qui regarde le tableau.
Un long temps où tous les sentiments se traduisent sans mot.
MARC : Cher ?
SERGE : Deux cent mille.
MARC : Deux cent mille ?...
SERGE : Handtington me le reprend à vingt-deux.
MARC : Qui est-ce ?
SERGE : Handtington ?!
MARC : Connais pas.
SERGE : Handtington ! La galerie Handtington !
MARC : La galerie Handtington te le reprend à vingt-deux ?...
SERGE : Non, pas la galerie. Lui. Handtington lui-même.
Pour lui.
MARC : Et pourquoi ce n’est pas Handtington qui l’a acheté ?
SERGE : Parce que tous ces gens ont intérêt à vendre à des par-
ticuliers. Il faut que le marché circule.
MARC : Ouais…
SERGE : Alors ?
MARC : …
SERGE : Tu n’es pas bien là. Regarde-le d’ici. Tu aperçois les lignes ?
MARC : Comment s’appelle le…
SERGE : Peintre. Antrios.
MARC : Connu ?
SERGE : Très. Très !
Un temps.
MARC : Serge, tu n’as pas acheté ce tableau deux cent mille
francs ?
SERGE : Mais mon vieux, c’est le prix. C’est un ANTRIOS !
MARC : Tu n’as pas acheté ce tableau deux cent mille francs ?
SERGE : J’étais sûr que tu passerais à côté.
MARC : Tu as acheté cette merde deux cent mille francs ?!

Serge, comme seul.
SERGE : Mon ami Marc, qui est un garçon intelligent, garçon
que j’estime depuis longtemps, belle situation, ingénieur dans
l’aéronautique, fait partie des intellectuels, nouveaux, qui,
non contents d’être ennemis de la modernité en tirent une
vanité incompréhensible.
Il y a depuis peu, chez l’adepte du bon vieux temps, une
arrogance vraiment stupéfiante.

9. Le 11 décembre 2017, 20:06 par mme baudry

Chez Serge.
Au fond, accroché au mur, l’Antrios.
Debout devant la toile, Marc tient une bassine d’eau dans
laquelle Serge trempe un petit morceau de tissu. Marc a relevé les
manches de sa chemise et Serge est vêtu d’un petit tablier trop court
de peintre en bâtiment.
Près d’eux, on aperçoit quelques produits, flacons ou bouteilles
de white-spirit, eau écarlate, chiffons et éponges…
Avec un geste très délicat, Serge apporte une dernière touche au
nettoyage du tableau.
L’Antrios a retrouvé toute sa blancheur initiale.
Marc pose la bassine et regarde le tableau.
Serge se retourne vers Yvan, assis en retrait.
Yvan approuve.
Serge recule et contemple à son tour.
Silence.
YVAN (comme seul. Il nous parle à voix légèrement feutrée) :…
Le lendemain du mariage, Catherine a déposé au cimetière
Montparnasse, sur la tombe de sa mère morte, son bouquet de
mariée et un petit sachet de dragées. Je me suis éclipsé pour
pleurer derrière une chapelle et le soir, repensant à cet acte bou-
leversant, j’ai encore sangloté dans mon lit en silence. Je dois
absolument parler à Finkelzohn de ma propension à pleurer, je
pleure tout le temps, ce qui n’est pas normal pour un garçon de
mon âge. Cela a commencé, ou du moins s’est manifesté clai-
rement le soir du tableau blanc chez Serge. Après que Serge
avait montré à Marc, par un acte de pure démence, qu’il tenait
davantage à lui qu’à sa tableau, nous sommes allés dîner chez
Emile. Chez Emile, Serge et Marc ont pris la décision d’essayer
de reconstruire une relation anéantie par les événements et les
mots. A un moment donné, l’un de nous a employé l’expres-
sion « période d’essai » et j’ai fondu en larmes.
L’expression « période d’essai » appliquée à notre amitié a
provoqué en moi un séisme incontrôlé et absurde.
En réalité, je ne supporte plus aucun discours rationnel, tout
ce qui a fait le monde, tout ce qui a été beau et grand dans ce
monde n’est jamais né d’un discours rationnel.
Un temps
Serge s’essuie les mains. Il va vider la bassine d’eau puis se met à
ranger tous les produits, de sorte qu’il n’y ait plus aucune trace du
nettoyage.
Il regarde encore une fois son tableau. Puis se retourne et
s’avance vers nous.
SERGE : Lorsque nous sommes parvenus, Marc et moi, à
l’aide d’un savon suisse à base de fiel1 de bœuf, prescrit par
Paula, à effacer le skieur, j’ai contemplé l’Antrios et je me suis
tourné vers Marc :
Savais-tu que les feutres étaient lavables ?
Non, m’a répondu Marc…Non…Et toi ?
Moi non plus, ai-je dit, très vite, en mentant.
Sur l’instant, j’ai failli répondre, moi je le savais. Mais pou-
vais-je entamer notre période d’essai par un aveu aussi déce-
vant ?...D’un autre côté, débuter par une tricherie ?...
Tricherie ! N’exagérons rien ; d’où me vient cette vertu stu-
pide ? Pourquoi faut-il que les relations soient si compliquées
avec Marc ?...
La lumière isole peu à peu l’Antrios.
Marc s’approche du tableau.
MARC : Sous les nuages blancs, la neige tombe.
On ne voit ni nuages blancs, ni la neige.
Ni la froideur et l’éclat blanc du sol.
Un homme seul, à skis, glisse.
La neige tombe.
Tombe jusqu’à ce que l’homme disparaisse et retrouve son
opacité.
Mon ami Serge, qui est un ami depuis longtemps, a acheté un tableau.
C’est une toile d’environ un mètre soixante sur un mètre
vingt.
Elle représente un homme qui traverse un espace et qui disparaît.

10. Le 12 décembre 2017, 21:22 par mme baudry

Lecture analytique du dénouement de "Art".
1) un dénouement heureux.
- la réconciliation entre les trois amis.

  • lexique de l'amitié: "il tenait davantage à lui qu'à son tableau" l. 28, "reconstruire une relation" l. 30, "période d'essai" l. 32. Un nouveau départ pour les trois protagonistes.
  • Les trois personnages sont réunis dans un même lieu: "chez Serge" l. 1. Ils semblent proches: Yvan est pris en compte: "Serge se retourne vers Yvan" l. 13. Marc et Serge s'aident mutuellement: "Marc tient une bassine d'eau dans laquelle Serge trempe un petit morceau de tissu" l. 3-4. Ils font des gestes similaires. Ils s'impliquent de la même manière dans le nettoyage du tableau. Le "dîner" chez Emile l. 28 fait penser à un moment chaleureux, convivial et sympathique.
  • le regard des trois protagonistes convergent vers un même point: "Marc regarde le tableau" l. 12, "Yvan approuve" l. 14, "Serge contemple à son tour" l. 15. On observe un parallèle dans les attitudes: ils sont à l'unisson: communion réconfortante pour le spectateur autour du tableau qui les avait divisés.

- le mariage d'Yvan: les comédies se terminent par une fin heureuse, très souvent un mariage. Yvan évoque le sien à travers le lexique du mariage: "mariage" l. 18, "petit sachet de dragées" l. 20. Association de la mère morte: un geste émouvant et touchant qui permet l'apaisement général. De même, réconciliation avec Paula qui participe aussi indirectement au nettoyage de l'Antrios.
- l'effacement du graffiti.
Lexique du nettoyage: "nettoyage du tableau" l. 10, "blancheur initiale" l. 11, "aucune trace du nettoyage" l. 41, "effacer le skieur" l. 46.
Cependant, exagération du nombre de produits sachant que le feutre est lavable: énumération comique de produits sophistiqués l. 7-8 accompagnés du savon à "base de fiel de boeuf" l. 45 de Paula. De même, costumes comiques des personnages: "Serge vêtu d'un petit tablier trop court de peintre en bâtiment" l. 5-6.
L'effacement du graffiti symbolise l'effacement des tensions entre les personnages.

2) Les éléments qui introduisent le doute dans ce bonheur retrouvé.
- l'absence de communication entre les trois amis.

  • Les apartés sont omniprésentes: « comme seul » l. 17. Les personnages s’adressent au public (pronom « nous » dans "il nous parle" l. 17, s'avance vers nous" l. 43) et non aux autres personnages sur scène = une confession faite aux spectateurs et non pas aux amis.
  • une longue didascalie au début avec le champ lexical du regard: "regarde" l. 12, "contemple" l. 15. Mais, les personnages ne se parlent pas.

= les personnages ne communiquent pas entre eux, ils semblent isolés les uns des autres. Importance du silence: l. 16.
- Les pleurs d'Yvan.

  • son mariage est associé à la mort: "tombe se sa mère morte" l. 19, "cimetière".
  • fragilité émotionnelle du personnage: "en retrait" l. 13: il est toujours mis sur la touche, la situation n'a pas évolué pour lui. Répétition du lexique des pleurs: "sangloté" l. 22, "pleurer" l. 21, "pleurer" l. 23: une répétition comique car en décalage par rapport à la réalité: opposition entre "période d'essai" l. 33 et le terme "séisme" l. 34. Yvan a recours à un psychanalyste "Finkelzohn" l. 23 qui semble être le seul à qui il puisse se confier.
  • jugement dévalorisant sur lui-même: des termes négatifs "absurde" l. 34, la négation "ce n'est pas normal pour un garçon de mon âge" l. 24. Il ressent de la culpabilité et ressemble à un enfant: "j'ai sangloté dans mon lit en silence" l. 22.

Un personnage à la fois comique et pathétique, une sorte de clown triste.
- l'hypocrisie de la "période d'essai".

  • Lexique du mensonge dans la réplique de Serge: "en mentant" l. 50, "aveu" l. 52, "tricherie" l. 53-54. Serge dévoile l'envers du décor: derrière la réconciliation, il y a l'absence de complicité et de franchise qui annonce la fin de leur amitié.
  • malaise de Serge: il hésite et se pose des questions: forte ponctuation expressive. Nervosité du personnage. Vocabulaire négatif comme "vertu stupide" l. 55 ou "compliquées" l. 55.

Serge et Yvan se ressemblent car ils sont encore en conflit avec eux-mêmes, des personnages marqués par leur insatisfaction.

3) l'évolution du personnage de Marc.
- des points communs avec la scène d'exposition: la répétition de l’adjectif « blanc », la présentation de Serge et du tableau (dimensions) même s’il manque « peinte en blanc ». Ici, un effet de boucle, d’échos. On pourrait croire au début que la situation n'a pas évolué.
- cependant, des différences qui montrent que Marc est sensible au tableau: c'est le seul personnage qui ne nous regarde pas mais qui regarde le tableau. Il trouve un sens au tableau : un skieur qui disparaît dans la neige.

  • le graffiti est effacé mais Marc voit le même dessin sur le tableau blanc
  • le graffiti, sensé dégrader le tableau, révèle son sens
  • Marc en parle de manière poétique et non plus ironique ou critique avec des mots comme « art », « cette merde »

- la parole poétique de Marc:

  • Disposition des lignes : des vers libres
  • Rythme lent : des répétitions, énumérations comme "ni les nuages blancs, ni la neige, ni la froideur et l'éclat blanc du sol" l. 60
  • Allitération en s qui mime le glissement du skieur: "seul", "skis", "glisse", "disparaisse", "opacité" l. 62.
  • Métaphore (image poétique) : « son opacité »: on peut imaginer qu'il s'agit de la mort ou de la fin du spectacle.

Marc révèle sa sensibilité grâce à sa rencontre avec le tableau. C'est la réplique d'Yvan qui donne la clé de la pièce: "tout ce qui a été beau et grand dans ce monde n'est jamais né d'un discours rationnel" l. 36. Le discours de Marc n'est pas un discours rationnel mais émotionnel.
La dernière phrase est énigmatique et laisse le lecteur/spectateur faire le même travail que Marc: y voir ce qu'il veut.

11. Le 07 janvier 2018, 16:33 par mme baudry

Lecture analytique 3 :  Art » Y. Reza. De « Yvan seul» à « je vais lui dire gentiment les choses ».

Introduction:

- Y.REZA née en 1959: fait d'abord des études de sociologie avant de tenter une carrière de comédienne et de passer finalement à l'écriture (de pièces de théâtre et de romans).

- son oeuvre la plus connue: "Art" écrite et jouée en 1994. Connaît un vif succès en France (récompensé par les Molières) et à l'étranger: traduite en 35 langues, jouée dans les pays du monde entier.

Met en scène un trio exclusivement masculin: 3 amis quadragénaires mettent leur amitié à l'épreuve à propos d'un monochrome (l'antrios) acheté par Serge. Le tableau est une occasion de régler leurs comptes et de faire apparaître les failles de leur amitié.

Marc: ingénieur dans l'aéronotique, ne supporte pas que Serge ait pu acheter ce tableau vide "cette merde blanche" selon lui, qui monopolise l'attention de son ami. Tyrannique et anxieux.

Serge: médecin dermatologue: intellectuel prétentieux, amateur d'art contemporain.

Yvan: embauché dans la papeterie de son futur beau-père: personnage dont la réussite sociale est médiocre. Absence de personnalité, incapable de donner un avis personnel. incarne le médiateur mais aussi le bouc-émissaire.

Présentation de l'extrait

Reprise de la question posée+ proposition de plan.

Lecture.

I. La pensée intime des personnages.
l’isolement et la solitude des personnages
les didascalies « seul » : répété → 3 monologues sans transition (un seul astérisque les sépare). Chaque personnage livre sa vision de la situation → absence de communication entre les personnages alors qu’ils sont amis. Hypocrisie. Les monologues permettent de comprendre les arrières-pensées des personnages, de voir l'envers du décor.
= le lecteur/spectateur : un rôle de confident voire de psychanalyste. Les personnages s’adressent indirectement au lecteur/spectateur
importance du pronom « je » : « je ne suis pas content », « pour moi, il n’est pas blanc », « j’aurais dû prendre Ignatia »
= les personnages se parlent à eux-mêmes et cherchent à se rassurer sur leur comportement. Serge semble plus égoïste et tourné sur lui-même car il répète deux fois « Pour moi ». Il n'y a pas de point d'interrogation dans son monologue à l'inverse de Yvan et de Marc : Serge se sent plus sûr de lui et supérieur.
- Yvan n'ose pas répondre directement à Marc qui lui pose une question : « Tu es content ? ». Il est mal à l'aise, il fuit le dialogue et la confrontation directe. On comprend qu'il n'a pas été franc face à son ami. Il préfère se réfugier dans son monologue pour révéler ses angoisses qui n'ont rien à voir avec le tableau.

des conflits non dits
- mise à jour des conflits et des rivalités entre les personnages : lexique du désaccord avec des termes parfois péjoratifs ou familiers « berner par l'Art », « je ne supporte pas », « c'est sa limite », « je l'emmerde ». Le tableau devient un personnage qui sépare Marc et Serge. Serge se sert du tableau comme critère pour juger ses amis : il dévalorise Marc : « Marc le voit blanc....C'est sa limite », « il s'est enferré » (« enferrer »: se prendre à ses propres mensonges, à ses propres pièges) : sous entend que Marc est buté, fermé d'esprit. Antithèse avec Yvan : répétition « Yvan non. Yvan voit qu'il n'est pas blanc ». Serge se cherche des alliés pour se donner raison. Cependant, on s'aperçoit que Yvan ne pense pas du tout au tableau dans son monologue. Il n'a pas d'avis ferme sur le tableau.

= les personnages sont victimes de leur illusion sur les autres. Serge pense trouver un allié chez Yvan et un ennemi chez Marc alors que Yvan est indifférent et que Marc cherche à se réconcilier avec lui. Chaque personnage se trompe sur l'autre.

des dialogues reconstitués
- des points d'interrogation dans les monologues d'Yvan et de Marc qui se remettent en question.
Pour Marc : changement de décision suite à un dialogue avec lui-même : « Qu'est-ce que ça peut me faire au fond que Serge se fasse berner... Si, c'est grave. » Il tente de peser le pour et le contre dans sa conscience. Hésitation du personnage qui veut s'améliorer : bonne volonté de Marc.
Pour Yvan : retour en arrière sur un dialogue passé avec sa mère : « Es-tu content de te marier ? ». Yvan se retrouve dans la même situation de soumission face à Marc que face à sa mère : il ne sait pas quoi répondre face aux questions insistantes et répétées : « Tu es content ? Tu es content ? » et « comment ça sûrement ? On est content ou on n'est pas content, que signifie sûrement ? ». Il est incapable de s'engager et d'avoir un avis personnel et tranché.
= on ressent les doutes, les hésitations, les failles de ces personnages, ce qui peut les rendre attachants. On peut s'identifier à eux.

II. L’aspect comique du passage
comique de mots
- antithèse entre « pour moi » et « objectivement » : Serge veut donner du poids à son avis mais cela le rend ridicule car opposition entre « pour moi » qui montre sa subjectivité et « objectivement », c'est-à-dire neutre, qui est son contraire. Il veut imiter une façon de parler snob des personnes distinguées. Manque de simplicité de ce personnage.
- les registres de langue différents : contraste entre cette façon de parler recherchée et l'apparition de l'expression familière « je l'emmerde » à la fin du monologue qui constitue une chute comique. Rappelle la scène d'exposition et l'insulte de Marc à propos du tableau « cette merde ». Ici, Serge semble se venger en insultant son ami. A la fin du monologue, Serge montre son vrai visage : il a mal pris le jugement négatif de Marc qui l'a blessé dans son orgueil personnel.

comique de caractère
Caricature des personnages : on retrouve le registre satirique propre à Yasmina Reza.
- Yvan : personnage constamment insatisfait. Répétition de la négation « je ne suis pas content ». Un personnage indécis, vulnérable : beaucoup de points de suspension et de point d'interrogation dans son monologue. Il apparaît dépendant de sa mère « maman » : terme affectif mais qui montre son infantilisation.
- Serge : l'amateur d'art ridicule ; Il semble amoureux de son tableau qui est personnifié par le pronom « il » et l'adjectif « pâle » utilisé pour un être humain. Il est passionné et se lance dans une défense, un éloge, une louange absurde de l'Antrios : champ lexical des couleurs « gris », « rouge » alors que c'est un monochrome . Serge est aveuglé par son tableau en voulant le rendre plus beau qu'il n'est vraiment : il montre de la mauvaise foi.
- Marc : tente de trouver du réconfort dans l'homéopathie de Paula « Ignatia » alors qu'il semble un personnage sûr de lui et fort dans la pièce. Il semble très dépendant d'autrui, et angoissé.

comique de situation
- les répétitions qui montrent les obsessions : pour Yvan : répétition de « content », pour Serge : répétition de « il » et « blanc », pour Marc, répétition de « gentiment » : les personnages sont dans des univers opposés.
- les oppositions entre les monologues : contradictions entre les monologues qui parlent de sujets différents. Marc tente de se faire la morale « je dois » répété deux fois. Il tente de s'assouplir et de faire des efforts en prenant de bonnes résolutions. Mais ces efforts sont anéantis par le monologue précédent de Serge qui termine sur une sorte de déclaration de guerre : « Marc peut penser ce qu'il veut, je l'emmerde ».
= comique naît de l'écart entre les deux monologues. Le lecteur/spectateur est complice de Y. Reza qui se moque de ses personnages.

12. Le 07 janvier 2018, 16:35 par mme baudry

MARC : Réponds-moi. Demain, tu épouses Catherine et tu
reçois en cadeau de mariage ce tableau.
Tu es content ?
Tu es content ?...

Yvan, seul.
YVAN : Bien sûr que je ne suis pas content.
Je ne suis pas content mais d’une manière générale, je ne suis
pas un garçon qui peut dire, je suis content.
Je cherche…je cherche un événement dont je pourrais dire
de ça que je suis content…Es-tu content de te marier ? m’a dit un
jour bêtement ma mère, es-tu seulement content de te
marier ?...Sûrement, sûrement maman…
Comment ça sûrement ? On est content ou on n’est pas
content, que signifie sûrement ?...

Serge, seul.
SERGE : Pour moi, il n’est pas blanc.
Quand je dis pour moi, je veux dire objectivement.
Objectivement, il n’est pas blanc.
Il y a un fond blanc, avec toute une peinture dans les gris…
Il y a même du rouge.
On peut dire qu’il est très pâle.
Il serait blanc, il ne me plairait pas.
Marc le voit blanc…C’est sa limite…
Marc le voit blanc parce qu’il s’est enferré dans l’idée qu’il était blanc.
Yvan, non. Yvan voit qu’il n’est pas blanc.
Marc peut penser ce qu’il veut, je l’emmerde.

Marc, seul.
MARC : J’aurais dû prendre Ignatia, manifestement.
Pourquoi faut-il que je sois tellement catégorique ?!
Qu’est-ce que ça peut me faire, au fond, que Serge se laisse
berner par l’Art contemporain ?...
Si, c’est grave. Mais j’aurais pu le lui dire autrement.
Trouver un ton plus conciliant. Si je ne supporte pas, physiquement, que mon meilleur ami achète un tableau blanc, je dois au contraire éviter de l’agresser.
Je dois lui parler gentiment. Dorénavant, je vais lui dire gentiment les choses…

13. Le 11 janvier 2018, 21:04 par mme baudry

Descriptif séquence 2 : le théâtre : texte et représentation.
Etude d'une œuvre intégrale : « Art » de Y. Reza (1994).
La fonction des monologues et des apartés dans l'oeuvre.

Trois lectures analytiques :
- la scène d'exposition jusqu'à « vraiment stupéfiante »
- le dénouement de « Chez Serge. Au fond accroché au mur, l'Antrios » jusqu'à la fin.
- les trois monologues : de « Yvan seul » à « lui dire gentiment les choses ».

Synthèse : le rôle du monochrome dans la pièce.

Activités proposées à la classe.
- Analyse de l'image : des affiches de la représentation et une photographie de la mise en scène de P. Kerbrat.
- Analyse de la mise en scène de P. Kerbrat des trois extraits proposés en lectures analytiques.
- Les élèves ont joué les deux premiers textes.
- Lecture cursive : Huis Clos de Sartre. Si cette œuvre était une musique, ce serait...
- Les élèves ont assisté à la représentation du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare au théâtre. Ils ont vu en classe On ne badine pas avec l'amour de Musset.

14. Le 22 février 2018, 14:13 par mme baudry

Introduction aux lectures analytiques.
- D. Foenkinos: un auteur contemporain
- Charlotte: roman biographique sur femme peintre allemande Charlotte Salomon morte pendant la guerre à Auschwitz,  en 1943 alors qu'elle était enceinte. Artiste méconnue, qui a fasciné D. Foenkinos. Vie tragique marquée par les nombreux suicides dans sa famille. Isolement de Charlotte dans le contexte historique de l'Allemagne sous Hitler. Grand amour pour Alfred qu'elle doit quitter pour fuir la guerre. Auteur de Vie? ou Théâtre?, une oeuvre autobiographique qui mélange de peinture (1300 gouaches), de mots et de musique. D. Foenkinos raconte aussi sa quête, sur les traces de Charlotte Salomon: 8 ans de travail, voyages en Allemagne et dans le sud de la France.
Style particulier (une phrase par ligne) comme: un souffle qui permet la respiration du lecteur.
Hommage et portrait de Charlotte Salomon.

15. Le 22 février 2018, 14:13 par mme baudry

Séquence sur le roman.
Lecture analytique 1 : Charlotte, D. Foenkinos (2014). Incipit.

Charlotte a appris à lire son prénom sur une tombe.

Elle n’est donc pas la première Charlotte.
Il y eut d’abord sa tante, la sœur de sa mère.
Les deux sœurs sont très unies, jusqu’à un soir de novembre 1913.
Franziska et Charlotte chantent ensemble, dansent, rient aussi.
Ce n’est jamais extravagant.
Il y a une pudeur dans leur exercice du bonheur.
C’est peut-être lié à la personnalité de leur père.
Un intellectuel rigide, amateur d’art et d’antiquités.
A ses yeux, rien n’a davantage d’intérêt qu’une poussière romaine.
Leur mère est plus douce.
Mais d’une douceur qui confine à la tristesse.
Sa vie a été une succession de drames.
Il sera bien utile de les énoncer plus tard.

Pour l’instant, restons avec Charlotte.
La première Charlotte.
Elle est belle, avec de longs cheveux noirs comme des promesses.
C'est par la lenteur que tout commence.
Progressivement, elle fait tout plus lentement : manger, marcher, lire.
Quelque chose ralentit en elle.
Sûrement une infiltration de la mélancolie dans son corps.
Une mélancolie ravageuse dont on ne revient pas.
Le bonheur devient une île dans le passé, inaccessible.
Personne ne remarque l'apparition de la lenteur chez Charlotte.
C'est bien trop insidieux.
On compare les deux sœurs.
L'une est simplement plus souriante que l'autre.
Tout au plus souligne-t-on, ici ou là, des rêveries un peu longues.
Mais la nuit s'empare d'elle.
Cette nuit qu'il faut attendre, pour qu'elle puisse être la dernière.

C'est un soir si froid de novembre.
Alors que tout le monde dort, Charlotte se lève.
Elle prend quelques affaires, comme pour un voyage.
La ville semble à l'arrêt, figée dans un hiver précoce.
La jeune fille vient d'avoir dix-huit ans.
Elle marche rapidement vers sa destination.
Un pont.
Un pont qu'elle adore.
Le lieu secret de sa noirceur.
Elle sait depuis longtemps qu'il sera le dernier pont.
Dans la nuit noire, sans témoin, elle saute.
Sans la moindre hésitation.
Elle tombe dans l'eau glaciale, faisant de sa mort un supplice.

On retrouve son corps au petit matin, échoué sur une berge.
Complètement bleu par endroits.
Ses parents et sa sœur sont réveillés par la nouvelle.
Le père se fige dans le silence.
La sœur pleure.
La mère hurle sa douleur.

Le lendemain, les journaux évoquent cette jeune fille.
Qui s'est donné la mort sans la moindre explication.
C'est peut-être ça, le scandale ultime.
La violence ajoutée à la violence.
Pourquoi ?
Sa sœur considère ce suicide comme un affront à leur union.
Le plus souvent, elle se sent responsable.
Elle n'a rien vu, rien compris à la lenteur.
Elle avance maintenant la culpabilité au cœur.

16. Le 22 février 2018, 15:31 par mme baudry

Lecture analytique 1: l'incipit de Charlotte.
Est-ce un incipit qui répond aux attentes du lecteur?
1) des informations essentielles.
- le temps: "un soir de novembre 1913"l. 4: le narrateur insiste sur le froid et la nuit avec "un soir si froid de novembre" l. 31, "hiver précoce" l. 34 et "nuit noire" l. 41: un cadre temporel très sombre (proche aussi de la première guerre mondiale même si pas de référence explicite dans ce texte).
- le lieu: on nous parle d'"un pont" l. 37 mais nous ignorons de quelle ville il s'agit. Le prénom "Franziska" a des consonances allemandes cependant.
- les personnages: une famille de contes: des personnages stéréotypés:

  • des parents dont on ne sait pas le nom. Ils sont opposés mais marqués tous les deux par la mort:

- le père "intellectuel rigide" l. 9, "poussière romaine" l. 10: personnage sévère, froid, distant et coupé du monde.
- la mère: une figure positive et rassurante "plus douce" l. 11 mais des zones d'ombre l'entourent avec des termes négatifs comme "tristesse" l. 12 et le pluriel "succession de drames" l. 13.

  • les deux sœurs qui ont des prénoms: Franziska et Charlotte

- d'abord une relation fusionnelle entre les deux sœurs avec l'énumération: "chantent ensemble, dansent, rient aussi" l. 5: joie de vivre, bonheur et insouciance. "leur union" l. 55.
- cependant, différenciation des deux sœurs:
Deux comparatifs: "l'une est tout simplement plus souriante que l'autre" l. 27 et "elle fait tout plus lentement" l. 19.
Opposition entre les deux énumérations: l. 5 "dansent, rient" et l. 19 "manger, marcher, lire".
Le narrateur délaisse le personnage de Franziska pour nous donner plus d'informations sur Charlotte: une opposition entre son portrait physique mélioratif qui rappelle les princesses de conte: "belle", "longs cheveux noirs comme des promesses" l. 17, "dix-huit ans" l. 35 et le vocabulaire du malheur qui dessine un portrait moral plus noir avec "mélancolie" l. 20, "la nuit" l. 29, une sorte de poison "trop insidieux" l. 25,"infiltration" l. 21. "La lenteur" répétée plusieurs fois l. 18, 19, 24: le rythme très lent du texte fait écho à cet état intérieur du personnage.
Les négations à la fin du texte: "elle n'a rien vu, rien compris à la lenteur" l. 57: Franziska considère presque le suicide de sa sœur comme une trahison.

2) un incipit surprenant.
- la confusion entre les deux Charlotte: Charlotte Salomon et sa tante, "la première Charlotte" l. 2.

  • Perte des repères pour le lecteur, reflet de la psychologie de la mère qui n'a pas fait le deuil de sa sœur: "la culpabilité au cœur". Franziska donne à sa fille le prénom de sa soeur suicidée pour tenter de la faire revivre.
  • la première phrase du texte est très brutale: "Charlotte a appris à lire son nom sur une tombe" l. 1. Elle sous-entend que:

- Franziska se rend très souvent (quotidiennement?)au cimetière en pèlerinage
- la petite Charlotte voit son propre nom déjà inscrit sur une tombe: une enfance marquée par la mort.
- le cimetière a remplacé l'école pour la petite fille: l'apprentissage de la lecture symbole d'éveil à la connaissance et de vie est lié à la mort.

- un début qui commence par une fin: le suicide de Charlotte.

  • un désir de mourir déstabilisant: opposition entre la lenteur et l'adverbe "rapidement" l. 36 qui suggère qu'elle renaît. Le suicide est lié à la vie avec la comparaison "comme pour un voyage" l. 33, la date de son anniversaire "vient d'avoir dix-huit ans"l. 35 qui symbolise le début de la vie et le verbe "un pont qu'elle adore" l. 38. Son suicide ressemble à un rendez-vous amoureux, marqué par une impatience fébrile.
  • le réalisme morbide de cette première page: des notations physiques "bleu par endroits"l. 45, "dans l'eau glaciale, faisant de sa mort un supplice" l. 43 (répétition de sons: "glaciale" et "supplice"). Le narrateur ressemble à un médecin légiste. Charlotte devient un objet "son corps" "échoué sur une berge" l. 44.

- la pudeur du narrateur

  • Il utilise des mots forts comme "scandale ultime" l. 52 ou la répétition de "violence" l. 53. On voit qu'il invite le lecteur à s'identifier à la détresse des personnages avec la question mise en valeur par la disposition seule sur la ligne: "Pourquoi?" l. 54: c'est une question que les personnages se posent ainsi que le lecteur.
  • cependant, aucun lyrisme dans le texte: aucun signe de ponctuation expressive. Le narrateur énumère froidement les réactions des membres de la famille: "Le père se fige dans le silence. / La sœur pleure. / La mère hurle sa douleur." l. 47 à 49.

On peut aussi penser que cette manière distante de raconter est le reflet du caractère des personnages qui n'expriment pas facilement leurs émotions: "Il y a une pudeur dans l'exercice du bonheur" l. 7. Le narrateur adopte une façon de s'exprimer pudique qui est comme le portrait de ses personnages.

- une écriture-poème.
Le lecteur remarque d'emblée que les phrases sont séparées. Forme versifiée du texte qui crée un effet de rimes: "noirceur" l. l. 39, "pleure" l. 48, "douleur" l. 49, "lenteur" l. 57, "coeur" l. 58 par exemple pour mettre en avant le tragique du texte qui provoque horreur et pitié chez le lecteur.

17. Le 22 février 2018, 15:33 par mme baudry

Séquence sur le roman.

Lecture analytique 2 : la rencontre entre Charlotte et Alfred.

1) 2 personnages opposés.

- Alfred agit avec précipitation: des adverbes comme "aussitôt"  l. 35, "rapidement" l. 26 ou "instinctivement" l. l. 28. Il agit selon ses pulsions comme s'il ne réfléchissait pas. Fait plusieurs actions en même temps: "il est déjà en train de parler" l. 29: les actions se bousculent ce qui est déstabilisant pour Charlotte. Attitude égoïste qui ne prend pas en compte l'autre. Homme insaisissable et difficile à cerner. Goujat, impoli (Alfred ne la regarde pas l. 34), déconcertant: il agit avec désinvolture : "il attrape au passage le carton à dessins" l. 66.

- complètement opposé à Charlotte: pour elle, le rendez-vous est préparé et longuement attendu. Marques d'hésitation avec les interrogations rhétoriques l. 2 et 3: tous les détails comptent pour elle. Des antithèses aussi : elle s'applique du rouge à lèvres, l'essuie et se maquille à nouveau: manque de confiance en elle. C'est son 1er rendez-vous amoureux: elle n'a pas les codes. C'est un moment initiatique pour elle. Elle se prépare à un rendez-vous amoureux: lexique de la coquetterie et de la féminité avec "rouge", "lèvres" l. 1, "féminine" l. 3, "bouche" l. 4, "maquiller" l. 5.

En revanche, Alfred: brusque + monologue sur Kafka...Accorde peu d'intérêt au travail de Charlotte d'où sa déception.

- discours indirect pour Charlotte comme "Charlotte dit que ce n'est pas grave" l. 38 ou monologue intérieur avec "a-t-il oublié?" l. 22: elle est discrète et inhibée, timide. Mais, discours direct pour Alfred: "Je voulais te dire, Charlotte, ma révélation"l. 42: a besoin d'exprimer ouvertement ce qu'il ressent, ce qui hante son esprit. Ses phrases s'imposent: il semble détenir la vérité: autoritaire et narcissique. Aucune hésitation chez lui.

2) le rendez-vous manqué.

- Alfred commence brutalement par Kafka: un intrus dans leur relation, qui prend la place de Charlotte: Kafka est la "révélation" d'Alfred comme une sorte de révélation mystique alors que Charlotte aurait dû avoir la 1ère place. Kafka est une source d'inspiration pour Alfred alors que pour Charlotte, c'est Alfred la source d'inspiration. Charlotte ne connaît pas Kafka: cela souligne son ignorance et peut créer un complexe ou un sentiment d'infériorité gênant pour elle: "sur Kafka, elle est dépourvue de mots" l. 51. Kafka est un obstacle ou un écran entre eux.

- Charlotte reste muette et interdite: négation: "Charlotte ne sait que répondre" l. 47, "elle est dépourvue de mots" l. 51: elle est dépossédée de sa parole et prend une attitude passive d'élève à qui on apprend des choses.

- Alfred, lui, monopolise la parole: son discours n'est pas un dialogue mais un monologue avec le champ lexical de la parole: "il est déjà en train de parler" l. 29, "il se met à parler de Kafka" l. 40, "je voulais te dire" l. 42. Alfred s'écoute parler: il met en scène sa culture mais aucun échange. Echange impossible, un dialogue de sourds souligné par la négation "il ne l'écoute pas" l. 39.

- métaphore du "brouillon" l. 70 qui compare leur relation à une oeuvre d'art en train de se faire: suppose des étapes, un apprentissage et des ébauches inabouties. Contraste avec le cliché du coup de foudre...Cependant, détermination du personnage de Charlotte "Il faut qu'elle sache ce qu'Alfred pense de ses dessins" l. 83, "ce qu'elle veut, c'est plaire à Alfred" l. 17. Elle semble la créatrice de cette relation: on retrouve chez elle la même force à créer des oeuvres d'art.

3) La désillusion de Charlotte.

- appréhension de Charlotte: angoisse face à son premier rendez-vous: phrases interrogatives du début. Charlotte confrontée à l'inconnu. Phrases brèves au début qui montrent son sentiment d'inquiétude. Forme de naïveté et de candeur chez elle. personnage sympathique et sincère dans sa démarche: sa générosité frappe le lecteur. On sent que cela peut aller jusqu'au sacrifice.

- sa déception est d'autant plus grande:

* elle se manifeste physiquement:lexique du coup: "hébétée" l. 71, "titubant" l. 72, "sa vision se brouille" l. 76 comme après un combat de boxe: elle est sous le choc

* mais c'est aussi une blessure morale: pensées suicidaires: renoue avec la fatalité tragique familiale "se jeter d'un pont" l. 78 rappelle la première Charlotte. Elle apparaît perdue avec la négation "elle ne reconnaît plus rien" l. 75: perte dangereuse de repères. Lexique de la mort avec "se jeter d'un pont", "mourir", "pulsions morbides" l. 80: personnage pathétique ici.

Seuls l'art et l'amour semblent la rattacher à la vie.

 

18. Le 27 mars 2018, 21:29 par mme baudry

Séquence sur le roman.
Lecture analytique 2. Quatrième partie, chapitre 6 de Charlotte, D. Foenkinos (2014).

Le jour venu, elle applique un peu de rouge sur ses lèvres.
Va-t-il se moquer d'elle ?
De son envie d'être féminine ?
Elle s'essuie finalement la bouche.
Avant de se maquiller à nouveau.
Elle ne sait pas comment il faut faire.
Pour qu'un homme la trouve belle.
Personne ne la regarde jamais.
Ou alors, c'est qu'elle ne remarque rien.
Barbara lui a dit que son Klaus la trouvait jolie.
Enfin non, il n'a pas dit jolie.
Il a dit que son visage avait beaucoup de force.
Ce qui veut dire quoi ?
Pour ce garçon, c'est un compliment.
Il trouve Barbara belle, mais sans caractère.
Mais Charlotte s'en moque.
Ce qu'elle veut, c'est plaire à Alfred.

Elle l'attend au café, près de la gare centrale.
En se donnant rendez-vous ici, ils défient la loi.
Assise, ses yeux fixent la grande horloge.
Alfred est en retard.
A-t-il oublié ?
S'est-elle trompée de jour ?
Ce n'est pas possible qu'il ne vienne pas.
Il arrive finalement, trente minutes après l'heure prévue.
Et se dirige rapidement vers Charlotte.
Il ne l'a même pas cherchée du regard.
Comme s'il savait instinctivement où elle était.
Alors qu'il s'assoit, il est déjà en train de parler.
Peut-être même sa phrase était-elle commencée depuis un moment.
Il lève le bras pour commander une bière.
Charlotte est étourdie par son apparition.
Il tourne la tête à droite, à gauche.
Comme attiré par tout ce qui n'est pas elle.

La serveur apporte sa boisson, qu'il avale aussitôt.
D'une traite, sans respirer entre les gorgées.
Puis seulement s'excuse pour son retard.
Charlotte dit que ce n'est pas grave.
Mais il ne l'écoute pas.
Il se met à parler de Kafka1.
Comme ca, c'est une irruption de Kafka.
Je voulais te dire, Charlotte, ma révélation.
L'oeuvre entière de Kafka repose sur l'étonnement.
C'est son thème principal.
Si tu lis bien ses livres, tu verras l'étonnement.
De la transformation, de l'arrestation, de lui-même2.
Charlotte ne sait que répondre.
Elle avait prévu des choses à dire, des analyses.
Elle était prête à parler du roman d'Alfred.
Mais pas de Kafka .
Sur Kafka, elle est dépourvue de mots.

Heureusement, il demande à voir ses dessins.
Charlotte sort son grand carton, rempli de feuilles.
Alfred est surpris par l'importance du travail effectué.
Il pense : cette fille doit m'aimer.
Il pourrait trouver une satisfaction à cela.
Mais aujourd'hui quelque chose l'étouffe.
Son humeur marche dans la boue.
Ce n'est simplement pas le moment.
Il jette un œil rapide sur le travail de Charlotte.
Puis il dit n'avoir pas le temps d'émettre un avis.
Sa façon de faire est humiliante.
Pourquoi agit-il ainsi ?
Lui si doux et si bienveillant habituellement.
Il se lève et annonce qu'il part.
Il attrape au passage le carton à dessins.
Elle n'a même pas le temps de penser à se lever aussi.
Il a fui si rapidement.
C'est déjà fini.
On aurait dit le brouillon d'un rendez-vous.

Charlotte demeure seule, hébétée.
Elle sort du café en titubant.
Il fait si froid maintenant à Berlin.
Par où doit-elle aller ?
Elle ne reconnaît plus rien.
Sa vision se brouille.
À cause des larmes dans ses yeux.
Elle pourrait se jeter d'un pont.
Et mourir dans l'eau glacée.
Son chagrin se transforme en pulsions morbides.
Mourir, elle doit mourir le plus vite possible.
Soudain, un étrange sentiment l'envahit.
Il faut qu'Alfred pense de ses dessins.
Elle pourrait lui en vouloir, mais non.
Son avis demeure plus important que sa vie.

19. Le 02 avril 2018, 20:59 par mme baudry

Descriptif sur le roman.
Etude d'une oeuvre intégrale: Charlotte de D. Foenkinos (2014).
Le personnage de roman face à son destin tragique. Quelle est la place de la mort dans le roman?
Lectures analytiques:
- l'incipit
- la rencontre entre Charlotte et Alfred.
- L'épilogue.
Synthèse: pourquoi Foenkinos a-t-il écrit de cette façon dans son roman?
Activités complémentaires:
- lecture cursive: Un secret de P. Grimbert. Quels points communs et quelles différences peut-on remarquer entre cette oeuvre et le roman Charlotte?
- Etude de plusieurs oeuvres de Charlotte Salomon: son autoportrait, et gouaches issues de Vie? ou Théâtre? représentant la mère et l'enfant, le suicide de Charlotte, Alfred, Alfred et Charlotte.
- réflexions autour du titre de l'oeuvre de Charlotte Salomon: Vie? ou Théâtre?

20. Le 02 avril 2018, 21:08 par mme baudry

Ce qu'il faut dans votre porte-vue:

- les descriptifs de toutes les séquences (il vous sera distribué en fin d'année avec le tampon officiel du lycée).

- pour la séquence 1:
les textes en double exemplaires de:

  • dialogue entre moi et le docteur Bisséi
  • Frémin
  • le dialogue entre Antigone et Créon

les photographies de mise en scène d'Antigone.

- pour la séquence 2
les textes en double exemplaires de:

  • la scène d'exposition de "art"
  • le dénouement de "art"
  • les trois monologues de "art"

les affiches de "art"
la présentation du Songe d'une nuit d'été de Ris Orangis

- pour la séquence 3: Charlotte.
Les textes en double exemplaire de:

  • l'incipit de Charlotte
  • la rencontre entre Charlotte et Alfred
  • l'épilogue du roman

les gouaches de Charlotte: autoportrait, la mère et l'enfant, le suicide de Charlotte, Alfred et Alfred et Charlotte.

Toutes les oeuvres (Diderot: entretien d'un père avec ses enfants, "Art" et Charlotte) sont à apporter le jour de l'oral du bac. Vous devez avec des marque pages marquer les passages étudiés dans les oeuvres (lignes à numéroter sur les livres de 5 en 5).

Ce sera le cas aussi pour les Châtiments Livre V de V. Hugo (objet de la dernière séquence sur la poésie).

21. Le 02 avril 2018, 21:10 par mme baudry

Séquence sur le roman.

Lecture analytique 2 : Charlotte, D. Foenkinos (2014). Epilogue.

Et Alfred ?

Bénéficiant de l'aide de l'une de ses élèves, il est parvenu à fuir.
En 1940, il rejoint ainsi Londres, ville qu'il ne quittera plus.
Après la guerre, il donne à nouveau des cours.
Très vite, ses méthodes rencontrent un vif succès.
On le considère, on l'écoute, il existe.
Il se remet également à écrire et publie un roman.
Enfin débarrassé de ses angoisses, il traverse les années 1950.
Il n'a plus le sentiment d'être un mort parmi les vivants.
Le passé lui paraît loin, inexistant peut-être.
Il ne veut plus entendre parler de l'Allemagne.

Grâce à des amis communs, Paula retrouve sa trace.
Elle lui écrit une longue lettre amicale.
Quelle surprise, après tout ce temps.
Dans sa réponse, il l'implore de chanter à nouveau.
Et répète qu'elle est la plus grande.
Il ne mentionne pas Charlotte.
Car il se doute du pire.

Quelques mois plus tard, il reçoit une nouvelle lettre.
A vrai dire, non, ce n'est pas une lettre.
Mais le catalogue de l'exposition de Charlotte.
Il y a aussi une brochure avec une notice biographique.
Ce qu'il savait sans le savoir lui est donc confirmé.
Elle est morte en 1943.
Il commence à feuilleter les pages du livre.
Et comprend très vite la dimension autobiographique.
Il voit les dessins de son enfance, sa mère et les anges.
Puis, c'est l'apparition de Paula.
Et…

Alfred se découvre, subitement.
Un dessin.
Deux dessins.
Cent dessins.
En parcourant le livre, il voit son visage partout.
Son visage et ses mots.
Toutes ses théories.
Toutes leurs conversations.
Jamais il n'aurait pensé avoir eu une telle influence.
Charlotte semble obsédée par lui, par leur histoire.
Alfred ressent une brûlure dans tout le corps.
Comme si quelque chose l'attrapait par la nuque.

Il s'allonge sur son canapé.
Et demeure prostré pendant plusieurs jours.

Un an plus tard, en 1962, Alfred meurt.
On le retrouve tout habillé sur son lit.
Il a l'allure d'un homme qui part en voyage.
C'est l'heure de ce rendez-vous qu'il semble connaître.
Cela lui donne un air sage.
Et même une forme de sérénité, ce qui est rare chez lui.
La femme qui le découvre passe une main sur son costume.
Elle sent la présence d'un document au niveau de la poche.
Une poche intérieure, près du cœur.
Elle glisse doucement vers elle le papier.
Pour découvrir la brochure d'une exposition.

Celle d'une artiste nommée…

Charlotte Salomon.

22. Le 03 avril 2018, 16:16 par mme baudry

Lecture analytique: l'épilogue de Charlotte.

Epilogue: scène exposant des faits postérieurs à l'action et destinée à en compléter le sens, la portée.
Le lecteur sait déjà que Charlotte, le personnage principal du roman est morte dans le camp de concentration d'Auschwitz. Mais, ce n'est pas la fin du récit.

1) Alfred est dans le déni du passé.
- le texte commence par une question rhétorique qui semble venir du lecteur. Le narrateur semble répondre à ses attentes.
- Rupture avec le passé et début d'une nouvelle vie pour Alfred:

  • on observe les oppositions de lieux: "Londres" l. 3 où il s'est exilé opposé à l'"Allemagne" l. 11 qu'il veut oublier comme le montre la négation "il ne veut plus".
  • c'est une sorte de renaissance pour lui: intense activité artistique: "il donne à nouveau des cours", "il se remet à écrire"; il a le sentiment de revivre: lexique de la vie avec "il existe" l. 6 ou "les vivants" ou bien "débarrassé de ses angoisses"l. 8. C'est une nouvelle étape.
  • il est le centre des attentions et on devine que son ego est satisfait: énumération: "on le considère, on l'écoute, il existe" l. 6. L'expression méliorative "vif succès" l. 5 , nourrissant son narcissisme montre qu'il obtient la reconnaissance qu'il cherche. Le pronom "il" est d'ailleurs omniprésent.

= ce qui peut choquer c'est que Charlotte est totalement absente de cette ascension, qu'il semble avoir tourné la page avec les mots: "loin", "inexistant", "il ne veut plus entendre parler". Le lecteur peut être surpris dans la mesure où il vient de lire la destinée de Charlotte et qu'il connaît l'importance de ce personnage. Le fait qu'Alfred l'ait oublié montre son aveuglement.

2) le choc
- l'histoire semble se répéter: c'est de nouveau Paula, la belle-mère de Charlotte la médiatrice entre Alfred et Charlotte par deux lettres: "une longue lettre amicale" l. 13 et "une nouvelle lettre" l. 19. Paula semble avoir mis en scène cette nouvelle irruption de Charlotte dans la vie d'Alfred avec ces deux envois séparés.
Le discours indirect libre "quelle surprise, après tout ce temps" nous donne l'impression de lire la réponse d'Alfred directement. Comme la première fois, Alfred est centré sur le personnage de Paula dont il fait l'éloge avec le superlatif "la plus grande". Il témoigne de son admiration pour la cantatrice: "il l'implore de chanter à nouveau" en se mettant en situation d'infériorité sous entendu par le verbe "implorer". Paula semble plus importante que Charlotte comme le montre la négation: "il ne mentionne pas". Il semble encore fuir la réalité.
- la scène de la lecture du catalogue est très poignante car elle ressemble à des retrouvailles:

  • elle est racontée au présent de narration, ce qui la rend vivante et réelle
  • elle suit le rythme de la lecture d'Alfred avec les accumulations qui imitent les pages qui se tournent: un dessin/ deux dessins/ cent dessins": Alfred est submergé par sa propre omniprésence au coeur de l'oeuvre de Charlotte Salomon.
  • l'absence d'émotion suggérée par le constat "elle est morte en 1943" lu dans la notice biographique (constat neutre et objectif, quasi administratif) contraste avec la dramatisation de la découverte de son oeuvre avec la conjonction "Et..." l. 29 mis en valeur par les points de suspension et par l'isolement de ce mot très court sur la ligne + saut de ligne. Le lecteur est comme Alfred: il est saisi émotionnellement par cette découverte.
  • lexique de la rapidité: "très vite", "subitement" l. 30 qui marque la révélation: Alfred "se" découvre comme s'il était inconnu à lui même. Les adjectifs possessifs "son visage" répété, "ses mots", "ses théories" l. 35: l'oeuvre de Charlotte Salomon a résumé la vie d'Alfred.
  • une réaction très forte exprimée par des adverbes sans nuance comme "partout" ou "jamais". La violence est également physique avec le vocabulaire de la souffrance du corps: "brûlure", "corps", "l'attrapait par la nuque", "s'allonge", "prostré", comme après un coup. Traumatisme d'Alfred qui ne réagit pas par l'auto satisfaction de son ego. Regret? remords? Le passé renié semble le rattraper. Le narrateur n'explique cependant pas ce que ressent Alfred.

3) un rendez-vous dans l'au-delà.
- Annonce de la mort d'Alfred encore une fois sans émotion: "Alfred meurt"
- une mort préparée et mise en scène de façon très symbolique qui rappelle le rituel antique des morts que l'on préparait pour le voyage dans les enfers en mettant une pièce dans la bouche pour le passeur: "tout habillé", "un homme qui part en voyage", "air sage" équipé de la brochure de l'exposition de Charlotte Salomon comme un passeport pour la retrouver.

  • rappelle la mort préparée de la tante de Charlotte qui avait préparé ses affaires pour se rendre au pont quelle adorait
  • opposition avec le premier rendez-vous manqué où Alfred était apparu très impatient. Au contraire ici, lexique du calme avec "sage" renforcé à la rime par "voyage", "sérénité". Il a atteint une forme de maturité: il est prêt pour rejoindre Charlotte.
  • vocabulaire de l'amour avec le mot "coeur" l. 52 qui résonne à la rime avec "meurt" l. 44 et avec "intérieure" l. 52. La place de la brochure évoque l'intimité, le secret, les sentiments.

- les derniers mots sont "Charlotte Salomon" préparés par la ligne précédente "celle d'une artiste nommée..." avec les points de suspension. Une ambiance très grave et solennelle pour cette fin de roman.

  • référence au début du roman et au titre : Charlotte a appris à lire son nom sur une tombe. Le roman semble revenir au début. Cependant, ici, on a le nom de l'artiste: elle n 'est plus assimilée à sa tante suicidée. Ce nom est comme une consécration, témoigne du respect d'Alfred mais aussi du narrateur.
  • Le nom "Salomon" est renforcé aussi à la rime par "exposition" l. 54. Montre que ce nom restera dans les mémoires et atteint une forme d'éternité. On peut considérer le roman comme le tombeau littéraire de Charlotte Salomon.
23. Le 19 avril 2018, 15:50 par mme baudry

Séquence: Poésie et quête de sens. Etude de Châtiments de V. Hugo. Lecture analytique 1: "Chanson"
Chanson

Sa grandeur éblouit l’histoire.
Quinze ans, il fut
Le dieu que traînait la victoire
Sur un affût1 ;
L’Europe sous sa loi guerrière
Se débattit. –
Toi, son singe, marche derrière,
Petit, petit.

Napoléon dans la bataille,
Grave et serein,
Guidait à travers la mitraille
L’aigle d’airain2.
Il entra sur le pont d’Arcole3,
Il en sortit. –
Voici de l’or, viens, pille et vole,
Petit, petit.

Berlin, Vienne, étaient ses maîtresses.
Il les forçait,
Leste4 et prenant les forteresses
Par le corset ;
Il triompha de cent bastilles
Qu’il investit. –
Voici pour toi, voici des filles5,
Petit, petit.

Il passait les monts et les plaines,
Tenant en main
La palme6, la foudre et les rênes
Du genre humain ;
Il était ivre de sa gloire
Qui retentit. –
Voici du sang, accours, viens boire,
Petit, petit.

Quand il tomba, lâchant le monde,
L’immense mer
Ouvrit à sa chute profonde
Le gouffre amer ;
Il y plongea, sinistre archange,
Et s’engloutit. –
Toi, tu te noieras dans la fange7,
Petit, petit.

Victor Hugo, Châtiments, 1853

24. Le 06 mai 2018, 21:45 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Lecture analytique 1 "Chanson".

1) une chanson.

a) des couplets et un refrain.

Une structure répétitive durant les 5 strophes séparées en deux temps:

- les 6 premiers vers consacrés à Napoléon I: les couplets.

- les 2 derniers consacrés à Napoléon III, "le petit": les refrains car des répétitions: "petit" répété dans tous les derniers vers + "Toi" et "Voici".

Une séparation renforcée par la répétition des même signes de ponctuation: point + tiret.

b) un rythme léger.

-  Hugo n'utilise pas l'alexandrin ici mais l'octocyllabe et le vers de 4 syllabes: des vers courts.

- Chaque strophe se termine par un vers court (4 syllabes) + point: on doit baisser la voix + création d'un effet de chute, ce qui convient bien à la "petitesse" de Napoléon III.

c) la simplicité du propos.

Hugo veut s'adresser au peuple: il veut que son texte soit accessible à tous et qu'on le retienne facilement:

- un seul thème: l'opposition entre les deux empereurs que le poète annonce d'emblée par l'opposition entre "sa grandeur" v. 1 et "petit" v. 8. Cette opposition est reprise tout au long du poème pour ne transmettre qu'un seul message: l'empereur actuel est aussi haïssable que l'autre était digne d'admiration.

- Hugo utilise des images parlantes et presque vulgaires parfois: personnification des villes conquises par Napoléon Ier qui deviennent des "maîtresses" qu'il force v. 17 tandis que des "filles" v. 23, c'est-à-dire des prostituées sont offertes à Napoléon III.

Hugo veut créer une complicité avec son lecteur. Mais il ne faut pas oublier que cette chanson en apparence légère s'inscrit dans un recueil qui s'intitule "châtiments". La violence de la critique est bien présente.

2) une opposition caricaturale.

Napoléon Ier. Napoléon III.
nommé vers 9 "Napoléon": le seul Napoléon qui vaille selon le poète. pas nommé. "Toi": le poète ne daigne même pas nommer son adversaire.
Pronom "il" très souvent en anaphore, sujet de nombreux verbes d'action comme "Il entra" "il sortit" v. 13-14. Impression de facilité de la conquête: aucun obstacle, aucun danger. Manque de réalisme et idéalisation des guerres menées par Napoléon qui semble ici un guide surhumain avec le lexique de la religion: "le dieu" v. 3 et "archange" v. 37. Il est supérieur "grave et serein" et domine la situation. Pronom "Toi": familiarité, manque de respect de la part du poète qui s'adresse directement à l'empereur en se permettant de le tutoyer avec mépris. Le poète lui donne des ordres comme à un domestique inférieur avec les impératifs "viens, pille et vole"v. 7-8. Napoléon III ne fait que suivre "marche derrière", incapable d'initiative. Il ne peut qu'imiter comme un "singe": c'est la caricature grotesque du grand Napoléon.

Lexique de la grandeur et de l'infini:

- au niveau spatial: sur terre avec la personnification de l'Europe v. 5, l'énumération des villes v. 17 et des paysages v. 25. Elargissement spatial: on termine avec "le monde" v. 32. Sur mer: "immense mer" v. 35, "profonde" v. 37.

- au niveau temporel: "quinze ans" v. 2 + imparfait qui inscrit le règne de Napoléon Ier dans l"Histoire et dans la durée. Ancré dans la mémoire.

Adjectif dévalorisant "petit" répété de façon entêtante: le poète semble s'adresser à un animal de basse cour.

 

 

 

Présent: Napoléon III ne marquera pas l'Histoire.

 

Des actions dignes et nobles. Vocabulaire de la guerre avec "affût", "victoire", "loi guerrière", "triompha", les rimes renforcent cette thématique avec "bataille" et "mitraille". Hyperbole "cent bastilles". Registre épique: Napoléon I présenté comme un héros invincible.

= Hugo fait l'éloge de Napoléon Ier.

 

 


 

 

 

Des actions indignes, immorales et ignobles qui mettent en valeur les vices de Napoléon III: la cupidité "vole", la luxure "les filles", la cruauté "voici du sang" qu'il va éprouver du plaisir à "boire". Présenté comme un charognard, un monstre inhumain qui se nourrit du sang de ses semblables (= référence à la violence du coup d'Etat).

= Hugo fait la satire de Napoléon III.

 

 

 

 

 

"maîtresses" v. 17

"ivre de gloire" v. 29

"il y plongea"v. 37: une mort majestueuse et choisie.

"aigle d'airain": symbole de Napoléon Ier

"filles" v. 24

"viens boire" (du sang) v. 31

"tu te noieras": une mort pitoyable et sans grandeur.

"son singe"

Un style fluide, une phrase ample qui s'étale sur 6 vers: un style noble, à l'image du personnage, avec beaucoup de figures de style comme des personnifications ou des exagérations. Un rythme heurté et saccadé sur 2 vers: "Voici de l'or, viens, pille et vole", des répétitions, un vocabulaire bas, des réalités qui provoquent le dégoût comme "la fange" ou "les filles", "le sang", très peu de figures de style. Un registre bas, à l'image de Napoléon III

3) Un appel à la révolte.

- Hugo veut réveiller la conscience de ses concitoyens, passifs pendant le coup d'Etat: le pronom "Toi" peut aussi s'adresser à nous lecteurs en nous accusant.

- il veut composer une chanson que pourra reprendre le peuple, comme la Marseillaise: le message de la chanson est simple et facilement mémorisable.

- rendre le renversement de Napoléon III possible et envisageable puisque c'est un être vil et ridicule.  Hugo utilise un ton prophétique à la fin avec l'emploi du futur "tu te noieras dans la fange". Il prédit l'avenir et présente la chute de Napoléon III comme certaine. Le peuple doit donc accompagner et soutenir ce mouvement de l'Histoire, en désobéissant au pouvoir de Napoléon III bientôt destitué.

25. Le 28 mai 2018, 19:49 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))
LA RAISON

Moi, je me sauve.

LE DROIT

Adieu ! je m'en vais.

L'HONNEUR

Je m'exile.

ALCESTE

Je vais chez les hurons leur demander asile.

LA CHANSON

J'émigre. Je ne puis souffler mot, s'il vous plaît,
Dire un refrain sans être empoignée ait collet
Par les sergents de ville, affreux drôles livides.

UNE PLUME

Personne n'écrit plus ; les encriers sont vides.
On dirait d'un pays mogol, russe ou persan.
Nous n'avons plus ici que faire ; allons-nous-en,
Mes soeurs, je quitte l'homme et je retourne aux oies.

LA PITIÉ

Je pars. Vainqueurs sanglants, je vous laisse à vos joies.
Je vole vers Cayenne où j'entends de grands cris.

LA MARSEILLAISE

J'ouvre mon aile, et vais rejoindre les proscrits.

LA POÉSIE

Oh ! je pars avec toi, pitié, puisque tu saignes !

L'AIGLE

Quel est ce perroquet qu'on met sur vos enseignes,
Français ? de quel égout sort cette bête-là ?
Aigle selon Cartouche et selon Loyola,
Il a du sang au bec, français ; mais c'est le vôtre.
Je regagne les monts. Je ne vais qu'avec l'autre.
Les rois à ce félon peuvent dire : merci ;
Moi, je ne connais pas ce Bonaparte-ci !
Sénateurs ! courtisans ! je rentre aux solitudes !
Vivez dans le cloaque et dans les turpitudes,
Soyez vils, vautrez-vous sous les cieux rayonnants !

LA FOUDRE

Je remonte avec l'aigle aux nuages tonnants.
L'heure ne peut tarder. Je vais attendre un ordre.

UNE LIME

Puisqu'il n'est plus permis qu'aux vipères de mordre,
Je pars, je vais couper les fers dans les pontons.

LES CHIENS

Nous sommes remplacés par les préfets ; partons.

LA CONCORDE

Je m'éloigne. La haine est dans les cœurs sinistres.

LA PENSÉE

On n'échappe aux fripons que pour choir dans les cuistres.
Il semble que tout meure et que de grands ciseaux
Vont jusque dans les cieux couper l'aile aux oiseaux.
Toute clarté s'éteint sous cet homme funeste.
Ô France ! je m'enfuis et je pleure.

LE MÉPRIS

Je reste.

Jersey, novembre 1852.
 
26. Le 28 mai 2018, 20:53 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Lecture analytique "Tout s'en va".

1) un texte atypique et original.

- se situe entre la poésie et le théâtre:

* alexandrin: vers de la tragédie classique. Vers le plus long de la poésie française également: ample et majestueux pour parler des sujets graves.

* le nom des personnages qui parlent est indiqué comme au théâtre: 16 personnages au total qui ne parlent qu'une seule fois chacun. Une répartition inégale de la parole: des prises de paroles très courtes au début: "Moi je me sauve/ Adieu! Je m'en vais/ Je m'exile" v. 1 et à la fin avec la chute très marquante: "Je reste". L'aigle a la réplique la plus longue.

= le texte a donc une valeur symbolique: il n'est pas fait pour être joué sur scène même si on note une référence à un personnage de théâtre "Alceste".

- des personnages différents:

* des allégories (des valeurs abstraites sont personnifiées): "Le droit" v. 1 ou "la raison" / objets concrets comme "une lime" v. 26 ou "une plume" v. 6.

* des valeurs positives comme "l'honneur" v.1, "la concorde" v. 28 / valeur négative " le mépris".

* des personnages humains fictifs "Alceste" v. 2/ des animaux comme "les chiens" v. 28 ou "l'aigle" v. 13/ des éléments naturels comme "la foudre" v. 23.

* des personnages qui font référence à l'oeuvre de Hugo avec "la poésie" v. 13, "la pensée" v. 29, "une plume" v. 6 (= l'attribut des écrivains), "la chanson" v. 3 (= on sait que Hugo a écrit des chansons dans Châtiments)/ des références à d'autres oeuvres avec "Alceste": personnage principal du Misanthrope de Molière ou la Marseillaise.

= Hugo met en scène "la poésie" à l'intérieur d'une poésie: il en fait un des personnages du poème.

- une absence de dialogue entre ces personnages: leurs paroles se font échos mais il n'y a pas de progression réelle d'où une impression de dispersion.

* ils s'adressent à des destinataires absents différents en les apostrophant:la plume s'adresse à ses "soeurs" v. 9, la pitié s'adresse aux "vainqueurs sanglants" v. 10, l'aigle, à la fois aux "Français" v. 16 et aux soutiens de Napoléon III: "Sénateurs! courtisans!" v. 21 et la pensée s'adresse à la "France" v. 34. Les lecteurs peuvent se sentir visés, accusés également.

* Les personnages semblent tous dire la même chose:

- lexique de l'exil qui intervient soit au début de la réplique "Je pars" v. 10 ou à la fin "Je m'enfuis et je pleure" v. 34. Des impératifs "allons-nous-en" v. 8, "partons" v. 28.

- pronom personnel "je" + temps du présent: on évoque des actions, un texte vivant.

= un martellement quasi entêtant: le texte est fondé sur la répétition annoncée par le titre "tout s'en va". La chute du poème "je reste" apparaît avec d'autant plus de force car c'est la seule antithèse. Violence de cette chute qui est comme un coup ou une claque.

- de nombreux personnages ont une destination commune:

* ils soutiennent les exilés: v. 11, 12 et 27

* ils partent pour des milieux naturels: les monts pour l'aigle, les nuages pour la foudre, les oies pour la plume. Ces personnages fuient les humains en qui, à l'image du misanthrope, ils n'ont plus confiance: "je quitte l'homme" nous dit la plume  v. 9.

* les personnages peuvent se suivre également: la poésie part avec la pitié et la foudre part avec l'aigle.

= un texte qui met en scène des valeurs fondatrices de la civilisation qui n'ont plus rien à dire: leur parole est courte et répétitive. La prise de pouvoir de Napoléon III conduit à une catastrophe qui réduit presque au silence des idées aussi essentielles que "le droit" ou "l'honneur" qui ne s'expriment que pour dire qu'elles s'en vont "moi je me sauve" v. 1. On assiste à une débâcle, une fuite désordonnée et désespérée pour laisser place à un vide cauchemardesque occupé par les "vainqueurs sanglants" qui font la fête.

= un texte portrait de V. Hugo qu'on entend presque parler dans le vers "Ô France! je m'enfuis et je pleure" montrant sa profonde blessure et sa tristes plainte suite à son exil. Chaque personnage peut être considéré comme son porte-parole, y compris le mépris.

2) un texte vivement polémique et critique envers le régime de Napoléon III

- attaque contre les soutiens du régime

* les représentants de l'ordre sont associés à des criminels avec le lexique du sang: "vainqueurs sanglants" v. 10, "il a du sang au bec" v. 17. Hugo cite ainsi deux criminels "Cartouche" et "Loyola" V. 16 qui reconnaissant la puissance de Napoléon III.

* ce sont des hommes violents, sans foi ni loi: désignation dévalorisante "affreux drôles livides": les policiers ressemblent à des fantômes terrifiants. Opposition entre "refrain" d'une chanson et "empoignée au collet" v. 4 qui montre une réaction injuste et disproportionnée. On voit un régime contre les libertés individuelles et contre la liberté d'expression aussi bien à l'oral (négation: "je ne puis souffler mot" v. 3) qu'à l'écrit: "Personne n'écrit plus" v. 6). La censure est bien présente à travers l'image des "ciseaux" v. 31 qui coupent les ailes aux oiseaux, symbole de liberté: une tyrannie autoritaire qui fait régner la terreur.

* ce sont des hommes animalisés pires que des "chiens" v. 28, des "vipères" v. 26. L'aigle s'adresse directement à eux "Sénateurs! Courtisans!" avec ironie, les encourageant à se "vautrer" dans les plaisirs. L'antiphrase ironique "cieux rayonnants" v. 23 rappelle les "joies" des vainqueurs sanglants v. 10, opposée à la souffrance des proscrits v. 11. L'aigle utilise des termes qui évoquent l'orgie "cloaque", "turpitudes", "vils" v. 22, les vices, la malhonnêteté, le dégoût et l'immoralité.

= ils sèment le désordre et le chaos dans une atmosphère de décadence.

= c'est la barbarie qui s'installe car tout ce qui fait le progrès d'une société disparaît ici. La France selon Hugo connaît depuis le coup d'Etat une ère de régression.

- la satire de Napoléon III:

* il n'est pas nommé: il est évoqué indirectement de façon dévalorisante "cet homme funeste" v. 33, "ce félon" v. 19.

* il est animalisé, transformé en rat qui sort de l'"égout"v. 15 s'opposant aux monts de l'aigle. Associé aussi au "perroquet": animal ridicule qui ne fait que répéter et qu'imiter en caricaturant comme Napoléon III tente d'imiter Napoléon I. Mais l'aigle, symbole majestueux et noble de Napoléon Ier, démasque la supercherie: "je ne connais pas ce Bonaparte-ci!" v. 20: démonstratif très méprisant.

- Les Français sont aussi accusés: le texte s'adresse plusieurs fois à eux "Français!" pour tenter de les réveiller et de les sortir de leur aveuglement: "Il a du sang au bec, Français, mais c'est le vôtre". Hugo accuse les Français de consentir à leur propre oppression.

Pour les faire réagir, le poète joue sur différentes émotions:

* la pitié pour les exilés

* le dégoût face aux vainqueurs débauchés

* la peur face aux policiers

* l'inquiétude de voir la France régresser

* la moquerie de la satire quand il transforme Napoléon III en perroquet, même si l'image du perroquet charognard qui a "du sang au bec" peut aussi être angoissante.

= la menace du châtiment des coupables est présente à travers le personnage de la foudre: la punition semble être imminente à travers le futur proche "je vais attendre un ordre" et la négation "l'heure ne peut tarder" v. 25. La justice divine est sur le point de châtier Napoléon III, ce qui doit pousser le peuple à le renverser. Hugo  est aussi une image de cette foudre car le poème et le recueil Châtiments s'abat déjà sur l'empereur.

27. Le 28 mai 2018, 22:00 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Séquence : poésie et quête de sens. Etude de Châtiments de V. Hugo (1853). « Le Sacre » livre V, « L'autorité et sacrée ».


 

Le Sacre1.

(Sur l'air de Malbrouck2.)

Dans l'affreux cimetière,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Dans l'affreux cimetière
Frémit le nénuphar.

Castaing3 lève sa pierre,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Castaing lève sa pierre
Dans l'herbe de Clamar4,

Et crie et vocifère5,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Et crie et vocifère :
Je veux être César6 !

Cartouche7 en son suaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Cartouche en son suaire8
S'écrie ensanglanté

— Je veux aller sur terre,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Je veux aller sur terre
Pour être majesté !

Mingrat9 monte à sa chaire10,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Mingrat monte à sa chaire,
Et dit, sonnant le glas11 :

— Je veux, dans l'ombre où j'erre,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Je veux, dans l'ombre où j'erre
Avec mon coutelas,

Etre appelé : mon frère,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Etre appelé : mon frère,
Par le czar Nicolas12 !


 

 

1Envisagé eu début de l'année 1853, le sacre de Napoléon III n'eut pas lieu, le pape Pie IX ayant déposé des conditions politiques jugées inacceptables.

2« Malbrouck s'en va-t-en guerre », chanson populaire.

3Castaing : guillotiné pour avoir empoisonné deux fils d'un notaire dont il espérait ainsi hériter.

4Clamar : ancien cimetière de Paris dans le faubourg Saint-Marcel où étaient inhumés les condamnés à mort et où Castaing était donc enterré.

5Vociférer : parler en criant et avec colère.

6César : empereur.

7Cartouche : célèbre bandit.

8Suaire : linceul dont on recouvrait les morts.

9Mingrat : curé de l'Isère, meurtrier d'une de ses paroissiennes après avoir tenté de la violer. Il parvint à s'enfuir en Savoie, alors sous juridiction du roi de Sardaigne, et fut condamné par contumace.

10Chaire : tribune élevée du haut de laquelle un ecclésiastique s'adresse aux fidèles.

11Tintement d'une cloche d'une église pour annoncer la mort d'une personne.

12Czar Nicolas : empereur de Russie.

28. Le 03 juin 2018, 21:35 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Intro Châtiments, V. Hugo (1853).

- Elements biographiques sur V. Hugo :

* Né en 1802 à Besançon : père officier de carrière sous Napoléon Ier.

* Chef de file du Romantisme, connu pour ses œuvres romanesques comme les Misérables, théâtrales comme Hernani ou poétiques comme les Contemplations, ou Châtiments.

* Auteur engagé contre la peine de mort. Elu député, il tente d'organiser la résistance face au coup d'état du futur Napoléon III, neveu de Napoléon Ier, le 2 décembre 1851. Menacé d'arrestation, Hugo se réfugie dans les îles anglo-normandes de Jersey et de Guernesey, d'où il écrit entre autre Châtiments.

- Connaissance de l'oeuvre :

* le titre= punition, avec une connotation religieuse : on parle du châtiment divin. Une œuvre violente et polémique, proche du pamphlet.

* présente des poèmes très variés dans la forme : des dialogues, des chansons, des récits épiques...et dans le ton : tragique, fantastique, satirique... Leur point commun est la critique virulente de Napoléon III.

- présentation du texte

- présentation de la question

- annonce de plan

- lecture.

 

29. Le 04 juin 2018, 22:02 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Lecture analytique 3 "le sacre".

Napoléon III a voulu se faire sacrer empereur comme son oncle Napoléon Ier (voir le tableau de David: Le sacre de Napoléon de 1806). Cependant, le sacre de Napoléon III n'a jamais eu lieu.

1) Un texte léger en apparence.

- une chanson

* un air populaire et entraînant "sur l'air de Malbrouk": une mélodie joyeuse et rythmée que tout le monde connaît ce qui permet encore plus d'apprécier les paroles que V. Hugo va changer.

* des répétitions constantes: le refrain "Paris tremble, ô douleur, ô misère", 2ème vers de chaque strophe + 1 er et 3 ème vers de chaque strophe, les rimes sont très répétitives et suffisantes : identiques pour chaque personnage concerné: pour le passage sur Castaing, rime en [ar], pour Cartouche, rime en [é], pour Mingrat, rime en [la]. Mémorisation très facile pour ce texte.

* des vers courts: décasyllabe pour le refrain / hexasyllabe (6 syllabes) pour les autres vers. Pas d'utilisation de l'alexandrin.

- des effets comiques

* les noms des criminels, connus à l'époque, tous guillotinés: "Cartouche" qui porte bien son nom: évoque la guerre et la violence, "Mingrat" nom assez comique quand on pense que c'était un membre du clergé (on entend "gras" dans son nom alors que la gourmandise est un péché, on peut aussi entendre "glas" v. 25).

* effet de surprise et de chute à la fin de chaque prise de parole des criminels qui prétendent malgré tous leurs méfaits à des postes de pouvoir: "je veux être César!" v. 12, "Pour être en majesté!" v.  20, "être appelé mon frère / Par le czar Nicolas!" v. 32. Le point d'exclamation donne l'impression que c'est une plaisanterie, une provocation que l'on ne doit pas prendre au sérieux. Les criminels sont plus des bouffons ridicules qui parodient le pouvoir tyrannique.

* effets de contraste entre le refrain pathétique et lyrique avec le vocabulaire de la plainte "tremble", "douleur", "misère" et le "ô" lyrique symbole de lamentation et l'air sur lequel il doit être chanté: cela semble  dédramatiser la souffrance du peuple parisien.

2) Cependant, un texte inquiétant, qui peut faire horreur.

- un cauchemar épouvantable

* une atmosphère morbide: une nuit des morts-vivants.

Lexique de la mort très présent "cimetière" v. 1, "pierre" v. 5 '= pierre tombale, "suaire" v. 13, "glas" v. 25

Verbes d'action attribués aux morts: "Castaing lève sa pierre" v. 5, "Cartouche" "s'écrie" v. 16, "Mingrat monte à sa chaire" v. 21

Une vision d'horreur: Cartouche est "ensanglanté" (on sait qu'il a été guillotiné), il est recouvert d'un linceul "suaire", Mingrat s'assimile à un fantôme "dans l'ombre où j'erre" v. 27.

ces morts semblent prendre de plus en plus de place: leur parole s'impose de plus en plus: un vers pour Castaing, 3 vers pour Cartouche, 6 vers pour Mingras. Ils semblent capables d'envahir et de dominer le monde.

* une violence omniprésente:

dans les bruits d'abord avec le champ lexical des sons désagréables "crie", "vocifère" v. 9, "s'écrie" v. 16, "sonnant le glas" v. 25.

Une menace qui plane: "avec mon coutelas" v. 28 qui contraste avec "mon frère" v. 29: le message n'est pas tellement celui de la fraternité ici.

* une angoisse face à cette scène fantastique:

De la nature: "frémit le nénuphar" v. 4: la nature est personnifiée, elle ressent ce que ressentent les humains. Le nénuphar est une plante délicate et douce, connotée positivement.

de la population: "Paris tremble": Paris sous entend la population parisienne, c'est une métonymie. Sa terreur est renforcée par l'insistance du rythme divisé en trois parties égales (rythme ternaire: "Paris tremble/ ô douleur/ ô misère").

Le refrain est enfermé dans chaque strophe (2ème vers): le peuple enfermé dans cette vision cauchemardesque.

Pourtant, "Paris" est la capitale et regroupe un grand nombre d'individus qui ont peur de trois morts: les parisiens sont assimilés à des enfants qui ont peur des fantômes. Ce sont des victimes pathétiques, qui sont incapables de réagir à cause de leur passivité. Aucune résistance ici. Rien n'arrête la montée en puissance des criminels.

- une critique du pouvoir de Napoléon III.

Depuis que Napoléon III veut être sacré empereur, tous les criminels se sentent autorisés à devenir des hommes de pouvoir. Un texte qui montre le chaos, le désordre à travers de multiples inversions:

* les morts semblent plus actifs que les vivants.

* les morts veulent devenir des hommes de pouvoir: ils imposent leur volonté de manière autoritaire et tyrannique avec l'anaphore "je veux" v. 12, 19, 28. Lexique du pouvoir prestigieux: "César", "majesté", "czar" alors que les criminels sont des malfaiteurs de faits divers sans aucune grandeur ni héroïsme. Ils imitent Napoléon III.

* la religion est complice de cette vision infernale, ce qui est encore plus gênant. Le passage sur Mingrat est le plus développé. Nous avons l'image d'un prêtre dans son église avec un coutelas. Il y a beaucoup d'oppositions choquantes.

* le pouvoir est associé au crime: il est dévalorisé. Avec Napoléon III, les dirigeants sont assimilés à des malfaiteurs sans foi ni loi. Ils ne sont pas dignes de confiance, sèment la terreur au lieu de rassurer. "Majesté" rime avec "ensanglanté" (= la prise de pouvoir illégitime du coup d'état a causé de nombreux morts), "Nicolas" rime avec "coutelas" et "glas". Ces rimes donnent une mauvaise image du pouvoir.

= un mélange d'horreur et de bouffon comique dans ce texte qui rappelle le grotesque, cher à V. Hugo.