Préparer l'exposé oral 1ère ES 5
Par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91)) le 06 novembre 2017, 15:25 - Lien permanent
Vous trouverez dans cette page les textes et les lectures analytiques.
Par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91)) le 06 novembre 2017, 15:25 - Lien permanent
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Lecture analytique 1 : Discours de la servitude volontaire (1549) La Boétie. Extrait du chapitre 4 : « Vous vivez de telle sorte que rien n'est plus à vous ».
Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres1 à votre mal et aveugles à votre bien ! Vous vous laissez enlever sous vos yeux le plus beau et le plus clair de votre revenu, vous laissez piller vos champs, voler et dépouiller vos maisons des vieux meubles de vos ancêtres ! Vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. Il semble que vous regarderiez désormais comme un grand bonheur qu’on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies. Et tous ces dégâts, ces malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des ennemis, mais certes bien de l’ennemi, de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, de celui pour qui vous allez si courageusement à la guerre, et pour la grandeur duquel vous ne refusez pas de vous offrir vous-mêmes à la mort. Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire-t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n’est de vous ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne vous les emprunte ? Les pieds dont il foule vos cités ne sont-ils pas aussi les vôtres ? A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de vous-mêmes ? Comment oserait-il vous assaillir, s’il n’était d’intelligence avec vous ? Quel mal pourrait-il vous faire, si vous n’étiez les receleurs du larron2 qui vous pille, les complices du meurtrier qui vous tue et les traîtres de vous-mêmes ? Vous semez vos champs pour qu’il les dévaste, vous meublez et remplissez vos maisons pour fournir ses pilleries3, vous élevez vos filles afin qu’il puisse assouvir sa luxure4, vous nourrissez vos enfants pour qu’il en fasse des soldats dans le meilleur des cas, pour qu’il les mène à la guerre, à la boucherie, qu’il les rende ministres de ses convoitises et exécuteurs de ses vengeances. Vous vous usez à la peine afin qu’il puisse se mignarder5 dans ses délices et se vautrer dans ses sales plaisirs. Vous vous affaiblissez afin qu’il soit plus fort, et qu’il vous tienne plus rudement la bride plus courte. Et de tant d’indignités que les bêtes elles-mêmes ne supporteraient pas si elles les sentaient, vous pourriez vous délivrer si vous essayiez, même pas de vous délivrer, seulement de le vouloir.
Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre.
Discours de la servitude volontaire (1576) La Boétie: "Pauvres gens misérables"
introduction:
- présentation de l'auteur:
- présentation de l'oeuvre:
- présentation de l'extrait: un des textes les plus célèbres du discours, marqué par la virulence du propos qui paraît encore très actuel. L'auteur n'envisage pas de recours à la violence pour sortir de la tyrannie. Pour lui, le simple fait de ne plus servir le tyran mettra fin à son pouvoir.
1) un discours éloquent.
- une adresse directe au lecteur: impression d'oralité.
- un discours polémique et véhément, un mélange d'indignation et de colère pour nous faire réagir.
2) une violente diatribe contre le tyran.
= un réquisitoire contre le tyran (qui n'est pas nommé: censure? volonté d'universalité de la part de l'auteur?)
- une démystification du pouvoir monarchique: opposition entre le pluriel "vos ennemis" et le singulier "l'ennemi" l. 7 et 8 ce qui introduit l'idée que le tyran est seul et donc en situation d'infériorité numérique. La Boétie atténue la réalité du pouvoir du prince qui n'est réduit qu'à une seule personne. Il va à l'encontre du culte de la personnalité. Perspective de révolte possible.
- appellation méprisante: "ce maître" l. 10 renforcée par le démonstratif « ce » semble ôter l'aura du prince, renvoyé à un maître de maison dont le peuple serait le domestique. La négation restrictive: "n'...que"l . 10 est une façon aussi de le dévaloriser. On a l'image diminuée d'un roi qui normalement est un roi de droit divin. Ici, il n'est plus qu'un homme, semblable aux hommes qu'il opprime. Son autorité abusive devient donc illégitime et il devient possible de le renverser.
- vocabulaire du corps réaliste: "deux yeux", "deux mains", un corps" l. 10: il s'oppose au monstre invulnérable que le tyran devient grâce au peuple: "tous ces yeux qui vous épient"l. 13 (qui rappelle le monstre Argus dans la mythologie antique), "tant de mains", "les pieds". On retrouve cette idée du monstre à la fin: "tel un grand colosse dont on a brisé la base" l. 31 qui reprend l'image du colosse aux pieds d'argile évoquée dans la Bible qui montre la fragilité de son pouvoir.
- le tyran est un être violent et immoral: lexique de la violence physique"vous tue"l. 18, "il les dévaste" l. 19 et psychologique "tous ces yeux qui vous épient" l. 13 se mêle au lexique du vol "ses pilleries"l. 20, "larrons"l. 17. Le prince concentre tous les vices, les péchés capitaux "la luxure"l. 20, "convoitises"l. 23, "mignarder dans ses délices", "vautrer dans ses sales plaisirs"l. 24. On a une violente satire du monarque. On a aussi une image de décadence et de chaos qui peut frapper le lecteur. Dimension religieuse du texte qui ressemble aussi à un sermon.
3) la condamnation de l'impuissance du peuple. Pour La Boétie, le peuple est responsable de son oppression.Cependant, La Boétie s'adresse du peuple directement, il le fait exister et veut réveiller les consciences.
- registre pathétique: La Boétie montre de l'empathie face à un peuple qui souffre (lexique du malheur : « peine » l. 23, « malheurs » l. 7): on remarque la puissance visuelle des images comme "vous élevez vos filles afin qu'il puisse assouvir sa luxure, vous nourrissez vos enfants pour qu'il en fasse des soldats",l. 20 ce qui apparaît vite comme insupportable aux lecteurs. Succession de propositions subordonnées de but qui transforment les sujets en instruments de leur propre perte, ce qui montre la perversité sadique du prince. Ce qui apparaît aussi à travers ces paradoxes, c'est l'absurdité d'une telle société fondée sur l'exploitation consentie du peuple au profit du prince.
- un hymne à la liberté et à l'indépendance
Le paragraphe final correspond à une péroraison dans un discours: l'auteur pousse à agir avec cet appel poignant. Plaidoyer en faveur de la désobéissance civile.
Lecture analytique 2 : « Le loup et le Chien », Fables (Livre I), La Fontaine, 1668.
Le Loup et le Chien
Un Loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un dogue aussi puissant1 que beau,
Gras, poli2, qui s'était fourvoyé3 par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers4,
Sire Loup l'eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le mâtin5 était de taille
A se défendre hardiment.
Le loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
"Il ne tiendra qu'à vous beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui répartit le chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres6, hères7, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d'assuré : point de franche lippée8 :
Tout à la pointe de l'épée9.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. "
Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs10 de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse. "
Le Loup déjà se forge11 une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse12.
Chemin faisant, il vit le cou du chien pelé.
"Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de [chose.
- Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. "
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.
Lecture analytique « Le loup et le Chien », La Fontaine.
Intro:
Présentation de l'auteur: Auteur classique du XVIIème siècle. Son père exerce la charge de maître des eaux et forêts d'où une bonne connaissance de la nature. Nourrit d'auteurs antiques dont Esope dont il s'inspirera pour écrire ses fables. cherche la protection des Grands pour écrire: Fouquet, surintendant des finances de Louis XIV, devient son mécène et La Fontaine est chargé des divertissements de Vaux-le-Vicomte. Fouquet est cependant arrêté car soupçonné de détournement de fonds. Louis XIV se méfiera de La Fontaine qui écrit cependant ses fables qui ont un grand succès. Il se rapproche d'autres aristocrates comme Mme de La Sablière. Il est élu membre de l'académie française et se tourne vers la religion vers la fin de sa vie.
Présentation de l'oeuvre: les fables: composé d'un récit et d'une morale, explicite ou implicite. Fait partie du genre des apologues: une argumentation indirecte puisque La Fontaine va passer par un récit mettant souvent en scène des animaux personnifiés pour exprimer son regard sur la société.
Présentation du texte: le loup et le chien peut être lu comme une fable politique interrogeant le rapport du poète à son mécène. Ce texte met en scène deux personnages très différents par leur aspect mais appartenant tout de même à la même famille: un loup chétif et un chien bien nourri.
1) Une fable vivante.
- importance des dialogues au discours direct :
- un rebondissement au vers 32 : le vers 33 montre le basculement de la situation.
- une alternance des vers pour éviter la monotonie chez le lecteur : une fable hétérométrique avec des alexandrins, des décasyllabes et des octosyllabes.
- le dernier vers au présent d'énonciation : « et court encor » fonctionne comme une chute, un clin d'oeil au lecteur, le signe d'une liberté effrenée qui dure encore jusqu'au temps du lecteur.
- absence de morale explicite : c'est au lecteur de déduire une leçon de cet apologue.
2) Des personnages opposés.
- le pluriel et le singulier. L'article « Un loup » v. 1 s'oppose aux « chiens » v. 2 qui sont présentés comme un groupe ennemi.
- le portrait physique : opposition entre la négation restrictive « n'avait que les os.. » v. 1 et la suite d'adjectifs mélioratifs « puissant », « beau », « gras, poli... » v. 4. La description du chien est plus développée.
- des caractères opposés : le loup paraît inférieur puisqu'il s'adresse au chien « humblement » v. 10 tandis que le chien montre sa supériorité avec « d'être aussi gras que moi » v. 14 : on l'imagine hautain et narcissique.
- éloquence du chien opposée au quasi mutisme du loup réduit à une simple question v. 22.
= le chien tente d'endormir la conscience du loup. Un portrait négatif du chien dont le rôle est fondé sur le mensonge : « flatter », « complaire » v. 25. Il ne semble avoir ni morale, ni compassion : « donner la chasse aux gens portants bâtons (= vagabond) et mendiants ».
3) l'évolution du loup.
- le loup semble le personnage le plus important de la fable :
- la tentation du pacte : le loup ressemble au chien (= ils sont de la même famille à l'origine)
- retournement de situation quand le loup comprend la servilité du chien :
LETTRE XIV.
USBEK AU MÊME.
Comme le peuple grossissait tous les jours, les Troglodytes crurent qu’il était à propos de se choisir un roi : ils convinrent qu’il falloit déférer la couronne à celui qui était le plus juste ; et ils jetèrent tous les yeux sur un vieillard vénérable par son âge et par une longue vertu. Il n’avait pas voulu se trouver à cette assemblée ; il s’était retiré dans sa maison, le cœur serré de tristesse.
Lorsqu’on lui envoya des députés pour lui apprendre le choix qu’on avait fait de lui : » À Dieu ne plaise, dit-il, que je fasse ce tort aux Troglodytes, que l’on puisse croire qu’il n’y a personne parmi eux de plus juste que moi ! Vous me déférez la couronne, et, si vous le voulez absolument, il faudra bien que je la prenne ; mais comptez que je mourrai de douleur d’avoir vu en naissant les Troglodytes libres, et de les voir aujourd’hui assujettis ». À ces mots, il se mit à répandre un torrent de larmes. « Malheureux jour ! disait-il ; et pourquoi ai-je tant vécu ? » Puis il s’écria d’une voix sévère : « Je vois bien ce que c’est, ô Troglodytes ! votre vertu commence à vous peser. Dans l’état où vous êtes, n’ayant point de chef, il faut que vous soyez vertueux, malgré vous ; sans cela vous ne sauriez subsister, et vous tomberiez dans le malheur de vos premiers pères. Mais ce joug vous paraît trop dur : vous aimez mieux être soumis à un prince, et obéir à ses lois, moins rigides que vos mœurs. Vous savez que pour lors vous pourrez contenter votre ambition, acquérir des richesses, et languir dans une lâche volupté ; et que, pourvu que vous évitiez de tomber dans les grands crimes, vous n’aurez pas besoin de la vertu ». Il s’arrêta un moment, et ses larmes coulèrent plus que jamais. « Et que prétendez-vous que je fasse ? Comment se peut-il que je commande quelque chose à un Troglodyte ? Voulez-vous qu’il fasse une action vertueuse parce que je la lui commande, lui qui la ferait tout de même sans moi, et par le seul penchant de la nature ? Ô Troglodytes ! je suis à la fin de mes jours, mon sang est glacé dans mes veines, je vais bientôt revoir vos sacrés aïeux : pourquoi voulez-vous que je les afflige, et que je sois obligé de leur dire que je vous ai laissés sous un autre joug que celui de la vertu ? »
D’Erzeron, le 10 de la lune de Gemmadi 2, 1711.
Lecture analytique 3 : lettre XIV Lettres Persanes, Montesquieu.
1) La fin de l'apologue des Troglodytes.
- Forme du roman épistolaire : précision de destinataire et du destinateur, lieu et date d'écriture de la lettre. Dépaysement et sentiment d'étrangeté crée par les noms et le calendrier persans « Usbek » et « Mirza » + dépaysement avec la fable des Troglodytes (nom du peuple aux sonorités inconnues).
= Un récit enchâssé à l'intérieur d'un récit déjà marqué par l'exotisme d'un Orient largement fantasmé à l'époque (voir les autres œuvres inspirées par l'Orient à l'époque).
- Usbek nous présente la fin de son conte :
. les députés semblent muets, sans voix : aucune interruption du discours du vieillard charismatique.
. discours marqué par la ponctuation expressive : interrogations oratoires et exclamatives rendent ce texte riche en émotions. Ressemble à une tirade théâtrale où le vieillard s'adresserait au public.
a) le vieillard s'adresse à trois publics : aux députés, au peuple (apostrophe renforcée par le « Ô » lyrique l. 13 et 24). Porte-parole de Montesquieu qui s'adresse au lecteur de son temps avec le pronom « vous » qui peut désigner le lecteur.
b) un discours dramatique et pathétique : présence du récit qui joue le rôle de didascalie : « torrent de larmes » l. 11, « voix sévère » l. 13, « Il s'arrêta un moment et ses larmes coulèrent plus que jamais »l. 20. Des exagérations qui font penser à un jeu d'acteur tragique, à une mise en scène de la lamentation et de la plainte avec les interrogatives finales.
c) imminence de la mort pour le vieillard ce qui confère à sa parole encore plus d'importance : lucidité et instant solennel. Gradation « Je suis à la fin de mes jours, mon sang est glacé dans mes veines, je vais bientôt revoir vos sacrés aïeux ». Métaphore frappante de la mort. Sa parole a presque le statut d'une parole divine.
- absence de morale explicite : le texte se termine sur une question rhétorique à l'image du vieillard qui refuse d'endosser le rôle de celui qui décide à la place des autres. Montesquieu, comme son héros, laisse le lecteur libre.
2) la dimension politique du texte.
Montesquieu oppose le joug (= à l'origine, pièce de bois qu'on met sur les bœufs pour les atteler) du prince que le prince nous impose au joug de la vertu, qu'on s'impose à soi-même.
- Le vieillard, un guide paradoxal (= un guide qui ne veut pas l'être).
La réaction du vieillard est étonnante : le pouvoir n'est pas un honneur ni un privilège, c'est une catastrophe.
Au lieu de parader, de montrer son orgueil, il fuit : négation « il n'avait pas voulu se trouver à cette assemblée » l. 4, opposition entre « assemblée » et « maison » l. 5 vécue comme un refuge solitaire, loin du faste royal, marque de son indépendance. Le chagrin, la déception et la désolation dominent.
Générosité et humilité : le vieillard se sent impuissant à commander son semblable, il ne se sent pas supérieur : le pronom « je » ou « moi » est remis en question par les interrogations oratoires : « comment se peut-il que je commande... ?». Le sage pointe l'absurdité et l'inutilité d'être le chef.
= par son refus du pouvoir, il est malgré lui un modèle et un exemple à suivre.
- la critique de la servitude volontaire.
Le constat d'une dégradation, d'un déclin : opposition entre « libres » l. 10 hier et « assujetis » l. 11 « aujourd'hui ». Le peuple fait le choix de la facilité « moins rigides » l. 17 en se contentant d'obéir : champ lexical de la soumission avec « soumis », « obéir » l. 17, « prince » s'oppose au champ lexical de la vertu « vertueux » l. 14, « vertu » l. 20, « action vertueuse » l. 23 qui est un choix plus exigeant « malgré vous » l. 15, intensif « trop dur ».
= le choix d'obéir est paradoxalement vécue comme une libération pour les Troglodytes qui n'auront plus besoin de faire des efforts sur eux-mêmes pour bien se conduire ! « vous n'aurez plus besoin de la vertu » l. 20, ce qui est condamné par le vieillard.
Un réquisitoire éloquent contre le peuple : colère du vieillard qui accuse franchement et fait la leçon :
Lecture analytique : Antigone, Jean Anouilh, 1944.
Créon : Un matin, je me suis réveillé roi de Thèbes. Et Dieu sait si j’aimais autre chose dans la vie que d’être puissant…
Antigone: Il fallait dire non, alors !
Créon: Je le pouvais, seulement, je me suis senti tout d’un coup comme un ouvrier qui refusait un ouvrage. Cela ne m’a pas paru honnête. J’ai dit oui.
Antigone : Et bien, tant pis pour vous. Moi, je n’ai pas dit « oui » ! Qu’est-ce que vous voulez que cela me fasse, à moi, votre politique, votre nécessité, vos pauvres histoires ? Moi, je peux dire «non» encore à tout ce que je n’aime pas et je suis seul juge. Et vous, avec votre couronne, avec vos gardes, avec votre attirail, vous pouvez seulement me faire mourir parce que vous avez dit « oui ».
Créon : Écoute-moi.
Antigone : Si je veux, moi, je peux ne pas vous écouter. Vous avez dit « oui ». Je n’ai plus rien à apprendre de vous. Pas vous. Vous êtes là à boire mes paroles. Et si vous n’appelez pas vos gardes, c’est pour m’écouter jusqu’au bout.
Créon: Tu m’amuses !
Antigone : Non. Je vous fais peur. C’est pour cela que vous essayez de me sauver. Ce serait tout de même plus commode de garder une petite Antigone vivante et muette dans ce palais. Vous êtes trop sensible pour faire un bon tyran, voilà tout. Mais vous allez tout de même me faire mourir tout à l’heure, vous le savez, et c’est pour cela que vous avez peur. C'est laid un homme qui a peur.
Créon, (sourdement) :Et bien, oui j’ai peur d’être obligé de te faire tuer si tu t’obstines. Et je ne le voudrais pas.
Antigone : Moi, je ne suis pas obligée de faire ce que je ne voudrais pas ! Vous n’auriez pas voulu non plus, peut-être, refuser une tombe à mon frère ? Dites-le donc, que vous ne l’auriez pas voulu ?
Créon : Je te l’ai dit.
Antigone : Et vous l’avez fait tout de même. Et maintenant, vous allez me faire tuer sans le vouloir.
Et c’est cela, être roi !
Créon : Oui, c’est cela !
Antigone :Pauvre Créon ! Avec mes ongles cassés et pleins de terre et les bleus que tes gardes m’ont faits aux bras, avec ma peur qui me tord le ventre, moi je suis reine.
Lecture analytique : Antigone d'Anouilh.
1) Une scène de confrontation.
- un duel verbal : les personnages s'affrontent.
- mais, une Antigone fragile, en situation d'infériorité.
- Créon, le maître.
2) L'inversion des rapports de force.
- Créon, un roi soumis.
Comparaison « comme un ouvrier qui refusait un ouvrage » : aucune noblesse, aucun prestige attaché à la fonction royale. Créon semble un exécutant, quelqu'un qui obéit. Il rend service mais n'en retire aucune gloire, ni aucune dignité.
- l'affirmation du pouvoir d'Antigone.
Texte:
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, XX. LES BIJOUX.
LES BIJOUX
La très-chère était nue, et, connaissant mon cœur,
Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores,
Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur
Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures.
Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,
Ce monde rayonnant de métal et de pierre
Me ravit en extase, et j’aime avec fureur
Les choses où le son se mêle à la lumière.
Elle était donc couchée, et se laissait aimer,
Et du haut du divan elle souriait d’aise
À mon amour profond et doux comme la mer
Qui vers elle montait comme vers sa falaise.
Les yeux fixés sur moi, comme un tigre dompté,
D’un air vague et rêveur elle essayait des poses,
Et la candeur unie à la lubricité
Donnait un charme neuf à ses métamorphoses.
Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
Polis comme de l’huile, onduleux comme un cygne,
Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ;
Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne,
S’avançaient, plus câlins que les anges du mal,
Pour troubler le repos où mon âme était mise,
Et pour la déranger du rocher de cristal,
Où calme et solitaire elle s’était assise.
Je croyais voir unis pour un nouveau dessin
Les hanches de l’Antiope au buste d’un imberbe,
Tant sa taille faisait ressortir son bassin.
Sur ce teint fauve et brun le fard était superbe !
– Et la lampe s’étant résignée à mourir,
Comme le foyer seul illuminait la chambre,
Chaque fois qu’il poussait un flamboyant soupir,
Il inondait de sang cette peau couleur d’ambre !
Charles Baudelaire, « Les Bijoux », Les Fleurs du Mal, 1857.
Lecture analytique Les Bijoux.
En quoi ce texte est-il un « bijou » ? Baudelaire, un orfèvre de la poésie.
1) Une structure régulière et parfaite.
- utilisation de l'alexandrin, vers noble et majestueux de la tragédie.
- utilisation des quatrains, strophe classique. La majorité des strophes se terminent par un point : une unité et une harmonie au sein du poème.
- des rimes croisées : de nombreux effets sonores qui font entendre symboliquement les bijoux « sonores »
2) le poème évoque les bijoux que porte la femme nue.
- personnification des bijoux : « bruit vif et moqueur » : un jeu de séduction.
- mélange des sens (la synesthésie) : vocabulaire de la lumière : « rayonnant », « lumière » et du son : « bruit », « sonores », « son » qui conduit le poète à l'ivresse des sens : en position COD « me ravit en extase » : il est dépossédé de toute volonté, il ne s'appartient plus, envoûté, et hyperbole : « en extase », « fureur » : le plaisir du poète semble démesuré, prêt à le faire plonger dans une sorte de folie incontrôlable. Les points d'exclamation finaux montrent un crescendo qui peut aussi faire traduire un plaisir extrême ou l'orgasme.
- les bijoux sont en mouvement : « il jette en dansant » : ils épousent les mouvements sensuels de la femme
- ils sont un signe de pouvoir, du triomphe et en même temps de servitude : vocabulaire mélioratif « riche attirail », « air vainqueur » s 'oppose à « esclaves des Maures » (= les femmes du harem): c'est une parure de guerrière également, qui annonce la référence à l'Amazone « Antiope » v. 26.
3) une femme à plusieurs facettes
- son corps est un bijou :
énumération de la strophe 5 "Et son bras et sa jambe" etc.
Conjonction de coordination "et" très présente : « et son bras, et sa jambe... »
la rime interne "reins" / "sereins"/ "seins" et l'allitération en s: "sa taille", "ressortir", "bassin", "sur ce", "superbe"
comparaisons mélioratives et originales "Polis comme de l'huile, onduleux comme un cygne": harmonie, régularité et balancement du rythme binaire et du parallélisme de construction ("comme" répété). Une femme changeante, fascinante, attirante.
le pronom "elle" est omniprésent, sujet des actions et souvent en début de vers
l'enjambement strophique sur "s'avançaient": les parties du corps personnifiées débordent le cadre de l'alexandrin
= un éloge, un hymne à la beauté du corps de la femme. Le poète reprend la tradition poétique du BLASON (déf: Le "blason" est un court poème célébrant une ou plusieurs parties du corps féminin. Mode du blason date du XVIème siècle).
- cependant, cette femme est troublante et menaçante également : sauvagerie de la femme qui semble guetter "les yeux fixés sur moi": elle est comparée à un "tigre" + adjectif "fauve". Mélange de domination avec "vainqueur" par exemple et de soumission avec "esclaves" ou "dompté". Rapport de force dans l'échange amoureux.
La femme unit des contraires: beaucoup d'antithèses comme "candeur" et "lubricité" ou "Antiope" (féminin)et "imberbe" (masculin) = (androgynie de la femme) ou "anges du mal" = femme surnaturelle, inquiétante qui peut menacer le poète "troubler le repos où mon âme était mise". Un mélange d'amour et de mort "sang", une femme mystérieuse et obsédante, une muse inspiratrice et dangereuse aux charmes exotiques "Maures".
Référence finale à la mort : « mourir », « sang » : la lumière du feu de cheminée se reflète sur le corps de la femme. Les effets de lumières sont à la fois inquiétants et à la fois très sensuels.
4) un poème à plusieurs facettes :
- un poème très beau à lire avec des images puissantes et des effets sonores recherchés.
- mais un poème qui peut être très gênant :un texte érotique
on voit que la femme met en scène le désir du poète, elle connaît ses fantasmes intimes et en joue malicieusement « connaissant mon coeur » v. 1, négation restrictive « elle n'avait gardé que », « était nue ». Les bijoux réhaussent la nudité de la femme et la mettent en valeur.
impudeur du poème qui montre le désir de cette femme avec des mots forts comme "lubricité", ou "essayait des poses", la diérèse sur "souriait"
les parties du corps choisies sont fortement connotées sexuellement comme les "seins" par exemple: la métaphore "les grappes de ma vigne" suggère l'ivresse et la violence de la passion et la personnification "s'avançaient, plus câlins" font penser à une force séductrice irrépressible, une Eve moderne.
un texte qu'on a pu être considéré comme une offense à la religion: référence du poème au Cantique des cantiques (partie de la Bible): "nous verrons si la vigne bourgeonne... alors je te ferai don de mes amours"
Descriptif 1ère ES5. BAUDRY.
Séquence 1 : l'argumentation : la question de l'Homme.
Comment définir l'idée de « servitude volontaire » ?
Lectures analytiques :
- Extrait du Discours de la servitude volontaire, La Boétie, 1549.
- « Le Loup et le chien » Fables, La Fontaine, 1668
- Lettre XIV, Lettres Persanes, Montesquieu, 1721
- Extrait d'Antigone, Anouilh, 1944.
Activités proposées à la classe :
- lecture de la fable des Troglodytes (œuvre intégrale) dans les Lettres Persanes.
- les élèves ont travaillé sur le site de la BNF consacré aux Lettres Persanes.
- lecture cursive : Antigone d'Anouilh. Si cette œuvre était un plat…
- travail bidisciplinaire avec le professeur de sciences économiques et sociales sur l'expérience de Milgram.
- analyse de l'image : les illustrations de la fable « Le Loup et le Chien »
- analyse d'un extrait de la mise en scène de N. Briançon de la pièce d'Antigone.
- analyse de différentes mises en scène d'Antigone.
Lecture analytique 2: C. Baudelaire, "Les métamorphoses du vampire", LXXXVII, Les Fleurs du Mal (1857).
Les métamorphoses du vampire
La femme cependant, de sa bouche de fraise,
En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise,
Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc (1),
Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc :
" Moi, j'ai la lèvre humide, et je sais la science
De perdre au fond d'un lit l'antique conscience.
Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants,
Et fais rire les vieux du rire des enfants.
Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,
La lune, le soleil, le ciel et les étoiles !
Je suis, mon cher savant, si docte aux Voluptés,
Lorsque j'étouffe un homme en mes bras redoutés,
Ou lorsque j'abandonne aux morsures mon buste,
Timide et libertine, et fragile et robuste,
Que sur ces matelas qui se pâment d'émoi,
Les anges impuissants se damneraient pour moi ! "
Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,
Et que languissamment je me tournai vers elle
Pour lui rendre un baiser d'amour, je ne vis plus
Qu'une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus !
Je fermai les deux yeux, dans ma froide épouvante,
Et quand je les rouvris à la clarté vivante,
A mes côtés, au lieu du mannequin puissant
Qui semblait avoir fait provision de sang,
Tremblaient confusément des débris de squelette,
Qui d'eux-mêmes rendaient le cri d'une girouette (2)
Ou d'une enseigne, au bout d'une tringle de fer,
Que balance le vent pendant les nuits d'hiver.
(1): busc: lame de baleine ou d'acier qui maintient, devant, la rigidité d'un corsage ou d'un corset.
(2) Instrument muni d'une flèche, mobile sur un pivot, placé au sommet d'un édifice pour indiquer la direction du vent.
Lecture analytique 2: les métamorphoses du vampire.
1) une femme toute-puissante et inquiétante.
- elle est narcissique:
Elle fait une tirade sans être interrompue par le poète. Elle a le pouvoir de la parole.
Pronoms personnels de la 1ère personne très présents: au début et à la fin de la tirade ("Moi" sous l'accent) + répétition du pronom "je" au début des vers.
Gradation au vers 10: la femme prend des dimensions cosmiques: elle prend toute la place et remplace Dieu.
Les diérèses "science"/ "conscience" + intensif "si" dans "si docte" mettent en avant sa supériorité intellectuelle sur le poète qualifié ironiquement de "cher savant" vers 11. Elle semble écraser le poète. C' une femme orgueilleuse qui prétend tout connaître. Pourtant, celui-ci est attiré par elle "pour lui rendre un baiser d'amour" v. 19.
- elle est fascinante
sa sensualité est marquée: la synesthésie (mélange du goût avec "fraise" v. 1, de l'odorat "musc" vers 4 et du toucher "pétrissant ses seins" v. 3. L'érotisme du texte se remarque par la répétition des "seins", de l'évocation de son corps "bouche" v. 1, "buste", "bras", "lèvre humide" v. 5 qui évoque peut-être le sexe féminin. On peut assister à une scène d'auto érotisation avec "pétrissant ses seins". Le vers 17 peut aussi évoquer la fellation. Le plaisir sexuel est également traduit dans le vers "j'abandonne aux morsures mon buste" v. 12. La femme montre son désir et s'exprime sans tabou. Texte censuré en 1857.
La femme est double: elle en est très troublante. Les antithèses "timide et libertine, et fragile et robuste": balancement et régularité du rythme.
- Elle est l'incarnation du Mal:
L'image du serpent rappelle l'animal tentateur du jardin d'Eden.
La "braise" plante un décor infernal propre aux visions cauchemardesque. La femme semble la malédiction du poète.
La femme porte la mort: des mots forts comme "j'étouffe un homme en mes bras redoutés" rappellent l'image du serpent menaçant. Elle est humiliante puisqu'elle rabaisse les "vieux", qui régressent à l'état d'"enfants". Les hommes sont ses proies "j'étouffe un homme" v. 12, qu'elle dévore (champ lexical du cannibalisme: "sucé toute la moelle"v. 17, "fait provision de sang" v. 24). Elle détient des pouvoirs mystérieux dont elle se vante, elle semble une prédatrice irrésistible et invincible. Elle est victorieuse contre Dieu puisque les "anges" sont "impuissants" et vendraient leur âme pour elle "se damneraient pour moi".
Il s'agit d'un texte qui appartient au registre fantastique.
2) Une femme réduite à néant.
- elle suscite le dégoût:
l'enjambement "je ne vis plus..." montre un déséquilibre, en renversement de situation.
Image très frappante et surprenante de "l'outre aux flancs gluants": des sonorités en [l], [u], [p] très désagréables à l'oreille. Le point d'exclamation témoigne bien de l'horreur que ce spectacle provoque "froide épouvante".
- la chosification finale.
La femme est un objet: "débris de squelette", "girouette", "enseigne". La rime en [ette] semble ridicule et en contraste avec la splendeur de la 1ère strophe. Le poète utilise des images concrètes, de la vie de tous les jours comme "girouette", "tringle de fer" très dévalorisants pour la femme. On peut penser que c'est le poète qui se moque de ce que la femme est devenue, une sorte de vengeance satirique.
L'atmosphère finale est aussi inquiétante que celle du début: on relève "cris", "le vent", "nuits d'hiver": le poète semble retomber dans une réalité froide, à sa solitude: un nouveau cauchemar semble commencer pour lui.
Le Léthé
Viens sur mon coeur, âme cruelle et sourde,
Tigre adoré, monstre aux airs indolents ;
Je veux longtemps plonger mes doigts tremblants
Dans l'épaisseur de ta crinière lourde ;
Dans tes jupons remplis de ton parfum
Ensevelir ma tête endolorie,
Et respirer, comme une fleur flétrie,
Le doux relent de mon amour défunt.
Je veux dormir ! dormir plutôt que vivre !
Dans un sommeil aussi doux que la mort,
J'étalerai mes baisers sans remord
Sur ton beau corps poli comme le cuivre.
Pour engloutir mes sanglots apaisés
Rien ne me vaut l'abîme de ta couche ;
L'oubli puissant habite sur ta bouche,
Et le Léthé coule dans tes baisers.
A mon destin, désormais mon délice,
J'obéirai comme un prédestiné ;
Martyr docile, innocent condamné,
Dont la ferveur attise le supplice,
Je sucerai, pour noyer ma rancoeur,
Le népenthès et la bonne ciguë
Aux bouts charmants de cette gorge aiguë
Qui n'a jamais emprisonné de coeur.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857.
Le Léthé.
La descente aux Enfers (ou catabase en grec) est un passage attendu dans les épopées antiques comme l'Odyssée d'Homère ou l'Enéide de Virgile. Le héros (comme Ulysse) doit descendre dans le royaume des morts pour être guidé par un de ses ancêtres. Il parcourt donc les Enfers, composés de plusieurs "régions" traversées de fleuves.
Cependant, ici, Baudelaire ne choisit pas le Styx comme sujet de son poème mais le Léthé, fleuve qui permet aux morts d'oublier leur vie passée avant leur réincarnation. C'est donc un fleuve qui permet de sortir des Enfers mais le poète en fait plutôt un fleuve qui l'engloutit ici.
IMAGES DE LA FEMME
Femme à plusieurs visages ; maternelle, douce/dangereuse, vide, sans émotion. Femme = porteuse et guérisseuse du spleen, elle est le remède, le baume (népenthès) et le poison (ciguë). L'élément liquide, caractéristique de la femme, domine le texte.
1) la femme apaisante.
lexique de la souffrance du poète "sanglots", "tête endolorie": femme consolatrice. Poète = un enfant qui vient trouver refuge dans les jupes de sa mère "Dans tes jupons remplis de ton parfum". De même "je sucerai" dans la dernière strophe renvoie à un état de nourrisson, nourri au sein de sa mère.
le poète s'adresse directement à la femme avec le pronom "tu": la femme lui est familière.
La femme aimée éveille les sens du poète: on retrouve l'idée de synesthésie qui provoque l'ivresse du poète en le plongeant ici dans un état d'abandon proche de l'effet d'une drogue (opium)
- le toucher avec "plonger mes doigts tremblants/ Dans l'épaisseur de ta crinière lourde" ou "ton beau corps poli comme le cuivre"
- l'odorat avec "remplis de ton parfums". Cependant, un lien avec la mort: allitération en "f": "fleur flétrie", "défunt". De même "doux relent" renvoie à une odeur écoeurante, désagréable.
- le goût avec "je sucerai", "le népenthès" "la bonne ciguë": là encore antithèse entre le médicament et le poison
Eloge du corps de la femme: elle est d'abord vêtue "jupons" puis nue "beau corps poli comme le cuivre":
- on retrouve la tradition du blason: vocabulaire mélioratif comme "beau" ou "charmants" associé aux parties du corps fortement érotisées: "bouche" renforcé par la rime riche "couche", "gorge" (= seins), "corps", "crinière" (= cheveux).
- le sentiment amoureux est donc central et semble partagé: on retrouve le lexique de l'amour avec "adoré", "mes baisers", "tes baisers", "délice". Les adjectifs possessifs "mes" et "tes" témoignent de cette réciprocité dans l'échange amoureux. Passion, fascination et dévotion du poète pour sa muse.
= la femme serait donc le moyen d'échapper au spleen (= mélancolie) car elle est capable de le faire oublier par ses baisers.
2) la femme symbole de mort.
La femme est déshumanisée et animalisée avec "tigre" ou "monstre" pourtant associé à des termes positifs comme "adoré". Cet oxymore montre la caractère ambigu de la femme, mélangeant douceur et bestialité violente.
Analyse du premier et du dernier vers: antithèse du premier vers ; "Viens sur mon cœur"=appel à l'amour/"âme cruelle et sourde"=échec de la relation amoureuse: malgré l'impératif "viens", la femme est "sourde" à l'appel. La sonorité en "k" renforce la dureté. La fin du poème reprend cette sonorité avec "coeur" et "rancoeur". La négation "qui n'a jamais emprisonné de coeur" montre une femme dénuée de sentiment, insensible et froide, contrairement au poète qui dès le départ offre son "coeur" v. 1.
La sonorité discordante et désagréable "ciguë" et "aiguë" met en valeur une menace: les seins de la femme donnent à la fois le soulagement du népenthès mais aussi la mort avec le poison de la "ciguë". Le plaisir érotique évoqué dans "je sucerai (les) [...] bouts charmants" se change en poison.
= CENSURE ; sexualité, érotisme, mort
La mort est omniprésente dans le poème:
- un lexique funèbre comme "mort", "défunt", "abîme". Plusieurs verbes également peuvent avoir une connotation morbide: "ensevelir", "engloutir", "noyer". Le poème semble une descente lente mais continue.
- la mort est adoucie et atténuée:
* elle est comparée au sommeil: "dormir" est répété et renforcé par le point d'exclamation comme une forte aspiration. Rappel du monologue d'Hamlet "To be or not to be" qui assimile la mort à un sommeil "to die...to sleep" pour se rassurer. Tentation du suicide dans le texte.
* la mort n'est pas violente: pas de sang. La lenteur du poème se compare à la lente progression du poison. La mort passe aussi par le plaisir érotique: "le Léthé coule dans tes baisers". L'adjectif "doux" est répété.
Le corps de la femme est donc une image des Enfers: sa bouche est comparée au Léthé. Elle est celle qui amène vers la mort.
le destin tragique du poète.
L'avant dernière strophe peut aussi rappeler les suppliciés du Tartare (Sisyphe, Prométhée, Tantale), autre lieux des Enfers où se tiennent les damnés.
Lexique de la torture "martyr", "condamné", "supplice" mêlé à un lexique positif "docile", "innocent", "ferveur" qui implique la soumission du poète. = Fatalité omniprésente ("mon destin"="mon délice", poète conscient mais passif, dépendant de la femme). Le poète ferait donc penser aux suppliciés du Tartare: il implore l'amour de la femme aimée qui l'apaise de son spleen mais il ne peut obtenir satisfaction car elle n'a "jamais emprisonné de coeur". Une sorte de cercle vicieux sans fin.
- Destin tragique, poème = vie du poète.
= Poète solitaire et mélancolique, figure pathétique
Descriptif 1ère ES5. BAUDRY.
Séquence 2: la poésie, quête de sens.
Les pièces condamnées des Fleurs du Mal: ces poèmes sont-ils choquants?
Lectures analytiques:
- "Les Bijoux", Les Fleurs du Mal (1857), Baudelaire.
- "Les métamorphoses du vampire", Les Fleurs du Mal (1857), Baudelaire.
- "Le Léthé", Les Fleurs du Mal (1857), Baudelaire.
- "A celle qui est trop gaie", Les Fleurs du Mal (1857), Baudelaire.
Activités proposées à la classe:
- Lectures cursives: La morte amoureuse de T. Gautier et la section "Spleen et Idéal" des Fleurs du Mal.
- Les interprétations des textes par Léo Ferré.
- Comparaison du texte "Le Léthé" avec un objet.
- la versification
- Deux analyses d'images: le frontispice des Epaves et "Les nuits de Monsieur Baudelaire" par Durandeau publié dans le journal Le Boulevard (1864).
Lecture analytique 4: à celle qui est trop gaie.
1) Fleur
La femme idéalisée domine les quatre premières strophes.
- en harmonie avec la nature: champ lexical de la nature avec "ballet de fleurs", "beau paysage", vent frais" et "ciel clair". La femme est lumineuse et rayonnante: elle peut être assimilée au soleil: "ébloui", "jaillit comme une clarté" = joie de vivre contagieuse car transmet sa gaieté au "passant chagrin". Vitalité de la nature est parallèle à la vitalité de la femme.
- muse inspiratrice des poètes "jettent dans l'esprit des poètes l'image d'un ballet de fleurs': le poète décrit ici ce qu'il fait dans les premières strophes: la femme lui inspire le début du poème et la structure en octosyllabes a la légèreté de la danse d'un ballet. De nombreuses comparaisons "comme un beau paysage", "comme un vent frais" = ravissement poète charmé et inspiré par cette femme qui est un monde à explorer.
- éloge du corps de la femme (blason): premier vers: allitération en T + rythme ternaire = grâce de la femme. "tes bras" et "tes épaules". Haut de corps. Mélange des sens (synesthésie): la vue "couleurs", la toucher "que tu frôles", ouïe "retentissantes". Pas de nudité: originalité des robes colorées. Cela évoque un portrait moral: la femme = dynamique, libre, fantasque, coquette, insouciante, généreuse (beauté du corps = beauté de l'âme).
= une femme divinisée, capable de redonner vie aux mélancoliques, une magicienne, une nymphe, une fée.
- cependant, absence du poète du début du texte: malgré le tutoiement, pas d'intimité entre eux. La femme semble ignorer le poète qui reste anonyme. On pourrait même se demander si la femme connaît le poète.
2) du Mal.
- Bascule du texte avec l'apparition du pronom "je": élément perturbateur. Opposition entre "hais" et "je t'aime": le poète semble avoir besoin de démystifier sa muse, la femme qu'il adirait plus haut.
- le poète et la femme sont très différents: "rire" s'oppose à "ironie" (plus grinçant), "atonie" à "bariolé", "nuit" à "ciel clair": la femme est une vision insupportable de la vitalité pour lui, femme qu'il ne pourra jamais atteindre. Le titre = un reproche "trop gaie". Le poète, victime du spleen, sent le "soleil", "le printemps et la verdure" ( = la femme) lui "déchirer" le "sein". Insistance sur la blessure morale du poète avec la diérèse "humilié".
- 1ère vengeance du poète: une destruction de l'emblème de la femme: la fleur "j'ai puni sur une fleur" puis 2ème vengeance fantasmée du poète (le conditionnel "je voudrais"): une destruction et une création. Vocabulaire de la violence "châtier" (diérèse), "meurtrir", "blessure" = sadisme du poète qui éprouve une certaine jouissance : ponctuation expressive et vocabulaire mélioratif "vertigineuse douceur!". Le corps de la femme est ici nu et érotisé: "voluptés", "flanc", "chair", "lèvres". Les enjambements des dernières strophes peuvent montrer aussi une euphorie dans le mal.
- le poète s'assimile à un serpent avec "ramper" et "venin": animal à sang froid, symbole de la lâcheté et du mal (serpent tentateur de la Genèse dans la Bible). Le poète peut aussi faire référence à la création de la femme puisque Dieu crée la femme à partir d'une côte d'Adam. Ici, le poète crée une nouvelle femme à partir d'une blessure, qui est aussi une ouverture pour créer une femme semblable à lui, sa "soeur".
- Cependant, le poète crée un nouvel être à partir de cette "blessure": il façonne une nouvelle femme avec un nouveau corps "lèvres nouvelles", qu'il pourrait posséder car il la façonne à son image, (comme Dieu a crée l'homme à son image): appellation finale "ma sœur!" (dernier mot du texte, renforcé par la ponctuation expressive). Le poète transmet son venin (= son spleen) à la femme, qui va ainsi lui ressembler. Identification finale femme/ poète.
- Cette création est valorisée par le poète avec les superlatifs "plus éclatantes et plus belles": la nouvelle femme est plus belle que celle du début du texte. Au coeur du Mal, surgit une beauté supérieure.
La fin du texte est une image de la poésie moderne opposée à la poésie classique du début du poème où la femme est comparée à une fleur.
A celle qui est trop gaie
Questions d'oral:
Questions posées par les examinateurs du bac blanc:
La Boétie:
Quel est le sens de cette exhortation de La Boétie?
Comment l'auteur s'y prend-il pour montrer que la révolte face au tyran est possible?
Qu'est-ce qui fait la force de ce discours?
Que reproche l'auteur au peuple?
En quoi ce réquisitoire est-il paradoxal?
Montesquieu:
Pourquoi s'imposer une vie vertueuse est-il, selon le vieux Troglodyte, plus dur qu'obéir à l'autorité d'un monarque?
Comment et pourquoi Montesquieu associe-t-il les notions de pouvoir et de vertu dans ce texte?
Quelle réflexion Montesquieu fait-il sur l'autorité?
La Fontaine:
quelle est la morale de cette fable?
Etudiez l'efficacité de la démonstration entreprise par La Fontaine au sein de cette fable?
Qu'est-ce qui constitue la force de cet apologue?
Comment s'exprime à travers cette fable l'opposition entre la servitude et la liberté?
Comment et en quoi cet apologue peut-il faire réfléchir le lecteur?
Antigone:
Quelle est la pureté revendiquée par Antigone dans ce texte?
Que nous révèle le dialogue entre Antigone et Créon?
A quoi voit-on que les deux positions sont irréconciliables?
Qui domine ce dialogue? Antigone ou Créon?
Lequel des personnages attire la sympathie du public?
Dans cette confrontation, qui domine?
En quoi s'agit-il d'une scène de confrontation?
Etudiez le rapport de forces entre Antigone et Créon au sein de ce dialogue?
En quoi Antigone est-elle dans ce texte une figure de la révolte?
En quoi cette scène conflictuelle peut-elle faire réfléchir sur la servitude?
Les Bijoux:
en quoi ce poème est-il un éloge de la sensualité?
quel portrait le poète fait-il de la très chère?
Comment s'exprime dans le poème la fascination pour le corps?
Ce poème est-il choquant?
Les métamorphoses du vampire
Que symbolise la femme dans ce poème?
Montrez que ce poème joue avec le registre fantastique à travers le motif de la métamorphose.
Comment le poète renouvelle-t-il le motif de la femme fatale?
Le Léthé
Comment et pourquoi Baudelaire mêle-t-il la sensualité et la mort dans ce poème?
A celle qui est trop gaie.
Etudiez l'évolution des sentiments éprouvés par le poète au sein de ce texte.
Quelle image de la femme est donnée par ce poème?
Comment l'ambivalence du sentiment amoureux dans ce poème peut choquer le lecteur?
Questions posées par Mme Baudry.
La Boétie
montrez que c'est un texte violent.
Montrez que c'est un discours persuasif.
Quelles sont les cibles de La Boétie ici?
en quoi ce texte peut-il illustrer le titre de l'oeuvre?
Comment La Boétie fait-il pour impliquer le lecteur dans son texte?
Les Bijoux:
En quoi ce poème est-il choquant?
Comment peut-on qualifier l'état d'esprit du poète dans ce texte?
En quoi ce texte est-il sensuel?
Les métamorphoses du vampire
Montrez que ce poème ressemble à un cauchemar.
Quelles relations le poète entretient-il avec la femme?
Peut-on penser que ce poème est choquant?
Le Léthé
Quelle est la place de la mythologie dans ce poème?
Montrez qu'il s'agit d'un poème du spleen
Quelles images de la femme nous donne ce texte?
A celle qui est trop gaie:
en quoi ce poème illustre-t-il son titre?
En quoi s'agit-il d'un poème inspiré par le Mal?
Quelles images le poète donne-t-il de lui-même dans ce texte?
en quoi ce texte est-il choquant?
Quelles images de ce texte nous présente ce texte?
Lecture analytique 1 : Molière, Le Misanthrope, Acte premier, scène première. 1666.
PHILINTE, ALCESTE
PHILINTE
Qu'est-ce donc ? Qu'avez-vous ?
ALCESTE1
Laissez-moi, je vous prie.
PHILINTE
Mais encor dites-moi quelle bizarrerie... .
ALCESTE
Laissez-moi là, vous dis-je, et courez vous cacher.
PHILINTE
Mais on entend les gens, au moins, sans se fâcher.
ALCESTE
Moi, je veux me fâcher, et ne veux point entendre.
PHILINTE
Dans vos brusques chagrins je ne puis vous comprendre,
Et quoique amis enfin, je suis tout des premiers...
ALCESTE2
Moi, votre ami ? Rayez cela de vos papiers3.
J'ai fait jusques ici profession de l'être;
Mais après ce qu'en vous je viens de voir paraître,
Je vous déclare net que je ne le suis plus,
Et ne veux nulle place en des cœurs corrompus.
PHILINTE
Je suis donc bien coupable, Alceste, à votre compte ?
ALCESTE
Allez, vous devriez mourir de pure honte
Une telle action ne saurait s'excuser,
Et tout homme d'honneur s'en doit scandaliser.
Je vous vois accabler un homme de caresses,
Et témoigner pour lui les dernières tendresses;
De protestations, d'offres et de serments,
Vous chargez4 la fureur de vos embrassements;
Et quand je vous demande après quel est cet homme,
A peine pouvez-vous dire comme il se nomme;
Votre chaleur pour lui tombe en vous séparant,
Et vous me le traitez, à moi, d'indifférent.
Morbleu ! c'est une chose indigne, lâche, infâme,
De s'abaisser ainsi jusqu'à trahir son âme;
Et si, par un malheur, j'en avais fait autant,
Je m'irais, de regret, pendre tout à l'instant.
PHILINTE
Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable,
Et je vous supplierai d'avoir pour agréable
Que je me fasse un peu grâce sur votre arrêt5,
Et ne me pende pas pour cela, s'il vous plaît.
ALCESTE
Que la plaisanterie est de mauvaise grâce !
PHILINTE
Mais, sérieusement, que voulez-vous qu'on fasse ?
ALCESTE
Je veux qu'on soit sincère, et qu'en homme d'honneur,
On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur.
PHILINTE
Lorsqu'un homme vous vient embrasser avec joie,
Il faut bien le payer de la même monnoie,
Répondre, comme on peut, à ses empressements,
Et rendre offre pour offre, et serments pour serments.
ALCESTE
Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode
Qu'affectent la plupart de vos gens à la mode;
Et je ne hais rien tant que les contorsions
De tous ces grands faiseurs de protestations,
Ces affables donneurs d'embrassades frivoles,
Ces obligeants diseurs d'inutiles paroles,
Qui de civilités avec tous font combat,
Et traitent du même air l'honnête homme et le fat.
Quel avantage a-t-on qu'un homme vous caresse,
Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse,
Et vous fasse de vous un éloge éclatant,
Lorsqu'au premier faquin il court en faire autant ?
Non, non, il n'est point d'âme un peu bien située6
Qui veuille d'une estime ainsi prostituée;
Et la plus glorieuse a des régals peu chers7,
Dès qu'on voit qu'on nous mêle avec tout l'univers :
Sur quelque préférence une estime se fonde,
Et c'est n'estimer rien qu'estimer tout le monde.
Puisque vous y donnez, dans ces vices du temps,
Morbleu ! vous n'êtes pas pour être de mes gens;8
Je refuse d'un cœur la vaste complaisance
Qui ne fait de mérite aucune différence;
Je veux qu'on me distingue; et pour le trancher net,
L'ami du genre humain n'est point du tout mon fait.
Lecture analytique: la scène d'exposition du Misanthrope: en quoi cette scène d'exposition peut-elle surprendre?
1) des personnages nobles pour une comédie?
La comédie met en scène des personnages de condition modeste or ici, on a:
- des alexandrins, le vers le plus long de la poésie, utilisé dans les tragédies.
- de longues tirades qui ressemblent aux tirades d'un tragédien (avec le vocabulaire de la mort par exemple "mourir" v. 14 ou "pendre" v. 28).
- des costumes d'aristocrates
- un lieu (les appartements de Célimène) qui rappelle une cour.
= contraste entre l'apparence d'Alceste et son discours (violemment anti-courtisan) qui provoque le comique de situation.
2) la pièce commence par un mystère qui a l'air important.
Début assez brutal in medias res (= alors que l'action a déjà commencé avant le lever du rideau). Le spectateur/lecteur s'identifie à Philinte qui ignore la cause de la colère d'Alceste.
- on perçoit l'inquiétude de Philinte par les questions du vers 1
- énigme qui entoure la cause du rejet d'Alceste, ce qui crée un effet d'attente donnant une importance considérable au sujet de l'irritabilité d'Alceste: diérèse sur "telle action" v. 15 + vocabulaire grave et sérieux énumération v. 25 "une chose indigne, lâche, infâme" tout en gardant le flou.
- la cause n'est dévoilée qu'au vers 17 "Je vous vois accabler un homme de caresses" qui met fin à la tension et au quiproquo: il ne s'agissait que d'un témoignage de politesse! provoque ainsi le rire du spectateur et de Philinte qui riposte par l'ironie et la dérision en reprenant le mot "pendre": "pendable", "et ne me pende pas pour cela s'il vous plait" vers 32.
= effet de surprise: le lecteur/spectateur comprend le caractère d'Alceste personnage excessif et démesuré. Cet effet accentue le comique de caractère. Le rire vient sanctionner une attitude non conforme à la normalité: on retrouve la devise de la comédie: castigat ridendo mores: corriger les moeurs par le rire.
3) le dialogue commence par un refus de dialoguer.
Alceste se présente comme un personnage en rupture, qui cherche la solitude alors qu'il ne cesse de parler et d'imposer son point de vue.
- la pièce commence par une joute verbale qui prend la forme d'une stichomythie
* un échange court au début.
* des impératifs répétés d'Alceste "laissez-moi", "rayez"
* une reprise des termes qui montre la confrontation entre les deux personnages, comme "fâcher" v. 4 et 5.
* une attitude conciliante de Philinte (voir les interrogatives du vers 1, le verbe "pouvoir" v. 6, le pronom "on" v. 4) qui s'oppose à un comportement violent et agressif de la part d'Alceste (prédominance du pronom "je", "moi" qui s'oppose violemment au pronom accusateur "vous" v. 10 définissant deux camps ennemis, répétition du verbe "vouloir": "je veux me fâcher" v. 5, les affirmations catégoriques et tranchantes: "je vous déclare net que je ne le suis plus,/ et ne veux nulle place" v. 11-12). Alceste semble seul contre tous. Il se drape dans une dignité orgueilleuse.
= contraste très fort entre les deux personnages définis d'emblée par la signification de leur nom: "Alceste" = fort / "Philinte"= qui aime, enclin aux compromis. Dès le début de la pièce, Alceste choque le public par son refus de la réserve et du bon ton. Il apparaît comme un personnage tyrannique et s'expose de lui-même à la réprobation et à la risée du public. Il se voue à l'exclusion et à la marginalité. Mais...c'est lui qui parle le plus!!
4) Un personnage principal qui dévoile son caractère par son langage. C'est le contraire d'un honnête homme (au sens du XVIIème siècle). Pour autant, est-il totalement discrédité? Qui est le porte-parole de Molière? Philinte ou Alceste? Un personnage ambivalent, caricaturé mais qui pose question au spectateur/lecteur.
- longueur de ses tirades: un personnage qui s'impose
- il donne des leçons comme un juge ou un censeur moral par exemple vers 35-35: pronom "on" et présent de vérité général: "Je veux qu'on soit sincère et qu'en homme d'honneur,/ on ne lâche aucun mot qui ne parte du coeur". Il fait le réquisitoire du genre humain en multipliant les reproches et en utilisant un vocabulaire moral "vices du temps" v. 59, "lâche", "je ne hais rien" v. 43. Pourtant, son langage violent et relâché n'est pas celui d'un sage!!
* des jurons comme "morbleu" répété v. 25 et 60 + ponctuation expressive: il contrôle mal ses paroles. Emporté, comportement déréglé.
* des énumérations hyperboliques comme "c'est une chose indigne, lâche, infâme" v. 25: discours disproportionné.
* des contrastes marqués et binaires, un vocabulaire de la totalité et de l'absolu "et c'est n'estimer rien que d'estimer tout le monde", "nulle place" v. 12, "tout homme d'honneur" v. 16, "aucun mot" v. 36: un manque de nuance et rigidité caractéristique d'un caractère fort et buté qui suscite la suspicion du spectateur.
* manque d'humour et de distance: "que la plaisanterie est de mauvaise grâce" v. 33: on y lit de l'amertume, une réelle souffrance d'Alceste qui perd toute confiance en l'être humain. Perte de son seul ami peut-on imaginer.
* des négations intransigeantes qui tombent comme des couperets: "l'ami du genre humain n'est point du tout mon fait" v. 64, du vocabulaire négatif "je refuse" v. 61 ou l'adverbe "non" répété plusieurs fois. On retrouve ici le portrait du misanthrope qui n est pas un homme de la demi mesure.
= Philinte est son contraire absolu! il incarne le modèle de l'honnête homme: il est utilisé comme contre point pour montrer le comique de caractère d'Alceste. Il se définit par:
- des qualités qui font la sociabilité: les bonnes manières, la courtoisie, la politesse, la modestie: il laisse son ami parler, lui pose des questions.
- des qualités de coeur et de jugement
- en lui domine la raison et la sagesse comme le montre son discours équilibré par le parallélisme de construction: "et rendre offre pour offre et serments pour serments". Philinte fuit toute extrémité et cherche à modérer les passions.
Cependant, la critique qu'Alceste fait de l'hypocrisie ne manque pas de brio ni d'éloquence: c'est une satire brillante des courtisans qui peut s'attirer la complicité du public et de Philinte qu'on peut imaginer en train de rire quand Alceste imite un courtisan ce qui est suggéré par la diérèse de "contorsions". Le courtisan apparaît comme un pantin ridicule et déshumanisé. Alceste dénonce avec justesse les apparences mensongères et le vide de la société de son temps par le champ lexical du vide: "inutiles paroles", "faquin", "fat", "frivoles", "affables", "grands faiseurs".
= Ses accusations sont justifiées mais le langage qu'il emploie est inapproprié. Alceste a un idéal de franchise et de sincérité qui rappellent les valeurs proches de la chevalerie mais dépassées à la cour de Louis XIV.
"Art » Y. Reza. Extrait 1 (pages 14 à 17).
Lecture analytique 1 scène d'exposition "art" de Y. Reza.
Chez Serge.
Au fond, accroché au mur, l’Antrios.
Debout devant la toile, Marc tient une bassine d’eau dans
laquelle Serge trempe un petit morceau de tissu. Marc a relevé les
manches de sa chemise et Serge est vêtu d’un petit tablier trop court
de peintre en bâtiment.
Près d’eux, on aperçoit quelques produits, flacons ou bouteilles
de white-spirit, eau écarlate, chiffons et éponges…
Avec un geste très délicat, Serge apporte une dernière touche au
nettoyage du tableau.
L’Antrios a retrouvé toute sa blancheur initiale.
Marc pose la bassine et regarde le tableau.
Serge se retourne vers Yvan, assis en retrait.
Yvan approuve.
Serge recule et contemple à son tour.
Silence.
YVAN (comme seul. Il nous parle à voix légèrement feutrée) :…
Le lendemain du mariage, Catherine a déposé au cimetière
Montparnasse, sur la tombe de sa mère morte, son bouquet de
mariée et un petit sachet de dragées. Je me suis éclipsé pour
pleurer derrière une chapelle et le soir, repensant à cet acte bou-
leversant, j’ai encore sangloté dans mon lit en silence. Je dois
absolument parler à Finkelzohn de ma propension à pleurer, je
pleure tout le temps, ce qui n’est pas normal pour un garçon de
mon âge. Cela a commencé, ou du moins s’est manifesté clai-
rement le soir du tableau blanc chez Serge. Après que Serge
avait montré à Marc, par un acte de pure démence, qu’il tenait
davantage à lui qu’à sa tableau, nous sommes allés dîner chez
Emile. Chez Emile, Serge et Marc ont pris la décision d’essayer
de reconstruire une relation anéantie par les événements et les
mots. A un moment donné, l’un de nous a employé l’expres-
sion « période d’essai » et j’ai fondu en larmes.
L’expression « période d’essai » appliquée à notre amitié a
provoqué en moi un séisme incontrôlé et absurde.
En réalité, je ne supporte plus aucun discours rationnel, tout
ce qui a fait le monde, tout ce qui a été beau et grand dans ce
monde n’est jamais né d’un discours rationnel.
Un temps
Serge s’essuie les mains. Il va vider la bassine d’eau puis se met à
ranger tous les produits, de sorte qu’il n’y ait plus aucune trace du
nettoyage.
Il regarde encore une fois son tableau. Puis se retourne et
s’avance vers nous.
SERGE : Lorsque nous sommes parvenus, Marc et moi, à
l’aide d’un savon suisse à base de fiel1 de bœuf, prescrit par
Paula, à effacer le skieur, j’ai contemplé l’Antrios et je me suis
tourné vers Marc :
Savais-tu que les feutres étaient lavables ?
Non, m’a répondu Marc…Non…Et toi ?
Moi non plus, ai-je dit, très vite, en mentant.
Sur l’instant, j’ai failli répondre, moi je le savais. Mais pou-
vais-je entamer notre période d’essai par un aveu aussi déce-
vant ?...D’un autre côté, débuter par une tricherie ?...
Tricherie ! N’exagérons rien ; d’où me vient cette vertu stu-
pide ? Pourquoi faut-il que les relations soient si compliquées
avec Marc ?...
La lumière isole peu à peu l’Antrios.
Marc s’approche du tableau.
MARC : Sous les nuages blancs, la neige tombe.
On ne voit ni nuages blancs, ni la neige.
Ni la froideur et l’éclat blanc du sol.
Un homme seul, à skis, glisse.
La neige tombe.
Tombe jusqu’à ce que l’homme disparaisse et retrouve son
opacité.
Mon ami Serge, qui est un ami depuis longtemps, a acheté un tableau.
C’est une toile d’environ un mètre soixante sur un mètre
vingt.
Elle représente un homme qui traverse un espace et qui disparaît.
Lecture analytique du dénouement de "Art".
Introduction:
- Y.REZA née en 1959: fait d'abord des études de sociologie avant de tenter une carrière de comédienne et de passer finalement à l'écriture (de pièces de théâtre et de romans).
- son oeuvre la plus connue: "Art" écrite et jouée en 1994. Connaît un vif succès en France (récompensé par les Molières) et à l'étranger: traduite en 35 langues, jouée dans les pays du monde entier.
Met en scène un trio exclusivement masculin: 3 amis quadragénaires mettent leur amitié à l'épreuve à propos d'un monochrome (l'antrios) acheté par Serge. Le tableau est une occasion de régler leurs comptes et de faire apparaître les failles de leur amitié.
Marc: ingénieur dans l'aéronotique, ne supporte pas que Serge ait pu acheter ce tableau vide "cette merde blanche" selon lui, qui monopolise l'attention de son ami. Tyrannique et anxieux.
Serge: médecin dermatologue: intellectuel prétentieux, amateur d'art contemporain.
Yvan: embauché dans la papeterie de son futur beau-père: personnage dont la réussite sociale est médiocre. Absence de personnalité, incapable de donner un avis personnel. incarne le médiateur mais aussi le bouc-émissaire.
Présentation de l'extrait
Reprise de la question posée+ proposition de plan.
Lecture.
Descriptif pour la séquence sur le théâtre.
Objet d'étude: le théâtre: texte et représentation.
Oeuvre intégrale: le Misanthrope de Molière (1666) analysée en parallèle avec "Art" de Y. Reza (1994).
Comment mettre en scène l'impossibilité d'être ensemble? La question de la misanthropie et de l'hypocrisie dans les deux pièces.
Lectures analytiques:
- la scène d'exposition du Misanthrope.
- le dénouement du Misanthrope
- la scène d'exposition de "Art"
- le dénouement de "Art".
Synthèse: quels points communs et quelles différences peut-on observer entre les deux pièces?
Activités complémentaires:
- les élèves ont pu assister à la représentation du Misanthrope à Ris Orangis
- Analyse de l'image fixe: Le Misanthrope de Brueguel et le frontispice du Misanthrope de Molière.
- Extrait de Célimène et le Cardinal de Jacques Rampal
- Analyse de la mise en scène de P. Kerbrat pour les deux passages de "Art" étudiés en lectures analytiques
et de celle de S. Braunschweig du TNS correspondant aux deux lectures analytiques du Misanthrope.
- Lecture cursive: "Art" de Y. Reza.
Séquence : le théâtre : texte et représentation. Lecture analytique 4 : le dénouement du Misanthrope de Molière (1666). Acte V scène dernière.
CELIMENE ...
Je sais combien je dois vous paraître coupable,
Que toute chose dit que j'ai pu vous trahir,
Et qu'enfin, vous avez sujet de me haïr.
Faites-le, j'y consens.
ALCESTE
Hé ! le puis-je, traîtresse,
Puis-je, ainsi, triompher de toute ma tendresse?
Et quoique avec ardeur, je veuille vous haïr,
Trouvé-je un cœur, en moi, tout prêt à m'obéir?
(À Éliante et Philinte.)
Vous voyez ce que peut une indigne tendresse,
Et je vous fais tous deux témoins de ma faiblesse.
Mais, à vous dire vrai, ce n'est pas encor tout,
Et vous allez me voir la pousser jusqu'au bout,
Montrer que c'est à tort, que sages on nous nomme,
Et que, dans tous les cœurs, il est toujours de l'homme.
(à Célimène)
Oui, je veux bien, perfide, oublier vos forfaits,
J'en saurai, dans mon âme, excuser tous les traits,
Et me les couvrirai du nom d'une faiblesse,
Où le vice du temps porte votre jeunesse;
Pourvu que votre cœur veuille donner les mains1
Au dessein que j'ai fait de fuir tous les humains,
Et que, dans mon désert2, où j'ai fait vœu de vivre,
Vous soyez, sans tarder, résolue à me suivre.
C'est par là seulement que, dans tous les esprits,
Vous pouvez réparer le mal de vos écrits,
Et qu'après cet éclat, qu'un noble cœur abhorre,
Il peut m'être permis de vous aimer encore.
CÉLIMÈNE
Moi, renoncer au monde avant que de vieillir!
Et dans votre désert aller m'ensevelir!
ALCESTE
Et s'il faut qu'à mes feux votre flamme réponde,
Que vous doit importer tout le reste du monde?
Vos désirs avec moi ne sont-ils pas contents3?
CÉLIMÈNE
La solitude effraye une âme de vingt ans;
Je ne sens point la mienne assez grande, assez forte,
Pour me résoudre à prendre un dessein de la sorte.
Si le don de ma main peut contenter vos vœux,
Je pourrai me résoudre à serrer de tels nœuds:
Et l'hymen...
ALCESTE
Non : mon cœur à présent vous déteste4,
Et ce refus lui seul fait plus que tout le reste.
Puisque vous n'êtes point, en des liens si doux,
Pour trouver tout en moi, comme moi tout en vous,
Allez, je vous refuse, et ce sensible outrage,
De vos indignes fers pour jamais me dégage.
(Célimène se retire, et Alceste parle à Éliante.)
Madame, cent vertus ornent votre beauté,
Et je n'ai vu qu'en vous de la sincérité:
De vous, depuis longtemps, je fais un cas extrême,
Mais laissez-moi toujours vous estimer de même:
Et souffrez que mon cœur, dans ses troubles divers,
Ne se présente point à l'honneur de vos fers;
Je m'en sens trop indigne, et commence à connaître
Que le Ciel pour ce nœud ne m'avait point fait naître;
Que ce serait pour vous un hommage trop bas,
Que le rebut d'un cœur 5qui ne vous valait pas:
Et qu'enfin...
ÉLIANTE
Vous pouvez suivre cette pensée,
Ma main, de se donner, n'est pas embarrassée ;
Et voilà votre ami, sans trop m'inquiéter,
Qui, si je l'en priais, la pourrait accepter.
PHILINTE
Ah! cet honneur, Madame, est toute mon envie,
Et j'y sacrifierais et mon sang, et ma vie.
ALCESTE
Puissiez-vous, pour goûter de vrais contentements,
L'un pour l'autre, à jamais, garder ces sentiments !
Trahi de toutes parts, accablé d'injustices,
Je vais sortir d'un gouffre où triomphent les vices;
Et chercher sur la terre, un endroit écarté,
Où d'être homme d'honneur, on ait la liberté.
PHILINTE
Allons, Madame, allons employer toute chose,
Pour rompre le dessein que son cœur se propose.
Lecture analytique dénouement misanthrope.
Cette dernière appelée comme telle par Molière qui lui donne un aspect conclusif volontairement donc. Deuxième fois que tous les personnages sont réunis (1ère fois: la scène des portraits). Inversion des rapports de force puisque Célimène est l'auditrice de ses propres satires. On passe du côté de la vérité pour en finir avec les faux-semblants: ironique car ce dévoilement de la vérité vient des marquis soumis à la tyrannie du paraître des courtisans.
La scène se vide peu à peu: les soupirants dupés se retirent avec mépris. Le désert se fait autour de la jeune femme avant que ce même désert ne lui soit concrètement proposé par Alceste.
Un dénouement de comédie? de tragédie?
Deux couples antithétiques: Alceste/ Célimène; Eliante/Philinte.
1) le couple Célimène/ Alceste.
- Célimène: accepte sa défaite complète et humiliante avec l'impératif: "faites-le, j'y consens". Elle ne combat plus et sait qu'elle est morte socialement. victime offerte à la colère d'Alceste: voc de la culpabilité à la rime: "coupable", "trahir", "haïr", même si elle sous entend que les apparences peuvent être encore trompeuses: "paraître", "toute chose dit". Elle n'a pas daigné s'adresser aux autres accusateurs mais elle prend la parole pour légitimer la colère d'Alceste: elle le distingue donc ce qui montre sa valeur à ses yeux.
- Alceste: le sauveur d'une femme humiliée.
- Cependant, narcissisme de la mise en scène chez Alceste:
= contradictions internes dans cette proposition: Alceste insiste déjà sur le "jeunesse" de Célimène. De plus, on retrouve ce paradoxe de se retirer dans un désert pour montrer au monde qu'on le fait! (devant Eliante et Philinte et devant les "esprits").
- les multiples refus: des attitudes en miroir:
Cependant, tente d'adoucir son refus: dignité dans la réponse franche: "la solitude effraye une âme de vingt ans". La négation "je ne sens point la mienne" marque l'indépendance et donc la modernité du personnage de Célimène. Elle propose le mariage "noeuds", "hymen".
= Célimène était rejetée et exclue au début du texte. Elle rejette Alceste et retrouve sa noblesse.
Alceste se posait en sauveur, rejetait l'humanité et se voit rejeté par Célimène et Eliante.
Eliante et Philinte, rejetés par Alceste, l'excluent de fait par la formation de leur couple.
2) Alceste, intrus dans le couple Eliante/ Philinte.
Deux interprétations possibles:
- la renonciation: Alceste se délie de l'amour d'Eliante: des négations "ne se présente point", "qui ne vous valait pas", "ne m'avait point fait naître". Prononce une sorte de voeu de célibat.
- cependant, on peut aussi interpréter sa tirade comme une volonté de se tourner vers Eliante pour remplacer Célimène (une sorte de double langage alors). On retrouve le vocabulaire précieux de l'amour avec les hyperboles "cent vertus" v. 42, l'éloge de la sincérité d'Eliante, vertu prisée par Alceste. Beauté physique et morale qui rendent Eliante unique..."je fais un cas extrême"
- face au refus d'Eliante, Alceste se drape dans une dignité humiliée. Il bénit amèrement le nouveau couple avec une pointe de jalousie comme peut le montrer l'exclamation et le subjonctif de souhait: "Puissiez-vous", "garder ces sentiments!".
On retrouve le Alceste de la scène d'exposition (structure circulaire de la pièce) qui se pose en victime: "trahi de toute part, accablé d'injustices": rythme binaire renforçant les exagérations et montrant l'acharnement qu'il subit. Se met en scène pour peut-être qu'on le retienne.
Contradiction de sa dernière tirade: comment être "homme d'honneur" dans la solitude? L'honneur est une vertu éminemment sociale.
3) le couple Eliante/ Philinte: la victoire de l'amour généreux et altruiste.
- Eliante utilise une litote: "n'est pas embarrassée", "sans trop m'inquiéter" (avec une diérèse). C'est le langage de la raison, qui fuit les excès. La modération l'emporte sur les extravagances comiques d'Alceste discrédité.
- lexique de l'amour chez Philinte "honneur", "mon envie", "mon sang", "ma vie": vocabulaire traditionnel amoureux. Cependant, derniers vers teintés d'inquiétude. Le départ d'Alceste peut sonner comme une volonté de suicide. La comédie frôle la tragédie.
Descriptif sur le roman et ses personnages.
Etude d'une œuvre intégrale : Réparer les vivants de M. de Kerangal (2014). Edition « Folio ».
Quelles représentations de la mort le roman peut-il nous donner à travers ses personnages ?
Lectures analytiques :
- la « belle mort » : de « Thomas lave le corps » à « celui du chant et de l’écriture. » pages 287-288.
- la fin : « - Feu ! » à « Il est cinq heures quarante-neuf. » pages 298-299.
- le don: « Thomas verse de l'eau dans les verres » à « puisque le « rien » est impensable » pages 125-126.
- la mort du fils du juge Othon : « Le docteur serrait avec force la barre du lit où gémissait l'enfant. » à « une pose de crucifié grotesque. ».
Synthèse : quel est selon vous le texte intrus du corpus ?
Activités complémentaires :
- Analyse de La Lamentation sur le Christ mort de Mantegna (1480)
- Extrait de la fin du film Réparer les vivants de K. Quillévéré
- Extrait de L'Iliade d'Homère « La belle mort ».
- Textes complémentaires sur la mort de l'enfant : la mort de Gavroche dans les Misérables de Hugo et la mort de Jacques dans l'Oeuvre de Zola.
- Lecture cursive : La Peste de Camus.
- Les élèves ont réfléchi en ECJS sur le don d'organes avec leur professeur de SES.
Séquence 4 : les personnages de roman.
Réparer les vivants, Maylis de Kerangal. Texte 1.
Thomas lave le corps, ses mouvements sont calmes et déliés, et sa voix qui chante prend appui sur le cadavre pour ne pas défaillir tout comme elle se dissocie du langage pour s'affermir, s'affranchit de la syntaxe terrestre pour aller se placer en ce lieu exact du cosmos où se croisent la vie et la mort : elle inspire et expire, inspire et expire, inspire et expire ; elle convoie la main qui revisite une dernière fois le modelé du corps, en reconnaît chaque pli et chaque espace de peau, y compris ce tatouage en épaulière1, cette arabesque d’un noir émeraude qu'il avait fait inscrire dans sa chair l'été où il s'était dit que son corps était à lui justement, que son corps exprimait quelque chose de lui. Thomas comprime maintenant les points de ponction qui subsistent à l'endroit où les cathéters perçaient l'épiderme, il lange le garçon dans un change, et même il le recoiffe de manière à faire rayonner sa figure. Le chant s’amplifie encore dans le bloc opératoire tandis que Thomas enveloppe la dépouille dans un drap immaculé – ce drap qui sera noué ensuite autour de la tête et des pieds -, et l’observant travailler, on songe aux rituels funéraires qui conservaient intacte la beauté du héros grec venu mourir délibérément sur le champ de bataille, ce traitement particulier destiné à en rétablir l’image, afin de lui garantir une place dans la mémoire des hommes. Afin que les cités, les familles et les poètes puissent chanter son nom, commémorer sa vie. C’est la belle mort, c’est un chant de belle mort. Non pas une élévation, l’offertoire2 sacrificiel, non pas une exaltation de l’âme du défunt qui nuagerait en cercles ascendants vers le Ciel, mais une édification : il reconstruit la singularité de Simon Limbres. Il fait surgir le jeune homme de la dune un surf sous le bras, il le fait courir au-devant du rivage avec d’autres que lui, il le fait se battre pour une insulte, sautillant les poings à hauteur du visage et la garde serrée, il le fait bondir dans la fosse d’une salle de concert, pogoter comme un fou et dormir sur le ventre dans son lit d’enfant, il lui fait tournoyer Lou – les petits mollets voltigeant au-dessus du parquet –, il le fait s’asseoir à minuit en face de sa mère qui fume dans la cuisine pour lui parler de son père, il lui fait déshabiller Juliette et lui tendre la main pour qu’elle saute sans crainte du mur de la plage, il le propulse dans un espace post mortem que la mort n’atteint plus, celui de la gloire immortelle, celui des mythographies, celui du chant et de l’écriture.
1Pièce ronde de l'armure qui couvrait l'épaule.
2Partie de la messe qui correspond à la bénédiction du pain et du vin.
Lecture analytique texte 1 Réparer.
1) Une scène de toilette mortuaire, de soins funèbres.
- des actions au présent qui nous plonge dans la scène, comme "lave" l. 1 ou "comprime maintenant" l. 10. La scène se joue sous nos yeux: nous sommes spectateurs, témoins extérieurs, comme l'indique la posture du narrateur "en l'observant travailler"l. 15.
- une scène muette: aucun mot n'est prononcé. Le chant est omniprésent l. l. 1, 2, 13, 20 et dernière ligne, ce qui donne à la scène un aspect solennel et sacré. C'est un hommage au-delà des mots: "se dissocie du langage" , "s'affranchit de la syntaxe" l. 3. Thomas et l'auteur auront deux rôles parallèles: chanter et écrire, réunis ensemble à la fin du texte: "celui du chant et de l'écriture" l. 34.
- vocabulaire médical présent avec "points de ponction" l. 10, "cathéters perçaient l'épiderme" l. 11. Des sonorités dures et agressives en [p], [k] et [t] avec "comprime", "points", "ponction", "cathéters", "perçaient", "épiderme" l. 10-11. Violence de l'acte chirurgical du prélèvement d'organes assimilé à un combat "perçaient" l. 11, "champ de bataille" l. 17. Un corps outragé.
- Thomas porte une attention méticuleuse et respectueuse à ce corps brutalisé: gestes de douceur avec la répétition de "chaque": "chaque pli", "chaque espace de peau" l. 7. Grande pudeur. Un aspect protecteur également avec le drap "immaculé" qui renvoie à la purification, à la blancheur de l'innocence. Des sonorités en [p] et en [d]: "enveloppe", "dépouille", "drap" l. 14: une sorte de gravité dans ce geste ancestral du linceul. Le "drap" rappelle aussi le chant de Thomas qui "enveloppe" aussi le corps et la scène. Enfin, le drap est aussi un "change" qui "lange" le "garçon". La rime interne fait entendre "ange" et ramène Thomas à des fonctions de maïeuticien: il semble accoucher de Simon Limbres (dont le nom est formé sur les "limbes": lieu mythologique , séjour des âmes des enfants morts sans baptême).
- le corps de Simon est un objet: en position objet dans "Thomas lave le corps" l. 1, "le cadavre" l. 2, "la dépouille" l. 14. Simon est sans vie. Cependant, au fil du texte, Simon en position sujet: "qu'il avait fait inscrire dans sa chair" l. 8, insistance sur "lui" répété l. 9-10 + phrase finale avec énumération de verbes d'actions comme "surgir", "courir", "se battre" ou "bondir": une énergie vitale qui contraste avec l'idée de la mort. L'oxymore: "belle mort" répété l. 20 rejoint la tradition antique de conserver la beauté du corps du héros mort au combat pour pouvoir perpétuer sa mémoire. Lexique de la beauté révélée par la gestuelle de Thomas: "cette arabesque d'un noir émeraude" l. 8 qui contraste au niveau des couleurs avec "faire rayonner sa figure" l. 12, "beauté du héros grec" l. 16, "belle mort". Simon devient une sorte de demi-dieu dont Thomas est le psychopompe (Thomas Rémige = ramage = chant des oiseaux = voir sur le vase du doc complémentaire: Hypnos et Thanatos sont ailés).
2) Une mort sublimée et magnifiée.
Une scène qui prend une dimension universelle, existentielle. On assiste à un élargissement:
- au niveau spatial: on passe du réalisme du "bloc opératoire" l. 13 à un espace plus irréel et sans limite: "lieu exact du cosmos où se croisent la mort et la vie" l. 4 et "un espace post mortem que la mort n'atteint plus" l. 33. Hyperbole impressionnante qui montre aussi un dépassement des frontières entre la mort et la vie. Thomas le "propulse" alors qu'il s'apprête à l'enterrer.
- au niveau temporel: abolition des frontières entre le passé, le présent et le futur pour atteindre l'éternité: "mémoire des hommes" l. 19, "commémorer sa vie" l. 20, "gloire immortelle" l. 33. Le rituel funéraire fait aussi le lien entre l'Antiquité et la modernité. De plus, le chant de Thomas relie aussi la mort de Simon avec sa naissance "il lange le garçon dans un change", "lit d'enfant" l. 28, "sa mère", "son père" l. 30.
- élargissement de l'individuel à l'universel: on note la présence de pluriels: "la mémoire des hommes" l. 19, "les familles" l. 19 s'oppose à "sa mère", "son père", "Lou" l. 28-30, "les poètes puissent chanter son nom" l. 20 s'oppose au singulier de "sa voix" (à Thomas). Simon bascule dans le mythe, qui appartient à tous. Rejet assez fort de la religion de la part du narrateur avec les négations "non pas une élévation", "non pas une exaltation de l'âme" l. 21-22. Le vocabulaire religieux comme "Ciel" avec une majuscule qui connote Dieu l. 23, "offertoire sacrificiel" est discrédité et vivement critiqué par le conditionnel "nuagerait" l. 22 qui renvoie à l'ascension du Christ. Au contraire, le terme "édification" l. 23 suggère que Simon est une sorte d'exemple de vie qui n'a rien à voir avec la religion ni avec la douleur.
- amplification du chant: le souffle épique: répétition : "inspire et expire" l. 5 comme un souffle de vie.
* progression du chant de Thomas: "sa voix qui chante prend appui" l. 1-2, "pour s'affermir" l. 3, "le chant s'amplifie" l. 13. C'est le chant de l'aède qui célèbre les exploits guerriers du héros. Cette amplification s'accompagne d'un allongement des phrases, notamment la dernière, fondée sur la répétition "il le/lui fait" typique du style épique qui retrace les exploits du héros.
* La dernière phrase: un sommaire marqué par l'énumération rapides de moments intimes de la vie de Simon qui "tournoient" (voir l. 28)
1) des actions qui n'ont rien d'exceptionnel en apparence: elles peuvent être ridicules et comiques "sautillant les poings à hauteur du visage", parodiant ainsi les grands combattants, il s'agit d'actions modernes évoquées avec un vocabulaire concret comme "surf" l. 24, "pogoter comme un fou"l. 27, dans un espace banal comme "la cuisine", "voltigeant au dessus du parquet" l. 29-30, dans la sphère familiale et privée "déshabiller Juliette", "sa mère qui fume".
2) cependant, ces actions montrent les qualités physiques et morales de Simon, jeune homme présenté comme conquérant de la vie, dans la splendeur de sa jeunesse: sa générosité "lui fait tournoyer Lou", sa tendresse avec Juliette (dimension sexuelle, symbolique du "mur de la plage" comme passage initiatique accompagné par Simon), le lexique de la mer avec "dune", "surf", "rivage", "plage" = l'Odyssée d'Ulysse. Enfin, le tatouage "en épaulière" transforme Simon en guerrier épique.
Lecture analytique La Peste: l'agonie du fils Othon. Une lecture éprouvante et difficilement supportable.
- Le rythme de l'agonie:
Une scène au plus proche de la réalité que l'on suit "minute après minute" l. 11: de nombreux indicateurs temporels= forte tension dramatique.
Une alternance de moments de "crise" l. 27 et de moments de répit "il se détendit un peu" l. 20 qui cache ironiquement une issue tragique: "où le repos ressemblait déjà à la mort" l. 22, "grève" "empoisonnée" l. 23: 3 attaques entrecoupées par des pauses "se détendit" répété l. 5 et 20:
- une accélération dans le premier paragraphe "brusquement" l. 2, "plus vite" l. 7
- une deuxième crise: "à nouveau" l. 16
- une dernière crise: "pour la troisième fois" l. 23.
Une alternance de lenteur "lentement" l. 4, "si longuement" l. 15, "longues secondes" l. 17, "depuis le matin" l. 11 et de rapidité: "plus vite" l. 7, "agita" l. 25 qui témoigne de l'intensité du martyre. Progression très rapide et invincible de la maladie: "en quarante huit heures" l. 28 qui contraste avec la longueur de l'épidémie: "depuis des mois" l. 9
- une souffrance physique perceptible:
Un lexique de la souffrance et de la mort très présent et crescendo: "mourir" l. 9, "agonie" l. 15, "mort" l. 22, "leurs souffrances" l. 10, "douleur" l. 12, "épuisé l. 27, des détails parlants comme "les dents de nouveaux serrées" l. 3 ou "crispant ses jambes osseuses" l. 28. Le texte s'inscrit d'emblée dans une tonalité tragique. Les sonorités en [k] accentuent l'intensité de la douleur: "creusé" l. 3, "écartant" l. 3, "recroquevilla" l. 24 ou "crispant" l. 27. Les symptômes de la maladie retranscrits de façon objective, neutre et simple (absence de ponctuation expressive), ce qui rend la description encore plus forte: la sudation "aigre sueur" l. 5, les convulsions "frissons", "tremblements" l. 18, la "fièvre" l. 20.
Un corps désarticulé, un pantin: lexique du corps très présent: "les bras et jambes" l. 6, "tête" l. 25, "son visage" l. 27...Un corps déformé par la maladie, déshumanisé et monstrueux: les adjectifs: "visage plombé" l. 27, "jambes osseuses" l. 28, "bras dont la chair avait fondu" l. 28. Le verbe "creuser" est repris deux fois l. 3 et 17. La peste comparée à une bête sauvage prédatrice, sans visage et sans pitié, et l'enfant une proie avec la comparaison: "comme mordu à l'estomac" l. 16.
L'enfant est condamné à la passivité, en position objet "l'atteignit", "le souleva" l. 23 alors que la peste en position sujet semble toute puissante et aveugle "la terreur [...] ne choisissait pas" l. 10. Les rapports de force sont inégaux, l'enfant étant qualifié de "petit" par deux fois l. 2 et 4. Sa nudité renforce sa fragilité et sa vulnérabilité. Il est seul dans son combat dont l'espace est délimité par "la barre du lit" l. 1. Les "grosses larmes" de la fin renforcent l'image pathétique de la victime innocente. L'écho sonore "grêle" l. 17 et "frêle" l. 18 produit un effet d'attendrissement affectif.
Des mouvements incontrôlés, signes d'un corps torturé: des oppositions "écartant" l. 3 / "recroquevilla" l. 24, "se raidit" l. 2/ "se détendit" l. 5 et 20; des compléments circonstanciels de lieu et de manière qui montrent le délire "follement" que l'enfant subit: "vers le centre du lit" l. 6, "recula au fond du lit" l. 24, "en rejetant sa couverture" l. l. 25, "prit dans le lit dévasté une pose de crucifié grotesque" l. 29. Le lit devient le champ de bataille d'une lutte jouée d'avance. Beaucoup de verbes d'actions et des énumérations qui montrent l'agitation du malade, dépossédé de tout contrôle sur lui-même, le rythme est haletant et saccadé: par exemple dans la 2ème phrase: "raidit", "creusa", "écartant".
- la souffrance morale
Lexique de la panique "terreur" l. 9 et "épouvante" l. 24: scène cauchemardesque.
Des notations sensorielles qui nous aident à nous imaginer concrètement la scène et nous faire ressentir l'horreur de la situation:
- les sons: "gémissait" l. 1, "gémissement grêle" l. 17: des bruits étouffés. Une scène sans mot: "muet" l. 7, "Rieux rencontra le regard de Tarrou qui détourna les yeux" l. 8: douleur au-delà des mots. Les spectateurs dans un état de sidération.
- les odeurs: "une odeur de laine et d'aigre sueur" l. 5
- la vue, celle des témoins, happés par la scène:"il ne quittait pas des yeux" l. 1 "le regard" l. 7, "les yeux" l. 8, "vu" l. 9, "regardé" l. 15. Le spectacle de l'enfant lui-même "aveugle" et "muet" l. 7-8 impose le décuplement des sens des vivants qui doivent regarder la vérité en face l. 15: il y a comme une sorte d'injonction impérieuse imposée aux témoins qui ne peuvent plus se protéger derrière l'écran d'une abstraction.
Impuissance des spectateurs contraints d'assister à la scène sans pouvoir intervenir. Sentiment de honte "qui détourna les yeux" l. 8. Rieux s'identifie à la petite victime: empathie: répétition du verbe "serrer": "le docteur serrait avec force" l; 1 et "les dents de nouveau serrées" l. 3.
- un agrandissement épique de la scène. Une dimension universelle de la fragilité de l'homme face à l'absurdité de sa condition.
- détail de la couverture militaire l. 5 qui peut faire penser à une lutte. De même, le personnage est désigné sans prénom: "l'enfant" l. 1 ou "le docteur". Le combat de l'enfant revêt une dimension générale posant la question de l'Homme.
- La peste est comparée à une tempête dont la violence rappelle une scène apocalyptique d'éléments déchaînés de la ligne 19 à 22:
* l'enfant est un navire: "carcasse", "craquait": l'allitération en [k] fait entendre le craquement. La métaphore maritime rappelle l'odyssée d'Ulysse: "grève humide".
* mélange des deux éléments: l'eau "flot", "grève humide" et le feu "flamme qui le brûlait", l'oxymore "flot brûlant". Le vent contribue à cette vision infernale et tourmentée: "vent furieux", "les souffles" (pluriel), "la bourrasque": la peste s'acharne, laissant sa victime "épuisé", "haletant" l. 21.
* le style de l'écriture rend compte de l'épreuve subie: la phrase l. 19 "la frêle carcasse pliait sous le vent furieux de la peste et craquait sous les souffles répétés de la fièvre" : parallélisme de construction + allitérations traduisent la tempête.
On peut aussi penser au mythe de Prométhée (morsure à l'estomac).
- Image finale du "crucifié grotesque": oxymore avec le mélange antithétique du sacré et du ridicule (rejet de la religion et de la thèse de Paneloux). La souffrance n'a aucun sens, aucun but, aucune grandeur. C'est un "scandale" 13 c'est-à-dire une déroute de la raison. L'absence de sens et de dieu nourrit la révolte de Camus/Rieux/l'Homme.
Séquence : les personnages de roman. La Peste, Camus. 1947
Le docteur serrait avec force la barre du lit où gémissait l'enfant. Il ne quittait pas des yeux le petit malade qui se raidit brusquement et, les dents de nouveau serrées, se creusa un peu au niveau de la taille, écartant lentement les bras et les jambes. Du petit corps, nu sous la couverture militaire, montait une odeur de laine et d'aigre sueur. L'enfant se détendit peu à peu, ramena bras et jambes vers le centre du lit et, toujours aveugle et muet, parut respirer plus vite. Rieux rencontra le regard de Tarrou qui détourna les yeux.
Ils avaient déjà vu mourir des enfants puisque la terreur, depuis des mois, ne choisissait pas, mais ils n'avaient jamais encore suivi leurs souffrances minute après minute, comme ils le faisaient depuis le matin. Et, bien entendu, la douleur infligée à ces innocents n'avait jamais cessé de leur paraître ce qu'elle était en vérité, c'est-à-dire un scandale. Mais jusque-là du moins, ils se scandalisaient abstraitement, en quelque sorte, parce qu'ils n'avaient jamais regardé en face, si longuement, l'agonie d'un innocent.
Justement l'enfant, comme mordu à l'estomac, se pliait à nouveau, avec un gémissement grêle1. Ilresta creusé ainsi pendant de longues secondes, secoué de frissons et de tremblements convulsifs,comme si sa frêle carcasse pliait sous le vent furieux de la peste et craquait sous les souffles répétés de la fièvre. La bourrasque passée, il se détendit un peu, la fièvre sembla se retirer et l'abandonner, haletant, sur une grève humide et empoisonnée où le repos ressemblait déjà à la mort. Quand le flot brûlant l'atteignit à nouveau pour la troisième fois et le souleva un peu, l'enfant se recroquevilla, recula au fond du lit dans l'épouvante de la flamme qui le brûlait et agita follement la tête, en rejetant sa couverture. De grosses larmes, jaillissant sous les paupières enflammées, se mirent à couler sur son visage plombé, et, au bout de la crise, épuisé, crispant ses jambes osseuses et ses bras dont la chair avait fondu en quarante huit heures, l'enfant prit dans le lit dévasté une pose de crucifié grotesque.
1Son aigu et peu intense.
Séquence 4 : les personnages de roman.
Réparer les vivants, Maylis de Kerangal. Texte 2 pages 298-299.
- Feu !
Alors, le coeur se contracte, un tressaillement, puis ce sont des secousses quasi imperceptibles, mais que l'on peut voir si l'on s'approche, ces faibles battements, et l'organe peu à peu recommence à pomper le sang dans le corps, et il reprend sa place, puis ce sont des pulsations régulières, étrangement rapides, qui bientôt forment un rythme et leur frappe évoque celle du coeur d'un embryon, cette saccade que l'on perçoit lors de la première échographie, et c'est bien la frappe initiale qui se fait entendre, la première frappe, celle qui signe l'aube.
Claire a-t-elle entendu le chant de Thomas Remige dans ses songes anesthésiques, ce chant de la belle mort ? A-t-elle entendu sa voix dans la nuit de quatre heures du matin alors qu'elle recevait le coeur de Simon Limbres ? Elle est placée sous assistance extracorporelle pendant encore une demi-heure, puis recousue elle aussi, écarteurs à crémaillère relâchant les tissus pour une délicate suture de demoiselle, et demeure au bloc sous surveillance, entourée des écrans noirs où tracent les vagues lumineuses de son coeur, le temps que son corps récupère, le temps que l'on range la pièce en démence, le temps que l'on dénombre les ustensiles et les compresses, et que l'on efface le sang, le temps que l'équipe se disloque, et que chacun ôte ses vêtements de bloc et se rhabille, se passe de l'eau sur la figure et se nettoie les mains, puis quitte l'enceinte de l'hôpital pour aller attraper le premier métro, le temps qu'Alice reprenne des couleurs et risque un sourire tandis qu'Harfang lui glisse à l'oreille, alors, petite Harfanguette, qu'est-ce que tu dis de tout ça ?, le temps que Virgilio relève sa charlotte et abaisse son masque, se décide à lui proposer d'aller prendre une bière du côté de Montparnasse, une assiette de frites, une entrecôte saignante histoire de rester dans l'ambiance, le temps qu'elle revête son manteau blanc et qu'il en caresse le col animal, le temps enfin que le sous-bois s'éclaire, que les mousses bleuissent, que le chardonnet chante et que s'achève le grand surf dans la nuit digitale. Il est cinq heures quarante-neuf.
Lecture analytique: dernière page de Réparer les vivants.
1) la fin d'un combat épique.
- première phrase: injonction frappante car monosyllabe renforcé par ponctuation expressive. Fait référence aux chocs électriques pour relancer les mouvements du coeur. Suggère aussi un commandement militaire, le tir d'armes à feu.
Paradoxe ici car il s'agit d'un combat qui est le contraire d'une exécution: redonne la vie à Claire Méjean.
L'"aube" l. 9 annonce la fin du combat: la paix, le calme retrouvé. Atmosphère sereine. C'est un mot qui rappelle aussi les épopées d'Homère: "l'aube aux doigts de rose": métaphore employée dans l'Iliade et l'Odyssée.
- le bloc ressemble à un champ de bataille après la bataille:
* le vocabulaire médical très concret et réaliste des instruments de chirurgie = des armes: allitérations en [k]: "écarteurs à crémaillère" l. 14, "bloc" l. 15, "écrans noirs" l. 16, "compresses" l. 19. Le verbe "dénombrer" dans la phrase "on dénombre les ustensiles" l. 18 fait penser à l'expression "dénombrer les morts"
* le personnel hospitalier retire son uniforme: "chacun ôte ses vêtements de bloc" l. 20, "relève sa charlotte et abaisse son masque" l. 25: Virgilio ressemble à un combattant qui enlève son armure. Le terme "enceinte" l. 21 pour parler de l'hôpital suggère la défense d'une place forte.
* une scène de nettoyage qui rappelle aussi un rituel de purification: toute trace du combat est enlevée: allitération en [s]: "efface le sang" l. 19, "se passe de l'eau sur la figure et se nettoie les mains"l. 21. On doit "ranger la pièce en démence" l. 18: la métaphore "démence" = le désordre témoin de l'intensité de la bataille.
* la différence avec un champ de bataille, c'est que le corps allongé n'est pas mort et qu'il est l'objet de tous les soins: "elle est placée sous assistance extracorporelle" l. 13: fragilité, vulnérabilité du corps de Claire que l'on protège comme quelque chose de précieux. La vie est au centre du texte.
= c'est le retour à la vie civile pour l'équipe soignante qui n'est plus considérée comme une armée "l'équipe se disloque" l. 19 mais comme des individus: beaucoup de noms propres vers la fin du texte: "Alice" l. 22, "Harfang" l. 23, "Virgilio" l. 24 référence à l'auteur Virgile, auteur de l'Enéide, équivalent romain de l'épopée de L'Iliade.
= le narrateur externe semble faire partie de l'équipe comme le montre le pronom "on": "on peut voir si l'on s'approche" l. 2: narrateur témoin et spectateur de la scène. Effet de véracité.
2) la vie reprend ses droits.
- Le texte accorde une grande place au rythme: le rythme de la phrase se calque sur le rythme du coeur de Claire:
* dans le premier paragraphe:
- de multiples adverbes de temps comme "alors" l. 2, "puis" l. 2 et 5, "peu à peu" l. 4, "bientôt" l. 6: indique une progression visible aussi dans la gradation du rythme crescendo: "tressaillement" l. 1, "secousses quasi imperceptibles" l. 2, "ces faibles battements" l. 3, "pulsations régulières" l. 6, "étrangement rapides" l. 6, "saccade" l. 7, "frappe" répétée l. 8 et 9. Le lien avec la musique est renforcée par l'allusion au "chant" de Thomas Rémige l. 10 et 11.
- champ lexical du commencement: l'adjectif "premier" est répété trois fois l.8, 9 et 22, "initiale" l. 8, "embryon" l. 7 et "échographie" l. 8: ce vocabulaire fait référence à la naissance. On note aussi le préfixe en "re" avec "recommence" l. 4 et "reprend" l. 5 comme un retour à la normal après l'épreuve. Le verbe "reprenne des couleurs" l. 22 attribuée à Alice montre son identification à Claire.
* la répétition quasi entêtante "le temps que" qui ponctue le dernier paragraphe: donne un rythme régulier au texte symbolique du coeur qui bat.
- une grande importance accordée aux sens:
* la vue: lexique des couleurs "blanc" l. 28 qui s'oppose à "noirs" des écrans de l'hôpital, "bleuissent" l. 29. Le lexique de la lumière est également présent "vagues lumineuses" l. 16, "le sous-bois s'éclaire" l. 29. On note cependant l'opposition entre la lumière artificielle du bloc et la lumière naturelle de l'"aube".
* le toucher souligné par l'allitération en [s]: "il en caresse le col animal" l. 28, "mousses" l. 29. La sensualité et la douceur perceptible est celle d'un couple qui se forme (Alice/ Virgilo qui se "décide à lui proposer" l. 25, preuve que la vie reprend ses droits). Le manteau blanc d'Alice est une référence à la chouette harfang d'un blanc immaculé.
* l'ouïe: on note là aussi l'évolution du "chant" de Thomas Rémige au chant du "chardonnet" l'oiseau.
* le goût: lexique de la nourriture "bière" l. 24, "frites", "entrecôte" l. 26.
= élargissement et ouverture de l'espace du huis clos du "bloc" à la ville "Montparnasse" l; 26 pour finir dans un espace indéfini, naturel et poétique du "sous-bois" l. 28, marqué par la présence du végétal "mousses". Mélange des espaces naturels car référence également au milieu maritime avec le lexique de la mer "vagues" l. 16, "grand surf" l. 30. Sensation de liberté, de détente et d'apaisement: "attraper le premier métro" l. 22. Les sentiments osent s'exprimer.
Le décor final un peu féerique, onirique (issu des "songes" de Claire l. 10?) et surprenant rappelle le poème de Rimbaud: "Le dormeur du val" qui associe également la nature et la mort:
"C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit."
- l'humour et la légèreté du ton qui contraste avec la tension et la dramatisation de la transplantation du coeur.
* un texte polyphonique où l'on entend plusieurs voix insérées dans la narration: celle de Harfang: "petite Harfanguette, qu'est-ce que tu dis de tout ça?" l. 23: la question, le ton familier et hypocoristique (appellation familière et affective): Alice vient de vivre une épreuve initiatique (sa première transplantation) qui rappelle son rapport à Alice au pays des merveilles.
* l'expression "suture de demoiselle" l. 15 ainsi que le clin d'oeil malicieux: "entrecôte saignante histoire de rester dans l'ambiance" l. 27 sont autant de paroles caractéristiques de l'humour potache du milieu médical: décompression nécessaire.
3) Une fin ouverte.
- la réunion des principaux personnages comme le dénouement d'une pièce: les personnages ressemblent aussi à des acteurs qui ont terminé une représentation, qui enlèvent leur costume et se démaquillent.
* le début du roman d'Alice: une intrigue commence à se nouer: histoire d'amour avec Virgilio et histoire de reconnaissance familiale avec Harfang. Alice est une héroïne d'un roman initiatique qui se dessine.
* le lien entre Simon et Claire:
- le chant de Thomas tisse le lien entre les deux personnages l. 10 et 11.
- le corps de Claire ressemble à celui de Simon: "puis recousue elle aussi" l. 14. Le corps de Claire est transfiguré et rajeunit "suture de demoiselle" l. 15 en rappel à la "belle mort".
- les allusions à la mer prouvent également la présence persistante de Simon: la métaphore "les vagues lumineuses de son coeur" l. 16, "le grand surf" l. 30.
- le roman se termine par une boucle: des rappels de la première page:
* "le grand surf" = la session de surf de Simon: le roman s'assimile à une grande vague traversée par Simon et qui s'achève à la dernière page, montrant que Simon, bien que mort, peut être considéré comme le héros du roman. Le dernier paragraphe constitué d'une seule longue phrase peut faire penser à cette vague de vie très forte, entraînant tout sur son passage.
* la nuit "digitale" = le réveil de Simon qui indique l'heure sous format digital. Cela peut être aussi une référence aux fleurs que l'amant de Claire répand sur son corps.
* l'heure de la dernière page: "cinq heures quarante-neuf" retour au "5.50" de la première page. Le roman s'est donc déroulé en 24 heures: une unité de temps qui rappelle les pièces classiques.
Séquence 4 : les personnages de roman.
Réparer les vivants, Maylis de Kerangal. Texte 3. pages 125-126.
Thomas verse de l'eau dans les verres, se relève pour fermer la fenêtre, traverse la pièce, et ce faisant observe ce couple, ne les lâche pas des yeux, cet homme et cette femme, les parents de Simon Limbres, et sûrement qu'en cet instant il s'échauffe mentalement, sachant qu'il s'apprête à les malmener, à inciser dans leur peine une interrogation qu'ils ignorent encore, à leur demander de réflechir et de formuler des réponses, quand ils sont zombies cognés de douleur, satellisés, et sans doute qu'il se prépare comme il se prépare à chanter, décontracte ses muscles, discipline sa respiration, conscient que la ponctuation est l'anatomie du langage, la structure du sens, si bien qu'il visualise la phrase d'amorce, sa ligne sonore, et apprécie la première syllabe qu'il prononcera, celle qui va fendre le silence, rapide, précise comme une coupure – l'estafilade plutôt que la craquelure sur la coquille de l'oeuf , plutôt que la lézarde grimpée sur le mur quand la terre tremble. Il commence lentement, rappelant avec méthode le contexte de la situation : je crois que vous avez compris que le cerveau de Simon était en voie de destruction ; néanmois ses organes continuent à fonctionner ; c'est une situation exceptionnelle. Sean et Marianne clignent des yeux, manière d'acquiescement. Thomas, encouragé, poursuit : j'ai conscience de la douleur qui est la vôtre, mais je dois aborder avec vous un sujet délicat – son visage est nimbé d'une lumière transparente et sa voix monte imperceptiblement d'un cran, absolument limpide quand il déclare :
- Nous sommes dans un contexte où il serait possible d'envisager que Simon fasse don de ses organes.
Bam. D'emblée, Thomas a posé sa voix sur la bonne fréquence et la pièce semble résonner comme un micro géant, un toucher de haute précision – roues du Rafale sur le pont d'envol du porte-avions, pinceau du calligraphe japonais, amortie du tennisman. Sean relève la tête, Marianne sursaute, tous deux chavirent leur regard dans celui de Thomas – ils commencent à entrevoir avec terreur ce qu'ils fabriquent ici, face à ce beau jeune homme au profil de médaille, ce beau jeune homme qui enchaîne avec calme. Je voudrais savoir si votre fils avait eu l'occasion de s'exprimer sur ce sujet, s'il lui est arrivé d'en parler avec vous.
Les murs valsent, le sol roule, Marianne et Sean sont assommés. Bouches bées, regards flottant au ras de la table basse, mains qui se tordent, et ce silence qui s'écoule, épais, noir, vertigineux, mélange l'affolement à la confusion. Un vide s'est ouvert là, devant eux, un vide qu'ils ne peuvent se figurer autrement que comme « quelque chose » puisque le « rien » est impensable.
Lecture analytique 4 Réparer.
Le mot qui retient l'attention: "Bam" l. 22:
- onomatopée monosyllabique qui contraste avec la longueur des phrases énumératives habituelles dans ce roman. Une rupture rythmique.
- premier mot d'un paragraphe: niveau de langue familier qui contraste avec l'intensité dramatique et la poésie du passage.
1) "Bam": une frappe chirurgicale qui atteint les parents au coeur.
= un coup porté aux parents déjà sous le choc, sonnés et hébétés "bouches bées" l. 30. On ressent la violence d'une déflagration avec le vocabulaire de la guerre: "Rafale" ou le parallèle avec le tremblement de terre l. 12. Le passage montre l'onde de choc de la proposition du don d'organes et ainsi assimile le destin des parents à celui de Simon leur fils car:
- les parents semblent vivre un accident de voiture: perte des repères"satellisés l. 6, "chavirent" l. 25, "assommés l. 30, énumération sans liaison "les murs valsent, le sol roule" l. 30. Ils semblent perdre connaissance: on relève l'allitération en [v]: "vertigineux" et "vide" l. 32. Le silence est assimilé au sang "qui s'écoule, épais, noir" l. 32.
- les parents subissent une opération: métaphore filée de l'acte chirurgical, une sorte d'opération à coeur ouvert réalisée par Thomas avec "inciser" l. 4, "anatomie" l. 8 ou la comparaison "comme une coupure". Ils sont également entre la vie et la mort "zombies" l. 6.
- les parents vivent une cruelle épreuve: Thomas fait de nouveau saigner une blessure, il ajoute de la douleur à la douleur: lexique de la souffrance psychologique au début et à la fin du texte: "peine" l. 4, "cognés de douleur" l. 9 puis "mains qui se tordent" l. 31. La proposition du don d'organes ajoute de l'angoisse, ils sombrent dans le chaos du "vide" existentiel: champ lexical de la peur: "terreur" l. 26 et "affolement" l. 32. Les parents deviennent des personnages tragiques, entre terreur et pitié, contraints de faire le deuil de leur fils en urgence. Thomas a conscience de la cruauté de leur destin: antithèse entre "leur peine" l. 4 (vocabulaire affectif) et "leur demander de réfléchir, de formuler des réponses" l. 5 (vocabulaire de la raison).
2) "Bam": Thomas a visé juste. Les parents de Simon sont une cible. La figure ambiguë de Thomas Rémige, entre ange et sirène.
- Le chant de la sirène: le vocabulaire du chant est présent l. 7.
* Thomas est à l'affût des parents de Simon et de leur moindre réaction: on remarque l'insistance "observe ce couple, ne les lâche pas des yeux, cet homme et cette femme, les parents de Simon Limbres" l. 2: il est encouragé par leur "acquiescement" l. 16. Il mesure ses actions pour installer une atmosphère intime de bien-être comme un metteur en scène: ses actions sont mûrement réfléchie: énumération de verbes d'action "verse de l'eau dans les verre, se relève pour fermer la fenêtre" l. 1.
L'échange avec les parents est très intense et repose sur du langage verbal et non verbal comme le regard: lexique de la vue important "yeux" l. 2, 16, "leur regard" l. 25. Les parents semblent aux abois, leur destin dépend de Thomas.
* la stratégie de Thomas:
Une phase de préparation: Thomas prend son élan: futur proche: "celle qui va fendre" l. 10, vocabulaire du début "phrase d'amorce" l. 9, "première syllabe" l. 10. Le début d'un discours est déterminant: forte tension dramatique de ce passage. Il prend des précautions oratoires avec le conditionnel "il serait" l. 20, "voudrais savoir" l. 28 ou l'expression "un sujet délicat" l. 18: montre un respect des parents.
La progression du discours: un crescendo: "lentement" l. 13, "poursuit" l. 16, "sa voix monte imperceptiblement d'un cran" l. 19, "enchaîne avec calme" l. 28, le verbe "enchaîner" peut être aussi compris au sens propre dans ce contexte. Les parents peuvent comprendre la dimension manipulatrice et charmeuse des mots de Thomas avec l'antithèse "terreur" et "beau": "ils commencent à entrevoir avec terreur ce qu'ils fabriquent ici, face à ce beau jeune homme" l. 27. Ils craignent d'être instrumentalisés, séduits par "un beau jeune homme", double de Simon.
Un discours fondé sur la lucidité et la concession pour arriver à son but: Thomas a un discours objectif, qui peut être violent: "en voie de destruction"l. 14, "don de ses organes"l. 21 compensé par un discours valorisant, plein d'espoir, qui met Simon au centre: connecteur logique d'opposition avec "néanmoins" l. 14, "mais" l. 17; prise en compte de la douleur des parents qui montre la sensibilité et l'empathie de Thomas "j'ai conscience de la douleur qui est la vôtre" l. 17; Simon est en position sujet "Simon fasse don de ses organes" l. 21, vocabulaire positif "situation exceptionnelle" l. 15, pronom "nous" l. 20.
- l'ange héroïque.
* comparaison de Thomas à l'ange Gabriel lors de l'Annonciation (paradoxal car ici annonce d'une mort et non d'une naissance): vocabulaire élogieux et mystique: "nimbé d'une lumière transparente" l. 18 qui rappelle l'auréole, "limpide", "beau jeune homme au profil de médaille" l. 27. Image irréelle et intemporelle, qui fait penser aussi à l'Antiquité et rejoint le dieu Hermès qui préside à la "belle mort".
* Un personnage qui est sur une ligne de crête, entre l'émotion et la raison "avec calme" l. 28, "avec méthode" l. 14. Sa stratégie semble réussir "bonne fréquence" l. 22, ce qui est prouvé par la grande résonance de son discours: hyperbole "micro géant" l. 24, l'énumération qui juxtapose des flashs d'images très différentes: le "rafale" qui se pose, "pinceau du calligraphe japonais", "amortie du tennisman" l. 24 qui ont toutes un lien avec l'extrême précision du geste dont dépend la réussite de l'action. On note le contraste entre le Rafale et l'estafilade sur la coquille d'oeuf l. 11: le narrateur utilise des images disproportionnées dans les deux cas pour faire comprendre la prouesse du personnage de Thomas Rémige.