"Hippomènes, voulez-vous épouser cette femme - que vous avez achetée avec des pommes ?" (4)
Par p'titMarron le 11 déc. 2025, 7:00 - Histoires courtes - Lien permanent
Par P'tit Marron et Sashatonlaveur
"Hippomènes, voulez-vous épouser cette femme - que vous avez achetée avec des pommes ?" C'était pas nécessaire...
Hum hum...(avec une voix de présentateur TV) Bienvenue dans un nouvel article qui commence directement par un énorme spoil !
Mais disons qu'on fait comme dans la tragédie grecque : on vous annonce la fin dès le début ! Ou pas...
Alors, bonne lecture !
"En position de départ, je sentai le regard de la foule dans mon dos. Une voix tonitruante fit le compte à rebours :
"Trois, deux, un..."
Et comme une andouille, je ratai mon départ. Je maudis ma curiosité qui avait détourné mes yeux sur les courbes de ma concurrente. Je chassai toute distraction de mon esprit et m'élançai sur la piste. Le vent caressait mes épaules ; mes sens s'amplifiaient et mes pieds fendaient le sol d'un rythme qui battait jusque dans mes tympans. J'en oubliais Atalante, enfin, pas complètement... La volonté d'épouser cette femme avait été remplacée par une peur : la peur de mourir sans avoir pu poser mes yeux sur elle comme le ferait un amant, un époux, un mari. C'était cette fatalité qui me poussait à courir comme je ne l'avais jamais fait.
Mais ce n'était pas suffisant. Déjà, j'entendais les pas de ma concurrente se rapprocher, et je pouvais presque sentir son souffle au creux de mon cou. Y songer m'aurait donné des frissons, mais je ne pouvais pas me le permettre en cet instant. Je lançai donc une pomme derrière moi. Le son du fruit tombant sur le sol poussiéreux de la piste différait de celui d'une pomme ordinaire. Ce devait être propre aux cultures divines. (Absolument pas. C'étaient des oranges - dont les grecs ne connaissaient pas l'existence à cette époque.) Atalante se pencha pour la ramasser, me faisant gagner un peu d'avance. Je venais à peine de dépasser le milieu de la piste qu'elle me rattrapait déjà. Je passai en "mode survie". Machinalement, je laissai tomber une nouvelle pomme. Elle la rattrapa et je courus.
Sa présence derrière moi ne me surprit plus. À quelques mètres de la victoire, je répétais pour la troisième fois ce qui m'était devenu familier :
Repérer,
estimer,
lancer.
Je m'attendais à entendre la dernière pomme s'écraser divinement sur le sol pendant que je savourais déjà l'avance que j'allais gagner. Je tendis l'oreille jusqu'à réaliser que... bah ça ne tombait pas. Ça vole, une pomme divine ? Je me retournai pour voir ce qu'il en était et me retrouvai nez à nez avec Atalante, à deux centimètres de mon visage, la pomme qu'elle avait rattrapée au vol au bout de son bras, et une expression déterminée sur le visage. Magnifique. Et flippant.
Soudain, je sentis quelque chose heurter ma cheville et je m'écroulai par terre, dérapant jusqu'à franchir la ligne d'arrivée. Atalante se précipita à mes côtés. Je me relevai tandis qu'elle s'acharnait à vérifier si j'allais bien, passant en revue toutes les parties de mon corps. On aurait dit qu'elle me prenait pour un enfant. Pourtant, une seule chose m'importait : je recevais enfin toute son attention.
Elle se redressa, des mèches de cheveux collées au front par la sueur et demanda :
" Tout va bien ?
- Je ne pourrais pas aller mal maintenant que tu es ma femme, répondis-je avec un sourire niais.
J'étais couvert de poussière et elle me couvrait toujours d'un regard amoureux. Même si tous les gradins nous dévisageaient, nous étions dans une bulle où le masque de la femme inébranlable et de l'homme vainqueur laissait place à deux âmes passionnées.
- Eh...slow down, souffla-t-elle, le mariage nous est peut-être assuré et je ne doute pas de ton impatience, mais ne cesseras-tu donc jamais de remuer ces lèvres ?"
Elle se pencha doucement et m'offrit un baiser langoureux. Mes mains sur ses hanches, je profitai de chaque seconde, bien que le temps semblait s'étirer en un rêve merveilleux.
Quand ses lèvres quittèrent les miennes, je me rendis compte que le public - que j'avais oublié - nous ovationnait . Atalante me regarda et me dit : "Ils n'étaient pas là pour le sang et les morts, normalement ?" Sa remarque était si inattendue que j'éclatai de rire, et elle rit avec moi.
C'est alors que son père nous rejoignit au pas de course pour me déclarer vainqueur. Il nous mena, encore essoufflés mais plus heureux que jamais, auprès d'un vieux monsieur qui tenait à la main une sorte de papier administratif. Celui-ci leva les yeux vers nous et me sourit. D'un ton solennel, il me demanda :
"Hippomènes, fils de Megarée, voulez-vous épouser cette fille - que vous avez achetée avec des pommes ? "
Il nous fit un clin d'œil auquel je répondis par un grand sourire.
"Oui, je le veux !"
Ils vécurent heureux et eurent plein d'enfants...je fus le héros du premier mythe grec avec une happy end ! ..pas du tout ..Vraiment pas. Vous y avez cru, hein. La suite de cette histoire me donne une bonne raison de la comparer à une tragédie. Amateurs de fins heureuses, vous pouvez vous arrêter là. Mais si vous cherchez du malheur, des pleurs, des lamentations et une icône du "MOUAHAHAHA"...je vous invite à lire la suite qui sera publiée dans deux semaines et qui accueillera une invitée spéciale.