Assis au fond de la classe, le soleil se reflétait dans mes boucles rousses. Je ne comprenais rien comme d’habitude et je n’avais pas envie de comprendre. Je savais que mon avenir ne dépendait pas de mes résultats scolaires mais plutôt de ma capacité à livrer des pizzas le plus rapidement possible. La sonnerie retentit et je sortis dans l’obscurité glaciale de l’hiver pour me diriger vers le restaurant.

J’arrivai à un passage piéton, je traversai et soudain une voiture me percuta. Je fus plongé dans un monde ténébreux ; un sifflement retentit dans ma tête puis plus rien. Juste un bip régulier de cardiogramme et des picotements dans le bras, sûrement des anesthésiants. Je ne me souvenais pas de comment j’étais arrivé dans la voiture de mon père, peut-être à cause des médicaments. Une fois chez moi, je m’enfermai dans ma chambre et me posai sur mon lit avec mon portable. Une notification s’afficha : c’était le message d’un ami qui me demandait de descendre.

Dans les escaliers, je me demandais qui m’avait ramené chez moi car mon père est mort il y a quelques années et ma mère ne savait pas conduire. La vue de mon ami m’extirpa de mes pensées. Je m’assis sur un banc à côté de lui et je commençais à lui raconter ma journée : le lycée et l’accident. Il resta les yeux rivés sur son téléphone alors que je lui racontais que je m’étais fait renverser par une voiture. Il se leva et partit sans m’avoir adressé un mot, comme si j’avais été invisible à ses yeux. Soudain, une décharge électrique se fit sentir dans tout mon corps. J’eus l’impression que mon cœur allait lâcher,  mes cris déchirèrent la nuit. Mon ami ne se retourna même pas. Pour la première fois depuis l’hôpital, je ressentis une douleur. Elle s'arrêta net, au bout de quelques secondes qui m’avaient paru une éternité. De retour chez moi, je me couchai pour essayer d’oublier cet étrange événement. Plus tard dans la nuit, je sus que ma mère était rentrée et j'entendis des sanglots. Probablement une journée difficile à son travail. Je ne voulais pas aller la voir, de peur de la gêner.

Encore une fois une décharge électrique se fit sentir dans tout mon corps mais cette fois j’étais dans un lieu sombre, froid et hostile. Je ne me sentais pas en sécurité. J’étais couché sur le sol, me tordant de douleur.  Mes cris résonnèrent dans mon crâne mais personne ne vint. Je me sentais abandonné et trahi. Je me mis à pleurer, d’abord de petites larmes puis des gros sanglots. J’en avais marre de tout. J’en avais marre de faire le mec sympa pour qu’au final on m’abandonne, marre de rien comprendre en classe et de me faire humilier, marre de faire le mec qui va bien alors que j’étais rongé de l'intérieur. J’aurais bien aimé que tout s’arrête et rejoindre mon père. La fatigue finit par apaiser mes pensées même si c’est elle qui les avaient déclenchées.

Le lendemain matin, je me réveillai dans mon lit, regardai mes messages : j'avais reçu des messages de mon ami qui dataient de la veille. Je ne compris pas tout de suite les messages car il me demandait pourquoi  je n'étais pas descendu. Soudain, ce fut clair, personne ne m’avait entendu hurler car ils ne me voyaient pas. Mon sang se glaça : j’étais devenu un fantôme. Je me mis à paniquer, plein d’effroi et désespéré : comment allai-je redevenir visible ? Je sortis de ma chambre pour aller voir ma mère et confirmer mes doutes mais elle était déjà partie travailler. Je me posai alors sur le canapé ; je ne saurai expliquer pourquoi mais je me sentais faible, vidé de toute mon énergie. Je fis alors une sieste et laissai mon portable sur un coin du canapé. 

Pendant que je dormais, je sentis une main me caresser le bras, ce n’était pas désagréable, au contraire. Mais je me sentais de plus en plus triste, j’entendais des larmes et une voix qui me suppliait de me réveiller. Cette même voix s'excusait de choses que je ne comprenais pas. Un bip régulier commença à se faire entendre de plus en plus intensément et de plus en plus rapidement. Lentement j’ouvris les yeux, je n’étais plus dans le salon, j’étais à l’hôpital. Ma mère fondit en larmes de soulagement.

Quelques jours plus tard, le personnel de l'hôpital a accepté de me laisser rentrer chez moi. Dans le train, je me sentais encore très faible, encore hanté par ce qui m'était arrivé. Un arrêt  cardiaque, le coma, un défibrillateur, une vie ailleurs peut-être ?